LES PSEUDO-SYNTHÈSES

     La généralité des écrivains actuels faisant profession d'occultisme et d'ésotérisme, enseigne que l'occultisme est une synthèse, et que par leur ésotérisme les religions et les philosophies qui s'y rattachent, sont une.

     La même vérité serait enseignée sous des voiles divers, et les sectes dissidentes, les Écoles, les initiations, ne seraient en conflit que sur des mots, des différences terminologiques, etc....

     De là à dire que toutes les religions se valent, il n'y a qu'un pas. Bien des auteurs, à l'appui de cette thèse, très séduisante, ont essayé d'édifier des « synthèses de science occulte », ou des systèmes cosmogoniques, qui à première vue semblent bien concilier les extrêmes.

     Si nous remontons aux sources, c'est-à-dire aux différentes traditions, sans nous laisser aveugler par l'esprit de système, nous nous apercevons, après des années d'étude, que cette fameuse unification, but de nos efforts, nous apparaît chaque jour plus problématique.

     En effet, couler dans un moule, « à priori », les débris déformés des grandes traditions antiques ; amalgamer des fragments de gnosticisme, de Qabale, d'égyptologie et de bouddhisme, c'est faire une mosaïque, un conglomérat, ce n'est pas restituer une synthèse. Il ne faut pas vouloir faire « cadrer » à tout prix des éléments disparates, sans quoi tout système arbitraire devient un lit de Procuste où les différentes traditions doivent s'adapter, tant bien que mal, et plutôt mal que bien.

     L'occultisme, d'ailleurs, est une expression toute moderne, employée pour la première fois par Éliphas Lévi, qui avait lu Aggripa (1).

     Les Anciens n'étaient pas occultistes. Ils étaient mages, pythagoriciens, Qabalistes, etc.... et chacun suivait son initiation propre. Car, une initiation, une religion, un système ésotérique, sont des unités organiques, dont chacune vaut par elle-même. On peut comparer le travail des occultistes, devant les vestiges des antiques sapiences, à celui d'un architecte qui, des débris d'un temple grec, d'une église gothique et d'une pagode orientale, voudrait reconstruire au petit bonheur, (et sans savoir quel était l'aspect de ces monuments dans leur intégrité), un quatrième temple, composite, où les fragments de chaque style, beaux par eux-mêmes, jureraient d'être juxtaposés.

     Quant aux morceaux tombés en poussière, l'architecte les remplacerait probablement par d'autres de son goût....

     Si dans le domaine physique, nous sentons le ridicule d'une telle pseudo-reconstitution, dans le domaine métaphysique, ce ridicule, moins sensible, n'en existe pas moins.

     Que n'a-t-on pas dit, par exemple, sur « la science des nombres ». Mais, il n'y a pas une, mais des sciences des nombres. L'initié jaune n'emploie pas le même symbolisme numérique que le Qabaliste ; celui-ci ne serait d'ailleurs pas d'accord avec le Pythagoricien, lequel s'insurgerait contre les idées d'Eckartshaùsen à cet égard.

     La trinité des Qabalistes :

1 Kether °
2 Hochmah +
3 Binah -

n'est pas le ternaire alchimique :

1 Soufre +
2 Mercure -
3 Sel °


     Les druides qui voyaient dans le nombre 9, celui de la perpétuité, du renouvellement des êtres, étaient aussi éloignés de Moyse, qui attachait à ce nombre l'idée de consolidation et de restauration, que des Qabalistes qui y voyaient le fondement des choses (Yesod), et des théosophes Chrétiens qui y contemplaient le symbole du mal et de la matière.

     Les rapports du Tarot et de l'alphabet hébraïque, qu'ont souligné tant de chercheurs modernes, sont plus qu'approximatifs. Si la 2e lettre hébraïque, le Beth, est l'image du Verbe créateur, la seconde lame du Tarot est « La Papesse », image du principe féminin et, substantiel, antithèse du Verbe, si la 19e lettre, le Qof, est l'image de la force compressive et matérialisante, la 19e lame du Tarot, « le Soleil », est l'emblème de la lumière spirituelle et de la vérité.

     Ces deux systèmes, tous deux intéressants, certes, mais à des points de vue différents, valent par eux-mêmes, et sont, pratiquement, inconciliables.

     À moins de poser en fait ce qui est en question, rien ne prouve que les anges planétaires évoqués par les Qabalistes soient des forces de même ordre que ceux évoqués, sous d'autres noms et avec d'autres rites, par les adeptes de l'Inde ou de la Chine.

     L'initiation druidique, qui enseigne avec force la persistance de l'awen (individualité jusque dans le cercle de Gwynfyd (monde de la béatitude), est en contradiction formelle avec les données orientales sur la fusion dans le Soi universel et la destruction de la personnalité.

     Comme nous l'avons souvent répété, chaque race, chaque époque, a son rôle, son mandat, sa fonction particulière, dans le concert universel. C'est pourquoi elles reçoivent des lumières spéciales. De plus, l'univers visible est vaste, l'invisible plus encore. Les plus hauts adeptes n'en ont exploré, réellement, qu'une faible partie, utilisant l'analogie pour inférer de la constitution du reste. Mais ces adeptes mêmes, ces fondateurs de religions, ces vénérables et savants forgeurs de cosmogonies, rien ne prouve qu'ils aient exploré les mêmes mondes, expérimenté les mêmes fluides, dompté les mêmes êtres.

     Le Dragon du seuil, des initiés occidentaux, n'a qu'une analogie de nom avec le dragon (long) des chinois, dans lequel un adepte fervent des doctrines taoïstes (2) reconnaît le Verbe cosmique. Ainsi, s'il est vrai que divers symboles peuvent représenter le même principe cosmique, le même symbole peut, (dans des traditions différentes), représenter des concepts opposés.
La conclusion de ces trop rapides aperçus, c'est qu'il faut être plus que prudent, devant les systèmes, les théories, les synthèses ; et surtout devant les livres qui affirment que l'ésotérisme chrétien et l'ésotérisme brahmanique ou mazdéen se rejoignent, qu'on peut expliquer les miracles d'un curé d'Ars, par exemple, avec des théories Qabalistiques, ou interpréter l'Évangile au moyen des clefs orientales.

     Ceux qui, de bonne foi, émettent ces idées ou les reçoivent, sont victimes d'une tendance à systématiser et de leur désir, légitime mais prématuré, d'unification.

     En attendant le moment où chaque initiation, chaque description cosmogonique, chaque système philosophique, pourront être situés à leur vraie place, (car tout est vrai, mais seulement dans son propre plan), il est nécessaire d'être comme nous le recommandait notre Maître, « prudents comme des serpents et simples comme des colombes ».

     Chaque code d'initiation est bon, pour ceux auxquels il fut destiné. Le nôtre, c'est l'Évangile. Essayons de le mettre en pratique de notre mieux, et le jour viendra où nos efforts nous auront rendu susceptibles de recevoir ce que Jésus appelle le baptême de l'Esprit.

     Alors, illuminés par la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, nous verrons les choses à leur vraie place, les êtres sous leur vrai jour, et nous pourrons désormais, non seulement parler d'unification, mais encore nous mettre à l'œuvre pour hâter le jour, lointain, lointain, où toutes les religions, tous les systèmes, réintégreront leur place exacte dans l'harmonie du monde.
 

A. SAVORET.



(1) H. C. Aggripa. - La Philosophie Occulte ou La Magie.
(2) Matgioi.