L'ESPRIT QUI VIENT

(Psyché N°390 de 1928)

" Celui qui supprimera l'un de ces commandements
sera appelé le moindre dans 1e Royaume des Cieux. " EVANGILES.


 



   Certaines tendances assimilent au christianisme, sous couleur d'ésotérisme, les traditions les moins conformes à Son Idéal. Nous allons tenter ici d'établir un parallèle entre ces doctrines et celles de l'Evangile.

   Toute activité physique ou hyperphysique est signée d'un Esprit. Celui-ci scelle les oeuvres qu'il inspire et, comme l'homme n'est pas un créateur, il défère aux suggestions d'En-Bas ou aux inspirations d'En-Haut, selon celui que son coeur a secrètement élu pour Maître. Ne pouvant servir deux Maîtres, qui veut enseigner ou guider autrui doit donc avoir choisi. La foule des indécis, oscillant de l'Un à l'Autre, n'a pas encore choisi explicitement, mais elle a ses sympathies, ses répulsions, et tôt ou tard devra opter.

   Or, cet Esprit, qui influe subtilement sur les tendances de notre temps, est le même qui présidera à l'infiltration des doctrines orientales en Europe et à la désagrégation de son rempart spirituel : le Christianisme. Cette influence est plus sensible il faut le reconnaître, chez les peuples anglo-saxons grâce, d'une part, à leur cérébralité positive dans le concret, nuageuse dans l'abstrait, et d'autre part à leur éducation. De plus, l'Angleterre subit la loi, souvent vérifiée, qui veut que le vaincu absorbe son vainqueur. Elle a conquis l'Inde et celle-ci tend maintenant à la subjuguer intellectuellement. Pour cette dernière, certaines théories sont " articles d'exportation ". Tels ces médecins sceptiques qui, selon la mentalité du malade, lui prescrivent telle cure dont ils se garderaient d'user pour eux-mêmes, les Indous ont adapté à la mentalité anglo-saxonne un néo-buddhisme " ad usum delphini " qui, du moins dans ses formes, n'en choque pas trop les convictions religieuses. Ainsi travaillés, dans le visible et l'invisible, il n'est pas étonnant que leurs concepts s'en ressentent. Pendant ce temps l'Allemagne, cette Inde de l'Europe, se tourne par dépit vers l'Orient fascinateur afin de rompre tout lien spirituel avec ses victimes enfin victorieuses. Cette tendance, en harmonie avec son génie, fut d'ailleurs préparée par Nietzche, Fichte et Schopetlhauer.

   Sans discuter la valeur intrinsèque des doctrines auxquelles nous venons de faire allusion, nous essaierons d'en souligner les caractères distinctifs en les comparant à ceux de la doctrine évangélique, examinant ce que chaque initaition expose de plus net sur l'homme et ses relations avec la divinité et la nature. Notre point de vue sera plutôt moral qu'intellectuel, car il nous semble que la Vérité descend d'elle-même dans les coeurs purs. Selon le Nouveau Testament, Dieu, le Père inconcevable, est un principe supra-naturel et supra-substanciel (1), infiniment bon, éternellement indépendant de sa création. Essence de tout amour, de toute puissance, de toute sagesse et de toute vie, son Verbe est l'Efficience dont il est le Principe. Cette puissance du Verbe, qu'il manifeste comme créateur; conservateur et rédempteur, s'est incarnée une fois pour toutes (sur notre terre) il y a deux mille ans, pour frayer à l'humanité déchue un chemin, du relatif à l'Absolu. Il reviendra à l'heure du combat final pour juger le monde et libérer les hommes de bonne volonté, sans avoir à se réincarner ni choisir d'intermédiaire entre sa Divinité et nous. Etant l'amour, l'amour seul l'atteint, étant l'acte permanent, il enseigne l'action et, pour les hommes à la foi agissante, ses mérites infinis comblent le gouffre creusé par l'orgueil-égoïsme, entre eux et lui.

   Selon les théories en vogue, le Divin est une auto-création de l'humain, un épanouissement de notre Moi transcendant. Il n'y a pas de Dieu indépendant de son oeuvre qui, des démons aux dewas, provient de la subdivision de l'unité divine (confondue avec la substance universelle, comme le prouve l'alphabet sanskrit), se limitant pour acquérir la connaissance. Nous sommes donc des dieux qui s'ignorent. Ce principe divin se manifeste dans l'homme comme intelligence et non comme amour. Cycliquement, des dieux (hommes évolués) reviennent nous aider... de leurs conseils, car chacun doit se sauver lui-même. Pour nous diviniser, la méditation suffit, l'action est néfaste puisqu'elle engendre du Karma. Les facultés divines sont des abstractions et le summum de l'évolution est un état d'impassibilité absolue : le Nirvana.

Selon l'Evangile, l'homme s'est fourvoyé dans le royaume de Mammon, qui lui a prêté ses facultés naturelles mais en a fait son esclave.

  Pour lui échapper, l'homme doit abjurer l'orgueil-égoïsme et le rembourser. Il ne peut le faire qu'avec l'aide du Verbe dont il doit observer le commandement essentiel : l'Amour du prochain. La " Culture ", les entraînements ésotériques, paralysent sa marche, puisque son effort est d'ordre cardiaque et qu'à la fin, il recevra la Connaissance " par surcroît ".

  Selon les idées orientales, le désir cause l'hylophilie, (d'où les incarnations et leur conséquence, la douleur. Il faut donc tuer les désirs, même bons, et pratiquer le non-agir pour supprimer le Karma. L'homme localise sa volonté dans l'intellect qu'il développe par une ascèse sévère (" Je suis Cela "). Au sommet, il réalise sa divinité virtuelle et, désormais impassible, se fond dans le Soi universel.

   Pour le Christianisme, la nature est finie, la matière temporaire, le mal, accident dû à la créature doit être réparé par elle, et la bonté divine secourt sa faiblesse, dans la mesure où elle le demande.

   L'homme, ayant entraîne la création dans sa chute doit maintenant la rétablir dans l'ordre primitif et ce travail gigantesque où l'action prime la contemplation n'est réalisable qu'avec l'aide du Ciel.

   Pour les néo-buddhistes, la nature est tout, elle n'a pas été créée, mais évoluée. Elle est l'intégration du divin dont tout être est un sous-multiple. Celui-ci étant informel (arupa), il faut se détacher des formes et considérer comme seule réalité son Moi transcendant. L'objectivité des choses est une faiblesse de l'entendement que corrige la méditation. Celle-ci d'analyse en analyse la ramène au vide primordial et l'illusion (le monde phénoménique) cesse. Seule subsiste dans le vide purifié l'intelligence sans amour du Moi déifié. Telle est, en résumé, cette doctrine négatrice de l'action, engendrant presque fatalement l'orgueil spirituel et enfermant l'homme dans un royaume créé à son image : splendide, mais stérile et glacé (2), auquel manque, selon nous, l'essentiel : la présence ineffable de Celui qui est la Résurrection et la Vie.



(1) Tout ce qui est né, c'est-à-dire a un commencement et une fin, est naturel, selon l'étymologie du mot.

(2) Nous ne discutons pas ici l'intérêt d'une telle doctrine ; tout à sa raison d'être. Mais si elle cadre bien avec la mentalité orientale, nous l'estimons moins adaptée à la nôtre, même revêtue de formes plus ou moins chrétiennes. Chaque race a son initiateur. Le nôtre est Jésus, et les Bouddhas, passés ou futurs, pour respectables qu'ils soient, n'ont ni mission, ni qualité pour paître Ses brebis.