Le quatrième jour de la Genèse

    I1 est un texte qui ne figure guère dans nos traités d'astrologie (si j'en excepte, autant qu'il m'en souvienne, celui d'Abel Haatan), est celui de la création des « Luminaires », oeuvre du quatrième « jour » de la Genèse.

    Sans doute est-il permis de l'estimer fort éloigné des préoccupations dominantes du lecteur qui ne vise qu'à apprendre ou à perfectionner les connaissances nécessaires à l'interprétation d'un horoscope ! J'en conviens volontiers, mais je veux m'adresser ici à une catégorie de chercheurs un peu plus restreinte : j'entends parler ici de ceux qui ne dédaignent nullement d'ajouter le savoir au « savoir faire ».


    Ceux-là savent aussi bien que moi quelles graves lacunes renferme ce qu'on est convenu d'intituler « la Tradition »; ils savent que les Anciens y compris Ptolémée, leur ultime écho, déjà affaibli se sont gardés de livrer les principes de leur science, n'en découvrant guère que les applications les plus extérieures. Leur cosmologie, même, se réduit le plus souvent à quelques énoncés symboliques ou à de sèches énumérations. En somme, il n'est point trop paradoxal d'énoncer que l'astrologie antique nous est connue, « grosso modo », comme nous le serait la chimie, réduite à quelques recueils d'expériences et à quelques procédés de manipulations !...


    Dans son remarquable ouvrage, qui a le courage de poser bien des problèmes occultes sans avoir la prétention de les résoudre tous, « L'Esotérisme de l'Astrologie », A. Volguine fait une constatation pénible : « De même que les manuels de vulgarisation ne font que recopier, d'une façon plus ou moins identique, les mêmes données sans faire un effort personnel, de même, depuis un demi - siècle, aucun élément nouveau n'a vu le jour en Astrologie Esotérique; aucune production de qualité n'est venue tenter sérieusement de forcer la porte de ce domaine ».

    Pourquoi cela ? Les causes en sont multiples et complexes. Mais - et ce n'est certes pas Volguine que me contredira - l'une des principales est que l'on ne peut pas plus aborder l'astrologie vraie avec une mentalité d'astronome moderne qu'on ne peut aborder avec fruit l'alchimie, par exemple, avec une mentalité de chimiste. Je veux préciser ma pensée sur ce point : lorsque je dis « mentalité », je n'entends nullement « science ». L'alchimiste qui ne saurait pas manipuler, et l'astrologue qui ignorerait les données de la cosmographie ne devraient pas tenir cette lacune pour un élément de succès !

    Je crois avoir déjà exposé des vues analogues dans ma modeste réplique à Couderc : « Preuves... et Epreuves de l'Astrologie », mais certaines redites sont nécessaires. Quoi qu'il en soit, parmi les méthodes ou les procédés, j'allais écrire « les tactiques » qui permettraient de pénétrer au coeur du sanctuaire, l'étude bien menée des cosmogonies antiques n'est pas à négliger, sous la réserve déjà formulée : Ne pas les aborder avec une mentalité trop étrangère à celle qui a procédé à leur élaboration ; ne pas exiger qu'un prophète de Zehwty (Thôth) ou qu'un Voyant d'lsraël pensent et écrivent dans le style d'un rationaliste moderne.


    Justement, il m'a semblé que le début de la Genèse en particulier l'oeuvre du Quatrième Jour, présentait pour un astrologue averti une vue cosmologique singulièrement suggestive. Je voudrais que l'esquisse que je vais en tenter, pour insuffisante qu'elle soit, inspirât à des chercheurs bien doués le désir d'aller plus avant
dans l'élucidation d'un texte dont Antoine Fabre d'Olivet, génie admirable, presqu' aussi mal compris de nos jours que des siens, a levé les difficultés majeures. Je rappellerai seulement que sa « Langue hébraïque restituée » .ne constitue que la charpente, la substructure d'un commentaire .dont les premières pages seules ont été publiées, sous le titre « Thédoxie universelle », et dont les éléments essentiels se rencontrent, habilement disséminés, dans ses autres écrits, parmi lesquels son « Caïn » et son « Histoire philosophique du Genre humain » sont d'une lecture à peu près indispensable. Certes, on a pu lui reprocher des étymologies parfois douteuses... et à juste titre. Mais la manie de son temps était justement l'étymologie (et quelle !) de même que la mode était au phénicien, depuis Court de Gébelin et ses émules. Il se plia donc à ces exigences pour se faire entendre, mais je crois pouvoir affirmer que l'étymologie fut pour lui, ce que les procédés cryptiques de la Quabbale furent pour d'autres : Un moyen d'enseignement et non un instrument de recherches !...
    L' « instrument » était autre - et incomparablement plus sûr...
    Ceci dit, abordons notre sujet.


ANTECEDENTS COSMOLOGIQUES

    Pour bien situer le texte du Quatrième Jour (création des Luminaires) dans l'ensemble de la Genèse ou Sepher Bereschith, il importe de situer exactement le point de départ de celle-ci.
    L'auteur de La Langue hébraïque restituée pensait que la cosmogonie proprement dite, de Moïse, était renfermée dans les dix premiers chapitres du Sepher, considérant le premier de ceux-ci comme le dixième de sa théogonie, et le dixième comme le premier de sa géologie. Moïse ne nous ayant pas laissé cette théogonie, force nous est de faire le point, afin de nous rendre compte si le début de la Genèse expose la création primordiale ou s'il a trait seulement à une création secondaire, dont l'intérêt résulte surtout du fait que nous lui appartenons.

    De fortes et multiples raisons nous entraînent à pencher pour cette seconde hypothèse : Le fait même des ressemblances de cette cosmogonie avec celles d'Akkad et de Sumer, la notion, sans doute implicite, mais nullement explicite, de la chute des anges : l'omission de la création du monde angélique, sont déjà de bonnes présomptions en faveur de cette opinion. C'est dans ce sens que nous pourrions interpréter la phrase, lourde de signification, qu'énonce Fabre d'Olivet dans sa Théodoxie universelle : « Je vous dis que le développement de l'univers est une résurrection ».


    Si, comme le pensait Fabre d'Olivet, la cosmogonie du Sepher se renferme dans les dix premiers chapitres comme dans une Décade symbolique, il n'est peut-être pas trop osé d'affirmer que les dix premiers versets, décade de cette décade, en énumèrent tous les principes. Que la division en versets soit due à Moïse ou qu'on l'attribue à Esdras,

peu importe ; ce qui importe vraiment, c'est que cette division ait été intentionnelle, comme j'en ai la forte conviction.

    Ces dix versets nous offrent, groupés autour du Principe Central, ALEYM (Elohim), douze principes ou modifications de principes, dont voici la transcription littérale : ThEUM (l'Abime), MaYM (les Eaux), HOSheK (l'obscurité), RUaH-ALEYM (le Souffle divin), AOR (la Lumière), YQM (le Jour), LYLE (la Nuit), ShaMaYM (les Cieux), RaQY'a (le « Firmament »), .YMYM (les Mers), YBeShE l'Aridité), AReTS (la Terre).

    De ces principes, certains ne sont qu'un aspect particulier ou un développement des autres, et je ne crois pas m'égarer beaucoup en les hiérarchisant comme suit ;

1° - Principes primaires, relevant de la théogonie, ou, tout au moins, de la Création primitive (dont la Genèse ne s'occupe pas directement) :

  ALEYM : la Divinité, conçue à travers l'Angélité ;
ThEUM : l'Abîme primordial, source passive des « possibles »;

RUaH-ALEYM : le Souffle divin, la puissance créatrice et ordonnatrice du Très-Haut,s'exprimant par et en le Verbe - Lumière, parole de IEVE.


2° - Principes seconds, sur lesquels va porter l'effort créateur, ou plutôt, pour parler comme Fabre d'Olivet, principes entrant en jeu dans « l' oeuvre de résurrection » :

            MaYM : les Eaux primitives, spécification de ThEUM, l'Abîme ;
            HOSheK : le Feu ténébreux, engendré par la« chute » de l'Archange.
3° - Principes particuliers ou médiateurs, destinés à remédier à l'état de choses conséquentiel à la rébellion archangélique :
            AOR : la Lumière verbale, manifestation de RUaH-ALEYM ; c'est l'Agent qui, exerçant son action sur les deux principes seconds, c. à d. sur les Eaux enténébrées, va s'opposer comme YOM (Jour) à HOSheK, l'Obscurité, réagissant comme LYLE (Nuit).

            De cette lutte vont naître :

a)  Des eaux (MaYM) séparées des Ténèbres :  
         ShaMaYM : les Eaux Spiritualisées, source des existences spirituelles ;
         RaQY'a : Les Eaux moyennes ou éthérées ; 

b) De la Ténèbre (HOSheK) se séparant des Eaux :          

            YBeShE ; l'Aridité, l'Aridisation, origine de :
            AReTS : la « Terre », source des formes matérielles.

    Ces distinctions opérées, il sera plus facile de saisir le sens interne des dix premiers versets du Sepher. Je ne veux transcrire ici que les versets 7 et 8, plus proches de nos préoccupations astrologiques, en m'excusant de rappeler que toute transcription de cet ordre demeure extérieure, donc partiellement illusoire et inadéquate sans l'illumination intérieure :


    - V. 7. - Et ALEYM effectua ce qui allait constituer RaQY'a (la raréfaction éthérée) afin de différencier les Eaux d'après ce moyen terme, préposé entre les, Eaux qui s'alourdissaient, se condensaient et celles qui s'allégeaient, se dilataient, par rapport à ce même orbe éthéré : et ainsi fut.


    - V. 8. - Alors, ALEYM caractérisa l'espace du nom de Cieux (ShaMaYM) ; Eaux glorifiées, libérées (1). Ainsi fut, du commencement à la fin, du « soir » au « matin » (2), le second Jour (ou seconde phase de l'OEuvre de Résurrection). Le lecteur aura déjà noté la nuance qui sépare les « cieux », proprement dits, de l'expansion éthérée, traduite tantôt par « Etendue », tantôt par « Firmament ».


    Il y aurait, évidemment, beaucoup à dire, si l'on voulait commenter un peu sérieusement les deux versets dont je viens de donner une transcription approximative. Mais pour rendre ce commentaire intelligible, il eût fallu d'abord transcrire les dix premiers versets et les commenter mot par mot.


    Je dois y renoncer pour l'instant. Ceux qui ont la bonne fortune de posséder les oeuvres maîtresses de Fabre d'Olivet pourront s'y reporter, ce qui simplifiera leur tâche.


    Il me suffira de résumer en quelques phrases les conséquences de ce qui précède : La Genèse, débute au moment où une catastrophe cosmique incommensurable, d'origine luciférienne, a fait d'une partie de la Création divine un Chaos. C'est sur ce chaos que va s'exercer l'activité restauratrice et rédemptrice de la partie de la Création non entraînée dans la « Chute ». La création particulière de l'humanité adamique, destinée à régenter ce Chaos et à en surveiller le retour à la norme salvatrice s'en déduira au sixième Jour. Le « firmament des Cieux » réalisera dans une portion croissante de ce Chaos un ordre relatif : des cycles temporels s'y dérouleront au sein d'un ovoïde spatial, et cette élaboration du monde « astral » sera l'oeuvre du quatrième Jour. Je dirai donc quelques mots rapides sur ce qu'on a appelé « la Chute des Anges » avant d'aborder la création des Luminaires dont ces vues préalables faciliteront un peu l'étude, du moins, je l'espère.


LA REBELLION LUCIFERIENNE

    Nous venons de voir que le Sepher, tel qu'il nous est parvenu, supposait la chute de l'Archange sans la décrire explicitement.
    Moïse parle bien des anges au cours de ses cinquante chapitres, mais il reste muet sur leur création qui, on le sent, ne fait pas partie de l'oeuvre des Six Jours. Autre remarque, en passant, dans l'énumération des espèces animales (cinquième Jour) il ne fait pas mention des insectes. Ces omissions ne sont pas l'effet du hasard ni de l'inadvertance. Si, comme tout porte à le supposer, les insectes sont les créatures terrestres où le sceau satanique s'imprime le plus profondément, on comprend pourquoi l'auteur du Sepher préfère les passer sous silence.

    Ici, il n'est peut-être pas inutile de souligner que, dans la conception de l'auteur de la Genèse, la Ténèbre est la résultante générale, dans l'ordre cosmologique, de l'acte par lequel Lucifer se détache de Dieu, se pose en démiurge en face de lui et ose une création dont il puisse s'enorgueillir d'être l'auteur. Et ce n'est pas par pure coïncidence que Moïse se sert pour désigner la Ténèbre chaotique, HosheK, et le « Serpent » tentateur, Na-Hash, du même élément radical, Hosh, pour mieux nous pénétrer de leur commune origine.


    Je sais bien que, pour beaucoup de penseurs, Lucifer n'est rien d'autre qu'une froide abstraction sans réalité objective. Je ne discuterai pas cette vue, me contentant d'affirmer simplement qu'elle n'est nullement conforme à l'esprit du texte du Sepher.


    Quoique il soit bien difficile, presque impossible même, de mesurer à notre aune un être aussi gigantesque, aussi hors de proportions avec nos modes d'être, de sentir et d'agir, je vais essayer, très grossièrement, de tenter une esquisse de son acte et de ses conséquences. L'Archange Lucifer, l'ex-porte-lumière, a voulu s'égaler à son Créateur. Certes, sa puissance était immense, inconcevable pour notre entendement actuel ; il pouvait « créer », à son tour, des êtres spirituels, susceptibles à leur tour
d'en « créer » d'autres à leur image. Cependant, malgré sa grandeur et l'éclat de ses attributs, Lucifer n'était qu'une créature, subordonnée à son Créateur, et toutes les créatures spirituelles émanées de lui étaient, comme lui, des « créatures de Dieu ». La VIE qui les animait et qu'ils transmettaient, quoique étant en eux, ne leur appartenait pas en propre.

    Lucifer, donc, se prétendant égal à son Créateur et s'étant dressé en rival devant son Père, s'éloigna de Lui, entraînant avec lui des légions de ses créatures, orgueilleuses comme lui. Dieu pouvait retirer à Lui le Souffle de Vie qui donnait l'être au Grand Révolté...

    Mais la justice de Dieu n'est pas celle des hommes aux horizons bornés, Il n'a ni foudroyé ni empêché Lucifer, car il veut laisser à sa créature la possibilité de revenir vers Lui, librement. Si Lucifer revenait, tel l'enfant prodigue de la parole évangélique, l'Enfer n'existerait plus. Car, telle semble bien l'origine des mondes infernaux ou infernalisés : Lucifer et les siens ont créé des formes, encore des formes, mais la Vie divine a toujours animé ces formes, car, si le Verbe (qui est la Vie) ne les avait animées, elles fussent demeurées à jamais inertes et insensibles. Pendant bien des Eons de temps, les créations réalisées par Lucifer et les siens furent d'autres créatures spirituelles ; mais, tout en s'éloignant de Dieu et par leur perversité même, leur spiritualité allait en décroissant. S'éloignant du Soleil lumineux, ces êtres devenaient de plus en plus sombres ; l'Abîme obscur les attirait : ils s'étaient flattés de l'éclairer de leur lumière propre, mais cette lumière n'était qu'un reflet et les Ténèbres n'en peuvent être illuminées. Rendons-nous compte, à ce point, qu'il est impossible à l'intelligence humaine de saisir et classer la totalité des formes innombrables du mal, dans le visible et l'invisible, depuis l'infinité des Sphères jusqu'aux vibrions.

    Les planètes, par exemple, sont, en partie, l'oeuvre de l'Esprit du mal; chacune d'elles a son "Prince de ce Monde", pour reprendre l'expression de l'Evangile. Et, si les cosmogonies antiques l'ont, le plus souvent, donné à entendre sans l'exposer ouvertement, quelques-unes, comme celle des Parsis, le disent crûment. A. Volguine (chap. V de « L'Esotérisme de l'Astrologie ») nous en donne quelques extraits suffisamment explicites.


    Je n'ai pas ici à rechercher pour quelles raisons ni de quelle façon l'humanité terrestre ou, plus largement, les humanités planétaires, apparurent sur leurs globes respectifs. Si la mission d'Adam fut, comme je le suppose, de ramener l'harmonie dans la partie de la création perturbée par Lucifer et les siens, il est fort probable que la chute de cet être collectif, dont nous sommes des sous-multiples quasi infinitésimaux dans notre phase individuelle présente, était de même nature que celle du Révolté et que, dès cet instant indescriptible, l'Humanité, guide et gardienne des créations lucifériennes, perdit ses prérogatives, en devint l'esclave et se vit impliquée dans leur mécanisme implacable.

Si les créations lucifériennes avaient été abandonnées à elles - mêmes, elles ne seraient jamais sorties de ce stade, impensable pour nous, que nous désignerons sous le nom de « Chaos », ou sous celui de « Ténèbre », selon la cosmogonie à laquelle nous nous référerons. Nous venons de voir que chaque « jour », chaque « acte » de la Genèse correspondait à une phase évolutive amorcée sur la phase involutive à laquelle elle apportait le remède approprié, « en principe » d'abord, son efficience devant se déployer progressivement à l'aide du Temps.

Des ésotéristes du début de ce siècle, malencontreusement influencés par l'auteur de la « Mission des Juifs », ont fait du temps « le grand Centralisateur », l'assimilant à Caïn, C'est justement l'inverse qui serait logique. Et, puisque je m'appuie souvent sur Fabre d'Olivet, je tiens à faire remarquer que dans les notes explicatives de son « Caïn », ce dernier dit ouvertement que le temps est le moyen par lequel la Providence entend pallier, peu à peu, les conséquences de la chute d'Adam. Je dirai d'ailleurs ici que, si j'ai bien compris le philosophe de Ganges, Qaïn est ce qu'il nomme « Instinct universel » dans son Histoire Philosophique du Genre humain. Nous pouvons maintenant aborder l'oeuvre du Quatrième Jour.


CREATION DES LUMINAIRES

    Voici d'abord le texte du Sepher ; « Et ALEYM dit : Il y aura des Luminaires (MAoRoTh) dans l'espace éthéré, pour opérer le partage entre le Jour ou lumière manifestée et la Nuit, ou ténèbre manifestée. Ils seront en signes à venir pour les « mois », les « jours » et les « années ». Et ils seront comme des sources lumineuses sensibles (MAOROTh) dans l'espace éthéré des cieux pour inciter la lumière (intellectuelle) à briller sur la terre. Et il fit cette gémination de Luminaires virtuels (MAOROTh), les grands : Le Grand Luminaire ou foyer lumineux principal pour présider symboliquement au Jour, le foyer lumineux secondaire ou Petit Luminaire, pour présider symboliquement à la Nuit, et l'ipséité des étoiles ».

    Naturellement, la tentation était grande de rendre les expression employées par Moïse, (Grand Luminaire, Petit Luminaire) par soleil et lune. On ne s'en fit pas faute, Ce point de vue terre-à-terre, géocentrique, ne pouvait être celui d'un initié de la trempe de Moïse. Fabre d'Olivet, souvent moins réticent, se cantonne ici dans un hermétisme prudent. Il faut l'avoir assez assidûment fréquenté pour se livrer au jeu périlleux de commenter à sa place. Sa pensée transparaît toutefois dans le bref passage où il explique « étoiles » (KOKaBYM) par « facultés virtuelles de l'univers ». Reprenons le fil du texte sacré. Nous y voyons l'Oeuvre de Résurrection entrer dans une nouvelle phase

    Le tourbillon chaotique de la partie de la création infernalisée, qui semblait vouée aux ténèbres immuables, va être par la sollicitude du Créateur, éclairé par des foyers lumineux sensibles (foyers virtuels et non matériellement visibles comme l'est notre soleil physique). Ces foyers virtuels, réfléchiront un peu cette Lumière intelligible (et non sensible) qui, avant la grande révolte, éclairait directement les créations spirituelles, maintenant dégradées et opacisées, tout en constituant des centres d'attraction qui atténueront le mal en transformant une chute sans terme dans un indéfini de ténèbres, en gravitation universelle. Tels sont les « luminaires » ou MAoRoTh. Si le singulier, MAOR, peut signifier « astre », c'est dans un sens bien restreint. L'auteur de la Genèse, toujours synthétique, emploie ce terme dans sa simplicité étymologique : Ma-AO.R, c'est - à - dire « foyer ou réflecteur de la Lumière du Verbe ». Et pour nous faire entendre qu'il a en vue les foyers virtuels des soleils physiques, il emploie deux fois le pluriel avec valeur collective, en ayant soin de remplacer la voyelle - mère O par le point - voyelle qui la représente « virtuellement » ; il en use de même pour la terminaison du pluriel : OTh, afin que nous sachions que cette pluralité de Luminaires n'est qu'implicite, « virtuelle », elle aussi.

    Elohim déclare donc qu'il y aura des Luminaires dans l'orbe éthéré des cieux pour servir de moyen de séparation entre la lumière et les ténèbres. Ces luminaires, dit le texte, feront briller (la lumière spirituelle) sur la terre. Par « Terre » il faut entendre ici toutes les planètes prises collectivement, toutes les terres. Il est permis de supposer que ce ne sont pas seulement la chaleur et la lumière physique d'un soleil visible qui sont susceptibles de réveiller sur les globes la lumière spirituelle obnubilée par la Chute. La forme hiphil du verbe AOR « briller, éclairer », dont se sert Moïse ou ses transcripteurs en cette occasion, est dite factitive, incitative ou excitative : E-AYR. La préformante est l'affaiblissement du S- factitif de toutes les langues apparentées (3). Elle donne ici à ce verbe le sens de « rendre lumineux, inciter à briller » qui est d'ailleurs donné dans les dictionnaires les plus classiques.


    Nos soleils ne sont que les reflets amoindris d'un des Soleils spirituels qui sont les émanations et les répartiteurs des énergies du Grand Soleil central, pivot de tous les univers visibles et invisibles. Ainsi, le « mythe solaire », si mal entendu par les modernes, recèle, bien compris, une très haute vérité : Chaque soleil est non seulement un symbole expressif du Verbe - Lumière pour les terres qui lui ont été confiées, mais constitue le « Petit Luminaire », réfléchissant le « Grand Luminaire », centre virtuel et flambeau de la Lumière du Verbe pour la sphère qu'il a charge d'illuminer et de vivifier. 


    Ainsi, pour peu qu'on veuille approfondir la pensée de Moïse et celle de Fabre d'Olivet - son meilleur interprète à ma connaissance, nonobstant les erreurs de détail qu'on peut relever chez lui - réduire les « Luminaires » aux seuls soleils qu'étudie l'astronomie, c'est rétrécir presque caricaturalement cette pensée. Et c'est la méconnaître bien davantage que faire de leur cortège planétaire d'anciens anneaux solaires détachés de leur masse en cours de refroidissement. Soleils et planètes ont des origines différentes, des fonctions différentes, et sont formés d'éléments en partie semblables, en partie différents. Revenons maintenant à la Genèse. Elle nous expose qu'ALEYM fit non point deux Luminaires mais deux catégories complémentaires et inséparables, ATh-SheNI, de Luminaires (création principielle indépendante en soi de tout nombre défini) ; Le Grand, pour régner sur le « Jour », et le Petit (en réciprocité

du Grand) pour dominer sur la « Nuit ». Mais quelle est cette « Nuit » ? C'est notre misérable « jour », qui, sans les soleils physiques, ne serait que ténèbres immuables !

    Donc, ALEYM crée, nous dit la Genèse, le principe d'une double catégorie de foyers lumineux ; ensuite, apparaissent les étoiles, KOKaBYM, selon les besoins des mondes en perdition, Ici, la préposition ATh, que l'auteur de la Genèse emploie assez systématiquement lorsqu'il s'agit d'une création potentielle ou principielle, a été omise.
Les étoiles ou les soleils sont des faits qui se développent et se posent dans des circonstances relatives et définies de temps et d'espace. Fabre d'Olivet a donné de leur nom une étymologie séduisante, de laquelle je m'écarterai peu. Je noterai seulement que KOKaBYM est le même mot que l'akkadien KAKKABY "les étoiles", forme à redoublement expressif syncopé *KOB-KOB- dont le radical, toujours en akkadien, s'applique dans l'adjectif KAB-TU à ce qui est important, grave, auguste.

    Dans l'ensemble, il m'apparaît que le Grand Soleil Virtuel, centre des créations divines dans l'ordre ici considéré, reflète, ainsi qu'un prisme les couleurs, toutes les forces divines, toutes les énergies spirituelles, et les propage indéfiniment en multiples phénomènes. Il constitue le prototype des « Grands Luminaires » qui dépendent de lui directement. Les soleils visibles les réfléchissent ainsi que des miroirs, concentrant et propageant, à leur tour, telles ou telles de ces forces, suivant le rôle particulier qu'ils sont appelés à jouer dans le monde. Les soleils « obscurs » ou virtuels, centres de forces d'origine divine, peuvent évertuer chacun plusieurs univers différents. Ils servent donc d'intermédiaires, de relais, entre le Soleil central (Trône de la Trinité
créatrice et les soleils plus ou moins distants du Grand Centre.

    Quant aux planètes, quelles qu'elles soient, il semble assez évident par ce qui précède qu'elles sont l'oeuvre de Lucifer, car la matière est un résidu, inerte par lui-même. Le Verbe l'a pénétrée et vivifiée, l'Esprít a soufflé sur elle, elle a donc pu produire et produira des formes, afin d'être évoluée, transmuée, par ceux-là même qui l'ont faite ce qu'elle est. Pour les y aider, le « Petit Luminaire » (qui est notre soleil, ou tout autre du même ordre) fut créé. Et fut le Jour ! Mais le globe opaque de matière, en révoluant devant son soleil, ne peut exposer à ses rayons qu'une partie de sa surface ; l'autre est dans l'obscurité. Et fut la Nuit ! Toutefois, ces planètes, reflètent elles aussi, en proportion de leur éloignement, la lumière solaire et répandent à leur tour clarté et force : Pâles clartés, forces souvent nocives, provenant de leur sombre origine !


    Le « Petit Luminaire », dans la pensée de Moïse, si toutefois je l'ai à peu près saisie, n'est donc nullement la lune (que nous verrons nommée en une autre occasion, comme production symbolique de YaQTaN, dans la lignée de SeM. En fait, n'y a-t-il pas autant de « lunes » que de planètes ? Toutes ne réfléchissent-elles pas la lumière de leur soleil respectif ? Pour nous, terriens, ce moindre Luminaire est notre soleil ; Moïse, parlant toujours au collectif, c'est chaque Soleil, chaque « étoile », visible ou invisible, tirant son énergie d'un Soleil virtuel. Outre ce point, il est bon de noter que chaque astre visible, stellaire ou planétaire, comporte un « double » invisible et même (pour les soleils) plusieurs. Pour notre terre, ce double n'est autre que la TheBaH ou « Arche » dont il est question dans la Genèse à propos du Déluge (ou plutôt des trois cataclysmes diluviens que Moïse confond habilement en un seul, à savoir : le Diluvium du Proche - Orient ou déluge babylonien ; l'engloutissement d'Atlantis ; et, en dernier lieu, le plus important, ce déluge très spécial, analogue au Pralaya des textes de l'Inde).


    Chacun sait que les planètes décrivent une course elliptique autour d'un double foyer. L'un d'eux est occupé par notre soleil visible. Je tenterai de m'expliquer plus loin sur l'autre et, afin de ne pas rester entièrement dans le domaine de la spéculation pure, de tirer de là une déduction touchant l'astrologie pratique.


    Pour l'instant, je noterai que les centres irradiants de lumière spirituelle réfléchie par les soleils tend à réveiller nos facultés supérieures engourdies et atrophiées. Ces influences stellaires sont d'un autre ordre que les influences planétaires. Les planètes nous renvoient la lumière et les énergies qu'elles ont reçues, mais viciées par leur

propre ambiance, colorées, pour ainsi dire, par leurs virtualités propres, bonnes et mauvaises - en principe, plutôt mauvaises - au regard de l'esprit. Inversement, notre inadaptabilité actuelle à la vie véritable de l'esprit, rend souvent périlleuse pour nous l'influence stellaire. C'est ce qu'expose Ptolémée, d'une façon différente, lorsqu'il nous dit que les étoiles fixes promettent souvent des chances extraordinaires, payées très cher si les promesses de l'horoscope ne s'accordent pas avec les leurs.

    J'ai essayé ici, bien maladroitement sans doute, de replacer l'oeuvre du « Quatrième Jour » dans la perspective générale de cette seconde « Création » ou « Résurrection » décrite par la Genèse. J'espère n'avoir pas trop trahi la pensée de son auteur, ni trop déformé celle de Fabre d'Olivet, dont je me suis, en somme, rarement écarté.

    J'en viens maintenant au double foyer des gravitations planétaires. Ce qu'on peut désigner pour simplification sous le vocable « second foyer » n'est pas exactement le même pour toutes les planètes de notre système. Ainsi, il y aurait multiplicité de foyers virtuels. En réalité, le vrai foyer virtuel n'est pas physiquement localisé dans notre espace. Toutes les forces destinées à évertuer l'ensemble des planètes s'y trouvent bien à l'état potentiel, mais ne s'actualisent physiquement qu'en élisant chacune un centre plus particulier de manifestation et de condensation. Sédir, qui fut en contact à un certain moment avec d'authentiques porteurs de la tradition rosicrucienne, écrit dans son « Histoire et Doctrines des Rose - Croix », ceci, qui pourrait être compris comme une élucidation du problème des foyers virtuels, chaque planète dépendant plus particulièrement d'un des centres de forces composant ensemble ce foyer :

    « La vie terrestre est fille du soleil jaune qui nous éclaire. Mais il y a six autres soleils qui font vivre la terre, soleils actuellement invisibles, mais qui, tour à tour, entreront dans notre arc de visibilité. Notre soleil jaune est préposé à l'assimilation des fonctions vitales. Au-dessous, il y a le soleil rouge préposé à l'agglomération des cellules de la vie terrestre. Ce soleil dirige les groupements en cristaux dans les molécules minérales ; il régit la morphologie, les affinités physiques et chimiques. Ce soleil rouge est l'habitat du génie, de l'ange, du dieu directeur de l'Institut des Rose - Croix, Elias Artiste. »

    Il faut, évidemment, des circonstances particulières, très particulières même, pour entrevoir - non par les yeux physiques - l'un de ces soleils virtuels, chacun apparaissant avec sa couleur particulière, en concordance avec l'une des couleurs attribuées aux planètes. Le soleil rouge pourrait être défini, en employant une comparaison avec nos sensations colorées physiques, comme un rouge de carmin d'intensité moyenne (5° ton). Son disque apparent peut avoir les 2/3 de celui du soleil en diamètre. Quant aux autres, n'en sachant rien de précis, je n'en dirai rien. 


    De mes différentes recherches, lesquelles ne sont pas toutes d'un intérêt actuel, je veux, pour terminer, tirer une indication promise plus haut, La voici : Dans l'espace où s'échelonnent les systèmes et les constellations, notre soleil régente effectivement une zone qu'on pourrait représenter par un ovoïde ou mieux par un ménisque. Très puissante dans sa zone équatoriale, l'influence solaire décroît assez rapidement pour être pratiquement nulle dans la zone polaire.


    Cet effet est quantitatif et non qualitatif. Il ne s'agit que de l'intensité de ce qu'on peut appeler, plus ou moins justement, son « influx ». Si cette vue est juste, il s'en déduit naturellement que la latitude des planètes joue un rôle dans le dosage, toujours délicat, de l'intensité de leur influence dans un thème. Cette intensité doit donc décroître à mesure que la planète envisagée s'écarte de la latitude nulle.


    Dans son petit pamphlet contre l'astrologie, l'astronome Couderc s'autorise du fait que les planètes ont des constitutions analogues pour décréter que des corps semblables ne peuvent avoir sur les affaires humaines des actions différentes et même contradictoires. Il se gausse de ceux qui admettent « que des blocs rocheux entourés d'une atmosphère agissent différemment parce qu'ils portent des noms de personnages de contes de fées ». Si, en effet, l'influence planétaire ne pouvait s'expliquer que par des phénomènes physico-chimiques, ou se traduire en vibrations ou en potentiel

électro - magnétique, il aurait raison. Et trop d'astrologues qui se veulent « scientifiques » - au sens moderne du terme - lui tendent bénévolement les verges avec lesquelles il les fustige. En étudiant de mon mieux le texte de la Genèse, celui-ci m'a transporté sur un autre terrain. Et, si je ne m'abuse pas, c'est seulement sur ce terrain-là que l'astrologie peut trouver sa justification valable. Le « caillou appelé Mars » et le « caillou appelé Jupiter », pour identique que nous apparaisse leur composition, pour identique que soit également la lumière du soleil physique qui les éclaire, n'ont pas la même affinité pour chacun des soleils virtuels qu'il est permis de soupçonner, soleils dont les énergies ne sont pas du ressort des sciences qu'étudie et pratique M. Couderc, quelle que soit sa compétence dans leur domaine. Qu'on me passe une boutade pour terminer : M. Couderc et moi, sommes formés d'éléments matériels identiques à peu de choses près. Ce qui ne nous empêche nullement d'avoir des vues « différentes et même contradictoires » sur un même sujet !...



(l)  Notons déjà ici que c'est dans cet oeuf éthéré, RaQY'a, et non dans les Cieux  proprement dits, que s'effectuera au quatrième jour la création des Luminaires. Dons le nom des Cieux (ShaMaYM) on retrouve celui des Eaux (MaYM) et la racine SheM, affectée à toute supériorité, à toute glorification. L'hermétiste Khunrath avait senti la même vérité, en l'interprétant selon ses préoccupations propres : Shamaim - écrit-il dans son Amphithéâtre - est comme Esch v' Maim (feu et eaux).

(2)  « Du commencement à la fin »... Je note que Moïse emploie une expression apparemment contraire : Va YEY 'ReB, Va YEY BOQeR : « Et fut soir, et fut matin ».
    Voici pourquoi : eReB, presque l'Erebos des Grecs - encore que ce rapprochement ne soit pas forcément fondé sur une parenté linguistique - signifie « soir » dans le sens d'obscurité. BOQeR exprime, au contraire, un dégagement de lumière. Chacun des « jours » ou cycles lumineux décrits par Moïse constitue une nouvelle étape de la lutte victorieuse du Verbe - Lumière contre la Ténèbre infernale. Chacune de ces Périodes débute donc dans un stade relativement plus ténébreux que celui où elle se termine. Toute la narration est ainsi subordonnée aux phases de cette lutte entre la Lumière et les Ténèbres qui en est le noeud.

(3)  Par exemple, égyptien S-WSER « rendre vigoureux », auprès de WSER « vigoureux »; berbère marocain : GEN « dormir », S-GEN « faire dormir »