Les Théories de Freud et le Spiritualisme


     Je n'ai pas l'intention d'épuiser en quelques pages un sujet aussi vaste que celui de la Psychanalyse. De plus, n'étant pas médecin, je ne ferai qu'effleurer la partie purement médicale des doctrines de Siegmund Freud. On parle beaucoup de ces doctrines, on murmure des mots mystérieux : complexe d'Œdipe, refoulement, mais, en général, le grand public ignore souvent le fond de la question. C'est peut-être heureux, car les théories du docteur viennois et ses méthodes curatives ne sont pas des jouets pour enfants étourdis.

     Cependant, il existe de nombreux traités de « vulgarisation », grâce auxquels n'importe qui peut se donner un vernis, bien fragile, de psychanalyste.

     Qu'on me permette de déclarer franchement que le plus grand danger des théories freudiennes réside dans cette vulgarisation intempestive. Dans des cerveaux frustes ou dans des cœurs insuffisamment affermis par la foi, elle peut provoquer des ravages, non seulement intellectuels, mais aussi psychiques. On ne peut que regretter la façon dont les connaissances sont, de nos jours, livrées à tous, sans garantie de science ou de moralité. N'importe quel exalté peut maintenant trouver, dans les livres, les recettes les plus sûres pour faire sauter un train, expédier les gêneurs ad patres, ou se détraquer en « psychanalysant » à tort et à travers.

     Puisque, de nos jours, la science quitte le laboratoire pour la place publique, comme, autrefois, elle quitta le Temple pour le laboratoire « profane », il n'est pas inutile de donner une vue sommaire, mais objective, d'une théorie à la mode et de mettre en garde les simples curieux contre les inconvénients qu'elle présente pour les non spécialistes. Il n'est pas inutile, non plus, de préciser, puisque nous sommes entre spiritualistes, quelle position est à prendre vis-à-vis des thèses, souvent fort justes, parfois spécieuses, présentées par Freud et se disciples (d'ailleurs plus ou moins dissidents).

     Je me bornerai donc à quelques généralités indispensables et essaierai de porter un jugement, non sans appel, sur quelques points délicats. Avant de m'y livrer, je tiens à souligner une des causes de l'emballement des « incompétents » pour des théories assez abstruses. Cette cause, c'est l'atmosphère « sexuelle » dans laquelle se meuvent les concepts freudiens.

     Tous les pervertis, tous les détraqués, ou simplement les curieux de détails scabreux et d'historiettes affriolantes sont tentés - telle Ève par le serpent, par ce qui, dans le Freudisme, devrait rester l'apanage exclusif des médecins et des psychologues. Tel est l'esprit du temps, tel est un des éléments les plus troubles du « succès » de Freud, en même temps qu'un des dangers les plus évidents de certains ouvrages psychanalytiques sur une catégorie de lecteurs, bien connue des librairies spéciales...

     La Psychanalyse, ne l'oublions pas, est avant tout un système d'explication et de traitement des affections mentales et nerveuses : démence, tics, névroses, phénomènes hystériques, obsessions, etc. Les individus bien portants qui ouvrent un traité de psychanalyse sont victimes, presque infailliblement, de la même erreur de perspective que ceux qui ouvrent, sans éducation médicale, un de ces nombreux traités de médecine usuelle, « à l'usage des familles » le malheureux lecteur, tout bien portant qu'il soit, se perd dans la liste des symptômes et se croit affligé, à lui seul, de toutes les maladies décrites. De là à se « soigner » au petit bonheur, il n'y a pas loin. Mais comme le domaine de la psychanalyse est particulièrement mouvant et trompeur, il est facile de se rendre compte des manies et des troubles mentaux qui peuvent affliger l'imprudent « apprenti sorcier » qui applique l'algèbre freudienne à son équation personnelle, sans s'être d'abord rendu maître des « quatre règles » de l'arithmétique thérapeutique...

     Comme pour une autre théorie à la mode, je veux parler de la Relativité einsteinienne, on peut affirmer hardiment qu'il y a, pour le freudisme, beaucoup d'appelés mais peu d'élus.

     Résumons les propositions essentielles formulées par le docteur Siegmund Freud.
La psychanalyse est d'abord une autocritique ou une hétérocritique des phénomènes affectant le subconscient, un procédé d'introspection s'appliquant aux régions obscures de l'être, où ne pénètre pas facilement la lumière de la conscience vigile. C'est ensuite une méthode de traitement, déduite de l'exploration du subconscient.

     Enfin (et nous pénétrons ici dans la partie la plus discutable de la méthode), c'est une tentative d'appliquer les règles du déterminisme mental à une quantité de phénomènes, en particulier au rêve conjointement c'est une hypothèse générale consistant, comme l'a très bien écrit le Dr Claparède, « à considérer toutes les créations de l'esprit humain (art, science, religion, philosophie) et la plupart de nos réactions journalières, comme exprimant des désirs subconscients de la nature humaine, ou comme étant plus ou moins sous l'influence de ceux-ci ». Par ce dernier trait, la Psychanalyse s'affirme comme l'organon d'une méthode de critique universelle, dans tous les domaines de la vie humaine. Nous verrons plus loin ce qu'il faut en penser.

     Mais, qu'elle soit une méthode d'exploration du subconscient, un chapitre de l'art de guérir, une hypothèse d'ordre général, la psychanalyse repose sur un certain nombre de faits expérimentaux, coordonnés systématiquement selon certaines vues de l'esprit et codifiés ensuite, au moyen d'une terminologie particulière qu'il importe de préciser pour n'en pas être dupe.

     Dans ses « Cinq leçons sur la Psychanalyse », le Dr Freud expose d'une façon très claire et relativement peu technique les postulats de son système. Résumons brièvement ces données élémentaires mais suffisantes

     Le point de départ du Docteur fut le traitement d'une hystérique, qui lui permit de conclure rapidement que l'hystérie a pour facteur essentiel de violents ébranlements affectifs. Les symptômes (parfois si déroutants et si contradictoires), de l'hystérie sont des résidus de traumas psychiques, déterminés par les scènes dont ils formaient le résidu mnésique (souvenir virtuel, non actuel, à l'abri des investigations de la conscience vigile, mais non pas aboli puisque sa présence catalyse, pour ainsi (lire, l'élément psychique, y déterminant des troubles variés). Freud a très bien résumé son opinion par ces paroles : « Les hystériques souffrent de réminiscences ». Le principe de la conservation de l'énergie éclate ici, sans doute possible une hystérique ne pouvait se décider à boire dans un verre, malgré une soif ardente. Le point de départ lointain de ce phénomène morbide était le suivant : elle avait vu sa gouvernante faire boire un petit chien dans un verre. Par égard pour celle-ci, elle refoula son dégoût et se garda d'en rien manifester. Or, lorsque, plus tard, cet incident oublié en apparence se présenta à sa conscience de veille, grâce aux efforts du médecin, l'émotion refoulée autrefois ressuscita avec une violence particulière, comme si elle s'était conservée intacte pendant tout ce temps. La guérison du symptôme lié à l'émotion qui l'avait provoqué par son refoulement, dépend de la confession de cette émotion, dès que celle-ci réintègre le champ de la conscience de veille. Mais il faut que cette mise au jour du mal caché s'accompagne d'affects. Nous entrons ici dans le domaine de la psychologie ordinaire toute sensation enregistrée par les centres nerveux appropriés tend, d'une part, à s'emmagasiner dans la mémoire sous forme d'image mentale (mouvement centripède ou du non-moi vers le moi), d'autre part à se transformer en impulsion motrice (parole ou geste), qui présente la contre-partie équilibrante de la sensation, la réaction du moi impressionné sur le non-moi, car une image mentale est toujours animée d'un mouvement propre, toujours le siège d'un dynamisme virtuel ou actuel.

     Si la comparaison n'était pas un peu simpliste, nous dirions que l'image mentale est une véritable petite bouteille de Leyde, dont la charge est proportionnée à l'intensité de l'émotion correspondante. Le refoulement la fait passer du conscient (où elle avait l'avantage de pouvoir être surveillée et déchargée lentement), dans l'inconscient où, échappant à tout contrôle, elle conserve son dynamisme, prête à se décharger à l'improviste dès qu'elle rencontrera un conducteur approprié la tare ou la prédisposition psychique qui constituera le « point de moindre résistance » à la décharge.

     C'est pourquoi la confession pathétique, le récit chargé d'émotion est nécessaire à la guérison dans le cas qui nous occupe : l'idée-force doit être « déchargée », par sa transformation normale en impulsion motrice.

     Je ne sais si cette courte interprétation serait du goût des disciples du célèbre docteur, encore que ce dernier affectionne beaucoup les comparaisons et les analogies...
 
  (À suivre). A. SAVORET .