Vous êtes actuellement sur le site : livres-mystiques.com © de Roland Soyer le 23/12/2008

VISAGE DU DRUIDISME

Chapitre XV


 

LES DRUIDES THERAPEUTHES ET ALCHIMISTES,

LE GUI

 

          II est, je pense, assez connu que les druides avaient dans leurs attributions l'exercice de la médecine. Leur thérapeutique était fondée en premier lieu sur une connaissance très poussée des propriétés des plantes. Quelques bribes en surnagent, souvent dénaturées, dans les traditions rurales : remèdes « de bonne femme » qui furent à l'origine remèdes « de druidesse ». Nous connaissons, par Pline, Dioscoride et d'autres, un certain nombre de noms de plantes, liste enrichie par quelques spécialistes modernes de la dialectologie, comme V. Bertoldi. Certes, ces noms nous sont souvent parvenus estropiés et leurs attributions parfois fautives et sujettes à révision, ce, d'autant plus qu'en Gaule, comme partout, deux nomenclatures coexistaient, l'une savante, l'autre populaire (plus variée et plus pittoresque que la première et davantage sujette aux déformations dialectales).

          C'est ainsi que le nom populaire, donc imagé, de l'hellébore blanc (veratrum album) était laginon, à cause des feuilles en fers de lance, d'un * LAGI- « lame, tranchant » que signalent le vieil irl. Laigen « lance » et le gall. llain « lame ». Son nom « savant » ou druidique était anexta, approximativement transcrit chez Dioscoride par anepsa. Ici, le nom n'est pas donné d'après les apparences, mais d'après les propriétés de la plante. Il est formé d'un préfixe privatif et d'un dérivé du thème * NEGH-/NOGH- dont j'ai dit quelques mots à propos du nom de la nuit. Le sens est donc : « qui relâche, desserre », et, techniquement « déconstipe ». De même samolus « senneçon » (senecio) est un terme  savant signifiant   « calmant,  sédatif »,  dérivé  de  samos « paix, calme, tranquillité ».

          Quant aux fausses attributions, elles sont assez nombreuses. J'ai exposé dans Mots et Choses celtiques pourquoi j'estimais que le rodarum de Pline était la belladone plutôt que la reine des prés. Je n'y reviendrai pas et passe au selago, un des plus remarquables remèdes druidiques, dans lequel on tient à voir généralement le lycopodium selago. C'est un des noms druidiques de l’Helleborux niger. Ce nom est formé, comme celui de la rate, sur un thème indoeuropéen * SEP-L/* SPEL-, avec chute normale du « p », et ayant signifié essentiellement « traiter avec égards, considérer, honorer », d'où le latin sepelire « rendre les honneurs funèbres ».

          Je laisserai là, pour l'instant, ces questions de vocabulaire botanique. On sait que les connaissances médicales des druides étaient reconnues et estimées même au-delà des frontières de la Gaule. Cette réputation était-elle usurpée ? Il est difficile de l'admettre !

          Outre les propriétés des plantes, il était enseigné aux druides qui se spécialisaient des notions précises sur le magnétisme humain et terrestre, soit qu'on eût à l'utiliser directement, soit qu'on l'appliquât aux remèdes lors de leur préparation. Et, à ce propos, il est peut-être utile de mettre en lumière qu'ils savaient préparer et rectifier l'alcool. Préparation tenue rigoureusement secrète pour bien des raisons, dont la plus évidente est qu'ils avaient chargé d'âmes et savaient à quels abus funestes pour l'avenir de la race conduirait inévitablement sa divulgation.

          Dans son ouvrage : De la Gaule à la France , Camille Jullian remarque avec beaucoup de finesse :

          « II y avait, en effet, ceci d'extraordinaire, que les Gaulois raffolaient du vin, que leur terre était admirablement douée pour la vigne, que les environs de Marseille la Grecque offraient d'excellents vignobles, et que jamais pourtant, pendant le demi-millénaire où la Gaule libre fut en relation avec les colons de Phocée, jamais la vigne ne parvint à sortir du territoire marseil­lais. J'ai peine à croire que les Grecs aient pu réussir à en empê­cher l'évasion. Je supposerai plutôt qu'une loi gauloise en interdisait l'importation, et que cette loi venait des druides. »

          Tout le vin des Gaules fut donc d'importation, tant que les druides eurent la haute main sur les destinées de leurs peuples. Il n'était utilisé en principe (je ne dis pas en fait) que pour certains rites religieux et, également, pour les besoins particuliers des thérapeutes.

          Les colliers d'or pouvaient évidemment s'en procurer au prix fort et en consommer concurremment avec la cervoise, déjà suffisamment échauffante, mais l'ensemble de la population était préservée des ravages de l’éthylisme, sinon des inconvénients passagers de l'ivresse.

          La connaissance de l'alcool (qui, nécessairement, remonte au moins à la lointaine époque de Rama puisque, sans ce solvant, il lui eût été impossible de préparer son remède) demeura l'apanage exclusif des druides au cours de plusieurs millénaires. Et égale­ment d'autres sacerdoces antiques [1] .

          Et, puisque j'ai évoqué Rama, il est temps que je reparle du gui et de sa double préparation, soit alchimique, soit apagyrique, selon le but que les sages de Celtide se proposaient.

          Je pourrais écrire un volume sur cette plante étrange, ses multiples propriétés et utilisations, son symbolisme, son rôle dans le folklore des différentes régions et pays, sans prétendre épuiser mon sujet.

          Sans être trop réservé, je serai moins prolixe, laissant en pénombre ce qu'il est préférable d'y laisser. J'ai déjà affirmé que l'alchimie n'était pas inconnue des druides. Force m'est d'en dire deux mots.

          Pour ceux qui penseraient que cette science de la séparation du pur d'avec l'impur se borne au règne métallique et, dans ce règne, à l'exclusive fabrication d'un or « artificiel », voir « sophis­tiqué » ou « imaginaire », je dirai, comme je l'ai fait dans ma mince brochure, Qu'est-ce que l'alchimie ? , que la transmutation métallique n'est qu'une des nombreuses branches du savoir hermétique. J'ajoute que les druides s'en abstenaient. Non, certes, par ignorance, car il n'est pas d'alchimie, — qu'elle soit des métaux, des métalloïdes ou des végétaux, — sans la connaissance, identique et nécessaire dans ces trois adaptations, du secret majeur dont la possession différencie irréductiblement l'hermétiste authentique du « souffleur » d'autrefois, du chimiste d'aujour­d'hui, de l'apothicaire et de l'herboriste. J'irai plus loin pour les oreilles assez fines : de même qu'il existe pour chaque règne, comme l'écrit excellemment d'Eckhartshausen dans ses Essais chimiques, un réceptacle du feu, il est dans chaque règne un sujet plus particulièrement apte à condenser ce feu, dans les conditions requises. Dans le règne végétal, le Subjectum Artis est le gui. Non, toutefois, celui de pommier ou de peuplier, mais celui du chêne (et, à un moindre degré celui d'une autre essence relative­ment proche de ce dernier). Et le médium de cette préparation n'est autre que l’alcool, traité d'une certaine façon qui ne relève pas de la chimie actuelle. Avec l'alcool ordinaire, l'on fait des alcoolats ou des teintures de plantes. Avec l'alcool philosophi­quement préparé l'on obtient une véritable Tinctura, par une dissolution radicale des principes végétants. Sans doute, l'on peut tirer du gui un remède selon les règles de la pharmacopée cou­rante mais inférieur dans ses résultats curatifs à celui que prépa­raient les druides. Sont-ce là des mots ? J'en puis seulement appeler au jugement de ceux qui ont au moins entr'ouvert la porte du laboratoire alchimique, récusant formellement tout autre verdict. Comme l'écrit Henri Khunrath en post-face à l'une de ses œuvres :

« L'Art n'a point de haineux que l'ignorant. Qui ne sait apprenne, ou se taise, ou s'en aille. »

          L'Evangile, qui contient la plus fructueuse méthode d'alchimie spirituelle, renferme aussi les clés majeures du travail effectif. Et j'engage celui qui voudrait vraiment savoir en quoi la méthode quintessentielle des druides surclasse les procédés pharmaco-chimiques actuels, à relire et à méditer l'un des premiers chapitres de l'Evangile selon Saint Matthieu. Si le ciel l'inspire, il verra s'ouvrir les trois feuillets du Liber Azoth.

          Astralement, le gui est « signé » du soleil et de la lune, autre analogie avec la pierre lunifique et solifique des Sages. Sa touffe qui tend à s'épanouir en sphère parfaite, la blancheur translu­cide de ses perles molles, gonflées d'un suc gluant, sa coloration qui lui a valu l'un de ses noms périphrastiques « rameau d'or » (et qui diffère ainsi que la forme des feuilles, selon l'essence forestière où on le trouve) accusent avec précision cette double influence.

          Bien qu'aucune teinture commerciale ne rivalise en efficacité avec celle que les druides préparaient canoniquement, l'alcoolat de gui judicieusement dosé, donne des résultats souvent remar­quables (affection du cœur, troubles vasomoteurs et congestifs, hypertensions, etc.). Employé en simples tisanes, il est un bon adjuvant hypotenseur et un dépuratif du sang. Celui du chêne, préparé comme il convient et administré à la 7° C.H. ou à la 200° homéopathique a dans certains troubles, tels que la para­lysie des muscles oculaires, une efficacité parfois étonnante. A d'autres doses, plus pondérables, il est un des meilleurs remèdes, le meilleur peut-être, des hémoptysies aussi bien que des métrorragies de l'âge critique. Enfin, il a, sur le système nerveux péri­phérique et sur le psychisme, une action sur laquelle je reviendrai bientôt, action qui diffère notablement de celle de la plante récoltée sur d'autres essences. La médecine naturiste sait que le miel de tilleul est le plus sédatif pour les nerfs, que celui d'aubé­pine a davantage d'affinité pour la sphère circulatoire, et ainsi de suite. Serait-il donc irrationnel d'admettre qu'une plante vivant en symbiose avec différents arbres voie ses propriétés varier selon l'essence dont elle transforme les sucs ?

 

*

* *

 

          J'ai parlé déjà dans un précédent chapitre du nom sacerdotal du gui. Je n'y reviendrai pas, sauf pour dire que ce nom, très ancien, a fini par désigner toute espèce d'herbe à propriétés curatives, puis par devenir générique de n'importe quelle plante ou essence forestière. J'ai dit ailleurs (Revue Psyché, nov-déc. 1936) qu'un autre nom du gui était en Gaule Soli-Iacos, « remède uni­versel », expression que nous retrouverons traduite chez Pline, et dont il existe un équivalent irlandais, an t-uil-ioc. Au même lieu, j'ai avancé une explication du nom de mois gothique et saxon où tombait la fête solsticiale du gui, par un mot signifiant « santé » et « salut », allusif à la fois au remède et à son inventeur. Par ces deux noms, nous savons que le gui (mot transmis du gaulois et non du latin viscum) était l'emblème de la Connaissance et, popu­lairement, désigné comme  « panacée ».

          Le gui n'est autre que l'authentique Sôma, que l'Inde ne sait plus préparer et qu'elle a remplacé depuis bien des siècles par un substitut local. Les éloges adressées à Sôma (dont la mytholo­gie a fait un dieu-lune, de même qu'elle a assimilé l'amrita aux rayons lunaires), ces éloges, dis-je, s'adressent tantôt à la teinture, « remède universel », tantôt à l'élixir, breuvage magique des Initiés, tantôt, enfin, à la forme supérieure du symbole où le chêne est l'homme et le gui ou Sôma la Sagesse divine, la Lumière du Verbe. A considérer toutefois que dans une acception restreinte et limitée à la Gaule propre, chêne et gui représentent, au social, la puissance temporelle et l'autorité spirituelle, la subor­dination du collier d'or au collier d'ambre.

          Les écrits canoniques de l'Iran, eux, nous avertissent que Haôma (équivalent iranien du Sôma) est double : blanc ou jaune, céleste ou terrestre, comme l'est le Mercure des Sages. Le jaune est la plante du sacrifice iranien, mais son prototype, le Haôma Blanc, appelé aussi Gaokerena (oreille ou corne du taureau céleste) se dresse sur le pic sacré Hara-Berezaithi, au centre de la mer Vurukasha « le large abîme ». Non loin, croît son doublet, l'arbre Yadbesh (=chasse-maux). Ce Haôma céleste est person­nifié sous les espèces d'un yazata ou génie bienfaisant. On lit dans le Yacna : « O Zarathustra, je suis Haôma, le pur, celui qui éloigne la mortalité. »

          Et Zarathustra de répondre : « Hommage à Haôma, saint, parfait et très juste. Il guérit tous les maux ; donne le salut... est le meilleur viatique pour l'âme... Il procure aux femmes stériles une brillante postérité, aux jeunes filles un époux juste et géné­reux... Honneur à Haôma qui rend le pauvre aussi grand que le riche, qui élève l'esprit du pauvre aussi loin que la sagesse des grands. »

          C'est le sixième des Amesha-Cpenta ou « saints immortels », nommé Ameretât (= immortalité, ambroisie) qui veille spécialement sur Gaokarena. A la fin des temps, quand aura lieu la Résurrection générale (sur laquelle se tait la théologie de l'Inde), le suc de ce véritable « arbre de vie » conférera aux humains la vie éternelle.

          Des siècles après Zoroastre, Pline parlera du gui en termes moins emphatiques, mais assez approchants quant au fond. Il mentionnera son rôle de remède universel, notera qu'il passait pour combattre la stérilité et qu'il était tenu pour la plante sacrée par excellence.

          Le gui, le chêne et le rocher sont trois symboles étroitement associés par les druides. Trois symboles que ne désavouerait aucun hermétiste. Sous leur énigmatique simplicité se dérobent aux curiosités les vérités les plus profondes de la doctrine ortho­doxe.

          Pour rester dans le domaine végétal, le gui et le chêne four­nirent au druide davantage que des allégories incolores ou des symboles abstraits : Un arsenal thérapeutique, spagyrique et initiatique parfaitement objectif ! Au lecteur de démêler si c'est fortuitement que les symboles majeurs que je viens de rappeler ont pris place dans l'imagerie conventionnelle des hermétistes. Enumérer leurs ouvrages faisant allusion à certain chêne ou en reproduisant les frondaisons, ce serait en citer près des trois-quarts !

          Ce chêne,  nous  le  rencontrons  dans  Flamel  comme  dans Cyliani dans l'ornementation des demeures philosophales de Bourges comme sur les peintures de l'athanor du Musée de Winterthur, chez Bernard Le Trévisan comme dans l'Amphi­théâtre de l'éternelle sagesse. C'est l'arbre majestueux qui ombrage tout l'œuvre hermétique ; c'est dans ses robustes branches que monte et descend 1' « écureuil philosophique » d'un des médaillons du frontispice du Muséum Hermeticum. Quant au gui, il me souvient que Paracelse, dans son Thésaurus Thesaurum alchimistorum, écrit, en traitant de la matière prochaine, qu'un des sujets minéraux « se trouve dans l'astre méridional et aussi sur la première fleur que le gui de la terre produit sur l'astre ».

          Nombre d'auteurs font d'ailleurs allusion à certaine « herbe sans racines », ou croissant sans le secours du sol, qui pourrait être, analogiquement, le gui. D'autres, il est vrai, précisent qu'il s'agit d'une algue qui a intrigué bien des chercheurs par son apparition quasi spontanée et sa disparition aux premiers feux du soleil, à de certaines époques de l'année. Algue verte et membra­neuse, appelée Nostoch, Flos coeli, crachat de lune, archée céleste, chaos, — et j'en passe !... Noms prometteurs, qu'il faut se garder de prendre pour argent comptant, car les alchimistes, gens discrets, ne se servent jamais du mot propre lorsqu'il s'agit de leur magnésie, de leur feu ou de leur modus operandi. Toutefois, derrière ces appellations symboliques, gît peut-être un lièvre de belle taille.

          Pour en revenir au sujet végétal, dont la préparation présentait plus d'un point de contact avec celle du mercure des métaux, l'on peut dire, sans aller trop loin, que, détaché au solstice d'hiver, le gui de chêne était traité spagyriquement au cours du printemps suivant. Dans l'un et l'autre cas, une partie de l'œuvre consistait à condenser une certaine énergie vivante (et je n'entends pas par-là le magnétisme humain) dans une substance que des purifications minutieuses rendaient apte à ce rôle de support. Du gui comme sujet et de la vigne comme moyen, les druides extrayaient les deux substances complémentaires de leur mercure végétal, animé par un agent sans lequel on restait dans l'ordre des manipulations strictement chimiques. Au reste, le nom de Médecine universelle, donné en Gaule au gui est le même qu'emploient les hermétistes pour désigner leur élixir parfait.

 

*

* *

 

          Venons-en à la cérémonie de la cueillette de la plante sacrée. Pline la rapporte ainsi :

          « On ne peut omettre en parlant du gui la vénération dont il est l'objet dans toutes les Gaules. Les druides, — nom donné à leurs prêtres par les Gaulois, — ne connaissent rien de plus sacré que le gui et que l'arbre sur lequel il croît, à condition que ce soit un chêne-rouvre. C'est dans les bois de chênes-rouvres qu'ils ont leurs sanctuaires, et ils n'accomplissent aucun rite sans leur feuillage. Le nom des druides... fait peut-être allusion à ce culte des chênes... Ils pensent que tout ce qui croît sur ces arbres est d'origine céleste et que la présence du gui révèle la préférence de la divinité pour l'arbre qui le porte. Le gui se rencontre très rarement sur un chêne ; quand les druides en ont découvert, ils le cueillent en grande pompe. Pour ce rite, ils choisissent le sixième jour de la lune, jour qui leur sert à fixer le début des mois, des années et de leur siècle de trente ans.

          Ils pensent que, dès ce jour-là, elle a acquis une grande vigueur... Ils donnent au gui un nom signifiant remède universel. Au pied de l'arbre porte-gui, ils préparent un sacrifice et un banquet. Ils y amènent deux taureaux blancs... Un prêtre vêtu d'une robe blanche monte sur l'arbre et coupe avec une faucille d'or le gui qui est recueilli dans un drap blanc. On sacrifie ensuite les victimes en demandant à la divinité que son don porte bonheur à ceux qui le reçoivent. Les Gaulois (il ne s'agit plus des druides) s'imaginent qu'un breuvage fait avec du gui peut rendre féconds les animaux stériles, et que le gui est un antidote contre tous les poisons. Tant il entre d'idées et de pratiques frivoles dans la religion de certains peuples. »

          M. Jules Toutain, qui a par ailleurs parfaitement saisi la haute importance de la cérémonie décrite par Pline et qui a montré que le sacrifice et le banquet sont inséparables de la cueillette proprement dite, rapporte à la lune l'expression « remède univer­sel ». Et, grammaticalement, je pense qu'il a parfaitement raison. Cependant, le fait subsiste que c'est bien le gui qui est encore désigné sous ce nom précis par des gens qui n'avaient nul besoin de Pline pour savoir comment se nommait chez eux la plante vénérée.

          L'erreur vient de Pline qui a mal saisi les indications qu'il recueillait sur une pratique qu'il qualifie de « frivole ». D'ailleurs, nous verrons bientôt, à propos du fameux « œuf de serpents », qu'il n'était pas toujours bien informé, tant s'en faut !

          J'ai assez dit que les fêtes chrétiennes ont succédé aux gauloises. Noël est la fête de la venue du Christ, fête de l'Incarnation du Verbe en même temps que fête du solstice d'hiver et de la descente des germes vitaux sur la terre. Pâques, inséparable de Noël, en un sens, fête solaire également (devenue luni-solaire pour de multiples raisons que je ne commenterai pas), correspon­dant à l'équinoxe de printemps et, selon l'enseignement antique, fête du départ des âmes lumineuses (que je ne commenterai pas non plus)...

          Récolté cérémonieusement à Noël, dans une pompe tout exotérique, le gui était transformé en remède du corps et de l'âme au printemps : œuvre ésotérique, silencieuse, secrète, efficiente [2] .

          Le calendrier de Coligny, axé sur un comput solaire pour ainsi dire normalisé ne pouvait porter mention d'une date qui variait avec chaque année. Il y avait bien une fête fixe du solstice d'hiver, chaque 7e jour du mois Giamon, mais, justement parce que fixe, elle coïncidait bien rarement avec le solstice astronomique. D'autre part, les druides choisissaient chaque année non seulement le jour et l'heure de la fête rituelle du gui, mais de plus, ils en fixaient aussi le lieu. On sait que le gui ne se trouve pas souvent sur les chênes. Il est donc de simple bon sens d'admettre que, selon les découvertes et les circonstances, il se trouvait chaque année des régions où la cérémonie n'avait pas lieu, faute de son élément essentiel.

          Je reviens au gui, envisagé cette fois comme « elixir du savoir ».

          Je crois avoir mentionné que l'homéopathie en utilise les hautes atténuations dans nombre de dysfonctions nerveuses et de troubles psychiques (convulsions, somnambulisme, états choréiformes et épileptiformes). Il y a là une indication très nette que j'ai le devoir de souligner, en avertissant les imprudents qui se livreraient à des « expériences » avec des préparations plus ou moins « spagyriques » de cette plante, qu'ils courent des risques. Certains et graves. La quintessence tirée du gui, administrée dans certaines phases de l'initiation effective, favorisait au plus haut point certaines facultés dites « supra-normales » ou « para­normales » (malencontreuse qualification, qui dit, au fond, le contraire de ce à quoi je fais ici allusion). Comme le légendaire élixir des Rose-Croix, dont elle se rapproche, cette liqueur était le médium de l'illumination pour ceux qui étaient aptes à la recevoir. Le revers de la médaille, c'était le danger d'hallucina­tion, d'obsession ou de folie incurable pour quiconque eût osé s'en servir avant l'heure et sans une préparation, — même physio­logique et diététique — suffisante. Inutile de souligner que, de cette heure, nul disciple n'était juge. Pour bon nombre d'entre ces derniers, n'ayant pas acquis la qualification jugée indispen­sable, l'élixir demeurait un symbole, et rien de plus. Et j'ai lieu de penser que les vrais druides — j'entends ceux parvenus au faîte de l'initiation effective — n'étaient guère plus nombreux parmi les Celtes que ne l'étaient les rares chênes porteurs du rameau d'or dans leurs vastes forêts.

          C'est pourquoi je ne m'étendrai guère sur la préparation de l'arcane (au sens paracelsique du mot), ni sur les conditions accessoires mais indispensables de son utilisation.

          Je dirai seulement que son élaboration commençait là où finis­sait celle du simple remède. Et qu'elle exigeait la réitération de certaines opérations précédentes, un peu à la manière des trois mercures successifs de l'alchimie métallique, quoique en un moindre temps.

          Plante soli-lunaire, avec la disposition de ses branches et de ses feuilles géminées, ses caractéristiques numérales et angu­laires, divisant la sphère en sixièmes et douzièmes, lui donnent 2 et 6 pour nombres naturels : L'harmonie des complémentaires d'une part et, de l'autre, l'équilibre et la perfection attachés traditionnellement à la mesure du cercle. Le gui est donc le symbole de l'amour chaste, de l'union des pôles contraires dans tous les plans de vie, relevés ou triviaux, pouvant exprimer selon les cas et l'objet en vue l'union conjugale, l'inviolabilité du serment, les rapports du maître et du disciple, la communion du divin et de l'humain, l'insulfuration du mercure des sages, etc. selon l'adaptation envisagée et le degré de réceptivité de chacun.

          Que le gui ait été lié aux coutumes du mariage et, surtout, des fiançailles, c'est ce dont subsiste maint témoignage, ce qu'on retrouve dans mainte tradition populaire. Je ne puis me livrer à cette recherche, d'ailleurs facile. Mais je ne saurais quitter le gui sans dire quelques mots sur l'œuf de serpents, dont cet excellent Pline a parlé au rebours du bon sens, comme cela lui arrive quelquefois. Il en donne la genèse suivante :

          En été se rassemblent et s'enlacent une multitude de serpents collés par leur bave et leur exsudât. Il en résulte une boule appelée « œuf de serpent ». Les druides (ou réputés tels) le disent projeté en l'air par les sifflements de ces reptiles. Il faut le rece­voir dans un sayon sans qu'il touche le sol et le ravisseur doit s'enfuir à cheval, poursuivi par les ophidiens jusqu'à ce qu'une rivière s'interpose entre eux et lui. Comme les mages sont ingé­nieux à frauder, ils prétendent qu'une certaine lune est à choisir pour se procurer cet œuf, comme s'il dépendait de la volonté humaine de faire coïncider l'opération des serpents avec l'époque voulue [3] .

          Et Pline d'ajouter : « Pour ma part, j'ai vu un de ces œufs fameux chez les druides ; il était gros comme une pomme moyenne, sa coque était dure et portait de multiples cupules comme celles des bras du poulpe. »

Naturellement, à la suite de Pline, plus d'un s'est empressé de reconnaître un oursin pétrifié dans le fameux « œuf », mais cet oursin n'a été montré à notre curieux que pour lui donner le change. Ses prétendues « propriétés » sur quoi j'ai jugé inutile de m'appesantir, sont purement symboliques et analogiques, mais invraisemblables, prises au pied de la lettre. Symbolique également le rite du « passage de l'eau ». La bonne foi de Pline n'est d'ailleurs pas en cause.

          Il ignorait que certains secrets n'étaient confiés ni aux « druides » schismatiques, ni même à tous les autres, indistinc­tement.

          Les druides qui l'ont renseigné, s'il s'agit bien de druides, ne savaient eux-mêmes que la moitié des choses, sans toutefois igno­rer que ce n'en était qu'une moitié. Et s'ils eussent été réellement au courant, c'est-à-dire suffisamment qualifiés, ils n'eussent pu lui tenir un langage bien différent !...

          Selon la tradition, même « exotérique », du druidisme, ce ne sont pas les serpents, mais leur bave qui forme une boule... qu'il faut recueillir dans un sayon sans qu'elle touche le sol, modus operandi mentionné par ce même Pline dans la cueillette du gui !... Au risque de passer pour un doux maniaque ou pour un charlatan de l'occulte toujours prêt à se retrancher derrière « le secret de l'initiation » dès qu'on le serre d'un peu près, je dirai que le récit fait à Pline et rapporté fidèlement par lui, ren­ferme un des secrets majeurs du sanctuaire sous son apparence de conte à dormir debout. Et que ce secret n'est pas de nature à être divulgué, galvaudé, à la légère ! Certains, je l'espère, comprendront mon allusion et approuveront ma réserve, forte­ment motivée. Je me contenterai de dire ce qui peut l'être :

          Dans la préparation très secrète du gui, en tant qu'élixir du savoir (et non en tant que remède), l'on pouvait opérer de deux façons : soit sur la plante torale, soit exclusivement sur les baies visqueuses, lesquelles, en cours de travail, prenaient l'aspect d'une « bave » ou d'une écume blanchâtre. L'on utilisait de préférence l'élixir extrait des feuilles à l'intérieur et l'onguent obtenu par la sublimation des baies à l'extérieur, sur l'emplacement de cer­tains plexus. L'on pouvait en outre, selon la limite qu'on enten­dait assigner aux facultés « psi » de certains disciples, se borner à l'onction épidermique, sans faire usage de l'élixir, notablement plus actif.

          Le tout, c'était de « monter à cheval », c'est-à-dire, de maî­triser son véhicule psychique, et, surtout, de « passer l'eau » sans encombre. De l'autre côté du « fleuve » on était hors de danger, et initié effectivement (non en formules creuses) au degré où l'initiateur responsable le permettrait, degré dépendant à la fois du dosage judicieux des substances mises en œuvre, de la durée de la préparation physiologique, et de la qualification acquise par l'initiable.


[1] Pour leur bonheur, nos ancêtres n'avaient pas de ministère de la Santé publique, pour couvrir pratiquement la bistrocratie, le pain dévita­lisé, les vaccins à pique-que-veux-tu, les aliments chimiques, et les poulets soufflés aux hormones.

[2] En adoptant la date de l'ancienne cérémonie druidique, l'Eglise n'a pas composé avec des rites « païens » qu'elle n'osait abroger franchement. Un tel reproche est pure naïveté. Elle a agi en connaissance de cause, consciente des liens existant entre l'incarnation du Verbe et la fête préchrétienne : Je ne suis pas venu abolir, mais compléter, avait dit son fondateur.

[3] Quoique très déformée, la tradition gauloise de l'Œuf de Serpent se retrouve, entre autres lieux, dans le folklore solognot (consulter « En Sologne » de Claude Seignolle, et « Du Chien au Loup-garou » de A. Durand-Tullou). La voici résumée :

Tous les ans, au 13 mai (je prie le lecteur de noter la date) tous les serpents de Sologne vont vers une pièce d'eau, s'entortillent et déglutissent une bave qui se coagule ; ils la façonnent, la roulent et en font un fin diamant (ici l'œuf est devenu diamant) qu'ils jettent dans l'eau... pour que le geai ne le leur dérobe point, car il s'en parerait et en nuancerait les couleurs de ses ailes.

Ce qui rappelle à la fois le geai paré des plumes du paon et, non si fortuitement, la transformation du « corbeau » en « paon », qu'on retrouve dans tant d'oeuvres traitant d'alchimie.

 

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