MÉDECINS GUÉRISSEURS ET CHARLATANS



     Légion sont les malades que la médecine officielle a déçus ou abandonnés. On constate le fait sans médire de la médecine qui, comme toute chose humaine, a ses limites et ses lacunes. Plus qu'une science, elle est un art, le plus difficile qui soit, parce que l'être humain « cet inconnu », est lui-même le plus merveilleux mais aussi le plus compliqué, le plus délicat des mécanismes.

     En lui s'entrecroisent les fils et les rouages de toutes les sortes de machines imaginables, et le travail de toutes est perturbé à chaque accroc dans le fonctionnement d'une seule.

     Et puis... il y a en outre cette petite chose insaisissable et inexpliquée : La VIE !

     Le médecin doit se débrouiller dans tous ces engrenages, ces pièces essentielles ou accessoires, mais, moins heureux que l'horloger qui travaille sur de la matière inanimée, il n'a ni le loisir ni la possibilité de démonter à son gré le mécanisme.

     Quand il lui est permis de le faire, c'est que le Grand Ressort est définitivement, cassé et que la Vie s'est retirée. Il connaît les pièces en détail, c'est l'anatomie ; il a appris leur fonctionnement théorique, c'est la physiologie, mais... quand l'usine humaine est en panne, il est un peu dans la situation du mécanicien qui devrait diagnostiquer les causes des ratés d'un moteur d'auto et y porter remède sans avoir le droit de soulever le capot.

     Ainsi le médecin fait ce qu'il peut - et c'est rarement simple. Il guérit ou améliore souvent, se trompe ou échoue quelquefois et est le premier à reconnaître les limites de ses possibilités.

     S'il réussit, tout est bien. S'il échoue, le patient ainsi nommé sans doute parce qu'il manque assez souvent de patience - s'en va trouver un autre médecin qui le guérit ou non, selon le cas. Et ainsi de suite.

     Finalement, il y a un « déchet », un pourcentage d'incurables qui ne sont plus justiciables d'aucune médication. Ceux-ci doivent se résigner à subir leurs maux jusqu'à la fin ou tenter de recourir à des moyens extra-médicaux, à leurs risques et périls.

     Parmi ces moyens, il y a les « remèdes secrets », souvent nocifs, parfois répugnants, sans garantie ni contrôle, dont quelques-uns guérissent peut-être, mais dont la majeure partie est inefficace, pour ne pas dire plus.

     Restent, en dernier recours, les « guérisseurs ».
 

GUÉRISSEURS et CHARLATANS

     Les guérisseurs ont une assez mauvaise presse, en particulier dans le monde médical. Cela s'explique aisément. Sans études définies, sans connaissances scientifiques contrôlées, les guérisseurs exercent leur art (ils disent volontiers : leur sacerdoce) sur des patients pour lesquels la médecine ne peut pas grand-chose, mais aussi, il faut le reconnaître sur des malades qui ont abandonné un traitement, pas forcément inefficace, mais qui leur semblait trop long, trop dispendieux ou trop mal commode. D'où, même involontaire, une concurrence que le corps médical estime déloyale quant à lui et préjudiciable quant à la santé des malades.

     C'est un côté de la question. En voici un autre.

     Du fait que des guérisseurs bien doués obtiennent des succès, dans une proportion assez variable, ils sont singés par une foule de charlatans, avides de réaliser rapidement, sans frais ni connaissances spéciales, un assez joli profit en spéculant sur la crédulité et la souffrance humaines.

     Publicité tapageuse, interviews sensationnels, mise en scène théâtrale leur procurent une notoriété fallacieuse. Il n'est pas exagéré de dire que, pour un guérisseur quelque peu doué, on rencontre au moins dix charlatans.

     Et sur ces dix, Il n'y en a peut-être pas la moitié qui se contente d'exploiter « honnêtement » les malades qui se confient à leurs soins, en se bornant à leur distribuer, en échange de leurs deniers, des conseils à peu près raisonnables et des forces vaguement magnétiques mais à peu près inoffensives !

     Chez bon nombre d'entre-deux, le « magnétisme » est une façade qui abrite des procédés plus ou moins scabreux et parfois franchement obscènes. D'autres ajoutent à leur bagage des bribes de sorcellerie fruste ou de pratiques « magiques », annexant à leur petit commerce la vente de talismans et de philtres. Il suffit de lire les dernières pages des journaux ou celles de certains magazines d'un genre spécial pour être fixé là-dessus.

     Laissons cette pègre et revenons aux guérisseurs sérieux.

     On peut les diviser en trois catégories : hypnotiseurs, magnétiseurs et guérisseurs spirituels.
 

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     Les hypnotiseurs n'obtiennent que d'assez modestes résultats, sauf dans les cas de maladies psychiques ou nerveuses. On pourrait se dispenser d'en parler, mais on doit signaler que leurs méthodes ne sont pas toujours inoffensives. Nous connaissons encore moins l'esprit de l'homme que son corps. L'hypnotiseur, en substituant sa propre volonté à celle du patient, amoindrit ses réactions de défense psychique aliène fâcheusement son libre-arbitre et, surtout, le rend perméable à l'avenir à toutes les suggestions, d'où quelles viennent. C'est là un remède presqu'aussi dangereux que le mal, et l'on peut en dire autant de toutes les actions volontaires, qui amoindrissent le bien le plus précieux de l'homme, sa liberté d'esprit, et, par suite, sa responsabilité morale. Pour les mêmes motifs, suggestion et autosuggestion ne sont pas à conseiller.

     Et que dire des « transferts » psychanalytiques et de tous les procédés similaires élaborés par Freud et ses disciples, qui plongent le malade, déjà mentalement désaxé, dans un véritable bain de boue psychique où il risque de s'enliser définitivement !

     Aux inconvénients de la suggestion, ces procédés ajoutent encore ceux d'une obsession « libidinale » dont les dangers sautent aux yeux, mais dont les bienfaits attendent encore d'être prouvés.

     Venons-en maintenant aux magnétiseurs. On entend par ce terme ceux qui, au moyen de passes, d'insufflations, d'imposition prolongée des mains, tentent de transmettre à des organes ou des organismes déficients leur propre excédent de force vitale.

     Cette « transfusion vitale » a des inconvénients et des limites qu'il faut connaître.
 

INCONVÉNIENTS

     Selon la théorie magnétique courante, c'est son propre potentiel vital et psychique que l'opérateur met à contribution. On saisit tout de suite combien ce potentiel doit être exceptionnellement pur, sain, équilibré, pour ne pas apporter des germes morbides ou des perturbations psychiques chez les sujets traités.

     De plus, en dehors des séances de soins, un lien, ou, comme disent certains, un « rapport magnétique » ne cesse d'exister entre les deux. Et ce phénomène, bien connu des magnétiseurs expérimentés, n'est pas toujours sans conséquences morales, pathologiques, sentimentales ou autres. Le magnétiseur idéal devrait donc être à peu près exempt de tares physiologiques et psychiques, et êtres d'une trempe morale à toute épreuve. Cela se rencontre sans doute de temps à autre. Il est pourtant bien difficile d'affirmer que ce soit là la majorité des cas.
 

LIMITES

     Si puissant que soit un magnétiseur, si surabondant de vitalité qu'on se le représente, son potentiel énergétique n'est évidemment pas incommensurable. Comme toutes les forces humaines, il s'épuise et se reconstitue, tour à tour, variant sans cesse d'intensité et de débit. Quand cet « accumulateur » vital est déchargé, par exemple après des soins prolongés donnés à des malades exceptionnellement épuisés, on conçoit que les sujets qui se présenteront immédiatement après ceux-là ne recevront qu'un médiocre secours. Enfin, le traitement magnétique, efficace dans les dévitalisations et dans des affections bénignes obtient rarement un succès complet dans les affections organiques graves ou à marche, trop rapide.

     Prenons l'exemple, médicalement contrôlé, d'un magnétiseur en renom. Il a obtenu environ 10 % de guérisons, portant à lieu près toutes sur des cas sans gravité.

     Il est permis de tenir ces résultats pour ceux qu'on peut raisonnablement attendre de la grosse majorité des magnétiseurs « doués ».
 

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     Restent les guérisseurs spirituels, infiniment plus rares que les autres.

     Sur ceux-ci, il y a peu à dire, sinon qu'ils ne font pas de réclame outrancière, qu'ils n'ont pas recours à l'hypnotisme, ni au magnétisme et que les maux dont ils triomphent peuvent aussi bien affecter le corps que l'esprit. Ajoutons qu'ils n'ont nul besoin de « passes » et encore moins de contact matériel avec les malades, lesquels peuvent aussi bien être guéris à distance et instantanément que progressivement et en présence du guérisseur.

     L'état de santé personnel de ce dernier ne joue aucun rôle dans les résultats qu'il obtient, puisqu'il ne fait pas appel, au rebours des magnétiseurs avec lesquels on le confond trop superficiellement, à ses propres réserves de force vitale. La gravité du mal ne joue également aucun rôle dans les chances de guérison.
L'un de ces êtres extraordinaires, l'Alsacien Francis Schlatter, qui fit au siècle dernier tant de cures étonnantes aux États-Unis, était un chrétien à la foi ardente et agissante. Un certain jour, soignant publiquement des malades de toutes catégories dont quelques-uns étaient étiquetés « incurables », il eut cette simple phrase : « Le Père remplace aussi facilement une paire de poumons malades qu'il nous guérit du rhumatisme ou de l'enrouement. »

     Et encore : « Vous me demandez ce qu'est « ma » force. Elle n'est rien. C'est la volonté du Père qui fait tout ! »

     Ce serviteur conscient des Puissances spirituelles, qui lisait dans les consciences aussi aisément qu'il commandait à la douleur, poursuivit sa mission cinq années durant, à travers la fiévreuse et matérialiste Amérique. Il mourut seul, en 1897, à l'heure prédite par lui, laissant à son ami Fox cette lettre laconique :

     « Ma mission est terminée et le Père me rappelle. Au revoir. » Son squelette fut retrouvé six mois après, non loin de Mexico.
 

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     Le caractère commun de ce genre de guérisseurs c'est de faire appel au secours d'En-Haut, de déclarer qu'ils ne peuvent rien, mais « qu'il y a un Dieu dans le Ciel » et que, lorsque l'homme doit s'avouer impuissant à soulager, la Providence peut encore intervenir.

     Paroles, que tout cela ?

     Mais ces paroles s'accordent avec les faits constatés, en sont inséparables comme l'arbre est inséparable des fruits qu'il porte !

     Un autre de ces guérisseurs, le plus mystérieux de tous, peut-être, ne parlait ni n'agissait différemment. « Un homme qui aimerait son prochain comme lui-même, disait-il souvent, n'aurait qu'à demander au Père pour être exaucé. »

     Et, joignant l'exemple au précepte, il réalisait les cures les plus incroyables. C'est ainsi qu'un Professeur en renom, assisté des docteurs Encausse et Lalande, choisit parmi une centaine de malades graves une énorme hydropique couchée sur un brancard et attendant une fin prochaine. Péniblement, on la met debout et instantanément la jupe tombe et la malade apparaît svelte et guérie. Pas une goutte de liquide sur le sol.

     Le grand Professeur, dont il est plus charitable de taire le nom, refusa de contresigner le procès-verbal que rédigèrent sur le champ les deux docteurs précités, sous le prétexte qu'il ne pouvait signer... ce qu'il ne comprenait pas !!!

     Certainement, ces guérisseurs spirituels ne guérissent pas tout le monde. Le Christ non plus n'a pas guéri tous les malades qu'il rencontra ou qui lui furent présentés. En vertu de quelles lois mystérieuses tel mal réputé « sans remède » cède-t-il au premier regard d'un de ces porte-flambeaux de l'Esprit, alors qu'un mal bénin n'est parfois pas même soulagé ? Force est de répondre que nous n'en savons rien, mais qu'il n'y a pas plus d'exceptions sans raison qu'il n'y a d'effets sans causes.

     « L'Esprit souffle où il veut », en ce domaine comme dans les autres.