LA LUMIERE DU VERBE

(PSYCHE n° 469 année : 1936)



" Il n'y a qu'un seul qui puisse nous guérir, qu'un seul qui soit en état d'ouvrir notre oeil intérieur pour que nous voyions la vérité, Ce seul, c'est Jésus-Christ, le sauveur des hommes." - Eckhartshausen. -
 

      Le Christ est venu apporter aux hommes une lumière à laquelle aucune lumière antérieure ne se peut comparer. Non que les lumières antérieures aient été mauvaises dans leur essence, non que les anciennes initiations aient été mensongères, mais parce qu'elles personnifiaient l'ancienne Loi, celle qui suffisait aux inspirations humaines, de la Chute à la Rédemption. La Loi que le Rédempteur apportait avec Lui, c'est justement la Loi nouvelle, celle qui vaut depuis deux mille ans et qui vaudra jusqu'à la fin du monde : " Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas ". Cette Loi nouvelle n'est d'ailleurs que le couronnement de l'ancienne, ainsi complétée par les vérités divines dont la connaissance n'était pas indispensable à l'homme, tant que le " Chemin étroit " n'avait pas été frayé par le Christ. C'est pourquoi celui-ci n'est pas venu abolir la Loi, mais la parfaire.

   Sans sortir de la Loi de Moïse, nous constatons que la Bible renferme la promesse du Rédempteur, formellement annoncé par le Législateur des Hébreux. Aussi, Jésus compare-t-il cette Loi aux vieilles outres, dans lesquelles il ne faut pas verser le vin nouveau de sa Révélation.

   Cette Révélation possède un caractère frappant : elle ne s'appuie pas sur le secret ; elle n'est pas liée à une organisation initiatique. Cependant, elle implique une initiation, à moins de tenir pour assuré que le Christ ait parlé pour ne rien dire.

   C'est que, d'une part, les Pharisiens trônaient dans la chaire de Moïse et ne pouvaient supporter l'idée que leur règne venait de prendre fin. D'autre part, les organisations initiatiques - et pas seulement en Judée - ne voulaient plus se souvenir des circonstances qui leur avaient donné naissance. Elles voulaient ignorer que leurs arcanes, leurs cérémonies, leurs prérogatives devaient se terminer à la fin de la période descendante ouverte avec la Chute, et se posaient déjà en adversaires indignées de Celui dont le règne annonçait la fin du leur. Toutes les traditions dignes de ce nom connaissaient pourtant le mystère de l'incarnation du Verbe ; toutes en reconnaissaient les conséquences quant à elles ; toutes les acceptaient en principe. Mais en fait, il est dur de se renoncerÖ Les pontifes, les adeptes d'alors auraient sans doute admis pour leurs lointains successeurs ce qu'ils méconnaissaient tranquillement parce que les formes auxquelles ils étaient attachés étaient en jeu. Comme en témoigne la visitation des Rois Mages, cette méconnaissance, Si elle fut générale, ne fut pas universelle.

   Le Sauveur est donc venu chez les siens, mais, comme l'écrit l'apôtre Jean, les siens ne l'ont pas reçu.

   Parallèlement à l'adoration des Mages, nous avons ici la parole explicite du Baptiste, " le plus grand parmi les enfants des hommes ";
" Celui qui doit venir après moi m'a été préféré parce qu'il était avant moi ".

   Le Baptiste s'en réjouit comme s'en étaient réjoui les Rois Mages ; d'autres s'en réjouissaient moins, ce qui est humain.

  Jean l'Evangéliste nous fait sentir et le lien et différence entre l'ancienne et la nouvelle Alliance : " La Loi a été donnée par Moïse ; mais la Grâce et la Vérité ont été apportées par Jésus-Christ ". Et il ajoute : " Nul n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père est celui qui nous en a donné la connaissance ".

   Si les mots ont un sens, il faut bien admettre que la connaissance apportée par Jésus dépasse l'entendement humain actuel. Connaître le Père ? N'est-ce pas là cette cinquantième porte de la Sagesse que Moïse lui-même, ce type parfait de l'adepte, ne put entrebâiller !

   On admettra donc, raisonnablement, que, même après Moïse, même après Fo-Hi, même après Rama et Krishna, le Christ avait quelque chose de neuf ignoré jusqu'à lui, à nous apporter.

   Le drame des initiations antiques, c'est que leurs chefs ont, pour la plupart, laissé passer l'heure de l'Accomplissement, parce que cet Accomplissement s'opérait en dehors d'elles. En Israël cependant, le vieil initié Siméon reconnaît son Maître dans le frêle enfant que Marie amenait au temple ; " C'est maintenant, Seigneur, que vous laisserez mourir en paix votre serviteur, selon votre parole ; puisque mes yeux ont vu le Sauveur que vous nous donnez, et que vous destinez pour être exposé à la vue de tous les peuples comme la lumière qui éclairera les nations ".

   Cette lumière que le Verbe est venu apporter, il en fut et en est encore l'unique dispensateur. Si les épreuves et les degrés hiérarchiques dispensés par les initiations antiques semblent abolis, c'est qu'au-dessus, au-delà de toute organisation terrestre, le Christ dispense aux siens les travaux qu'il sait, infailliblement, à leur taille et les lumières adéquates à ces travaux. Telle est l'initiation du Christ. Celui qui est réellement apte à la recevoir la reçoit, et il la reçoit dans la mesure exacte qui correspond à ses possibilités, à ses travaux, à ses devoirs.

   Celui-là fait partie de cette Eglise intérieure, cette Eglise par excellence dont parlait Jésus, là où l'on prie le Père en Esprit et en Vérité, non en rêverie sentimentale. Cette sentimentalité vague, trop souvent et trop légèrement qualifiée de " mystique " n'est souvent que désir d'échapper à la Norme, au travail, à l'action, et, parfois, au devoir, au gris devoir quotidien, lequel contient pourtant en germe toute une initiation méconnue.

   La lumière que dispense le Christ n'est pas plus épuisée par le mot " mystique " que par le mot " adeptat ". Le trésor des sagesses antiques, la clef des énigmes devant lesquelles piétinent nos sciences modernes, tout le savoir et tout le pouvoir, nôtre Maître les dispense judicieusement aux siens. Et c'est là où trébuche la fausse mystique, privée de guide et livrée aux caprices de l'imagination. Comme dans les vieilles organisations initiatiques, le vrai mystique, le serviteur du Verbe, a ses chefs hiérarchiques, ses épreuves dosées, et son Maître suprême dont dépend son ascension, le Verbe lui-même, qui est, selon sa promesse, " avec les siens jusqu'à la consommation des siècles ".