Sous le Feu de l'Esprit (1)



     Dans « Psyché », de Février 1933, nous avons consacré quelques pages à l'analyse succincte du Visage du Silence, considéré du point de vue chrétien.

     Ayant étudié le « message » d'un ascète oriental, en tant qu'il s'adressait à des Occidentaux, nous allons essayer, maintenant, d'étudier un livre qui nous offre un aspect inverse du même problème : Sous le Feu de l'Esprit, dans lequel est exposé le résultat de l'ascèse d'un Occidental, s'appuyant sur les méthodes indoues
(2) .

     Comme pour l'étude précédente, nous parcourrons les pages du livre, sans nous livrer à une analyse systématique.
Marie Potel, dans sa préface, nous indique dans quel esprit a été conçu son livre « La pure perception spirituelle est identique, pour ceux qui l'atteignent... C'est pourquoi j'offre ces expériences, telles qu'elles ont été, convaincu qu'elles seront une réponse à ceux qui cherchent et, pour les frères sur le chemin, une certitude à l'appui des événements de leur propre vie intérieure. »

     Une expérience intérieure, quand elle est décrite sincèrement. est toujours riche en enseignements. Certes, nous ne pouvons souscrire aux postulats essentiels de l'auteur, et nous ne répéterons pas, inutilement, ce que nous avons déjà écrit à propos de l'expérience consignée dans Le Visage du Silence.

     Notons de suite les passages qui nous semblent éminemment dangereux pour des âmes sans défiance, d'autant plus dangereux qu'ils sont disséminés parmi des pages d'un sublime dépouillement, d'une réelle beauté.

     Le livre est une suite de colloques entre l'auteur et l'Esprit. Sur la nature de cet Esprit, disons seulement que les méthodes orientales de l'auteur nous laissent supposer, qu'il pourrait bien avoir objectivité de toutes pièces cet inconnu, cet autre Visage du Silence. Écoutons-le parler : « Tu ignores l'être unique, tu n'en peux concevoir l'insondable mystère. Qu'en pourrais-tu connaître ?
L'ÉTERNEL RAPPORT ENTRE LUI ET SON DEVENIR ? Tu ne le connais pas, car c'est là TON EXISTENCE ESSENTIELLE, éternelle, immuable. »

     « Pour m'atteindre, il te faudrait devenir ce que tu contemples »...

     « L'extinction naturelle des feux de la concupiscence est faite de leur évolution graduelle dans la créature, pour la joie du grand foyer qui s'allume quelque jour. N'aie donc pas peur de te voir tel que tu es : bannis la crainte du péché ; sache donc que Bien et Mal sont deux mots
À OUBLIER   ; Lui est au delà ! Ne cache rien, Tout est bon pour son service, pourvu qu'on le Lui donne ! Le seul Bien, c'est le don !... Sois heureux de ce qu'Il t'ait permis la tentation et l'erreur, PUISQU'ELLES ÉTAIENT NÉCESSAIRES À LA TRANSMUTATION ... Ne crains pas le feu de l'intelligence, le feu de Lucifer ! »
     « Il faut que la beauté et la force de ta pensée t'enivrent. Par l'idée du bien et du mal, du noir et du blanc, tu t'éloignes de moi... L'arbre de science est le développement en foi de la Vérité de mon Être, de la Vérité de ma Vie. C'est un arbre immense, dont la racine est prise dans chaque cellule de ton corps, comme dans chaque atome de la substance universelle. Développe cet arbre. Crée-le en toi... L'humanité est un seul corps et tout dans l'univers est fragment divin. Toi, l'être de mon Être, né et grandi dans l'ignorance de mon existence en toi, je t'attends
ET J'AI BESOIN DE TOI ! Travaille à ma délivrance, à mon existence, à mon efflorescence... Pour atteindre l'impersonnalité, que ton effort soit PUREMENT MENTAL. La vie à laquelle tu naîtras un jour n'est pas une vie individuelle, mais un aspect de la Toute Conscience de l'âme universelle... J'ai besoin de tout : Lucifer lui-même m'est cher ; il m'est utile... »


     Ces quelques citations sont suffisantes, pour nous montrer quel subtil poison est glissé par le mystérieux « initiateur », dans le cœur de celui qui s'abandonne à ses préceptes. Nous y retrouvons certains thèmes déjà abordés dans Le Visage du Silence : panthéisme nettement caractérisé, Divin en perpétuel devenir, effort purement mental. Nous y retrouvons aussi des points plus particuliers. Quoi de plus dangereux que cette phrase : « Bannis la crainte du péché ; Bien et Mal sont deux mots à oublier, le seul bien c'est le don. » Alors, allons-y joyeusement, n'est-ce pas ? D'autant plus que tentation et erreur « étaient nécessaires à la transmutation ».

     L'arbre de science, confondu avec la substance divine, montre que cet « Esprit » a fort mal lu la Genèse, à laquelle il fait allusion. Passons rapidement sur quelques lieux communs : l'humanité « fragment divin », le Créateur disant à la créature, (qui n'est d'ailleurs ici que son « fragment »), « j'ai besoin de toi », « j'ai besoin de tout », « Lucifer même m'est utile ».

     Quant au conseil « il faut que la beauté et la force de ta pensée t'enivrent, ne crains pas le feu de l'intelligence, le feu de Lucifer », il est bien inutile... Cet « Esprit » souffle dangereusement sur un brasier qui ne demandait qu'à s'enflammer !

     Ces réserves faites, disons que le livre renferme des pages admirables.
En général, dans les colloques entre l'auteur et son Maître, c'est l'auteur qui déraille le moins et qui, parfois, atteint au sublime. On comprendra aisément qu'un poison enveloppé de tels « baumes », n'en est que plus pernicieux.

     Mais, l'alchimiste ne doit-il pas séparer le pur de l'impur ? Ce travail fait, les paillettes d'or spirituel, séparées de leur gangue et dégagées des métaux vils, sont assez nombreuses pour récompenser le chercheur patient, que l'expérience d'un de ses frères ne saurait laisser indifférent. C'est donc par quelques nouvelles citations que nous achèverons notre courte étude. Au lecteur de tirer ses conclusions.


     « C'est dans l'humilité, la souffrance et l'oubli de soi-même, qu'on remporte la victoire intérieure, par laquelle l'âme convertie allume son fanion individuel pour l'éternel voyage. »

     « On ne comprend rien tout à fait, qu'on ne puisse réaliser ».

     « Celui-là, seul, est un homme libre, véritable temple de son Dieu, dont la dignité ne dépend pas des circonstances et des aspects extérieurs. »

     « Toute œuvre impérissable a sa source dans l'Unique. Elle est née de Dieu. L'homme ne reçoit que la permission de lui donner forme plastique. »

     « Ce n'est pas à volonté que l'on passe d'une adhésion intellectuelle à l'expérience vraie. »

     « Renoncer n'est pas tout. C'est se livrer qu'il faut ! »

     « Que ton abandon soit naïf et simple. Qu'il ait la candeur du petit enfant qui se livre aux bras de sa mère. Tu es trop compliqué ; c'est pour cela que tu te sens faible, ignorant et stupide devant la grandeur et la royauté divines. »

     « Sois capable de regarder du même amour la vérité, qui n'est plus tout fait tienne, celle qui lui semble opposée, et celle qui te correspond. »

     Terminons par une de ces nombreuses remarques où l'auteur nous offre le suc de ses. expériences intérieures :

     « L'être nerveux est capricieux. Il veut et puis il se refuse. Il entend un jour le lendemain il bouche ses oreilles et ferme ses yeux, pour ne pas savoir la vérité.

     Il refuse de se connaître. Sa maison divisée lui plaît. Elle l'intéresse ainsi. La vie supérieure, paisible et simple, limpide et pure, comme les eaux d'un lac profond, l'effraie. Cela lui paraît froid comme la mort. »

A. SAVORET


(1) Marie POTEL, Sous le Feu de l'Esprit, un vol. 9 fr. Les Presses Universitaires de France.

(2) Nous devrons dire « sur certaines méthodes indoues », l'auteur ne précisant d'ailleurs pas lesquelles.