Les Actes de Pilate, plus tard appelés Evangile de Nicodème, se composent de deux parties tardivement rattachées l'une à l'autre. L'ensemble a vraisemblablement été écrit au IVe siècle, ou du moins une forme ancienne dont dérive la présente. Ces Actes auraient été rédigés en réplique à de faux actes que l'empereur Maximin Daïa (311-312) avait fait écrire pour vilipender le Christ, et qu'il avait imposés dans les écoles. Le texte qui nous est parvenu, daté du Ve siècle, reproduirait en grande partie la version du IVe siècle, mais utilise aussi des traditions très anciennes, puisque Justin et Tertullien font déjà mention d'Actes de Pilate au second siècle. Les recensions sont nombreuses, en syriaque, arménien, éthiopien, latin et grec. L'intention apologétique est évidente : Pilate devient le témoin privilégié de l'innocence et de la divinité de Jésus. Même rôle du côté juif chez Nicodème et Joseph d'Arimathie : tous les personnages de cet évangile finissent par se convertir. La seconde partie, de caractère apocalyptique, raconte par la plume de deux fils jumeaux de Syméon la descente de Jésus aux enfers. Elle comble la curiosité des chrétiens et développe la sobre évocation de 1 Pierre 3, 18 s. Cette partie, composée à la fin du IVe siècle, utilise une source du second siècle. Nous suivons pour la première partie, la recension grecque (A), plus ancienne. Pour la seconde, l'une des deux recensions latines (B) qui nous sont parvenues.
Mémoires de notre Seigneur Jésus-Christ rédigées sous Ponce Pilate
PROLOGUE
Je suis Ananias, garde du corps, de rang prétorien, et jurisconsulte. J'ai connu notre Seigneur Jésus-Christ par les divines Ecritures et je me suis converti. Et j'ai reçu l'honneur du saint baptême. Je me suis mis en quête des mémoires qui avaient été faits, à l'époque, sur notre Seigneur Jésus-Christ. Des Juifs les avaient consignes sous Ponce Pilate. J'ai donc retrouvé ces documents en langue hébraïque, et selon la volonté de Dieu je les ai traduits en grec, pour les diffuser parmi tous ceux qui invoquent le nom de notre Seigneur Jésus-Christ.
Sous notre empereur Flavius Théodose, an 17 de son règne et an 5 de celui de Flavius Valentin, en la neuvième indiction Vous qui lirez cet ouvrage ou en ferez des copies, ne m'oubliez pas et priez afin que Dieu ait pitié de moi et qu'il pardonne les péchés que j'ai commis devant sa face. Paix à ceux qui lisent, à ceux qui écoutent et à leurs familles, amen !
La quinzième année du règne de Tibère César, empereur des Romains, Hérode étant roi de Galilée depuis dix-huit ans ; et le huitième jour des calendes d'avril, soit le vingt-cinq mars, sous le consulat de Rufus et Rubellion ; en la quatrième année de la deux cent deuxième olympiade, Joseph Caïphe étant grand prêtre des Juifs, Nicodème rapporta tous les événements survenus après le crucifiement et la passion du Seigneur, et il les fit connaître aux grands prêtres et aux autres Juifs. Le même homme laissa un texte, écrit en hébreu.
PREMIERE PARTIE
Après s'être réunis en conseil, les grands prêtres et les scribes, Anne, Caïphe, Sémès, Datha, Gamaliel, Juda, Lévi, Nephtali, Alexandre, Jaïre et tous les autres Juifs se présentèrent devant Pilate, chargeant Jésus de nombreuses accusations : « Nous savons, disaient-ils, qu'il est le fils de Joseph le charpentier et qu'il est né de Marie. Or lui se prétend fils de Dieu et roi ! En outre, il viole le sabbat et veut détruire la loi de nos pères. » Pilate leur dit : « Qu'est-ce qu'il fait donc et que veut-il détruire ? » Les Juifs répondirent : « Notre loi nous défend de donner aucun soin durant le sabbat. Or lui, par de louches manipulations, a guéri ce jour-là, des boiteux, des bossus, des gens aux mains desséchées, des aveugles, des impotents, des sourds et des possédés ! » Pilate leur demanda : « Que voulez-vous dire, avec vos "louches manipulations" ? » Ils lui dirent : « C'est un magicien. Il chasse les démons par BeLzébuth leur chef et tous lui obéissent. » Pilate répliqua : « Un esprit impur ne peut pas chasser les démons ! Il y faut le Dieu Esculape ! » Les Juifs dirent à Pilate : « Nous demandons à ta Grandeur de le convoquer devant ton tribunal et de l'entendre. » Pilate les interpella : « Dites-moi comment je puis, moi simple procurateur, soumettre un roi à l'interrogatoire ? » Ils répliquèrent : « Nous ne lui avons pas donné ce titre ! C'est lui qui se proclame roi ! » Pilate appela un courrier et lui dit : « Amène-moi Jésus, mais traite-le respectueusement. » Le courrier sortit et quand il aperçut Jésus, il se prosterna devant lui. Puis, il prit la pièce de tissu qu'il tenait sur son bras, l'étendit à terre, et dit : « Seigneur, marche là-dessus et entre, car le gouverneur t'appelle. » Voyant ce qu'avait fait le courrier, les Juifs invectivèrent Pilate : « Pourquoi, disaient-ils, n'as-tu pas fait chercher Jésus par un héraut plutôt que par ce courrier ? Dès qu'il l'a vu il s'est jeté à ses pieds, il a déployé par terre l'enveloppe qui contient les faisceaux et il a fait marcher Jésus dessus, comme s'il était roi ! » Pilate fit approcher le courrier et lui dit : « Qu'as-tu fait là ? Pourquoi as-tu étendu cette enveloppe sur le sol et as-tu dit à Jésus de marcher dessus ? » Le courrier répondit : « Seigneur gouverneur, lorsque tu m'as envoyé à Jérusalem auprès d'Alexandre, j'ai vu cet homme assis sur un ânon, et les fils des Hébreux tenaient des branches dans leurs mains et ils l'acclamaient, tandis que d'autres étendaient leurs vêtements à terre en disant : Sauve-nous, toi qui es dans les hauteurs! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Les Juifs s'en prirent alors au courrier : « Les fils des Hébreux crient en hébreu ! D'où vient que tu répètes leurs clameurs en grec ? » Le courrier leur dit : « J'ai interrogé un des Juifs et lui ai demandé ce qu'ils criaient là. Et lui m'a traduit. » Et que criaient-ils en hébreu ? demanda Pilate. Les Juifs répondirent : « Hosannah, membronê, baruchama, adonai » Que signifient Hosannah et les autres mots ? demanda Pilate. Les Juifs lui dirent : « Sauve-nous, ô toi qui es si haut ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! » Pilate leur dit : « Si vous confirmez vous-mêmes les paroles prononcées par les fils des Hébreux, en quoi le courrier a-t-il mal agi ? » Ils gardèrent le silence. Le gouverneur dit alors au courrier : « Sors, et ramène-nous Jésus, en le traitant à ta guise. » Le courrier sortit et se montra aussi respectueux que la première fois ; et il dit à Jésus : « Seigneur, entre, le gouverneur te
demande. »
Jésus entra. Et les aigles que tenaient les porte-enseigne, fléchirent le col et adorèrent Jésus. En voyant que les aigles avaient bougé et qu'elles s'inclinaient en signe de respect devant Jésus, les Juifs injurièrent les porte-enseigne. Mais Pilate dit aux Juifs : « N'admirez-vous pas plutôt que ces aigles se soient penchées vers Jésus et l'aient adoré ? » Les Juifs répondirent à Pilate : « Nous avons vu les porte-enseigne leur tordre le col. Voilà comment ils adorent Jésus ! » Le gouverneur fit approcher les porte-enseigne « Pourquoi avez-vous fait cela ? » leur dit-il. Ils dirent à Pilate :
« Nous
sommes grecs, nous, et ne rendons de culte qu'à nos dieux. Qu'irions-nous adorer celui-ci ? Nous tenions nos aigles, quand spontanément, celles-ci ont ployé leur col et l'ont adoré ! » Pilate s'adressa aux chefs de la synagogue et aux Anciens du peuple : « Choisissez vous-mêmes des garçons forts et musclés. C'est eux qui porteront nos aigles : nous verrons si elles s'inclinent toujours seules. » Les Anciens des Juifs prirent douze hommes robustes et bien bâtis et leur firent porter les aigles en deux groupes de six. Et ils se tenaient debout devant la tribune du gouverneur. Et Pilate dit au courrier : « Fais sortir Jésus du prétoire et ramène-le, en le traitant comme tu l'entends. » Jésus et le courrier quittèrent la salle. Pilate appela les premiers porte-enseigne et les avertit : « Je vous le jure par la vie de César, si les aigles ne s'inclinent pas à l'entrée de Jésus, je vous ferai couper la tête. » Et pour la deuxième fois, le gouverneur ordonna de faire entrer Jésus. Le courrier gardait la même attitude, et il priait Jésus de marcher sur l'étoffe. Jésus s'exécuta et entra. A peine le seuil franchi, les aigles à nouveau s'inclinèrent devant Jésus et le saluèrent !
Ce spectacle remplit Pilate de crainte. Il voulut descendre de sa tribune. A peine en avait-il esquissé le mouvement, qu'un message lui parvint de sa femme, disant : « Qu'il n'y ait rien entre toi et ce juste. Car j'ai beaucoup souffert cette nuit à cause de lui. » Pilate alors s'adressa à tous les Juifs et leur dit : «Vous connaissez la piété de ma femme et savez qu'elle n'est pas loin de partager votre religion » Ils lui dirent : « Oui, nous le savons. » Pilate reprit : « Eh bien, ma femme m'envoie un message : Qu'il n'y ait rien entre toi et ce juste. Car cette nuit, j'ai beaucoup souffert à cause de lui. » Les Juifs répondirent à Pilate : « Ne t'avons-nous pas prévenu ? C'est un magicien, il a envoyé un songe à ta femme ! » Pilate se tourna vers Jésus et lui dit : « Pourquoi ces gens portent-ils témoignage contre toi ? Tu ne dis rien...? » Jésus répondit : « S'ils n'avaient pas de puissance, ils ne parleraient pas. Mais chacun a le pouvoir de sa bouche, libre il est de dire le bien ou le mal. C'est à eux de voir ! » Les Anciens des Juifs répliquèrent à Jésus : « Et que verrons-nous ? D'abord que tu es né de relations coupables. Puis, que ta naissance à Bethléem a provoqué un massacre d'enfants. Enfin, que ton père Joseph et Marie ta mère ont dû fuir en Egypte, tant ils étaient gênés devant le peuple. » Quelques-uns de ces Juifs, plus délicats, protestèrent : « A notre avis, sa naissance n'est pas irrégulière ! Nous savons que Joseph a épousé Marie. Jésus est né comme il faut ! » A ceux qui affirmaient le contraire, Pilate dit : « Vous ne dites pas la vérité ! Ses parents se sont mariés. Vos compatriotes en font foi. » Anne et Caïphe dirent à Pilate : « Nous avons beau tous déclarer à la fois qu'il n'est pas de naissance honnête, on ne nous croit pas. Ces gens-là sont des prosélytes ou de ses disciples. » Pilate se tourna vers Anne et Caïphe
« Que
sont des prosélytes ? demanda-t-il. - Ce sont, répondirent-ils, des gens d'origine grecque, maintenant convertis au judaïsme. » Les partisans de la naissance légitime, Lazare, Asténus, Antonius, Jacques, Amnès, Zénas, Samuel, Isaac, Phénéès, Crispos, Agrippa et Juda s'écrièrent : « Nous n'avons rien de prosélytes ! Nous sommes des fils de Juifs et nous déclarons simplement la vérité, ayant assisté au mariage de Joseph et Marie ! » Pilate s'adressa aux douze qui affirmaient l'honnêteté de la naissance. « Jurez-moi sur la tête de César, leur dit-il, que vous m'avez bien dit la vérité : Jésus n'est donc pas né hors mariage ? » Ils répondirent à Pilate : « Notre Loi nous défend de jurer. Car c'est un péché. Mais eux, qu'ils jurent sur la tête de César que nous n'avons pas dit la vérité et nous aurons mérité la mort. » Pilate dit à Anne et Caïphe : « Ne répondez-vous rien à cela ? » Anne et Caïphe dirent à Pilate : « Ces douze hommes qui soutiennent qu'il n'est pas né d'un adultère, on les croit ! Or nous sommes unanimes : Jésus est l'enfant de la débauche, il est magicien et se vante d'être le Fils de Dieu ! » Pilate fit évacuer la salle, ne gardant que les douze hommes qui professaient la régularité de cette naissance, et il fit éloigner d'eux Jésus. Puis il leur demanda : « Pour quelle raison veulent-ils le tuer ? » Ils répondirent à Pilate :
« Cela
les enrage qu'il guérisse en plein sabbat ! » Pilate dit : « C'est donc sa charité qui leur donne des idées de meurtre ? »
Indigné, Pilate sortit du prétoire et leur dit : « Le soleil m'en est témoin, je ne trouve rien dont on puisse accuser cet homme. » Les Juifs répondirent au gouverneur : « S'il n'était pas un scélérat, nous ne te l'aurions pas livré. » Pilate leur dit : « Prenez-le donc, et jugez-le selon votre loi. » Les Juifs répondirent : « Nous n'avons pas le droit de mettre quelqu'un à mort. » - A vous, Dieu interdit de tuer ? Mais à moi ? répliqua Pilate. Alors il rentra dans le prétoire. Il appela Jésus à part « C'est toi, le roi des Juifs ? » demanda-t-il. Jésus répondit à Pilate : « Dis-tu cela de toi-même ou d'autres t'ont-ils parlé de moi ? » Pilate répondit à Jésus : « Suis-je juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t'ont remis entre mes mains. Qu'as-tu fait ? » Jésus répondit : « Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n'est pas d'ici. » - Tu es donc roi ? demanda Pilate. Jésus lui répondit : - Tu le dis. Je suis roi. Et je ne suis né et je ne suis venu dans le monde que pour faire entendre ma voix à quiconque est de la vérité. - Qu'est-ce que la vérité ? lui dit Pilate. - La vérité est du ciel, répondit Jésus. Pilate reprit « Et sur terre, il n'y a pas de vérité ? » Jésus dit à Pilate « Tu vois comment les maîtres du pouvoir sur terre jugent ceux qui disent la vérité ! »
Laissant Jésus à l'intérieur du prétoire, Pilate alla rejoindre les Juifs et leur dit : « Pour moi, je ne trouve aucun motif de condamnation. » Les Juifs lui disent « Cet homme a déclaré : Je peux détruire ce temple et le rebâtir en trois jours. » - Quel temple ? demanda Pilate. Les Juifs répondent : « Celui que Salomon mit quarante-six ans à bâtir, lui prétend le démolir et le reconstruire en trois jours. Pilate leur dit : « Je suis pur du sang de ce juste. A vous de voir ! » Les Juifs disent : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » Pilate fit approcher les Anciens, les prêtres et les lévites et il leur dit à voix basse : « Ne faites pas cela. Aucun de vos griefs ne justifie la mort. Vous ne l'accusez que d'opérer des guérisons et de transgresser le sabbat ! » Anciens, prêtres et lévites dirent à Pilate : « Si quelqu'un blasphème contre César, est-il passible de la peine de mort ? » - « Oui, répondit Pilate, il l'est. » Les Juifs reprirent : « Soit, celui qui blasphème contre César mérite de mourir, mais lui a blasphémé contre Dieu ! » Le gouverneur fit sortir les Juifs du prétoire et ayant appelé Jésus, il dit : « Que ferai-je de toi ? » Jésus dit à Pilate : « Fais selon ce que tu as reçu. » Pilate demanda : « Et qu'ai-je reçu ? » Jésus dit : « Moïse et les prophètes ont annoncé ma mort et ma résurrection. » Les Juifs et ceux qui écoutaient demandèrent à Pilate « Que peux-tu entendre de plus fort que ce
blasphème ? »
Pilate dit aux Juifs : « Si sa réponse est un blasphème, prenez-le, vous, pour ce blasphème, emmenez-le dans votre synagogue, et jugez-le selon votre loi. » Les Juifs disent à Pilate : « Notre loi nous prescrit ceci : si un homme offense un homme, il recevra quarante coups de fouet moins un. S'il blasphème contre Dieu, il sera
lapidé. »
Pilate leur dit : « Prenez-le donc, et châtiez-le à votre idée. » Les Juifs répondirent à Pilate : « Nous voulons qu'il soit crucifié ! » Pilate répliqua : « Il ne mérite pas la crucifixion. » Le gouverneur ayant alors jeté les yeux sur la foule des Juifs, en vit beaucoup en larmes, et il dit : « Ils ne veulent donc pas tous qu'il périsse ? » Les Anciens des Juifs lui dirent : « Si, nous sommes venus tous ensemble exiger sa mort. » Pilate leur répondit : « Pourquoi doit-il mourir ? » Et les Juifs : « Parce qu'il se prétend fils de Dieu et roi ! »
Nicodème, un Juif, se tenait devant le gouverneur, et il dit : « S'il te plaît, homme plein de piété, permets-moi de dire quelques mots. » - Parle, dit Pilate. Et Nicodème : - J'ai dit aux Anciens, aux prêtres, aux lévites et à tout le peuple des Juifs dans la synagogue : « Pourquoi en voulez-vous à cet homme ? Il accomplit beaucoup de signes étonnants, que nul autre n'a fait ni ne fera. Laissez-le aller, et renoncez à lui faire du mal. Si les prodiges qu'il accomplit viennent de Dieu, ils demeureront. S'ils viennent des hommes, ils seront détruits ! » Car Moïse envoyé par Dieu en Egypte fit devant Pharaon, le roi de ce pays, les nombreux miracles que Dieu lui indiqua. Or il y avait là deux serviteurs de Pharaon, Jamnès et Jambrès et eux aussi accomplissaient des prodiges en grand nombre, comme Moïse, et les Egyptiens vénéraient à l'égal des dieux ce Jamnès et ce Jambrès! Mais leurs signes n'étaient pas de Dieu, et ils périrent, eux et leurs fidèles. Allons ! Libérez cet homme, il ne mérite pas la mort ! » Les Juifs dirent à Nicodème : « Toi, tu es devenu son disciple et tu as du parti pris ! » Nicodème répliqua : « Et le gouverneur, lui, est-il son disciple, pour le défendre ainsi ? Ne tient-il pas de César la charge qu'il exerce ? » Les Juifs frémissaient et ils grinçaient des dents contre Nicodème. Pilate leur dit : « Pourquoi grincez-vous des dents contre lui ? Est-ce d'entendre la vérité ? » Les Juifs dirent à Nicodème : « Prends-la, sa vérité, et partage son sort ! - Amen, amen, répondit Nicodème, que je les prenne, comme vous l'avez dit ! »
Un des Juifs s'élança et demanda la parole au gouverneur : « Si tu veux parler, parle », répondit celui-ci. Et le Juif : « Moi, dit-il, je suis resté couché trente-huit ans, perclus de douleur. Jésus vint. Beaucoup de démoniaques et d'autres, atteints de maux divers étaient guéris par lui. Quelques jeunes gens eurent pitié de moi, ils me transportèrent avec mon lit et me posèrent devant lui. En me voyant, Jésus fut ému de compassion et il me dit :
« Prends
ton grabat et marche ! Et je pris mon grabat et je marchai ! » Les Juifs disent à Pilate : « Demande-lui quel jour il fut guéri. » Le miraculé répondit : « C'était au sabbat. » Les Juifs s'exclamèrent : « Ne t'avions-nous pas averti qu'il guérit et chasse les démons en plein sabbat ? » Un autre Juif bondit : « Moi, dit-il, j'étais aveugle de naissance; j'entendais les voix mais je ne voyais pas les visages. Quand Jésus passa près de moi, je criai à pleine gorge : Aie pitié de moi, fils de David ! Et il eut pitié, et il posa ses mains sur mes yeux. A l'instant, je recouvrai la vue.» Un autre Juif accourut et dit : « J'étais bossu, et d'un mot, il m'a redressé ! » Un autre s'écria : « J'étais lépreux et d'un mot, il m'a purifié. »
Une femme, du nom de Bérénice, lui cria de loin : « J'avais une perte de sang, et j'ai touché la frange de son manteau et mon flux s'est tari, qui durait depuis douze ans ! » Les Juifs dirent : «Notre loi n'admet pas le témoignage d'une femme. »
Et une foule d'autres gens, hommes ou femmes, s'exclamait : « Cet homme est un prophète, et les démons lui sont soumis ! » A ceux qui disaient que les démons lui étaient soumis, Pilate dit : « Pourquoi vos docteurs ne lui obéissent-ils pas aussi ? » Ils dirent à Pilate : « Nous ne savons pas. » D'autres racontèrent qu'il avait relevé du tombeau Lazare, mort depuis quatre jours. Le gouverneur frissonna et dit à la multitude des Juifs : « Pourquoi voulez-vous répandre un sang innocent ? »
Il fit venir près de lui Nicodème et les douze hommes qui avaient affirmé l'honnêteté de sa naissance « Que dois-je faire ? leur dit-il, voilà que le peuple commence à s'agiter. » Ils lui dirent : « Nous ne savons pas, c'est à eux de voir. » A nouveau, Pilate interpella tout le peuple des Juifs : « Vous savez, dit-il, que c'est chez vous une coutume, à la fête des Azymes, que je vous relâche un prisonnier. J'ai sous les verrous un condamné du nom de Barabbas, et j'ai aussi celui qui vient de comparaître devant vous, ce Jésus en qui je ne trouve aucun motif de condamnation. Lequel voulez-vous que je relâche ? - Barabbas, hurlèrent-ils. Pilate leur dit : Que ferai-je donc de Jésus, celui que l'on appelle le Christ ? - Crucifie-le ! répondirent-ils. Certains des Juifs ajoutèrent : « Tu n'es pas l'ami de César si tu le relâches. Il s'est dit fils de Dieu et roi. C'est donc ce roi-là que tu veux, et pas César ? » Excédé, Pilate dit aux Juifs : « Peuple toujours rebelle, vous vous dressez même contre vos bienfaiteurs ! » Les Juifs rétorquèrent : « Et qui sont nos bienfaiteurs ? » Pilate dit : « Votre Dieu vous a fait sortir d'Egypte et de votre cruelle servitude, et il vous a protégés sur la mer, asséchée sous vos pas, et dans le désert il vous a nourris par la manne et les cailles, et de l'eau d'un rocher il vous a désaltérés, et il vous a donné la Loi ! Et après tous ces bienfaits, vous avez allumé sa colère et vous vous êtes épris d'un veau coulé dans le métal et vous avez tellement exaspéré votre Dieu qu'il a résolu de vous faire périr ! Moïse a intercédé pour vous et vous n'êtes pas morts. Et vous venez maintenant me reprocher de haïr mon empereur ! » Il se leva de son siège et il se dirigeait vers la sortie. Les Juifs s'écrièrent : « Nous reconnaissons pour roi César, pas Jésus ! Or les mages lui ont apporté d'Orient des cadeaux comme à un souverain. Et quand Hérode eut appris par ces mages qu'un roi était né, il voulut le faire périr. Joseph son père l'ayant su, prit l'enfant et sa mère, et ils s'enfuirent en Egypte. A cette nouvelle, Hérode ordonna le massacre des enfants hébreux nés à Bethléem. » Ces discours alarmèrent Pilate. Il imposa silence aux foules bruyantes et leur dit : « C'est donc cet homme que recherchait Hérode ? - Oui, répondirent les Juifs, c'est lui ! » Alors Pilate prit de l'eau et se lava les mains, face au soleil, disant : « Je suis pur du sang de ce juste ! A vous de voir ! » A nouveau les clameurs fusèrent parmi les Juifs : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » Pilate fit tirer le rideau de la tribune où il siégeait, et il dit à Jésus : « Ta nation a démenti que tu fusses roi. Voici ma sentence : tu seras d'abord flagellé selon la coutume de nos pieux empereurs, ensuite cloué en croix, dans le jardin où l'on t'a arrêté. Deux malfaiteurs, Dysmas et Gestas, seront crucifiés avec toi. »
Jésus sortit du prétoire accompagné des deux larrons. Lorsqu'ils furent sur place, on le dépouilla de ses vêtements, on le ceignit d'un linge et on lui posa une couronne d'épines sur la tête. Et l'on crucifia avec lui les deux larrons. Jésus disait : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. » Puis les soldats se partagèrent ses vêtements et le peuple se tenait là, regardant. Les grands prêtres et avec eux les chefs le narguaient, disant : « Il en a sauvé d'autres. Qu'il se sauve lui-même ! S'il est le fils de Dieu, qu'il descende de la croix ! » Et les soldats aussi le bafouaient ; ils s'approchaient de lui, lui présentaient du vin aigre mêlé de fiel et disaient : « Tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même. » Après la sentence, ordre avait été donné de porter sur un écriteau en lettres grecques, romaines et hébraïques le motif de sa condamnation, tel que les Juifs l'avaient énoncé : « Celui-ci est le roi des Juifs. » Un des malfaiteurs suspendus à la croix lui disait : « Si tu es le Christ, sauve-toi toi-même, et nous aussi. » Mais Dysmas prit la parole et le réprimanda : « N'as-tu pas crainte de Dieu, toi qui subis la même peine ? Pour nous, c'est justice. Nous payons nos actes ; mais lui n'a rien fait de mal. » Et il disait : « Seigneur, souviens-toi de moi dans ton royaume. » Et Jésus lui répondit : « En vérité, en vérité, je te le dis, dès aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis. »
C'était environ la sixième heure et l'obscurité se fit sur la terre jusqu'à la neuvième heure, le soleil s'étant éclipsé. Et le voile du temple se déchira par le milieu. D'une voix forte, Jésus s'écria : « Père, Baddoch efkid ruel », ce qui signifie : « Entre tes mains je remets mon esprit. » Il dit, et il expira. A la vue de ce qui était arrivé, le centurion glorifia Dieu, disant : « Cet homme était un juste ! » Et les foules qui étaient accourues pour assister au spectacle, s'en retournaient en se frappant la poitrine. Le centurion rapporta les événements au gouverneur. Alors Pilate et sa femme entrèrent dans une profonde affliction et ce jour-là ils ne touchèrent plus ni mets ni boisson. Pilate, ayant convoqué les Juifs, leur dit : « Avez-vous vu ce qui est arrivé ? » Ils répondirent : « Il y a eu une éclipse de soleil. Nous en avons l'habitude. Ses amis se tenaient à distance, ainsi que les femmes qui l'avaient accompagné depuis la Galilée et qui voyaient cela. Survint un homme, appelé Joseph, membre du Conseil, il était d'Arimathie et il avait foi dans le Royaume de Dieu. Il s'approcha de Pilate et lui demanda le corps de Jésus. Puis il le descendit de la croix, le roula dans un linceul tout blanc, et le plaça dans une tombe taillée dans le roc, où personne encore n'avait été mis.
Quand ils surent que Joseph avait demandé le corps de Jésus, les Juifs le cherchèrent, lui et les douze hommes qui avaient soutenu que Jésus était né régulièrement; ils cherchaient aussi Nicodème et bien d'autres encore, qui étaient accourus devant Pilate pour lui faire connaître les bienfaits de Jésus. Tous s'étaient cachés. Seul Nicodème parut devant les Juifs, parce qu'il était l'un des principaux d'entre eux. Et il leur demanda : « Comment êtes-vous entrés dans la synagogue ? » Et les Juifs répondirent : « Et toi, comment y es-tu entré ? Tu es son complice, partage donc le même sort que lui dans le siècle futur ! » Nicodème répondit :
« Ame
n, amen ! » A son tour, Joseph sortit et leur dit : « Pourquoi vous êtes-vous irrités de ce que je demande le corps de Jésus ? Voici, je l'ai placé dans mon tombeau neuf, après l'avoir enveloppé d'un linceul tout blanc, et j'ai roulé la pierre devant la porte du caveau. Mais vous, vous avez mal agi envers ce juste, que vous avez crucifié sans remords et que vous avez même transpercé d'un coup de lance. » Les Juifs empoignèrent Joseph et décidèrent de le faire garder jusqu'au lendemain du sabbat. « Sache bien, lui dirent-ils, que seule, l'heure nous empêche de te châtier, puisque le sabbat commence. Mais sache-le aussi, tu ne mérites pas même une sépulture. Nous jetterons ta chair aux oiseaux du ciel. » Joseph riposta : « Vous parlez avec l'arrogance de Goliath, qui insulta le Dieu vivant et le saint David ! Or Dieu répondit par le prophète : A moi la vengeance ! C'est moi qui rétribuerai, dit le Seigneur. Et aujourd'hui l'incirconcis selon la chair, mais circoncis par le coeur, a pris de l'eau et s'est lavé les mains, à la face du soleil, disant : Je suis pur du sang de ce juste ! A vous de voir ! Et vous avez dit à Pilate : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! En vérité, je crains que la colère du Seigneur déjà ne s'abatte sur vous et sur vos enfants, comme vous l'avez dit. » Ces mots exaspérèrent les Juifs. Ils se saisirent de Joseph et l'enfermèrent dans une maison sans fenêtre, postèrent des gardes à l'entrée et scellèrent la porte derrière laquelle Joseph était captif. Au sabbat, chefs de la synagogue, prêtres et lévites convinrent de se réunir à la synagogue le jour suivant. Les délibérations commencèrent tôt : quelle mort infligerait-on à Joseph ? Ils décidèrent de le faire comparaître séance tenante. Mais quand ils ouvrirent sa porte, ils ne le trouvèrent pas à l'intérieur. Le peuple entier fut stupéfait et même saisi de terreur quand il s'aperçut que les sceaux étaient intacts et que Caïphe avait gardé la clef. Et ils n'osèrent plus lever la main sur ceux qui devant Pilate avaient pris la défense de Jésus.
Ils siégeaient encore dans la synagogue, mal remis de leur étonnement, quand arrivèrent quelques membres de la garde que les Juifs avaient demandée à Pilate, et qu'ils avaient chargée de surveiller le tombeau de Jésus et d'empêcher ses disciples de venir le prendre. Ils racontèrent les événements aux chefs de la synagogue, aux prêtres et aux lévites : « Il s'est fait un grand tremblement, et nous avons vu un ange descendre du ciel, et il a roulé la pierre qui fermait le caveau et s'est assis dessus. Il étincelait comme la neige et comme l'éclair. En proie à une grande frayeur, nous tombâmes, à moitié morts. Et nous entendîmes la voix de l'ange : il parlait aux femmes debout près du sépulcre : soyez sans crainte, vous ! Je sais que vous cherchez Jésus, le crucifié. Il n'est pas ici. Il est ressuscité selon ce qu'il avait dit ! Venez et regardez l'endroit où avait été déposé le Seigneur. Et vite allez dire à ses disciples qu'il s'est relevé d'entre les morts et qu'il est en Galilée. » Les Juifs dirent : « Qui étaient ces femmes à qui il parlait ? - Nous ignorons qui elles étaient », répondirent les gardes. Les Juifs : « Quelle heure était-il ? » Les gardes : « Minuit. » Les Juifs : « Et pourquoi ne les avez-vous pas arrêtées ? » Les gardes : « Nous étions morts de peur, et désespérions de jamais revoir la lumière du jour. Comment aurions-nous pu les arrêter ? » Les Juifs : « Aussi vrai que vit le Seigneur, nous ne vous croyons pas. » Les gardes dirent aux Juifs : « Vous avez rencontré en cet homme des signes aussi grands et ne l'avez pas cru. Pourquoi croiriez-vous des gens comme nous ? Mais vous avez bien fait de jurer par la vie du Seigneur, car il est vivant ! » Les gardes reprirent : « Il paraît que vous avez enfermé l'homme qui avait réclamé le corps de Jésus ; que vous avez scellé sa porte, mais quand vous l'avez ouverte, vous ne l'avez pas trouvé. Donnez-nous donc Joseph, et nous vous donnerons Jésus ! » Les Juifs répondirent « Joseph est rentré chez lui. » Les gardes répliquèrent : « Et Jésus est ressuscité, c'est l'ange qui nous l'a dit. Il se trouve en Galilée. » Ces propos inquiétaient les Juifs. Ils dirent : « Il ne faut pas que cette nouvelle s'ébruite et que tous se convertissent à Jésus. » Et après avoir délibéré, ils se cotisèrent et remirent un bon pécule aux soldats avec cette consigne : « Dites que la nuit, pendant que vous dormiez, ses disciples sont venus et l'ont dérobé. Si l'affaire parvient aux oreilles du gouverneur, nous nous chargeons de l'amadouer et nous vous épargnerons les ennuis. » Les soldats empochèrent l'argent et firent comme on leur avait dit.
Phinéès, un prêtre, Adas, un docteur et Aggée, un lévite, s'étant rendus de Galilée à Jérusalem firent ce récit aux chefs de la synagogue, aux prêtres et aux lévites : « Nous avons vu Jésus et ses disciples, assis sur la montagne appelée Milkom, et il disait à ses disciples Allez par le monde entier, proclamez à toute la création : celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné. Et voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru ; par mon nom ils chasseront les démons, ils parIeront en langues nouvelles ; ils prendront des serpents, et s'ils boivent quelque poison mortel, ils n'en éprouveront aucun mal ; ils imposeront les mains aux malades et ceux-ci seront guéris. Jésus parlait encore à ses disciples, quand nous le vîmes enlevé au ciel. » Anciens, prêtres et lévites dirent : « Rendez gloire au Dieu d'Israël et confessez son nom, si vraiment vous avez entendu et vu ce que vous racontez là ! » Les narrateurs se récrièrent : « Aussi vrai que vit le Seigneur et le Dieu de nos pères, Abraham, Isaac et Jacob, nous avons bien entendu son discours et nous l'avons vu s'élever dans le ciel. » Anciens, prêtres et lévites reprirent : « Mais pourquoi êtes-vous venus ? Pour nous annoncer cette nouvelle ou pour vous acquitter d'un voeu fait à Dieu ? - Pour nous acquitter d'un voeu », répondirent-ils. Anciens, prêtres et lévites déclarèrent alors : « Si vous êtes venus vous acquitter d'un voeu, à quoi bon avoir débité vos niaiseries devant tout le peuple ? » Phinéès le prêtre, Adas le docteur et Aggée le lévite dirent aux chefs de la synagogue, aux prêtres et aux lévites :
« Si le
s paroles que nous avons dites et dont nous témoignons constituent un péché, eh bien, nous sommes ici devant vous. Faites de nous ce que bon vous semble. » Ils prirent la loi et les firent jurer de ne répéter à personne ce qu'ils avaient dit. Puis, ils leur donnèrent à manger et à boire et les chassèrent de la ville, en leur donnant de l'argent et trois hommes pour les raccompagner jusqu'en Galilée. Et ils rentrèrent sans incident. Pendant que ces hommes regagnaient la Galilée, les grands prêtres, les chefs de la synagogue et les Anciens se réunirent dans la synagogue. Ils fermèrent la porte et donnèrent libre cours à leurs lamentations. » Quel est ce signe qui surgit à Jérusalem ? » gémissaient-ils. Anne et Caïphe leur dirent : « Qu'avez-vous à trépigner et à pleurer ? Ne savez-vous pas que les disciples leur ont donné de l'or avec mission de dire qu'un ange du Seigneur était descendu et avait roulé la pierre à l'entrée du tombeau ? » Mais les prêtres et les Anciens rétorquèrent :
« Passe
encore que les disciples aient dérobé son corps. Mais comment son âme a-t-elle rejoint ce corps et se trouve-t-elle en Galilée ? » Nul ne put expliquer ce mystère. Ils finirent par bredouiller : « Nous ne devons pas nous fier à des incirconcis. »
Nicodème se leva, et debout devant le Conseil, il dit : « Vous parlez fort bien ! Mais, l'ignorez-vous donc, peuple du Seigneur ? les gens qui sont descendus de Galilée craignent Dieu ; ils ont assez de bien et sont parfaitement désintéressés. Ce ne sont pas des fanatiques. Ils vous ont affirmé sous serment qu'ils avaient vu Jésus sur le mont Milkom avec ses disciples, auxquels il enseignait tout ce que vous avez entendu là, puis ils l'ont vu enlevé au ciel. Mais nous avons omis de leur demander de quelle façon il avait été enlevé. Les Saintes Ecrijtures nous ont appris qu'Elie aussi fut enlevé au ciel. Elisée l'appela d'une voix forte et Elie lui lança son manteau. Elisée jeta ce manteau dans le Jourdain, et il le traversa et gagna Jéricho. Et les fils des prophètes vinrent au-devant de lui et lui dirent : " Elisée, où est ton seigneur Elie ?" Il dit qu'il avait été enlevé au ciel. Et ils dirent à Élisée : "l'Esprit ne l'a-t-il pas plutôt emporté sur l'une des montagnes ? prenons nos serviteurs et partons à sa recherche." Elisée consentit et les accompagna. Ils le cherchèrent en vain pendant trois jours et admirent l'idée de son enlèvement. « Et maintenant, écoutez-moi : envoyons des hommes par tout le territoire d'Israël et voyons si par hasard le Christ n'aurait pas été enlevé par un esprit et déposé sur l'une des montagnes. » Cette idée convint à tous. Ils dépêchèrent des éclaireurs dans tout le pays d'Israël et ils cherchèrent Jésus, mais sans succès. A Arimathie, ils trouvèrent Joseph ; personne n'osa l'arrêter. Ils firent prévenir les Anciens, les prêtres et les lévites : « Nous avons parcouru Israël en tout sens : pas de Jésus ! Mais nous avons trouvé Joseph à Arimathie. » Les chefs de la synagogue, les prêtres et les lévites furent heureux d'avoir des nouvelles de Joseph. Ils rendirent grâces au Dieu d'Israël et tinrent conseil pour savoir de quelle manière ils le rencontreraient. Puis ils prirent une feuille de papier et écrivirent ces mots à Joseph : « Paix à toi ! Nous avons conscience d'avoir péché contre Dieu et contre toi. Mais nous demandons à Dieu de te faire revenir auprès de tes pères et de tes enfants. Car nous nous sommes morfondus de ne pas te trouver en ouvrant ta porte. Nous le confessons, nous étions pleins de méchantes pensées à ton égard. Mais le Seigneur t'a pris sous sa garde et il a déjoué le complot que nous montions contre toi, vénéré père Joseph ! » Ils choisirent parmi tout Israël sept hommes, amis de Joseph et bien connus de lui. Les chefs de la synagogue, les prêtres et les lévites leur dirent : « Attention ! S'il prend et lit notre lettre, cela indique qu'il reviendra chez nous en votre compagnie. Mais s'il refuse de la lire, entendez qu'il est mal disposé envers nous. Donnez-lui le baiser de paix et revenez. » Ils bénirent les voyageurs et les laissèrent aller. Ceux-ci s'en furent trouver Joseph. Ils se rosternèrent devant lui et dirent : « Paix à toi ! - Paix à vous et à tout le peuple d'Israël ! » répondit-il. Ils lui remirent la lettre. Joseph la prit, la lut, la baisa et rendit grâces à Dieu en ces termes : « Béni soit le Seigneur Dieu, qui a épargné à Israël de verser un sang innocent ! Béni soit le Seigneur qui a envoyé son ange, pour me couvrir de ses ailes ! » Puis il leur dressa une table. Ils mangèrent, burent et dormirent chez lui. A l'aube ils se levèrent et prièrent. Puis Joseph sella son ânesse et partit avec ces hommes. Ils arrivèrent à la ville sainte de Jérusalem et tout le peuple accourut au-devant de Joseph en criant : « Paix à toi ! Sois le
bienvenu ! »
Et il répondit à tout le peuple : « Paix à vous ! » Tous l'embrassèrent et prièrent à ses côtés. Sa vue les remplissait de joie. Nicodème le reçut chez lui et donna un grand festin où il invita Anne, Caïphe, les Anciens, les prêtres et les lévites, tout heureux de manger et boire en sa compagnie. Puis on chanta des hymnes et chacun rentra chez soi Joseph demeura chez Nicodème. Le lendemain, qui était un vendredi, chefs de la synagogue, prêtres et lévites se rendirent en hâte chez Nicodème. Celui-ci sortit à leur rencontre et leur dit : « Paix à vous ! » Ils firent écho : « Paix à toi et à Joseph, à toute ta maison et à la sienne ! » Il les fit entrer. Tout le Conseil prit place et Joseph vint s'asseoir entre Anne et Caïphe. Mais nul n'osait lui adresser la parole. Alors Joseph dit : « Pourquoi m'avez-vous convoqué ? » Ils firent signe à Nicodème de lui répondre. Celui-ci ouvrit la bouche et dit à Joseph : « Eh bien, les vénérables docteurs, les prêtres et les lévites aimeraient entendre de toi une parole. - Dites-moi donc laquelle », dit Joseph. Anne et Caïphe prirent le livre de la loi et adjurèrent Joseph en ces termes : « Glorifie le Dieu d'Israël et confesse son nom ! Adjuré par le prophète Josué, Achar ne faillit pas à ses serments, mais il lui révéla l'entière vérité, sans en omettre un mot. Toi non plus, ne nous cache rien. » Joseph répondit : « Je ne vous cacherai rien. » Ils lui dirent : « Nous étions très fâchés que tu aies demandé le corps de Jésus, que tu l'aies roulé dans un linceul tout blanc et déposé dans le tombeau. C'est pour cela que nous t'avons enfermé dans une maison sans fenêtre, que nous avons muni l'entrée de clés et de cachets, tandis que des gardes surveillaient ta captivité. Mais le lendemain, quand nous ouvrîmes la porte, tu avais disparu. Cela nous plongea dans de cruelles alarmes et jusqu'à hier, le peuple du Seigneur était tout désemparé. A présent donc, raconte-nous ce qui s'est passé. » Joseph prit la parole : « Vous m'avez enfermé le vendredi, vers la dixième heure, et je suis resté là tout le sabbat. Mais à minuit, tandis que j'étais debout à prier, la maison où vous m'aviez enfermé se souleva par les quatre coins et une sorte d'éclair vint éblouir mes yeux. Epouvanté, je tombai à terre. Alors quelqu'un me prit par la main et m'enleva de l'endroit où je gisais, et une eau fraîche coula sur moi de la tête aux pieds, tandis que des effluves de myrrhe emplissaient mes narines. Il m'essuya le visage, m'embrassa et me dit : « Ne crains pas, Joseph. Ouvre tes yeux et regarde quel est celui qui te parle. » Levant mon regard, je vis Jésus. Mes frayeurs redoublèrent. Je pensai que c'était un fantôme et je me mis à réciter les commandements. Mais il les récita avec moi. Or vous ne l'ignorez pas, quand un fantôme entend réciter près de lui les commandements, il prend la fuite. Voyant qu'il les disait avec moi, je m'écriai : « Rabbi Élie! » Il me dit : « Je ne suis pas Elie. - Qui es-tu, Seigneur, lui dis-je. Et il me dit : - Je suis Jésus. Tu as demandé mon corps à Pilate, puis tu m'as enveloppé dans un pur linceul et tu as couvert mon visage d'un suaire, puis tu m'as déposé dans ton caveau neuf et tu as roulé une grande pierre à l'entrée de la tombe. » Et je dis à celui qui me parlait : « Viens me montrer l'endroit où je t'ai placé. » Il me conduisit à cet endroit et me le montra. Le linceul y traînait encore, et le suaire qui avait couvert son visage. Alors j'eus la preuve qu'il était Jésus. Il me prit par la main et toutes portes closes, me transporta au milieu de ma demeure. Il me conduisit auprès de mon lit et me dit : « Paix à toi ! » Il m'embrassa encore et ajouta : « Tu ne sortiras pas de chez toi avant quarante jours. Car voici, je vais rejoindre mes frères, en Galilée. »
En écoutant le récit de Joseph, les chefs de la synagogue, les prêtres et les lévites défaillirent et restèrent prostrés à terre. Ils ne touchèrent plus à la nourriture jusqu'à la neuvième heure. C'est alors que Nicodème qui était aux côtés de Joseph, interpella Anne et Caïphe, les prêtres et les lévites : « Debout ! Remettez-vous sur vos pieds, et prenez courage : demain est le sabbat du Seigneur. » Ils se relevèrent et après avoir invoqué Dieu, ils mangèrent et burent, puis chacun s'en retourna chez soi. Le jour du sabbat, nos docteurs siégèrent, ainsi que prêtres et lévites. Ils discutaient entre eux, disant : « Quelle est cette colère qui s'est abattue sur nous ? Nous Connaissons pourtant son père et sa mère. » Lévi un docteur, déclara : « J'ai connu ses parents : ils craignaient Dieu et ne négligeaient pas la prière. Trois fois l'an, ils versaient la dîme. Lorsque Jésus naquit, ils l'emmenèrent en ce lieu-ci et offrirent à Dieu sacrifices et holocaustes. Et le grand docteur Syméon le prit dans ses bras et dit : « Maintenant tu peux laisser aller en paix ton serviteur, ô Maître, comme tu l'as promis. Car mes yeux ont vu ton salut, préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël. » Puis Syméon les bénit et dit à Marie sa mère : « J'ai à t'annoncer une grande nouvelle au sujet de cet enfant. » Marie demanda : « Est-ce une bonne nouvelle, mon Seigneur ? » Syméon lui répondit : « C'est une bonne nouvelle. Voici, cet enfant est là pour la chute et le relèvement de beaucoup en Israël, et pour être un signe en butte à la contradiction. Et toi-même, une épée te transpercera l'âme, afin que de bien des coeurs soient révélées les pensées ! » Ils dirent à Lévi, le docteur : « Comment sais-tu cela ? » Lévi répondit : « Ignorez-vous que c'est auprès de Syméon que j'ai étudié la Loi ? » Le Conseil lui dit : « Nous voulons voir ton père. » Et ils l'envoyèrent chercher. Puis ils l'interrogèrent, et celui-ci leur dit : « Pourquoi n'avez-vous pas cru mon fils ? Le bienheureux et juste Syméon lui a bien enseigné la Loi. » Le Conseil demanda : « Rabbi Lévi, c'est donc la vérité que tu as dite ? » Il répondit : « C'est la vérité. » Les chefs de la synagogue, les prêtres et lévites dirent entre eux : « Eh bien, envoyons chercher en Galilée les trois hommes qui étaient venus nous informer de son enseignement et de son assomption. Il faut qu'ils nous expliquent ce qu'ils ont vu de cet enlèvement. » Cette suggestion convint à tous. Ils reprirent les trois hommes qui les avaient déjà escortés en Galilée et leur donnèrent ces instructions : « Dites au rabbi Adas, au rabbi Phinéès et au rabbi Aggée : Paix à vous et à tous ceux qui vivent avec vous ! De graves débats se sont élevés dans notre Conseil. Aussi avons-nous chargé ces messagers de vous faire venir dans la sainte ville de Jérusalem. » Les messagers partirent en Galilée, et ils trouvèrent leurs hommes assis, étudiant la Loi. Ils leur donnèrent le baiser de paix. Les Galiléens dirent aux voyageurs : « Paix à tout Israël! » Les autres répondirent : « Paix à vous ! » Les premiers reprirent : « Quel est l'objet de votre visite ? » Et les envoyés répondirent : « Le Conseil vous mande dans la sainte ville de Jérusalem. » Quand ils surent qu'ils étaient appelés au Conseil, les hommes invoquèrent Dieu, puis ils s'attablèrent avec leurs hôtes, mangèrent et burent et enfin se levèrent et se rendirent sans incident à Jérusalem. Le lendemain, le Conseil, réuni dans la synagogue, leur demanda : « Avez-vous réellement vu Jésus assis sur la montagne de Milkom, enseignant ses onze disciples, puis l'avez-vous vu enlevé au ciel ? » Ses interlocuteurs leur firent cette réponse : « Ce que nous avons vu de cet enlèvement, nous l'avons dit. » Anne s'entêta : « Prenez-les un à un, dit-il, et voyons si leurs témoignages concordent. » Ils les séparèrent. Adas fut appelé le premier : « Rabbi, dirent-ils, qu'as-tu vu de cet enlèvement ? » Adas répondit : « Il était encore assis sur le mont Milkom et il enseignait ses disciples, quand nous vîmes une nuée le couvrir de son ombre, lui et ses disciples, et la nuée l'emporta dans le ciel, tandis que ses disciples gisaient, front contre terre. » Ils appelèrent Phinéès le prêtre et l'interrogèrent : « Qu'as-tu vu de l'enlèvement de Jésus ? » La réponse fut la même. Ils interrogèrent aussi Aggée, qui leur fit une semblable déposition. Alors le Conseil déclara : « Il est dit dans la Loi de Moïse : C'est au dire de deux ou trois témoins que la cause sera établie » Buthem le docteur dit : « Il est écrit dans la Loi : Enoch marchait avec Dieu, puis il disparut, car Dieu l'emporta. » Jaïre le docteur dit : « Nous avons entendu parler de la mort du saint Moïse, mais nous ne l'avons pas vu ; car il est écrit dans la loi du Seigneur : Et Moïse mourut sur ordre du Seigneur, et nul, à ce jour, ne connaît son tombeau » Et le rabbi Lévi dit : « Pourquoi le rabbi Syméon a-t-il dit quand il vit Jésus : Voici, il est là, pour la chute et le relèvement du grand nombre en Israël, et pour être un signe en butte à la contradiction ? » Et le rabbi Isaac dit : « Il est écrit dans la Loi : voici que j'envoie mon messager devant ta face ; il marchera devant toi pour te garder jusqu'au bout dans ce bon chemin. Car en lui mon nom est invoqué. » Alors Anne et Caïphe dirent : « Vous avez fort justement çité la Loi de Moïse où il est dit que nul n'a vu la mort d'Enoch et nul n'a raconté celle de Moïse. Mais Jésus, lui, a parlé à Pilate. Nous l'avons vu essuyer en plein visage gifles et crachats. Et les soldats le couronnèrent d'épines. Il fut flagellé et il reçut la sentence de Pilate, et il fut crucifié au lieu du Crâne ainsi que deux larrons, et on lui fit boire du vin aigre mêlé de fiel, et le soldat Longin lui transperça le flanc de sa lance, et Joseph notre père vénéré demanda son corps, et il ressuscita, comme il l'avait dit, et comme viennent de le rappeler ces trois docteurs, disant : " Nous l'avons vu emporté vers le ciel", et le rabbi Lévi a confirmé les propos tenus par le rabbi Syméon, "Voici, a-t-il dit, celui-ci est là, pour la chute et le relèvement d'un grand nombre en Israël, et il sera un signe en butte à la contradiction".. » Tous les docteurs dirent à tout le peuple du Seigneur : « Si par le Seigneur cette chose étonnante s'est produite sous nos yeux, sachez-le bien, maison de Jacob, qu'il est écrit : Tout pendu au bois est malédiction !. Un autre texte enseigne : « Les dieux qui n'ont pas fait le ciel et la terre périront. » Prêtres et lévites se dirent entre eux : « Si sa mémoire dure jusqu'à Sommos dit aussi Jobel, sachez que son règne est éternel et qu'il se lèvera un peuple nouveau. » Alors les chefs de la synagogue, les prêtres et les lévites exhortèrent tout Israël, disant : « Maudit l'homme qui adorera des oeuvres faites de main d'homme et maudit l'homme qui adorera la créature au lieu du Créateur ! » Et tout le peuple répondit : « Amen ! Amen ! » La foule chanta des hymnes au Seigneur et elle dit : « Béni soit le Seigneur qui accorda le repos au peuple d'Israël comme il l'avait promis. Il ne s'est pas perdu une seule parole de toutes celles qu'il avait dites à Moïse son serviteur. Que le Seigneur notre Dieu soit avec nous, comme il l'était avec nos pères. Qu'il ne nous entraîne pas à notre perte, afin que nous puissions convertir à lui notre coeur, et marcher dans toutes ses voies, garder ses commandements et les jugements qu'il a légués à nos pères. Et le Seigneur règnera sur toute la terre en ces jours-là. Et il sera le seul Seigneur, et le seul nom, le Seigneur notre roi ! « Lui-même nous sauvera. Il n'est personne qui te ressemble, Seigneur, tu es grand, Seigneur et grand est ton nom ! Dans ta puissance, guéris-nous, Seigneur, et nous serons les guéris ! Sauve-nous, Seigneur, et nous serons les sauvés ! Car nous sommes ta part et ton héritage. Et le Seigneur n'abandonnera pas son peuple, à cause de son nom magnifique. Car le Seigneur a commencé de faire de nous son peuple. » Quand ils eurent ainsi chanté, chacun rentra chez soi, louant Dieu, dont la gloire est aux siècles des siècles, amen !
DESCENTE DE JÉSUS AUX ENFERS
Joseph dit : « Pourquoi vous étonner de la résurrection de Jésus ? Elle n'est pas étonnante. Etonnons-nous plutôt qu'il n'ait pas ressuscité seul. Il a relevé un grand nombre de morts, que beaucoup ont vus à Jérusalem. Vous ne les connaissez pas tous. Mais au moins connaissez-vous Syméon qui reçut Jésus dans ses bras et ses deux fils par lui ressuscités. Nous les avions ensevelis peu avant. Aujourd'hui on peut voir leurs tombes ouvertes et vides. Eux-mêmes sont vivants et habitent Arimathie. » Ils envoyèrent de leurs gens pour vérifier que les tombes étaient bien ouvertes et vides. Joseph reprit « Allons à Arimathie ; nous les rencontrerons. » Alors les grands prêtres, Anne, Caïphe, Joseph, Nicodème, Gamaliel et les autres se levèrent et se rendirent à Arimathie. Ils les trouvèrent, comme Joseph l'avait dit. Après les prières et les embrassements, ils reprirent avec eux la route de Jérusalem et les firent entrer dans la synagogue, dont ils fermèrent les portes avec soin. Puis les grands prêtres leur mirent en mains l'Ancien Testament des Juifs et leur dirent : « Nous aimerions qu'après avoir prêté serment par le Dieu d'Israël et d'Adonaï, vous nous disiez la vérité : comment avez-vous ressuscité et qui vous a ressuscités des morts ? » A ces mots, les ressuscités se signèrent le front et dirent aux grands prêtres : « Donnez-nous du papier, de l'encre et une plume. » On leur apporta ces objets. Ils s'assirent et écrivirent ce qui suit
« Seigneur Jésus-Christ, résurrection et vie du monde, permets-nous de raconter ta résurrection et les merveilles que tu as accomplies en enfer. Nous y étions avec tous ceux qui se sont endormis depuis l'origine. A minuit, une lumière aussi vive que le soleil perça les ténèbres. Nous fûmes illuminés, et nous pouvions nous voir les uns les autres. Et aussitôt, les patriarches et les prophètes se joignirent à Abraham notre père, et au comble de la joie, ils se disaient entre eux : « Cette lumière provient de la grande lumière. » Le prophète Isaïe s'écria : « C'est la lumière du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Je l'avais annoncée de mon vivant, par ces mots : Terre de Zabulon, terre de Nephtali, le peuple assis dans les ténèbres a vu une grande lumière. » Puis un homme se présenta sous l'aspect d'un ermite du désert, et les patriarches l'interpellèrent :
« Qui es tu ? »
Il répondit : « Je suis Jean, le dernier des prophètes, j'ai aplani les chemins du Fils de Dieu, et j'ai prêché le repentir au peuple, pour la rémission de ses péchés. Et le Fils de Dieu est venu vers moi, et quand de loin je l'ai vu, j'ai dit au peuple : Voici l'agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde. Je l'ai baptisé de ma main, dans l'eau du Jourdain, et j'ai vu l'Esprit saint, tel une colombe, descendre sur lui. Et j'ai entendu la voix de Dieu notre Père qui disait : Celui-ci est mon fils bien-aimé ; il a toute ma faveur. « Et il m'a envoyé aussi parmi vous, vous annoncer que le Fils unique de Dieu viendrait ici afin que quiconque croit en lui soit sauvé et quiconque n'y croit pas, condamné. Aussi vous le dis-je à tous, quand vous le verrez, adorez-le. Voici les derniers jours où vous pouvez vous repentir et des cultes que vous avez rendus aux idoles dans le vain monde d'en haut, et des péchés que vous avez commis. Après, il sera trop tard. »
Tandis que Jean enseignait ainsi les foules de l'enfer, Adam le premier formé et le premier père, dit à son fils Seth : « Mon fils, je veux que tu exposes aux premiers pères de l'humanité et aux prophètes, le voyage que je t'ai fait entreprendre, lorsque je me couchais pour mourir. » Et Seth parla : « Prophètes et patriarches, écoutez. Mon père Adam, le premier formé, sentant venir sa fin, m'envoya tout près des portes du paradis ; je devais prier Dieu de me conduire par la main d'un ange à l'arbre de la miséricorde, et me laisser récolter de son huile pour en oindre mon père, et lui rendre ainsi ses forces. J'y allais. Quand j'eus prié, l'ange du Seigneur parut et me dit : Que demandes-tu, Seth ? Tu désires une huile qui guérit les malades et sauvera ton père ? Crois-tu trouver l'arbre qui produise cette huile ? Non, tu n'obtiendras rien aujourd'hui. Repars donc, et dis à ton père qu'il faut d'abord que cinq mille cinq cents ans s'écoulent à compter de la création du monde. Alors, le Fils unique de Dieu descendra sur terre, en se faisant homme, et il oindra ton père de cette huile et le ressuscitera. Dans l'eau et l'Esprit saint il le lavera, lui et ses descendants. Alors il sera guéri de toute langueur. Mais aujourd'hui, c'est impossible. » En entendant ces mots, patriarches et prophètes frémirent d'allégresse.
Tandis qu'ils se réjouissaient tous à la fois, Satan, l'héritier des ténèbres, survint et dit à Hadès : « Toi le glouton et l'éternel affamé, écoute-moi bien. Un Juif, nommé Jésus, se fait appeler fils de Dieu. Ce n'est qu'un homme. Les Juifs l'ont crucifié, je les y ai bien aidés ! Maintenant qu'il est mort, prépare-lui ici de solides entraves. Ce n'est qu'un homme, je sais, dont j'ai surpris cette plainte : Mon âme est triste jusqu'à la mort. Mais il m'a causé beaucoup d'ennuis, au temps où il vivait dans le monde parmi les mortels. Quand il rencontrait mes sujets, il les chassait et les gens que j'avais faits bossus, aveugles, boiteux, lépreux, ou que j'avais affligés d'autres maux, d'une seule parole ils les guérissait. Beaucoup, qui par mes soins étaient prêts pour la tombe, d'une seule parole encore, il les ressuscitait. » Hadès répondit : « Cet homme est capable de pareils exploits avec une seule parole ? Tu ne pourras pas te mesurer à un tel adversaire. Personne, à mon sens, ne lui tiendra tête. Il craint la mort, et tu dis avoir surpris cet aveu, mais il a dit cela en plaisantant : il se moquait de toi. Il compte t'enlever de sa main puissante. Malheur, malheur à toi dans tous les siècles ! » Satan dit : « O enfer, gueule toujours béante, tu as donc si peur lorsqu'on te parle de notre ennemi commun ? Moi, je n'ai pas tremblé; j'ai excité les Juifs et ils l'ont crucifié ; ils l'ont abreuvé de fiel et de vinaigre. Prépare-toi plutôt, lorsqu'il viendra, à le maîtriser vigoureusement. » Hadès répondit : « Héritier des ténèbres, fils de perdition, ô Diable, tu viens de me dire que d'une seule parole, il ressuscita un grand nombre de gens que grâce à tes bons offices, il ne restait plus qu'à inhumer. S'il a libéré des hommes du tombeau, comment et par quelle vertu le tiendrons-nous enfermé ? Naguère, j'ai englouti un mort du nom de Lazare, et peu après un vivant, par une seule parole, l'a arraché à mes entrailles. Je suppose que c'est celui dont tu me parles. Si nous le recevons ici, nous nous exposons, je le crains, à quelques ennuis avec nos morts. Tous ceux que j'ai engloutis depuis le commencement, je les sens bien agités, et j'en ai le ventre tout endolori. Ce Lazare, qui m'a été ravi le premier, ne me laisse rien augurer de bon. Il s'est envolé de chez moi, non comme un cadavre, mais comme un aigle, si impétueusement la terre le rejeta. Ainsi, je t'en conjure, dans ton intérêt et dans le mien, ne me l'amène pas ici. Car je soupçonne qu'il ne vient ici que pour sauver tous ces pécheurs que sont mes morts. Je te le répète, par notre royaume de ténèbres, si tu le fais descendre, il ne restera plus un seul trépassé en mon pouvoir. »
Satan et Hadès discutaient ainsi, quand une voix tonna : « Elevez vos frontons, princes. Elevez-vous, portes éternelles, et le roi de gloire entrera. » A ces mots, Hadès dit à Satan : « Va-t-en, si tu es vaillant, et livre-lui bataille. » Satan sortit. Alors Hadès dit à ses démons : « Fermez bien les portes de bronze, poussez les barres de fer, renforcez les verrous, exercez une surveillance sans relâche. Car s'il descend chez nous, il deviendra notre maître. » Nos ancêtres, en entendant ces paroles, éclatèrent en invectives : « Glouton, éternel affamé, disaient-ils, ouvre donc et laisse entrer le roi de gloire. » David le prophète disait : « Ne sais-tu pas, aveugle, que lorsque je vivais sur terre, j'ai lancé cette prophétie : Princes, élevez vos frontons » Isaïe à son tour : « Et moi, averti par le Saint-Esprit, j'ai écrit : Les morts ressusciteront, et ils se réveilleront, ceux qui dorment dans les tombeaux, et ils exulteront, ceux qui vivent sur la terre. Et j'ai dit : Où est, mort, ton aiguillon ? Où, enfer, ta victoire ? » La voix à nouveau retentit : ouvrez vos portes. En entendant cette parole pour la seconde fois, Hadès demanda, comme s'il ne savait pas : « Quel est ce roi de gloire ? » Les messagers du Maître lui dirent : « C'est le Seigneur le fort, le vaillant, le Seigneur vaillant des combats ~. » A peine avaient-ils prononcé ces mots que les portes de bronze se fracassèrent, et les barres de fer se rompirent et tous les morts furent déliés des chaînes qui les retenaient, et nous avec eux. Et le roi de gloire entra, sous l'aspect d'un homme, et les ténèbres de l'enfer devinrent éblouissantes.
Aussitôt Hadès cria : « Nous sommes vaincus ! Malheur à nous ! Mais qui es-tu donc, toi qui possèdes une telle puissance et un tel empire ? Qui es-tu, toi qui es venu ici exempt de faute ? Toi qui parais petit et réalises de grandes choses, toi qui es humble et sublime, esclave et maître, soldat et roi, toi qui commandes aux morts et aux vivants ? Tu fus cloué en croix et déposé au tombeau, et te voilà soudain libre et tu as anéanti notre royaume. Es-tu ce Jésus, dont Satan, notre chef suprême, nous a parlé, nous disant que la croix et la mort te feraient hériter le monde entier ? Alors le roi de gloire empoigna par le sommet de la tête le chef suprême, Satan, et le livra aux anges, disant :
« Mettez-lui
des chaînes aux mains et aux pieds, au cou et à la bouche. » Puis, le donnant à Hadès, il dit :
« Prends-le
et surveille-le étroitement jusqu'à mon retour. »
Hadès reçut Satan et lui dit : « Belzébuth, héritier du feu et du châtiment, ennemi des saints, qu'est-ce qui t'a poussé à faire crucifier le roi de gloire ? Il est descendu chez nous et nous a dépouillés. Retourne-toi et vois il ne me reste plus de morts. Tous ceux que tu avais gagnés par le bois de la connaissance, la croix te les a repris. Tes délices se sont changées en douleur. En voulant tuer le roi de gloire, tu t'es tué toi-même. Je t'ai reçu avec mission de bien te garder. Eh bien, tu sauras d'expérience quels maux je suis capable d'infliger. O chef des diables, prince de la mort, racine du péché, comble du mal ! Quel vice trouvais-tu en Jésus pour désirer sa perte ? Comment as tu osé lui nuire ? Pourquoi as-tu cherché à faire choir dans les ténèbres un homme qui t'a enlevé tous ceux qui depuis l'origine étaient morts ? »
Hadès parlait encore à Satan quand le roi de gloire étendit sa main, saisit Adam notre premier père, et le ressuscita . Puis, se tournant vers les autres, il dit : « Venez avec moi, vous tous qui devez votre mort au bois que celui-ci a touché. Car voici : je vous relève tous par le bois de la croix ! » Alors il les fit tous sortir, et l'on vit notre premier père Adam rempli de joie : « Je rends grâce à ta magnanimité, Seigneur, disait-il, car tu m'as fait remonter du fond des enfers. » Et tous les prophètes et tous les saints disaient : « Nous te rendons grâces, Seigneur, sauveur du monde, qui as tiré nos vies de la corruption. » Et tandis qu'ils parlaient, le Seigneur bénit Adam en marquant son front du signe de la croix. Il fit le même geste avec les patriarches et les prophètes, les martyrs et les ancêtres, et d'un bond les fit sortir de l'enfer. Et pendant qu'il marchait, les saints pères chantaient derrière lui, et disaient : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Alléluia. A lui la louange de tous les saints. »
Il se rendit au paradis, tenant notre premier père Adam par la main, et il le confia à l'archange Michel, ainsi que tous les justes. Quand ceux-ci eurent franchi la porte du paradis, deux vieillards se présentèrent devant eux, et les saints pères leur dirent : « Qui êtes-vous, vous qui n'avez pas connu la mort et n'êtes pas descendus en enfer, mais qui, de corps et d'esprit, demeurez dans le paradis ? » L'un d'eux répondit : « Je suis Enoch, qui a eu la faveur de Dieu, et qui ai été transporté ici par ses soins. Lui, c'est Elie le thesbite. Nous devons vivre jusqu'à la consommation des temps. Alors nous serons envoyés par Dieu nous battre contre l'Antéchrist; il nous tuera ; après trois jours, nous ressusciterons et une nuée nous enlèvera et nous déposera aux pieds de Dieu. »
Tandis qu'ils parlaient, un troisième homme arriva, humble, les épaules chargées d'une croix. Les saints pères lui dirent : « Et toi qui ressembles à un larron, qui es-tu ? Et quelle est cette croix sur tes épaules ? » Il répondit :
« Comme
vous le dites, j'étais un larron, et un malfaiteur dans le monde. Pour cette raison, les Juifs m'arrêtèrent et me condamnèrent à être crucifié en même temps que notre Seigneur Jésus-Christ. Tandis qu'il était suspendu à sa croix, je vis des signes s'accomplir, et je crus en lui. Et je lui parlai en ces termes : « Seigneur, lorsque tu règneras, ne m'oublie pas. » Il me répondit aussitôt : « En vérité, en vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis. » Je me rendis donc au paradis, chargé de ma croix, et rencontrant l'archange Michel, je lui dis : « Notre Seigneur Jésus le crucifié m'envoie ici. Conduis-moi donc aux portes de l'Eden. » Et quand son épée de feu vit le signe de la croix, elle m'ouvrit et j'entrai. Puis, l'archange me dit : « Attends un peu. Le premier père du genre humain, Adam arrive avec les justes; ils vont entrer. » Et dès que je vous vis, je me précipitai à votre rencontre. »
En entendant ce récit, tous les saints s'écrièrent à pleine voix : « Grand est notre Seigneur et grande est sa puissance. » « Voilà tout ce que nous avons vu et entendu, nous les deux frères jumeaux, envoyés par l'archange Michel pour prêcher la résurrection du Seigneur, avant d'aller dans le Jourdain recevoir le baptême. Nous y fûmes, et l'on nous donna le baptême en même temps qu'aux autres ressuscités. Puis nous nous rendîmes à Jérusalem et nous accomplîmes la pâque de la résurrection. « Mais maintenant nous ne pouvons plus rester ici, et nous nous en allons. Que l'amour de Dieu le Père et la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous. » Quand ils eurent fini d'écrire et fermé leur cahier, ils en donnèrent la moitié au grand-prêtre et l'autre à Joseph et à Nicodème. Et aussitôt ils devinrent invisibles, pour la gloire de notre Seigneur Jésus-Christ. Amen !