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VISAGE DU DRUIDISME

Chapitre XIII


CIEUX ET SAISONS : LE CALENDRIER DRUIDIQUE

 

         L'on peut retrouver à travers les livres canoniques, les mythes et le calendrier des peuples dits Indo-européens, des vestiges d'un comput annuel et saisonnier extrêmement ancien, décelable malgré plusieurs remaniements. J'en ai assez parlé ailleurs pour ne rappeler ici que quelques conclusions :

         1° Habitat premier des ancêtres de la race blanche dans les régions circumpolaires.

         2° Par suite des conditions propres à ces régions, « année » de 9 ou 10 mois, selon les latitudes (mois de « jour » ou de soleil continu) longue aurore et long crépuscule de plusieurs fois 24 heures ; longue nuit de plusieurs semaines.

         3° De là, après l'exode sous nos latitudes, imbrication des termes et des mythes se rapportant à l'année et au jour, à l'aurore et au printemps, et ainsi de suite.

         4° Rappel d'un hémisphère céleste dont les constellations n'étaient pas celles que nous connaissons, du moins en partie, et dont, de par la précession des équinoxes, la « Polaire » et l'étoile-repère du lever héliaque n'étaient pas celles que nous observerions maintenant.

         5° Le calendrier primitif, puis pré- et proto-historique, fut d'abord uniquement solaire et stello-solaire, la Lune n'étant venue graviter autour de notre globe qu'à l'époque de la dernière catastrophe atlante, une partie des Hyperboréens se trouvant sous nos basses latitudes, l'autre s'accrochant encore aux régions hyperboréennes d'où les glaciations n'allaient pas tarder à les chasser.

         C'est pourquoi les symboles premiers des anciennes cosmogonies sont le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres, — système repris par Moïse dans la Genèse.

         L'année se divisa donc en deux parties bien tranchées : nuit et jour, hiver et été. L'année hébraïque, SheNaH, porte un nom dérivé de celui du nombre « deux » (SheN), tandis que les 300 renards (ou chacals) du héros solaire Samson, qui incen­dièrent les champs des Philistins (réadaptation d'une vieille his­toire) nous ramènent à une antique année solaire de 10 mois. Il n'est même pas exclu que le mot sanscrit Yuga, n'ait pas eu d'abord le sens de « couple », en relation avec celui de « joug ».

         6° D'abord stello-solaire et saisonnier, avec ses quatre périodes et ses douze divisions zodiacales, le plus ancien calendrier fut ultérieurement, quoique encore préhistoriquement, doublé d'un calendrier luni-solaire ou lunaire, divisé en 28 « Maisons » de la Lune , rattachées chacune à une étoile-repère, dont le calendrier védique fournit un bon exemple. Mais la tendance à l'ancien « couplage » reparut sous une autre forme. C'est ainsi, par exemple, que le calendrier gaulois divise le mois en deux quin­zaines, rattachées symboliquement, mais non objectivement, aux deux phases, croissante et décroissante, de notre satellite.

         Du fait de l'apparition de l'astre des nuits, celui-ci devint dans les cosmogonies l'emblème de la passivité des eaux primordiales ou Principe Deux, tandis que le jour ou le soleil demeurait celui du Principe Un (mises à part les inversions de rôles avancées par les schismatiques). Mais un autre repérage existait : l'étoile, soit astre annonciateur du jour, comme Vénus ; soit repère stellaire saisonnier. La « Grande Etoile » avait été un des signes de rallie­ment des schismatiques. La Lune la supplanta ou s'y associa.

         7° Si, sous nos latitudes, le soleil se lève à l'est, il se lève au Sud dans les contrées avoisinant le Pôle, révolue en cercle tout le temps de sa longue visibilité, en se rapprochant du pnord, et redescend en insensible spirale pour disparaître au sud jusqu'à la fin de la nuit polaire.

Il faut savoir gré à B. Tilak, dans « The Arctic Homme in The Vêdas » principalement, d'avoir recensé et commenté magistrale­ment les allusions à ces faits qu'on retrouve dans la vieille litté­rature védique. Il y rattache même certains traits celtiques, notam­ment, si mes souvenirs sont exacts, la légende irlandaise de Fedelm aux neuf formes (les neuf mois de « jour » dont j'ai parlé).

Entre autres vestiges de l'année polaire, aux saisons nettement tranchées, j'en exposerai deux, pour ne pas abuser : l'un d'ordre linguistique, l'autre du domaine légendaire.

         L'indo-européen * YER/* YOR-, « année » a d'abord désigné la phase lumineuse de ce laps de temps, celle où l'on peut aller sans crainte de s'égarer, sans l'obligation d'hiverner d'une base * El/* YA « aller »). Ce sens « polaire » a survécu, à peine modi­fié, dans le tchèque Jaro « printemps » ; le petit-russien Jary « récolte d'été », le serbe yârina « blé de mars, récolte d'été ».

Touchant la phase obscure de l'année, voici une intéressante figure mythique irlandaise : la Cailleach . Cette Cailleach est une géante malfaisante, représentée comme très vieille, très misérable. Périodiquement, elle se plonge dans le Loch pour se rajeunir. Son nom est devenu synonyme de vieille femme ; et l'on cite ce proverbe : s II y a trois extrêmes vieillesses ; celle de l’if, celle de l'aigle, celle de la Cailleach. »

         Son folklore est assez chargé : des dolmens portent son nom et l'anémone nemerosa s'appelle nead Chailleach « le nid de la Cailleach ». Son nom me semble signifier essentiellement l'obscure, la voilée. L'on peut y voir la personnification de la « vieille année » qui se rajeunit périodiquement pour devenir « l'an neuf ». Mais, à l'origine, elle ne représentait que la phase sombre, privée de soleil, précédant l'aurore-printemps. La base Indo-Europ. de son nom doit être * QEL-, qui transparaît dans le sansk. Kala « obscurité », et dans le nom de la déesse Kali, « la noire, la sombre », féroce épouse du destructeur Siva. La parenté, sinon l'identité pure et simple, des deux « Ogresses » n'est pas seulement dans le rapprochement de leurs noms. Elles expriment sous deux aspects, l'un sacerdotal et mythique, l'autre populaire, une même allégorie : celle de la période noire et « néfaste » de l'année boréale [1] .

 

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         Du phénomène précessionnel et de l'impossibilité d'exprimer la révolution de la Terre par un nombre entier de jours, résultait un décalage progressif entre l'année « liturgique », avec ses axes solsticiaux et équinoxiaux, l'année agricole, avec ses travaux cycliques, et l'année cosmologique ou solaro-stellaire. De là, la nécessité de remaniements. A chacun d'eux, les repères stellaires étaient autres. Le symbolisme sacerdotal, immuable quant au fond, s'exprimait par des mythes nouveaux, adaptés aux nouveaux astérismes-clés. Mais d'anciens mythes articulés sur les repères périmés survivaient, soit que le sacerdoce ait convenu de leur donner une signification particulière, soit surtout, sous forme de traditions populaires, en faisant plus ou moins bon ménage avec les plus récents. Cette « stratification » mythico-légendaire, me semble appuyer la thèse que je défendais dans Mythes, Contes et Légendes : c'est le mythe sacerdotal qui précède le conte popu­laire et en détient la clé !

         Dans un autre écrit, j'ai donné quelques-unes des raisons qui militent en faveur de l'origine atlantéenne et prélunaire du zodiaque des Signes. Ses rapports avec celui des constellations ont fait couler pas mal d'encre. Je dirai que ce dernier est du domaine astronomique, exotérique, et que sa rétrogradation appa­rente au cours de la grande année est pure relativité. Ce décalage permet toutefois, à des millénaires de distance, d'évaluer à peu près l'âge d'un monument correctement orienté. Calcul qui ne change rien à l'année elle-même : qu'au bout de tant de siècles le soleil ne se lève plus dans le même groupe d'étoiles, mais dans un autre, soit à l'équinoxe vernal, soit à l'un des trois autres sommets cardinaux de l'année, est de peu d'importance pour nous. Nous n'avons qu'à modifier en conséquence le nom de nos mois ou de nos Signes, ouvrant ainsi une nouvelle Ere.

         Je qualifierai d'ésotérique, le Zodiaque des Signes. L' « Aspect du Verbe » qui avait fixé les normes de la religion druidique (et de quelques autres) lui avait donné une base fondamentale et immuable : les équinoxes et les solstices, qui, dans le déroule­ment de quelque année que ce soit, sont invariables entre eux, donc toujours justes en eux-mêmes. Ce qui varie, c'est la place des constellations, ce qui ne modifie nullement l'année en soi. Ainsi, les fêtes saisonnières du Christianisme (Noël, Pâques, etc.) sont le prolongement des fêtes gauloises, d'origine sacerdotale, c'est-à-dire druidique. J'en reparlerai quand il sera question du gui. Sans empiéter sur le terrain de l'astrologie, hors de mon sujet, force m'est d'insister sur l'importance des points cardinaux de l'année (équinoxe vernal en particulier), quelque constellation qui s'y puisse rencontrer.

Quant aux planètes, j'ai déjà donné le nom gaulois de Vénus. Je pourrais y ajouter celui de Saturne : * VO-SIROS (« le lent, le retardataire »), d'autres encore, mais ceci me semble d'une opportunité contestable, et trop difficilement justifiable par les seules méthodes du comparatisme, comme nombre de mes resti­tutions !...

         Dans De Quelques Symboles druidiques, j'ai exposé certaines vues sur Cernunnos, soleil de printemps, et père du renouveau. J'y ajoute ici deux ou trois éclaircissements :

         Sur ses figurations, cette divinité porte toujours des cornes de cerf. Une des raisons de cet attribut, qui n'a rien d'une survivance « totémique », est justement son rôle vernal. Ce sont les cornes d'Elembius, signe du premier mois de l'année gauloise, mois du Bélier de notre sphère. Pour certaines raisons, cette constellation se nommait non le « Bélier [2] » mais le « Cerf » (* ELEMBHO-) terme quasi identique au grec elaphos qui a donné son nom au mois Elaphebolion.

         Le nom même de Cernunnos (* KERNU-ND-OS), apparenté à l'irlandais cern « crâne, occiput », signifie à peu près macrocé-phale ou à la forte tête. Et, de fait, dans mainte représentation, le volume de son crâne est systématiquement exagéré dans le sens de la largeur... tel le disque solaire à l'horizon !

         Dans la plaquette précitée, j'ai proposé quelques noms d'étoiles ou de constellations : Tarvos « le Taureau » ; Trigaranus « les Pléiades » ; AEd (u) rinnt « aldébaran ». J'y pourrais ajouter Eburos « le sanglier » [3] (nom orthodoxe, donc masculin, de notre Grande Ourse). L'irlandais ibar : « if » et le breton evor : « bour­daine » sont loin d'y contredire [4] . L'if est l'arbre au sanglier (à cause de son poison), comme la bourdaine pour ses propriétés drastiques. C'est là un trope fréquent en botanique populaire : Crève-loup, Eberesche, Llysiau’r blaidd, elapheboskon, etc... Il n'est pas indifférent de savoir que le breton evor, outre la bour­daine a désigné aussi l'hellébore noir, appelé ailleurs « raisin de loup ». Maintenant, que la couronne boréale ait été le torques (gaul. TARPOS, d'une base * T°RQw-), que le Dragon se soit appelé AMBIS skr. ahï), que Deneb, la brillante de l'actuel Cygne ait été * SMERTUS (le glaive du guerrier), ces curiosités importent peu au fond. Je ne me suis nullement engagé à restituer la Sphère gauloise, dont les astérismes ne se superposaient pas exactement aux nôtres, et le peu que j'en dis ici sera déjà suffisamment contesté, ce, d'autant plus aisément que je me dispenserai d'exégèse sur mes sources d'information !


couronne
(Voir la couronne agrandie)

 

         Mais il importe bien davantage de savoir à quel point, dès une lointaine préhistoire, nos aïeux avaient étudié le ciel, et avec quelle sagacité ils y transportèrent leurs symboles, de sorte que tout mythe présentât une base cosmologique apparente, accessible de plain-pied, et, par-là même, satisfaisante pour ceux qui n'étaient pas qualifiés pour passer, si j'ose dire, derrière les décors.

 

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         Il me reste à examiner rapidement le dernier en date des calendriers druidiques, et ses principales caractéristiques. Ce calendrier (dit de Coligny, en raison du lieu de sa découverte, en 1897) fourmille d'abréviations, parfois désespérantes, et, qui pis est, a été gravement endommagé lors de sa trouvaille. Ce qui en subsiste est cependant assez important pour permettre quelques constatations intéressantes. Les noms des mois sont ceux d'un calendrier mi-astro-météorologique, mi-agricole.

         J'ai expliqué plus haut Elembius, Aedrinni (l'étoile ou œil rouge du Taureau, Aldébaran), Cantlos, Samon, Giamon. Je dirai maintenant quelques mots d'Anagantios et de Semivi-Sonnos (Balance, Sagittaire) ainsi que de Riuros (Vierge), eu égard à son importance exceptionnelle.

         Anagantios (* AD-NAG-ANTIO-) pourrait se traduire : « le commencement du déclin (des jours), la marche vers l'obscuration ».

         Il est permis de le supposer formé (outre le préfixe AD-) sur un thème * ENGh- « étroitesse, restriction, resserrement », qui aurait donné en thème II (selon la terminologie du linguiste E. Benveniste) un des noms de la nuit : * NOGh-. Si l'on peut voir une liaison sémantique entre l'idée d'oppression et celle de nuit ou d'obscurité, il est peut-être un rapport plus concret. Voici : Si nos nuits et nos jours sont relativement égaux, il n'en allait pas de même sous de très hautes latitudes. L'année de neuf mois « libres » (* Yer-/* Yor-) dont j'ai parlé comportait une plus courte période, période « resserrée » d'obscurité totale, tout ensemble nocturne et hivernale. C'était, de plus, celle où l'on hibernait « à l'étroit ».

         Pour Semivisonnos, ce terme, trop simple, peut-être, se lit volontiers « soleil » (sonnos) « des semailles » (semivi-, de * SEMIU-).

         J'en viens à Riuros (mois de l'épi ou de la moisson (primiti­vement : des seigles). Dans le calendrier, il fournit des renseigne­ments précieux, dont j'aurai à reparler. Le thème d'où ce nom dérive est, du point de vue gaulois Rivo (i épi, seigle », extensi-vement « moisson »). Rivo, me semble être au norrois Rygr et au lithuanien Rugys, « seigle », ce que Brivo « pont » est au germa­nique brukkja, ce que j'interpréterais volontiers comme deux exemples probables de Ghw- ancien passant à -W- après R voyelle gaulois -ri-). Sans m'engager plus avant dans le maquis linguistique, je préfère souligner que Rivo- comme nom de mois, joue à la fois sur le sens agricole, saisonnier, et sur le sens cosmologique (Epi de notre constellation de la Vierge ).

         Et voici des remarques d'un autre genre.

         En dehors des solennités purement religieuses, il y avait deux catégories de fêtes fixes. Elles sont signalées par le mot prinni (fête, banquet) qui ne saurait venir du latin prandius, « petit déjeuner ». La première sorte se lit partout prinni lagit (cf. irlandais laigu, « moindre » soit : « fête secondaire ». Ces fêtes courent sur toute l'année, par intervalles de 60 jours, ou de deux fêtes comptant 60 jours à elles deux. L'année étant de 354 jours et non de 360, un seul intervalle est forcément irrégulier, à la limite de l'année. Ledit intervalle se rencontre justement entre le mois Equos (mois du « Cheval céleste ») et le mois Elembius, notre Bélier.

         Comptons :

         Du 8 Semivisonnos au 2 Equos : 24 jours ; du 2 au 8 Equos : 6 jours, soit 30 jours. Et de cette date au 3 Elembius, je compte 24 jours, soit en tout 54 jours. Les soixantaines exactes sont sui­vies par un seul intervalle irrégulier, anomalie précieuse puis­qu'elle dénonce Elembius comme « tête de l'année », qui commen­çait donc bien en Gaule orthodoxe à l'équinoxe vernal.

         La seconde série de fêtes porte pour mention prinni loudin (avec chute de P- initial, dans le second mot), ce qui signifiait à peu près « fête importante ». Cette fête ne se rencontre que dans la moitié claire de l'année : des calendes de mai au solstice d'hiver. On la trouve : le 7 Cantlos, le 7 Samon, le 1er Dumann, et, détail important, une duplication que je tâcherai d'éclaircir plus loin : les 2 et 8 Riuros. En revanche, il n'y en a pas en Anagant ; nous sautons au 2 Ogron, pour finir au 4 Cutios. Ceci donne 174 jours. Or la mi-année est de 177 jours. Reportons-nous au 7 Cutios, qui complète le nombre nécessaire et nous y trou­vons l'indication : giamon prinni lag. C'est que nous sommes à la période « noire » de l'année, et nous ne pouvons rencontrer qu'une fête secondaire. Laquelle ? Fête du mois Giamon ? Non ! Fête de l'hiver !... Et, à l'opposite, soit le 7 Cantlos, nous avons la fête « importante » (parce qu'en période « claire ») de l'été : samon prinni loua. Je pense, peut-être à tort, que ma démonstra­tion mérite qu'on s'y arrête.

         Quant aux grandes cérémonies saisonnières rituelles, elles sont désignées par les mots Tioco brextio : « Cérémonie rituelle fixe ». Brextio est, si j'ose dire, en prise directe avec l'avestique BeReG- « Cérémonie religieuse ». Les linguistes qui me liraient voudront bien excuser une fois pour toutes mes graphies défec­tueuses.

         TIOCO (Pour * STIOCO-, de * STEIKO-, comme GIAMON-, de * GhEIMO) peut signifier quelque chose comme « fixe, iné­branlable, stable » et peut-être, au figuré, « petite entêtée » dans le nom féminin Tioccia, avec redoublement affectif du c.

         Les dates de cette dernière catégorie de cérémonies sont signi­ficatives : 7 Elembius : équinoxe de printemps, 15 Cantlos : solstice d'été, 7 Giamon : solstice d'hiver (la fête du solstice serait mieux en place en fin de Cantlos, mais aucune grande fête n'avait lieu dans la seconde quinzaine, la quinzaine « noire » des mois, particularité déjà signalée).

         Je parcours rapidement quelques expressions usuelles du calendrier : MIS, en tête de chaque mois, ne signifie ni « mois », ni « milieu » mais est l'abréviation de M.I.D. (mois décomptés) en jours). Le titre EXINGIDU est à lire : EXO JJSf GIAMONI DUMANNIO (car certains jours combinent les noms de deux mois, selon des règles assez compliquées). SINDIU = Sin Diù « ce jour ». N.D. = Nox. Diu (nuit et jour). Trinuxsamo, très abrégé, peut se compléter en Tri noctis uxantia samoni « Les Trois Nuits d'exaltation de Samon ou de l'Eté) ». Comme je ne me prétends pas linguiste et n'ai nullement la prétention de resti­tuer intégralement le calendrier, je me bornerai là, sauf à jeter un dernier regard sur le mois Riuros et sur les deux mois complé­mentaires dont j'ai omis de parler.

         Riuros est le mois de la « moisson » (Rivos). Et nous y lisons le 13e jour : DEVO RIVO RIURI : « jour de Riuros (sous-entendu : consacré) au dieu (devos) de la moisson. Qui peut être ce dieu ? On va tenter de le dire, quitte à n'être pas entendu !...

         Les 2 et 8 de ce même mois, nous lisons deux fois la notation Prinni Loud, que je crois avoir expliquée. L'une de ces festi­vités était en l'honneur de la Terre-Mère , l'autre, en celui de son parèdre, Lugus (= Devo Rivo).

         Puis, le 4, l 'indication Brig riuri. Brig est à compléter en Brigantiae. C'était la fête rituelle de la Nature-Mère , de la Mère des moissons, comme Devo Rivo précisait la même solennité pour son époux symbolique, Lugus. Soit : deux festivités relativement « profanes », et deux autres, exclusivement « sacrées », les unes éclairant le sens des autres. C'est l'équivalent continental de la Lugnasad insulaire.

         Par l'artifice de deux mois intercalaires, alternant tous les deux ans et demi, le lustre de cinq ans portait l'année moyenne de 354 à 365 jours 1/2 car ces deux étaient de 30 jours, mais rien ne prouve qu'ils n'aient pas été alternativement de 29 et 30 jours, lustre après lustre, ce qui eût donné une autre moyenne de 365 jours 1/4, comme je le suppose. Hypothèse qu'une future découverte pourrait infirmer ou confirmer.

         Quoi qu'il en soit, ces mois complémentaires se nommaient l'un Quimon (cessation, pause, arrêt) t hème * QEI- ; l'autre Ciallos, terme déjà expliqué par Joseph Loth. Ce dernier mois porte en tête une courte inscription relative à la marche du soleil (Sonno-Cingos) et une datation digne d'intérêt dont je crois avoir donné la clé voici bien longtemps, lors de mes premiers essais un peu anarchiques, que complète et rectifie celui-ci : Amman 2013 — Lat 385.

Soit : ère gauloise ou celtique : 2013 ; ère latine : 385.

         L'emploi des chiffres romains et certaines particularités des lettres laissent peu de doutes sur l'époque relativement basse de ce calendrier doublement daté. Comme toute vérité trop simple, cette datation n'a guère inspiré les spécialistes, abusés peut-être par l'irlandais laithe « jour », ce qui est défendable, mais ne correspond à aucun élément du comput. On pourrait, sans invrai­semblance, dater la rédaction de ce calendrier du III siècle de notre ère, quelques lustres après la révolte des Bagaudes, en prenant pour point de départ de Lat. la conquête définitive de la Gaule et le début de sa romanisation, soit quelque 50 av. J.-C.

En fin de l'autre mois complémentaire, une inscription, très mutilée, se laisse néanmoins lire et restituer, avec une marge d'hypothèse dont chacun est libre de penser ce qu'il voudra. Je reconstitue donc (en mettant mes restitutions en caractères ordi­naires) : AMB RIXTIO tioCOBrextIO CARrIEDIT OuXAN-TIA POGe DEDOR TONI IN QUIMON. Traduction libre : En vue de régularisation, la cérémonie solennelle fixe a été transférée de la fin (du mois de Cantlos du demi lustre précédent pour qu'elle soit placée dans Quimon, en temps (au moment voulu).

         Rixtio (de * REXTU- «droit, régulier»). OUXANTO-, « extrême, final ». POGE (préposition complexe : « pour que »). DEDOR « a été placé, posé ». TONI (de *TEN/TON- « étendre », « allonger », appliqué ici au temps, comme dans l'irlandais tari).

         Et le texte s'éclaire : la fête rituelle (tiocobrextio), décalée après deux ans et demi d'un comput (assez distinct de celui qu'ad­met le calendrier de Coligny qui le réforme probablement pour qu'on ait pris soin de graver ce dernier sur une lame de bronze) a été, pour régularisation d'époque, reportée, à titre exceptionnel, dans le mois complémentaire de Quimon par lequel débute notre texte. Il est fort regrettable que les jours de ce mois soient en majorité détruits, car la mention Tiocobrixt dans ce mois aurait donné à la présente interprétation un poids qu'elle ne saurait réclamer. C'est, je crois, assez sur ce sujet.

         « De la fécondation de la Nature par Aesus, le Verbe-Lumière, — ai-je écrit ailleurs — les druides avaient tiré cette conséquence que le cycle des saisons n'était qu'un cas particulier de la grande loi générale, et qu'un esprit sagace pouvait remonter de celui-là à celle-ci.

De même, le ciel physique, soumis à cette même loi, leur offrait un moyen terme commode pour exposer des faits d'ordre sensible et des vérités d'ordre intelligible, sous le couvert d'une même allé­gorie.

C'est pourquoi nous avons essayé, tout d'abord, de rendre le sens immédiat des symboles mytho-astronomiques qui nous sont parvenus. Ces bases solides permettront à d'autres d'aller plus loin... [5] . »

         Ici, j'ai posé quelques nouveaux jalons, sans cependant m'en­gager davantage que je n'avais projeté. D'aucuns regretteront ma prolixité sur quelques points, d'aucuns ma discrétion sur d'autres. Que ces derniers se rassurent ! Celui qui est la Voie , la Vie , la Vérité n'a jamais laissé et ne laissera jamais orphelins ses fils légitimes : Ceux qui suivent la Voie , servent la Vie , cherchent la Vérité , — dans tous les siècles !


[1] Les Atlantes (je parle ici de ceux installés jadis au N.O. de l'Afrique, car d'autres employaient d'autres mots) avaient un terme KALA, qui avait d'abord désigné la terre (en tant que sol ferme et cultivable) et qui s'était chargé de sens divers, dont celui de « couleur de terre », puis c noir », et avait été un des mots par lesquels ils désignaient, assez péjo­rativement, les nègres et leurs métis. Ce terme n'était d'ailleurs ignoré ni de l'étrusque, ni de l'ibère, ni du libyque. On le retrouve dans le nom étrusco-latin Calus, dont le sens semble bien établi par le latin caligo ; le berbère moderne l'a conservé (par exemple sous la forme Ta-Kl-it « négresse »). On pourrait le reconnaître dans le sabir lydien klida « terre », dans l'ibère Cala-gurris = «terre rouge» et dans Calabria, la Calabre (= terre ibère ; pour le second terme, cp. Art-abres et Cant-abres); le berbère a-KAL a d'ailleurs conservé le sens de «terre». Il est fort probable que le vocable sanscrit et les mots indo-européens (grec kelainos, par exemple) soient des emprunts aux dialectes atlanto-égéens, remontant extrêmement loin dans le passé ; j'ai déjà fait cette remarque pour celui qui a fourni le nom du Caucase et des Caucones.

[2] Je crois avoir dit qu'un des noms gaulois du « bélier » était Virdos (de *WER-Dho-) réduit plus  tardivement à  Ordos.De là, le nom de la tribu des Ordo-vices (ceux « voués au Bélier », c'est-à-dire à la tradition
orthodoxe de Rama), de même que les Eburo-vices, étaient « ceux vouésau Sanglier », et ainsi de suite. Le second terme du composé *WEIKO-/*WIKO-, commun au gaulois et au germanique, signifiant « voué, consacré », et dépendant d'une base *WEY-  «tresser, entrelacer, lier».

[3] Dont le nom a varié selon les époques et les lieux, même en Gaule. Tantôt le Grand Ours (*ARTONOS) tantôt le Bœuf (et chez les schismatiques  la   Vache   (*BOUKKA-)  voire  même  l'Elan  (*ALKES-).  Sur la  « Vache », on lira avec profit l'intéressante plaquette du Dr Marcel Baudouin :  « Le Jeu d'Aluette » (1925).

[4] Les variantes du nom de la « bourdaine » ramènent à un type Bourgaine qu'on a supposé gratuitement préceltique, alors que le breton evor postule nettement en faveur d'un *EBUR ou *EBURAKA celtique.

[5] De quelques Symboles druidiques, éditions Psyché, Paris, 1947.

 

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