HOMO DUPLEX

  

     « Homo duplex », dit la Sagesse des nations ! Oui, l'homme est double et, sans la notion précise de cette dualité, c'est en vain que l'on prétendrait éclaircir les énigmes qui nous oppressent, du berceau à la tombe.

     L'homme est double... et cette dualité se manifeste dans toutes ses activités, dans le développement de toutes ses facultés. C'est cette constatation qui fait le fond de la philosophie de Spir. Je ne puis résister ici au plaisir d'extraire du beau livre de Gabriel Huan : « Essai sur le Dualisme de Spir » quelques lignes décisives, qui situent nettement le problème :

     « Le Monde de l'expérience ne comprend que des phénomènes et doit être conçu dans un perpétuel devenir. Or, le devenir est conditionné par l'opposition de deux tendances : une tendance à l'anéantissement, par laquelle les phénomènes s'évanouissent à tout instant pour céder la place à d'autres phénomènes, mais aussi un effort de conservation, par lequel chacun d'eux ne disparaît que pour renaître sous une forme différente et appropriée au nouvel état du devenir... dont le cours tout entier nous apparaît ainsi comme régi par une loi de finalité qui dirige, en quelque sorte, le flux des phénomènes vers un idéal qui ne saurait appartenir au monde de l'expérience, puisque le phénomène ne s'efforce précisément d'y atteindre qu'en se dépassant lui-même.... Comment le devenir peut-il tendre vers l'Être, s'il est vrai qu'un dualisme absolu les oppose l'un à l'autre ? Comment une « ascension vers le divin » est-elle possible, dans un monde qui est foncièrement étranger an divin et ne renferme rien qui ne soit anormal ? Il faut donc supposer une parenté mystérieuse entre la Norme et l'Anormal ; l'anormal ne peut aspirer à retrouver la Norme que s'il s'en est primitivement écarté. C'est en effet cet « écart », cette « déviation », qui constitue l'essence de l'anormal. »

     Ces lignes sont précieuses à méditer ; mais ne faut-il pas, pour résoudre cette grave question, s'élever au-dessus des philosophies et prononcer hardiment le mot qu'elles sous-entendent parfois, sans le proférer : le mot « chute » ainsi que son complément nécessaire, le mot « rédemption » ?

     Ainsi, l'homme nous offre une double nature : une lumière vivifiante et un feu dévorant sont en lui, luttent en lui, cherchant sans cesse à se supplanter. Mais qu'est le feu, sinon de la lumière matérialisée et disharmonique ?

     Sciences et philosophies visent à l'« unité ». Sans unité, pas de lois, rien que l'anarchie, le chaos, le hasard. Or, l'homme est double, alors que tout en lui soupire vers l'unité. Cette unité, c'est la Norme, et la dualité que nous observons en nous et autour de nous, c'est l'anormal. En nous et autour de nous, certes ! Car nous constatons dans la nature également la présence simultanée de la Norme et de l'Anormal.

     S'il est donc, pour l'homme, une finalité vraiment universelle, c'est le retour à la Norme, la suppression de ce dualisme en lui et autour de lui, la simplification intérieure, et, pour parler comme Boehme, la transmutation du Feu de la Colère en Lumière d'Amour.

     Mais une telle oeuvre nécessite le concours de la Norme elle-même. Ce concours, c'est cet aspect du divin nommé Providence, qui en fixe les modalités et c'est le Verbe, créateur, conservateur et rédempteur, qui l'apporte effectivement à la créature déchue.

     La Loi Universelle, n'est autre que la Providence en action, luttant contre le principe de corruptibilité, le « gluten » d'Eckartshausen, qui ne peut être annihilé que par une lente et très mystérieuse alchimie, dont celle des hermétistes n'est qu'un lointain reflet.

     Et, dans tous les mondes à la fois, dans tous les aspects, tous les compartiments du Créé, à chaque moment de la durée, nous voyons s'affronter implacablement la Norme et l'anormal, le Rédempteur et le Tentateur, notre coeur de lumière et notre coeur de ténèbres, selon la saisissante image de Sédir.

     Madame D... rend sensible l'action de la Loi d'Amour au sein du monde de ténèbre et de haine où nous nous débattons douloureusement.

     En quelques pages simples et dépouillées de tout souci littéraire, elle nous rappelle que tout chemin qui n'aboutit pas au Golgotha nous éloigne du but essentiel de notre pèlerinage terrestre : reconstituer cette unité primitive, qui permettra à l'Humanité de redevenir le Temple vivant de l'Éternel.
Puisse son ouvrage inciter quelques hommes de bonne volonté à s'engager sur le « chemin étroit », à la recherche de l'unique nécessaire : Le Royaume et Sa justice !
 


A. SAVORET.