Vous êtes actuellement sur le site : livres-mystiques.com © de Roland Soyer le 23/12/2008

VISAGE DU DRUIDISME

Chapitre X

L'HOMME ET LE MONDE SELON LE DRUIDISME

 

 

 

II est généralement admis que les druides professaient l'immortalité de l'âme, la solidarité des vivants et des morts, futurs vivants, qu'ils étaient versés en astronomie, en phytothérapie et en sciences naturelles. J'ajouterai : sans doute aussi en quelques autres qui, « naturelles » également, n'étaient enseignées qu'à l'abri des indiscrets et des maléficiants !...

Sur le détail de leurs conceptions, la documentation est assez mince et rarement limpide. Et les thèses les plus contradictoires ont été échafaudées, souvent sur de bien fragiles indices. D'emblée, quelques points sont à ne pas perdre de vue :

D'abord, la doctrine n'était pas figée dans des moules immuables. Elle restait orale et souple, ce que facilitait l'adaptation à d'autres aspects du vrai, à d'autres formes religieuses ou initiatiques. Les druides savaient que la vie circule et que son apparence change sans cesse. Ils tenaient que rien d'humain n'est définitif et, comme les disciples du Vieux Philosophe, ils faisaient de la fluidité l'apanage de la vie, de la rigidité le caractère de la mort.

En second lieu, le druidisme, logiquement, ne pouvait exposer dans ses grandes lignes, quoique sous ses symboles spéciaux, autre chose que les traditions-sœurs : celle de l'orphisme primitif, et de sa réadaptation pythagoricienne ; celle léguée par le premier Zoroastre en premier lieu ; l'Inde, proche parfois par le symbolisme, l'était moins par l'esprit.

Enfin, j'ai déjà avancé que le druidisme s'arrangea pour assurer la survivance et la transmission discrètes de son message, à l'intention de quelques âmes douées pour l'entendre et l'adapter, et de quelques cœurs assez chauds pour se « compromettre » éventuellement en lui rendant témoignage.

 

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Puisqu'il est ici question de l'homme et du monde, je commencerai par évoquer, quand à leurs rapports réciproques, l'un des symboles les plus profonds (ce sont généralement les plus simples) de la doctrine. Je veux parler de la HARPE.

D'entre les Triades et traditions galloises (de très inégale impor­tance et ancienneté) celles où apparaît le personnage d'Idris Gawr [1] reflètent, avec plus ou moins de netteté, un enseignement remontant à la haute antiquité. Une Triade nous apprend que la harpe (telyn) fut inventée par Idris. Une autre nous dit que cet Idris était avec Gwyddon, fils de Don dont j'ai déjà parlé, et avec Gwyn, fils de Nudd, l'un des « trois astronomes bénis de l'île de Bretagne. »

Au fond, Idris et Gwyddon sont une seule personnification dédoublée : il s'agit toujours d'un aspect du verbe, envisagé comme initiateur. Et c'est pourquoi l'on attribuait à Gwyddon l'un des « trois chefs-d'œuvre de l'île » : « Les pierres sur les­quelles étaient gravés les arts et les sciences. »

Je me permettrai d'insister sur la corrélation entre la science musicale et la science cosmologique dans ces Triades, entre la musique « des cordes » et celle « des sphères » — lieu commun, soit !

De cet accord, la harpe, par sa constitution et son armature sonore, donnait la clé d'adaptation, clé qui s'appelle le Nombre. Ce rôle de moyen de transposition intellectuel entre le macrocosme et le microcosme, la harpe le jouait chez les Celtes, comme le jouait la lyre dans l'initiation orphico-pythagoricienne.

Les harpes qui chantent d'elles-mêmes quand les approche un véritable « artiste » ; de même que les échiquiers dont les pièces jouent seules dès qu'elles ont été mises en place correctement sont mieux que de froides allégories : des réalités substantielles ! Pour qui possède les clés numérales et l'ouverture d'entendement requises, la harpe chante les lois organisatrices du cosmos ; les pièces des échecs jouent effectivement leur partie métaphysique. C'est pourquoi les anciennes lois gauloises interdisaient d'enseigner la musique aux serfs, car la possession d'une harpe en faisait de droit des hommes libres. C'est dans le même esprit ou la même survivance de temps sans retour qu'elles mettaient la harpe et l'échiquier au nombre des trois biens inaliénables, le troisième étant l'épée.

Les anciens ne badinaient pas avec les novateurs qui entendaient ajouter des cordes à la lyre (c'est-à-dire poser selon leur arbitraire les principes universels). Ils avaient leurs bonnes raisons.

J'ai déjà trop dit que les schismatiques avaient inversé de mainte façon le rôle des principes premiers, et leurs emblèmes cosmologiques, Soleil et Lune. Il n'est donc pas indifférent de savoir que la plus ancienne harpe irlandaise avait 28 cordes (nombre « lunaire ») alors que la galloise en possédait 12 (nombre zodiacal, donc « solaire »). Par ceci, l'on voit que des considé­rations d'ordre cosmologiques pouvaient avoir présidé aux moindres détails de l'instrument qui typifiait par excellence la musique, harpe ou lyre, considérations qui n'étaient, ni n'avaient à être, exposées à tout venant.

J'ajoute qu'une des plus hautes montagnes du Merionethshire l'appelait Cadair Idris (siège ou chaire d'Idris) et que la conviction populaire voulait que celui qui passerait la nuit dans l'excavation creusée à son sommet en redescendrait le lendemain, soit fou, soit doué d'un génie surnaturel. Cette croyance se rattache à ce que les bardes appelaient « l'Epreuve de l'Awen » qu'on peut comparer, sur un autre plan, au symbolisme du « Siège périlleux » dans le cycle de la Table Ronde ? Je ne commenterai pas davantage cette allusion à un certain ordre d'initiation.

La harpe portait en Gaule un autre nom que dans les îles : Clava. Le harpeur se nommait Clavaros, d'où l'épithète divine Çlavariatis (« père ou protecteur des harpistes »). Sous son accep­tion générale, l'équivalent gaulois de Gwyddon Idris est Aesus (« reflet lumineux de l'Unique ») c'est-à-dire, manifestation réfléchie du principe suprême, comme j'ai tenté de l'exposer dans « Mots et choses celtiques », voici bien des années. C'est le Verbe, envisagé comme initiateur et illuminateur. Exotériquement, si je puis dire, c'est tantôt Clavariatis, tantôt Virotutis (« protecteur de l'homme »), équivalents du Musagète, Apollon.

 

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On a pensé voir en cet Ogmios dont parle Lucain le vrai dieu de l'initiation druidique. Mais l'Ogmios de Lucain (dont le nom est un emprunt grec) n'est au vrai qu'une représentation déformée de Cernunnos, contaminée de traits empruntés à l'Héraklès hellé­nique. Ce genre d'adaptation vaut, en plus anodin, la méprise de César, admettant que les Gaulois se disaient fils de Dis Pater, c'est-à-dire du « dieu de la mort ». Le dieu de la mort, ou plutôt des morts, nous le connaissons : c'est Sucelos (« le bien caché, le très occulte »), dont la parèdre est Nanto-Svelta : « la vallée (le refuge) de l'âme ». Mais les Gaulois ne s'en disaient pas les « fils ». Ils se disaient « fils du Grand Ancêtre », du génie de la race, et non de quelque divinité subalterne que ce fût. Aussi, aucune dédicace n'en fait mention. Quant à Dis Pater, c'est avant tout une divinité italique, influencée par le rituel étrusque. Je reviendrai sur Su-Celos, comme prétendu « dieu au maillet » en fin du prochain chapitre. Je me résume : César parle, évidem­ment, sur la foi de Divitiac l'Héduen, qui ne peut lui offrir que ce qu'il a : un druidisme germanisé et hétérodoxe, que son interlocuteur, tâchant d'assimiler le panthéon gaulois qu'il ignore (à part quelques noms) à celui qui lui est familier, saisit plus ou moins de travers !

 

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Sagesse et sciences druidiques se résumaient en quelques symboles aux adaptations orales multiples, chaque druide étant res­ponsable de son enseignement devant le Suprême Collège, et soucieux, par suite, de le graduer selon les qualités morales et les capacités intellectuelles de chaque élève, tout savoir n'étant pas à distribuer indistinctement à tous. De là l'utilité du symbole et du mythe, ce dernier étant articulé généralement sur quelque réalité du monde des apparences (constellations, faits saisonniers ou météorologiques, cycle solaire).

Il semblerait excessif à un moderne qu'on puisse tirer d'une formule chimique ou mathématique autre chose que de la chimie ou des mathématiques, abstraction faite de quelques applications contingentes à d'autres domaines. Sans doute, lui répugnerait-il davantage d'admettre qu'un symbole puisse avoir jusqu'à sept applications cohérentes, dans autant de domaines, selon la « clé » ou « grille » qu'on lui applique, sans qu'il s'agisse de fantaisie pure ou d'imagination vagabonde. Telle était pourtant la méthode analogique des druides, comme de tous les sacerdotes et mystagogues du passé.

Prenons, par exemple, le Taureau-aux-trois-grues et son complément nécessaire Aesus, tous deux sculptés sur deux faces de l'autel de la corporation des mariniers parisiens, autel retrouvé sous le chœur de Notre-Dame, tandis que le relief anépigraphique de Trêves réunit en un seul tableau le taureau, les grues, l'arbre et le Dieu.

 

Taruos
Relief de l'autel de Paris : TARVOS TRIGARANUS

 

La figure que j'en rapporte me dispensera de les décrire. J'en ai parlé d'abondance dans « De quelques Symboles druidiques », sans épuiser le sujet[2].

Le premier sens de cette figuration, le plus extérieur, c'est le sens saisonnier : le Taureau est la constellation de ce nom ; les « trois » Grues ou la triple-Grue sont les Pléiades [3] . Nous savons qui est Aesus au sens principiel : le Verbe divin ; au second sens, c'est son étincelle ou reflet : l’Homme-Esprit ; au troisième, le Soleil, son image sensible dans l'ordre cosmologique pour notre globe. L’Arbre, c'est en un sens le monde ; plus restrictivement le ciel physique et les durées que son mouvement signale. C'est là cet Arbre universel (pommier de Merlin, ou d'Iduna, Yggdrasil, etc.) dont les textes nous disent ou nous suggèrent que ses feuilles sont les nuages et ses fruits les astres, comme d'autres que moi s'en sont déjà rendu compte en étudiant le texte du poème de Merlin : « La pommeraie ». Nous sommes donc à l'équinoxe de printemps. Le cycle précessionnel permet de situer, en gros, le point de départ de cette imagerie, qui ne saurait être postérieure à quelque 2 500 ans avant notre ère.

Donc, à partir d'une époque annuelle donnée, la corporation des bateliers ouvre la reprise de la navigation fluviale par une cérémonie, tant sur la Seine que sur la Moselle , cérémonie qui s'articule sur la figuration druidique qui nous occupe. Nous en connaissons maintenant la signification la plus courante. Changeons de « grille ».

Cette fois, Aesus va représenter l'étincelle spirituelle de l'homme ou l'Entité faite à l'image du Verbe. Le taureau massif et terrestre sera la forme corporelle humaine. Qu'on se reporte à l'autel parisien : les « trois grues » ne sont pas perchées indifféremment. L'une est sur la tête, l'autre sur la cage thoracique, la troisième à la base des reins, là où se situe le plexus sacré et ou se love, en attendant l'éveil initiatique, le serpent de feu, Kundalini des techniciens de l'Inde, dont ce qu'on nomme vaguement « fluide nerveux » n'est que l'enveloppe grossière et le support. Ces grues sont la triple modalité de l'âme individuelle, une ou trois, selon qu'on l'envisage synthétiquement ou plus analytiquement : âme intellective correspondant au monde cérébral ; âme irascible, en rapport avec le monde passionnel ; âme concupiscible, plongeant dans le monde instinctif. Les grues, oiseaux migrateurs, n'ont pas été choisies au hasard. On sait ce que signifie leur substitut, la cigogne, — autre échassier — dans le folklore occidental : c'est elle qui apporte les âmes des nouveau-nés dans les foyers. Dans l’Antre des Nymphes, Porphyre, commentant un passage du chap. XIII de l'Odyssée, élit l'abeille comme symbole ailé de l'âme individuelle. Ce qui, mythologiquement, revient au même. Les druides préféraient un oiseau migrateur, et ils enseignaient assez ouvertement ce qu'on dénommerait aujourd'hui « réincarnation » ou « transmigration ». Mais pas à la façon de nos spirites. Ils expliquaient, sub rosa, que l'âme triple n'était pas entièrement incarnée, qu'elle pouvait se dégager du corps (à l'exception d'un subtil « cordon ombilical » dont la rupture constituait la mort vraie), cela, soit inconsciemment dans le sommeil profond (naturel, accidentel ou provoqué), soit consciemment, selon une technique délicate et prudemment réservée. Ils couronnaient enfin cet enseignement en exposant qu'il y avait, dominant le composé humain, un élément réfractaire à toute incarnation, inaffecté par toute désincarnation : l'Awen, reflet du Verbe-Lumière [4] Aesus, indépendant des rouages cosmiques. On pourrait appeler cet élément l'esprit ou l'entité, par opposition à son instrument, l'âme tri-une, base de la personnalité, muable, divisible, susceptible, d'une existence à une autre, de progression, de prélèvements et de substitutions.

Je passerai sur un autre sens du tableau, auquel je ferai allusion ailleurs pour ceux qui voudront bien m'entendre. Je préfère rappeler qu'une simple transposition de grille permettait d'appliquer à la nature ce qui vient d'être dit de l'homme. L'âme du Monde est également triple et une. L'homme corporel vit dans le monde corporel, l'homme intellectuel dans celui des idées vivantes, et ainsi de suite. Et les êtres de la nature sont, eux aussi, susceptibles d'incorporations et de désincorporations suc­cessives, dans les limites de l'espèce. A ceux peuplant le monde accessible à nos sens, il manque seulement l'Entité. Et les druides exposaient aux disciples avancés que c'était l'Entité humaine qui devait primitivement les régir et les éduquer, par l'intermédiaire de sa Psyché, sans se les asservir ni les réduire par la force.

Je mets fin à cette courte exégèse, sans l'étendre plus outre qu'il n'est opportun. Que le Taureau puisse être le Fixe et les grues le Volatil (les « aigles », toujours au féminin, des hermétistes) ce sont choses dont la discussion est hors de mon sujet... Riplée expose qu'il faut entreprendre l'œuvre quand le soleil est au Bélier. Quatre mille ans plus tôt, s'il s'était référé au zodiaque des constellations, il eût désigné le Taureau.

Revenons plutôt au druidisme.

Celui-ci avait adopté la Triple Spirale , atlanto-égéenne, conjoin­tement à la Triple Enceinte , pour exprimer certains concepts sur les rapports du Créateur avec sa création. Et j'ai quelque lieu de penser que le premier symbole servait de préférence à concréter l'enseignement secret. On sait le rôle remarquable de la spirale logarithmique dans la nature (rôle qu'étudièrent, entre autres, Paul Flambart et le commandant A. Dupuy-Albarède). Le pavillon de l'oreille, la toile de l'épeire, la conque en sont quelques exemples. La Conque (Cankha) est un des neuf Nidhis ou trésors de Kuvera, et l'un des quatre attributs rituels de Vishnu. Par ailleurs, mieux que les cercles d'existence (Triple Enceinte), la Triple Spirale exprime l'aspect dynamique de l'uni­vers et hiérarchise des stades, plans ou mondes, sans les fermer ni les compartimenter. Au centre : l'insondable unité divine. Les trois spires sont — à un certain point de vue — non exclusif d'autres — le canevas ou plan providentiel de la création tri-une, les a chemins du milieu », reliant les lieux ou les modes de l'exis­tence selon les lois de la progression harmonique. On connaît l'importance du nombre trois, dans l'ésotérisme druidique, ainsi que celle de son carré, neuf. J'ai assez parlé des principes Un et Deux. Le principe Trois, qu'ils engendrent se pose (dans la numérologie propre au druidisme, car c'est Quatre dans d'autres conceptions) comme le principe Un d'une nouvelle série, son unité relative, ce qui se formule très simplement :

 

 

1
3
2
 

 

Simplicité n'exclut pas  profondeur.  Mais, en ces  matières, comme l'écrit Poe (Marginalia) : « L'aphorisme le plus profond est celui qui peut le plus difficilement se distinguer du sentiment le plus superficiel. »

Le plus bel exemple de Triple Spirale est certainement celui de New-Grange, baignée dans les eaux primordiales non diffé­renciées que la spire va orienter, eaux qui sont nommées au début de tant de cosmogonies antiques.

Si je voulais résumer les idées essentielles des druides sur la création, je copierais volontiers les premiers versets de l'Evangile de Jean, qui nous dit que tout a été fait par le Verbe divin, Lumière des hommes, ce qui implique irrésistiblement que tout soit doué de vie, d'intelligence et de sensibilité, sous des aspects et à des degrés divers, pour la plupart inimaginables pour nous, faute de termes de comparaison, car si tout vit, tout vit à sa façon et sous les modes propres à son espèce, qu'il s'agisse de l'animal, du végétal ou du minéral, ou qu'il s'agisse de créatures inacces­sibles à nos sens et à nos instruments.

Le monothéisme druidique s'accommodait assez bien des mul­tiples personnifications exotériques des attributs divins et des forces naturelles. Il n'y avait nulle contradiction. Dans l'Orphisme primitif —  qui est à la source principale de ce que recèle de plus profond l'apparent polythéisme grec et dont l'enseignement réservé concordait, pour les grandes lignes, avec celui du druidisme — le monothéisme était professé sans que le culte officiel des dieux fût mis en cause. Et le Zoroastrisme avait ses génies, nombreux, qui ne portaient pas ombrage à Ahura-Mazda. Poser coram populo l'unité divine, comme l'a fait lucidement remarquer Fabre d'Olivet, impliquait qu'on fît du problème du mal un « mystère » sans explication ou qu'on en fournît une pseudo explication dangereuse et pitoyablement vulgarisée. Or, ce pro­blème terrible, dont la solution ne se laissait entrevoir qu'à une infime élite, même parmi les initiés aux Mystères, n'étant nulle­ment susceptible de quelque vulgarisation que ce fût, ne pouvait être exposé que sous forme d'allégories triplement voilées et qui, de ce fait, risquaient de devenir la source de méprises et de malen­tendus aux lourdes conséquences.

Dans le monothéisme intransigeant que Moïse inculqua aux Hébreux, il est non seulement enveloppé d'un voile épais, mais, en outre, ses données sont sciemment tronquées. La Genèse , en effet, ne s'ouvre nullement sur le tableau symbolique de la création primordiale. Elle débute avec cette « création seconde » que motiva la « chute des anges ». C'est pourquoi, durant les six jours ou phases de cette création-restauration, l'on y chercherait en vain celle du monde angélique ou le récit de la révolte luciférienne, qui n'y est qu'implicite.

J'ai dit que tout, d'après l'antique doctrine, était doué de vie, sous des modes dont une infime partie nous est seule perceptible. Les « dieux », les « fées », les génies cosmiques, les minuscules esprits de la nature, les créations de nos désirs, vivants eux aussi, et de nos pensées, individuelles et collectives, bien d'autres êtres encore, ravissants ou monstrueux, sublimes ou pervers, tout cela existe, imperceptible à nos sens physiques, en partie accessible à d'autres sens sous certaines conditions précises.

La magie — druidique ou autre — science licite avant la venue du Sauveur, ouvrait vers ces règnes étrangers des chemins terri­blement périlleux, lentement et durement parcourus par les mieux doués. Mais ce n'était là que la « petite initiation », proposée aux échelons subalternes de la hiérarchie sacerdotale. Une autre ini­tiation, la « Grande », qui donnait accès au monde réellement spirituel, et non plus seulement au monde psychique, se super­posait à la première, dont les rares « élus » n'étaient encore que ses « appelés ».

Depuis la venue du Christ, le passage par l'initiation « magi­que » est superflu et anachronique — du moins pour ceux qui se réclament de lui. L'accès du monde « spirituel », de la voie étroite, est ouvert aux « hommes de bonne volonté », aussi rares sans doute, aujourd'hui, que jadis les vrais druides parvenus au stade suprême de leur initiation. Et ce, sans bagarre ni pacte avec les génies intermédiaires ou, qui pis est, avec les êtres de cauche­mar, jaloux et subtils, qu'il fallait autrefois maîtriser de haute lutte.

L'attitude du dompteur devant les fauves, qui ne saurait être celle de l'initié chrétien, était une phase transitoire mais inéluc­table de l'initiation druidique, pour ne parler que de celle-là.

Peut-être me sera-t-il donné une fois d'ajouter à ces indications sommaires — en réservant ce qui doit être réservé, de sorte que MM. les fabricants de « religion druidique » et d'initiation sup­posée « druidique » se résolvent à chercher ailleurs des matériaux supplétifs pour leurs minuscules tours de Babel.


  Treves
Relief de l'autel de Trèves


[1] Idris = *AITRIKSO-S, nom construit sur la même base primitive que celui d'AEsus (*AI-), dérivant d'un thème *AITO- « blanc, pur, brillant, spirituel ».

[2] Voir hors-texte.

[3] Les Hyades (« in naribus Tauri «) figurent entre le Taureau et le bec de la première grue sur le relief de Trèves.

[4] J'ai employé le mot gallois Awen, assez connu, pour désigner l'esprit, quoiqu'il soit loin d'avoir toujours chez les Insulaires ce sens exclusif. Je note d'ailleurs que le terme est du féminin. Or, le vocable choisi par les druides de Gaule était *ÂVIOS (différent d'*AVIOS « aïeul »), terme masculin. En Gaule toujours, un des noms de l'âme était *Svelta, du genre féminin. Ainsi, selon la stricte orthodoxie, l'esprit ou pneuma appartenait au principe Un, et était masculin, positif, par rapport à SVELTA, l'âme ou psyché (Awen bardique) rapportée au principe Deux.



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