Table des matières

TROISIEME CONFERENCE

 

DE LA RÉSURRECTION DES CORPS ET DU JUGEMENT UNIVERSEL

 

Ecce mysterium vobis dico : in momento, in ictu oculi, in novissima tuba (canet enim tuba), mortui resurgent incorrupti.

 

Je vous dis un mystère : En un instant, en un clin d’œil, aux éclats de la dernière trompette (car la trompette sonnera), les morts ressusciteront incorruptibles.

(I Cor., xv.)

 

I

Le monde doit avoir une fin, et cette fin n'aura pas lieu que l'Antéchrist n'ait paru.

Le protestantisme et l'incrédulité rejettent la personnalité de l'Antéchrist ; ils ne le considèrent que comme un mythe, un être allégorique et imaginaire. Ou bien encore, ils ne voient dans cet homme de péché, annoncé par saint Paul, que le chef de la lutte antichrétienne, le coryphée et le messie de la franc-maçonnerie et des sectes suscité pour conduire la civilisation à son apogée, en l'affranchissant à jamais des ténèbres de la superstition, c'est‑à‑dire en supprimant, sur toute l'étendue de la terre, toute religion positive et toute croyance révélée.

 

Mais, parmi les vérités qui ont trait à la conclusion de nos destinées dans le temps, il en est une qui répugne spécialement aux passions humaines, que le rationalisme et la libre‑pensée ne cessent de combattre à outrance, dont ils font le point de mire de leurs sophismes les plus astucieux et de leurs négations les  plus effrontées. Cette doctrine, la plus glorieuse et la plus consolante pour notre nature humaine, est celle de la résurrection future de nos corps. Tantôt, comme saint Paul en fit l'expérience à Athènes, la science incrédule s'étudie à étouffer cette doctrine sous le poids de ses moqueries et de ses sarcasmes ; tantôt, comme il advint au tribunal du prêteur Félix, en l'entendant énoncer, elle pâlit et se sent saisie d'épouvante : Disputante autem illo... de judicio futuro, tremefactus Felix respondit... Vade : tempore autem opportuno accersam te [1] .

 

Il ressort de ce passage, et d'une multitude d'autres épars dans les épîtres de saint Paul, que le dogme de la résurrection des corps était le sujet favori et populaire des prédications de l'Apôtre ; il l'énonçait hardiment dans les prétoires, dans les synagogues, dans l'aréopage des sages et des philosophes de la Grèce. Aux yeux de saint Paul, cette doctrine de la Résurrection future est la base de nos espérances, la solution du mystère de la vie, le principe, le nœud, la conclusion de tout le système chrétien. Sans elle, les lois divines et humaines restent dépouillées de toute sanction, les doctrines spiritualistes ne sont plus qu'une inanité. L'unique sagesse est celle qui consiste à vivre et à jouir comme la bête ; car si l'homme ne doit pas revivre après la mort, le juste qui lutte contre son propre cœur et qui réprime ses passions est un insensé. Les martyrs qui ont souffert pour l'honneur du Christ, et qui se sont laissé déchirer par les lions dans les amphithéâtres, ne sont que des convulsionnaires et des égarés [2] . Dès qu'il est admis que les destinées de l'homme sont circonscrites dans la vie présente, le bonheur ici‑bas ne réside plus que dans le matérialisme le plus éhonté et le plus abject. Le seul évangile vrai, l'unique philosophie saine et rationnelle est celle d'Epicure qui se résume dans ces mots : Manducemus et bibamus, cras enim moriemur [3] .

 

Pour détourner les âmes des convoitises grossières et afin de les élever à des aspirations dignes de leur céleste origine, l'Apôtre ne cesse d'inculquer cette grande vérité, et en même temps il en déduit les conséquences relatives à la direction de la vie, et au gouvernement extérieur et intérieur des actes humains.

 

« Voici, dit‑il, que je vous apprends un mystère. A la vérité, nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés. En un moment, en un clin d’œil, au son de la trompette, car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles, et nous serons changés. Car il faut que ce corps corruptible revête l'incorruptibilité et que ce corps mortel revête l'immortalité. Et après que ce corps mortel aura revêtu l'immortalité, alors se vérifiera la parole qui a été écrite : La mort a été absorbée dans sa victoire. »

 

« Ô mort, où est ta victoire ? Ô mort, où [4] est ton aiguillon [5]  ? »

Dans les versets qui précèdent, le grand Apôtre explique, non moins merveilleusement, la raison théologique et les hautes con–venances de ce mystère, dont Dieu l'a établi l'interprète et le héraut.

 

« Le corps de l'homme, dit‑il, confié à la terre et déposé dans le sépulcre, est pareil au grain de froment il est semé dans la corruption, il ressuscitera incorruptible il est semé dans la faiblesse, il ressuscitera dans la force ; il est semé corps animal, il ressuscitera corps spirituel.

Le premier homme, Adam, a été une âme vivante, le second Adam a été fait un esprit qui vivifie.

Le premier, formé de la terre, était tout terrestre ; le second, venu du ciel, est tout céleste...

Comme donc nous avons porté l'image de l'homme terrestre. portons aussi l'image de l'homme céleste...

Je vous dis cela, mes frères, parce que la corruption ne possédera pas l'immortalité [6] . »

 

Voilà un exposé, tracé de main de maître, clair, précis, et toute interprétation que la parole humaine prétendrait y mêler, ne servirait qu'à en affaiblir l'énergie et la clarté.

 

Telle est aussi la vraie foi catholique, celle que l’Église a inscrite dans le Symbole que nous récitons, et qu'elle fait chanter dans ses temples aux jours de ses solennités.

« Je crois à la résurrection de la chair, j'attends la résurrection des morts. »

 

Saint Athanase, dans son symbole, et le quatrième concile de Latran expriment cette vérité en termes non moins précis et plus explicites encore : « Tous les hommes, disent‑ils, doivent ressusciter avec les mêmes corps auxquels ils sont unis dans la vie présente. »

 

En effet, si après s'être dissous et être retournés à la poussière d'où ils sont sortis, nos corps ne devaient renaître avec l'intégrité de leurs membres, avec l'universalité de leurs éléments substantiels et constitutifs ; s'ils ne devaient reparaître avec les mêmes visages, les mêmes traits, au point qu'en nous revoyant au jour du jugement, nous nous reconnaîtrons aussitôt, comme nous nous reconnaissons ici‑bas, il ne faudrait plus appeler alors notre renaissance une résurrection, mais une nouvelle création.

 

Il est donc très certain qu'au jugement nous serons identiquement les mêmes ; que les pieds qui nous soutiendront alors seront les pieds qui nous ont portés, soutenus durant notre exil et les jours de notre pèlerinage dans le temps ; que la langue qui nous fera parler sera celle qui s'est jadis dénouée pour la louange divine ou pour le blasphème ; que les yeux, à l'aide desquels nous verrons, seront ceux‑là mêmes qui se sont ouverts aux rayons du soleil qui nous éclaire ; que ce cœur, qui battra dans nos poitrines, sera le propre cœur qu'auront consumé les ardeurs de l'amour divin, ou qui se sera laissé dévorer par les flammes impures de la volupté.

 

Telle était l'immuable espérance de Job. Assis sur son fumier, rongé par la pourriture, mais le front serein, le regard rayonnant, il franchit d'un bond de sa pensée toute la durée des siècles. Saisi d'un saint ravissement, il contemple dans les clartés de la lumière prophétique le jour où il secouera la poussière de son cercueil, et il s'écrie : « Je sais que mon Rédempteur vit, que je renaîtrai de ma poussière, que je serai de nouveau enveloppé de ma chair et que je verrai mon Rédempteur de mes yeux à moi et non de ceux d'un autre [7] . »

 

Cette doctrine de la résurrection est la clef de voûte, la pierre angulaire de tout l'édifice chrétien, le pivot et le centre de notre foi. Sans elle, il n'y a plus de rédemption, nos croyances et notre prédication sont vaines, toute religion s'écroule par la base

Inanis est ergo prœdicatio nostra, inanis est fides nostra [8] .

 

Les écrivains rationalistes ont prétendu que cette croyance à la résurrection n'était pas contenue dans l'Ancien Testament et qu'elle ne date que de l’Évangile. Rien n'est plus faux. Il suffit de parcourir la longue chaîne des traditions mosaïques, de prêter l'oreille aux grandes voix des Patriarches et des Prophètes : nous les voyons tous tressaillir de joie et d'espérance, à la perspective de l'Immortalité promise, saluer cette vie nouvelle dont ils entreront en possession au‑delà du tombeau et qui n'aura pas de terme. – Il est dit au livre de l'Exode : « Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob. » Et Jésus‑Christ, en saint Matthieu, se sert de ce passage pour démontrer aux juifs sadducéens la vérité de la résurrection : « Pour ce qui est de la Résurrection des morts, n'avez‑vous point lu les paroles que Dieu vous a dites : Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ? Or Dieu n'est point le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants. »

 

La mère des Macchabées, debout au milieu du sang et des membres mutilés et épars de ses fils, ne glaçait‑elle pas d'effroi l'impie Antiochus en lui disant : « Sache, ô homme scélérat et très pervers, que tu ne nous fais mourir que pour la vie présente, niais que le Maître du monde va nous recevoir, nous qui sommes morts pour ses lois et qu'il nous ressuscitera au jour de la résurrection ».

 

Cette croyance à la résurrection n'était pas seulement pour les saints de l'Ancien Testament un symbole et une doctrine spécu–lative, elle était leur foi fondamentale exprimée dans les merveilles et dans les œuvres de leur vie. Les institutions qu'ils nous ont laissées en sont la représentation et la figure. « Le premier de tous, dit saint Jérôme, est Abel, dont le sang qui crie au Seigneur, témoigne de son espérance de la résurrection des corps. Ensuite, vient Hénoch enlevé, afin qu'il ne vît pas la mort : il est le type et l'image de la résurrection. – Troisièmement Sara, dont le sein stérile et épuisé par la vieillesse conçoit et met au inonde un fils, nous donne l'espérance de la résurrection. – Quatrièmement, Jacob et Joseph, en recommandant que l'on recueille et que l'on ensevelisse avec honneur leurs os, manifestent leur foi à la résurrection. – Cinquièmement, la verge desséchée d'Aaron qui bourgeonnait et donnait des fruits, et la verge de Moïse, qui sur le commandement de Dieu s'animait et *devenait un serpent, nous offrent l'ombre et l'esquisse de la résurrection. – Enfin Moïse, qui bénissait Ruben et disait que Ruben vive et ne meure pas, lorsque Ruben depuis longtemps était décédé de cette vie, ne témoigne‑t‑il pas qu'il lui souhaitait la résurrection et l'éternelle Vie ? » Et si l'on ne voulait voir dans ces interprétations diverses que des allégories et des interprétations mystiques, nous terminerions cette énuméra–tion par les paroles précises de Daniel, et celles‑ci ne laissent aucun doute, sur la foi universelle et constante de l'Ancien Tes–tament à la résurrection future : « Voilà dit‑il, que la multitude de ceux qui dorment dans la poussière de la terre s'éveilleront

les uns pour la Vie éternelle, les autres pour l'opprobre. »

 

1 Primum, Abel cujus sanguis ad Dominum clamat spem resurrectionis corportim ostendit. Dcindc Enoch transiatus tu mortem non videret : est resurrec–tionis typus. Tertio Sara sterilis et senili utero, juxta promissionem concipiens et pariens spem resurrectionis praebet. Quarto Jacob et Joseph, propriorum ossium curam habentes resurrectionis fidem ostendunt. Quinto, virga Aaron,

germinans et fructum producens, et virga Moysis quae juxte Dei voluntatem animabatur, et serpens fiebat, resurrectionem adumbrabat. Denique Moyses benedicens Ruben, hune in modum : Vivat Ruben et non moriatur, cura jam Ruben vita functus esset, resurrectionem et aeternam vitam ei postulare visus est. (S. Jérom. Epiph. contra Samaritanos.)

' Multi de iis qui dormiunt in terrae pulvere evigilabunt, alii in vitam aeter‑

nam, alii in opprobrium. (Dan., c. xii.)

 

 Cette vérité, affirmée par les Écritures, est proclamée non moins hautement par la raison et la philosophie chrétienne.

 

La philosophie embrasse dans son vaste champ tout ce qui touche à la nature de Dieu, à la nature de l'homme et à celle du monde. Or, le dogme de la résurrection ressort des notions que nous donne la philosophie sur ces trois objets, sur lesquels s'étend son domaine et s'exercent ses investigations.

 

Premièrement, le dogme de la résurrection ressort des notions que nous donne la philosophie sur la nature de Dieu.

 

Dieu, nous apprend la philosophie chrétienne, est la cause efficiente, exemplaire et finale de tous les êtres qui sont dans le monde. Les ayant créés librement, avec une souveraineté et une indépendance absolues, il les a tous marqués, plus ou moins, du caractère de sa ressemblance et de ses infinies perfections. Toutefois. le corps humain, composé de ses propres mains, animé de son souffle, est le résumé de ses merveilles, le chef-d’œuvre de sa sagesse et de sa divine bonté. Par la beauté et l'élégance de sa structure, par la noblesse de son port, les splendeurs qui l’illuminent, le corps de l'homme l'emporte dans des proportions infinies sur tous les êtres matériels sortis des mains de Dieu.

C'est par le corps, en effet, que l'esprit manifeste sa puissance et exerce sa royauté. C'est le corps, dit Tertullien, qui est l'organe de la vie divine et des sacrements. – C'est le corps qui est lavé par l'onde baptismale, afin que l'âme reçoive sa blancheur et sa netteté. C'est le corps qui est oint par l'huile et l'onction de l'Esprit Saint afin que l'âme soit consacrée. C'est le corps qui reçoit l'imposition des mains, afin que l'âme soit illuminée et puisse * répandre les bénédictions. C'est le corps qui reçoit l'Eucharistie et qui s'abreuve d'un sang divin, afin que l'homme, devenu un avec le Christ et ayant avec lui une même vie, puisse subsister éternellement .

 

Caro abluitur ut anima emaculetur ; caro ungitur ut anima consecretur. Caro saginatur ut et anima muniatur ; caro manuum impositione adumbratur ut et anima Spiritu illuminetur ; caro corpore et sanguine vescitur tu et anima de Deo saginetur (Tert. De rester. carnis, c. 8.)

 

C'est encore le corps qui croise les mains pour la prière et qui se courbe pour l'adoration. C'est le corps qui s'exténue par les jeûnes et dans les macérations, qui s'offre en holocauste sur les échafauds et les bûchers, qui se consume par le martyre et offre à Dieu ce témoignage de l'amour, lequel n'est absolu et irrévoca–ble que lorsqu'il est scellé par la mort et exprimé par le sang.

 

Et le corps de l'homme, instrument des plus héroïques travaux, canal de toutes les bénédictions et de toutes les grâces, soldat du témoignage, prêtre et autel du Sacrifice, épouse virginale du Christ, serait semblable à l'herbe des champs, il n'aurait un instant d'éclat et de vie que pour être changé en une poignée de cendres, devenir la proie des vers et l'hôte éternel du trépas ? Ce serait un blasphème contre la Providence et un outrage à son infinie bonté.

 

Le dogme de la résurrection des corps ressort des notions que nous donne la philosophie chrétienne sur Dieu ; il ressort, secon–dement, des notions qu'elle nous donne sur la nature de l'homme.

 

L'homme, en effet, se compose de deux substances : l'esprit et le corps. Et ces deux principes sont unis par des liens si intimes et si profonds, il y a entre eux une réciprocité et une corrélation si étroite, que, sans l'intermédiaire du corps, l’esprit, par sa propre nature, est inhabile à exercer aucune de ses opérations.

 

Il est semblable à un souffle qui, faute d'organe, ne pourrait résonner, à une lyre dont les cordes détendues et brisées cesseraient d'ébranler l'air et demeureraient sans accent et sans écho.

 

Ainsi, l'âme sans le corps ne peut entrer en relation avec le monde extérieur et sensible ; elle n'a ni l'usage de la vue, ni l'usage de l'ouïe ; elle ne petit exercer son action et sa souveraineté sur la matière, ni maîtriser les éléments, ni savourer les fruits, ni respirer l'odeur des parfums.

 

Et la bouche elle‑même, cette bouche qui peut‑être a fait entendre des accents d'or, qui s'est si souvent dénouée pour l'enseignement ou la louange, n'est plus qu'un membre desséché et aride, dont l'âme ne peut plus se servir pour émouvoir les cœurs et éclairer les esprits. Sans doute, ainsi que l'enseigne saint Thomas, Dieu, après la mort, conférera aux âmes séparées un mode d'existence qui leur permettra de se connaître, de s'entretenir, de communiquer entre elles, sans le secours des organes corporels, dont elles auront été dépouillées. Mais ce sera là un mode merveilleux, exceptionnel, en dehors des conditions et des lois norma–les de l'être humain *.

 

Ce qu'il y a de certain, c'est que par elle‑même, et abstraction faite de cette vertu, que Dieu dans sa puissance surajoutera, après la mort, à notre constitution intime, l'âme privée de son corps n'est plus qu'une substance mutilée, solitaire, exclue de tout com–merce et de toute relation avec le monde des vivants.

 

Or, si vous demandez pourquoi il a plu au Créateur d'unir, dans un même sujet, deux principes aussi disparates, aussi contraires dans leur essence et dans leurs propriétés que le sont l'esprit et le corps; pourquoi il n'a pas voulu que l'homme fût, comme l'ange, une intelligence pure... je répondrai que Dieu a fait ainsi, pour que l'homme fût véritablement le roi et l'abrégé de toutes ses œuvres, afin qu'à l'exemple du Christ, il récapitulât, dans sa personnalité, l'universalité des éléments et des êtres créés, qu'il fût le centre de toutes choses, que, résumant l'esprit et le corps, l'ordre visible et l'ordre invisible, il pût servir à l'un et à l'autre d'interprète et les offrir simultanément au Très Haut dans ses hommages et dans ses adorations.

 

D'où il suit que, si l'homme devait être à jamais dépouillé de son corps, la création matérielle et visible n'aurait plus de médiateur, ni de pontife, elle n'aurait plus de voix pour adresser à Dieu son hymne de reconnaissance et d'amour, et le lien qui unit les êtres inanimés au Créateur serait brisé sans retour.

 

Donc, si Dieu n'a pas résolu de replonger à jamais son œuvre dans le néant, si cette terre sanctifiée par les pas du Christ est destinée à subsister éternellement, radieuse et renouvelée, il faut que l'homme renaisse dans une vie future pour en reconquérir le sceptre et la royauté. D'où il suit encore que la mort n'est pas une ruine, mais une restauration. Si Dieu a décrété que notre habitation terrestre serait un jour dissoute, ce n'est pas pour nous la ravir, mais pour nous la rendre subtile, immortelle, impassible, semblable, dit saint Jean Chrysostome, à un architecte qui fait sortir un instant l'habitant de sa maison, afin de le faire rentrer avec plus de gloire dans cette même maison qu'il aura reconstruite plus brillante et plus belle.

 

La convenance et la nécessité de la résurrection ressortent de la nature de l'homme ; elles ressortent enfin des lois et de la nature du monde.

 

La loi du monde, dit Tertullien, est que tout se renouvelle et que rien ne périt. Ainsi, les saisons se succèdent dans leurs cours, les arbres se dépouillent de leurs fruits en automne, leurs feuilles jaunissent et se dessèchent comme une parure fanée ; mais, le printemps succédant à l'automne, les arbres reverdissent de nouveau, leurs rejetons bourgeonnent et leurs feuilles se parent d'une nouvelle couronne de fleurs et de fruits. – Ainsi, le grain et la semence confiés au sillon de la terre pourrissent et semblent se dissoudre par l'effet de l'humidité et de l'action de l'air ; mais pour le jour de la moisson ils percent la surface du sol, et renaissent avec plus d'éclat sous la forme d'un épi rajeuni et renouvelé. – Ainsi, le soleil au déclin du jour s'évanouit dans les ombres de son crépuscule, ou semble se noyer dans les profondeurs de l'Océan ; mais le matin, il reparaît de nouveau à l'heure marquée, pour éclairer la terre et embraser l'air de sa lumière et de ses feux.

 

La mort n'est qu'un sommeil et un état latent. Elle est un repos et un silence, où les êtres, qui paraissent immobiles et ense–velis, se reforment de nouveau, où ils reprennent une nouvelle vitalité et une nouvelle énergie : dans le sépulcre où ils dorment, ils sont soumis à un travail d'incubation et de refonte, d'où ils s'élanceront plus libres et plus transformés, semblables au flambeau éteint qui se ranime avec plus de puissance sous le souffle vivifiant de l'homme, semblables encore à cet insecte qui se traîne sur le limon de la terre et qui, après s'être enfermé dans son tombeau, en sort revêtu d'une force nouvelle, déploie ses ailes brillantes et ne se repose plus que sur des fleurs.

 

Ici il y a des questions qui demandent à être éclaircies. Il est dit que les morts se réveilleront au son de la trompette. Il est dit que les hommes ressusciteront, mais que tous ne seront pas changés. Enfin on demande si les hommes ressusciteront dans l'état et avec le même âge qu'ils avaient lorsqu'ils moururent ici‑bas.

 

Dans le chapitre sur la crainte du jugement, saint Jérôme citant la parole de saint Paul : « Au son de la trompette, car la trom–pette sonnera » : « Au son de la trompette » dit‑il, « toute la terre sera saisie d'effroi. » Et plus loin : « Soit que vous lisiez, soit que vous dormiez, soit que vous écriviez, soit que vous veilliez, que toujours, cette trompette résonne à vos oreilles. »

 

Cette trompette dont les éclats pénétreront les sombres cavernes de l'abîme, et iront réveiller les pères du genre humain de leur long sommeil, rendra‑t‑elle un son matériel ?... On peut l'admettre. Les anges, qui en ce jour se revêtiront de corps aériens afin d'être vus de tous les hommes, peuvent aussi se composer, avec les éléments et les diverses substances de l'air, des instruments corporels capables de rendre de véritables sons. Toutefois, si cette explication répugne, on peut s'en tenir à l'interprétation de saint Thomas : il nous dit que saint Paul n'emploie cette expression trompette que comme une allégorie, une image... De même que chez les Juifs, on se servait de la trompette pour convoquer le peuple aux grandes solennités, exciter les soldats au combat, donner le signal de la levée des camps, ainsi la voix de l'ange est appelée une trompette par similitude, à cause de sa puissance, de son éclat, et de l'efficacité qu'elle aura pour convoquer tous les hommes instantanément et en un même lieu.

 

Il est dit en second lieu, que tous les hommes ressusciteront, mais que tous ire seront pas changés. – Il est certain que les réprouvés ressusciteront munis de toutes leurs facultés physiques et intellectuelles, avec l'intégrité de leurs membres, et que leurs corps ne seront sujets à aucune maladie, ni à aucune altération mais dépouillés de la robe nuptiale de la charité, ils ne seront pas revêtus des qualités des corps glorieux. Ils ne renaîtront ni transfigurés, ni lumineux, ni subtils, mais tels qu'ils étaient sur la terre, c'est‑à‑dire passibles, opaques, enchaînés à la matière et à la loi de la gravitation. – Ils n'en éprouveront pas moins l'intensité et la violence du feu. Et ce feu les fera d'autant plus souffrir, que doués d'un état de santé parfaite, dans la pleine possession de leur vigueur physique et intellectuelle, ils seront par le fait plus sensibles à son énergie et à son action. – Le feu des réprouvés est un feu allumé au souffle de la justice de Dieu, créé uniquement pour punir ; en conséquence, ses ardeurs lie se proportionnent nullement à la délicatesse ou aux conditions variées des tempéraments. Mais elles se mesurent au nombre et à la gran–deur des crimes à châtier, comme il est dit : ignis eorum non extinguetur. Ce feu consumera sans détruire. Il s'attachera à ses victimes comme à une proie, sans que leurs organes en soient atteints, sans que leur chair en ressente jamais aucune déchirure ni aucune lésion [9] .

 

Enfin les hommes ressusciteront‑ils avec le même âge qu'ils avaient au moment où ils moururent ?

 

Le sentiment le plus probable et le plus conforme aux Écritures, c'est qu'ils ressusciteront « à l'état de l'homme parfait, dans la mesure de l'âge de la plénitude de Jésus‑Christ, in virum perfectum, in mensuram œtatis plenitudinis Christi [10] . » En d'autres termes, tous les hommes restaurés sur le type et à l'image de Jésus‑Christ, autant du moins que le comportera la mesure et le degré de leurs mérites, renaîtront dans la maturité de l'homme, dans le plein développement de leur être et de leur constitution physique, comme le Christ au jour de sa Résurrection et de son Ascension, lorsque entrant dans sa béatitude, il alla prendre possession de son éternelle souveraineté.

 

Enfin, la résurrection aura‑t‑elle pour auteur Jésus‑Christ seul, ou se fera‑t‑elle par le ministère des anges ? Nous disons qu'elle s'accomplira directement par la vertu de Jésus‑Christ, mais qu'aussi les anges qui sont ses ministres seront appelés à y coopérer et à lui prêter leur concours... Car il est dit en saint Jean, ch. v : « Elle est venue l'heure où tous ceux qui sont dans les monuments entendront la voix du Fils de Dieu » et d'autre part il est dit en Saint Matthieu, ch. xxiv : « Et il enverra ses anges avec la trompette et une grande voix, et ils rassembleront ses élus des quatre vents [11] . » *

 

Ainsi Jésus‑Christ, en qualité de roi et de chef, donnera le signal , il fera entendre son commandement et laissera à ses anges le soin de recueillir les éléments épars qui ont appartenu à nos corps et qui sont destinés à les reconstituer.

 

A ces vérités fondées sur les saintes Écritures, la science sceptique et railleuse oppose des objections, tirées des lois qui assujet–tissent l'ordre présent, et qu'elle estime péremptoires et irréfutables.

 

Comment, disent‑ils, les anges, ou si l'on veut, d'autres êtres supérieurs quelconques, si grand soit leur degré de clairvoyance, parviendront‑ils jamais à recueillir et à démêler les débris et les parcelles des corps humains, épars sur tous les continents, dispersés sous tous les cieux, engloutis dans les mers, les uns dissous, les autres convertis en vapeurs, ou en sève végétative, et dont plusieurs ont servi tour à tour à la formation d'une multitude d'êtres vivants et organisés ! – Puisque les mêmes parcelles de substances auront dans des temps divers appartenu à des diversités infinies de corps, sera‑t‑il au pouvoir de l'ange, de les attribuer préférablement à tel sujet déterminé ?

 

Il nous est aisé de répondre que lorsque les anges recevront le commandement de rassembler les cendres des morts, soit à l'aide de leur science naturelle, soit par le secours d'une révélation d'en-haut, ils connaîtront aussitôt les éléments et les parties matérielles qui doivent constituer chaque corps humain ; ils sauront dans quel lieu de la terre ou des mers, sont ces parties matérielles, sous quelle forme elles subsistent. – Il est de croyance pieuse, que chaque ange s'intéressera plus spécialement au  sujet humain dont Dieu lui avait jadis confié la garde. – Peut‑on supposer que ces bons anges abandonnent les restes de ces êtres sur qui ils avaient veillé avec une attention et une sollicitude si tendre ; qu'ils ne les suivent pas à travers toutes leurs transformations et qu'au moment voulu, ils n'aient le moyen et la puissance de retrouver leurs cendres ? – D'ailleurs. les anges ne sont‑ils pas les mandataires de Dieu ? Et comment admettre que Dieu qui voit tout, qui est présent dans l'atome, dans le brin d'herbe, dans chaque grain de sable des bords de la mer, ne puisse leur faire discerner les par–celles de nos corps, qu'il couvre de son regard, et où il habite substantiellement par son immensité.

 

Observons toutefois, que le ministère des anges se réduira à rassembler, au lieu voulu, les débris et les parcelles de nos corps ; quant à l'organisation de ces éléments divers, à l'esprit de vie qui sera transmis de nouveau à nos corps reconstitués, c'est, dit saint Thomas, une œuvre créatrice excédant le pouvoir de la nature angélique elle‑même, et qui s'opérera par la vertu directe et immédiate de Dieu.

 

C’est pourquoi la résurrection sera instantanée : elle s'accomplira en un clin d’œil, dit saint Paul, dans un instant imperceptible, comme l'éclair. Les morts, dormant leur sommeil depuis de longs siècles, entendront la voix du Créateur, et lui * obéiront avec la même promptitude que les éléments lui obéirent à l'époque des six jours : Dixit et facta sunt.

 

Ils secoueront les langes de leur nuit séculaire, et ils se dégageront des étreintes du trépas avec plus d'agilité qu'un homme endormi ne se réveille en sursaut. De même que Jésus‑Christ s'élança jadis de son tombeau avec la rapidité de la foudre, qu'en un instant il se dépouilla de son linceul, qu'il fit enlever par l'ange la pierre scellée de son sépulcre [12] , et renversa contre terre les gardes à demi‑morts de frayeur, ainsi, dit Isaïe, dans un espace de durée aussi imperceptible, la mort sera précipitée : Praecipitabit mortem in sempiternum [13] . L'océan et la terre entrouvriront leurs entrailles dans leur profondeur pour rejeter leurs victimes, comme la baleine qui avait englouti Jonas s'entrouvrit pour le rejeter sur le rivage de Tharsis. Alors, les humains, libres, comme Lazare, de leurs liens mortuaires, s'élanceront transfigurés dans une vie nouvelle. ils insulteront à la cruelle ennemie qui s'était flattée de les tenir enchaînés dans une captivité sans fin. Ils lui diront : « Mort, où est ton aiguillon ? Mort, où est ta victoire ? Mort, tu as subi la loi du talion et tu t'es ensevelie toi‑même dans ton éphémère * triomphe : Absorpta es, mors, in victoria tua. »

 

Mais il est une objection insensée et grossière que nous croyons utile de signaler, c'est celle des matérialistes de notre temps.

 

Le corps humain, disent‑ils, se compose et se recompose sans cesse, par l'âge, la maladie, les altérations des éléments, par la nutrition surtout. Il est sujet à des déperditions et à des renou–vellements perpétuels et constants. Les membres diminuent et grossissent, les cheveux tombent et repoussent. Il est constaté que l'homme vieillard n'a plus dans sa chair une seule parcelle, un seul atome du sang et des humeurs qui entrèrent dans la compo–sition de sa structure matérielle à l'âge où il était encore enfant.

 

Toute cette poussière, tous ces résidus divers, dont le nombre est incalculable, et qui ont servi d'éléments à sa vie organique, lui seront‑ils restitués au moment où il renaîtra de ses cendres ? S'ils ne lui sont pas rendus, s'il en demeure dépouillé, comment affirmer qu'il renaîtra avec le propre corps auquel il était uni en cette vie ? Si au contraire il ressuscite avec l'universalité des éléments qui ont servi à sa constitution, dans ce cas, le corps des élus ressuscités, que l'on dit devoir être rempli d'harmonie et de perfection, ne sera en réalité qu'une agglomération d'éléments informes et défectueux.

 

Il y a longtemps que la vraie science a fait justice de l'incon–séquence et de l'inanité d'une * telle théorie. De nos jours, un pro–fond publiciste, un théologien éminent, versé dans la connaissance des sciences naturelles en même temps qu'initié à tous les trésors des sciences sacrées, a confondu, par une argumentation irréfu–table, ces doctrines non moins abjectes que présomptueuses et insensées.

 

« Dans le corps de l'homme » dit‑il, « il y a quelque chose d'essentiel et quelque chose d'adventif et d'accessoire. Ce qu'il y a d'essentiel, c'est ce qu'il n'a de commun avec personne, ce qu'il possède seul, ce qu'il possédera à jamais ; c'est ce qui existait de lui au moment où il a été informé, animé, vivifié par son âme. Ces éléments essentiels, il les conservera toujours, ils seront toujours siens. Le reste, ce qui est amené par la nutrition, par la digestion, par l'assimilation, n'est pas lui. Il peut le perdre et il le perd sans cesser d'être lui. C'est avec ces éléments essentiels et personnels que Dieu ressuscitera les corps spirituels et glorieux, comme l'immortelle corruption des réprouvés. L'âme étant la même, le germe propre ou l'élément constitutif restant le même, le reste importe peu, et l'identité subsistera éternellement.

 

Il est d'ailleurs rigoureusement démontré : 1e que, dans un corps gros comme la terre, il y a assez de vides et de pores pour qu'on puisse le concevoir réduit au volume d'un grain de sable; 2e réciproquement, que dans un grain de sable, il y a assez de parties, d'atomes, de molécules séparables, pour qu'on puisse en former un globe gros comme la terre. En présence de ces deux mystères de la nature, mystères tout à fait écrasants, oserions‑nous discuter la possibilité ou l'impossibilité de la reconstitution du corps humain, avec ses éléments essentiels et primitifs [14]  ? »

 

Concluons cet exposé du dogme de la Résurrection en en retraçant la magnificence et la sublimité. La Résurrection sera un spectacle imposant et grandiose, qui surpassera tous ceux dont la terre a jamais été le théâtre, et qui éclipsera même la solennité de la création première. La plus belle peinture qui nous en a été retracée, est celle du prophète Ezéchiel, chap. xxxvii, vers. 1 à 13.

 

« Un jour », dit‑il, « la main du Seigneur s'étendit sur moi, je fus ravi en esprit et transporté au milieu d'une plaine que remplissaient, comme autant de pyramides lugubres, des monceaux d'ossements humains. Ces monceaux étaient en nombre infini, ternes, desséchés, et prêts à se résoudre en poussière : Siccaque vehementer. – « Fils de l'homme, penses‑tu que ces os puissent revivre ? » – Je répondis, Seigneur Dieu, vous le savez. – « Prophétise sur ces ossements arides – , dis‑leur : Os arides entendez la voix du Seigneur : Ossa arida, audite verbum Domini. – Je mettrai sur vous des nerfs, je ferai croître sur vous des chairs, j'enverrai en vous l'esprit et vous vivrez. » – Et voilà que je prophétisais, suivant le commandement qui m'avait été donné .

 

Aussitôt une violente agitation se fait sentir, les cieux et la terre sont secoués avec fracas : Factus est autem sonitus... et ecce commotio. Ces os, immobiles depuis tant de siècles, se cherchent réciproquement, ils se rapprochent, s'emboîtent et se joignent les uns les autres ; les chairs, formées comme par enchantement, s'étendent sur les squelettes et les revêtent de la fraîcheur de la vie : Extensa est in eis cultis desuper. – Cependant il n'y avait pas en eux l'esprit, Et spiritum non habebant. – « Fils de l'homme, prophétise à l'esprit de rentrer : Vaticinare ad spiritum. – Dis‑lui : Voici ce que dit le Seigneur : Viens, ô esprit, des quatre vents, accours et éveille de ton souffle ces anciens compagnons de ta vie : Insuffla super interfectos istos et reviviscant. »

 

Aussitôt l'esprit docile reprend possession de ses antiques demeures, les cadavres glacés sont pénétrés d'une chaleur vitale. Semblable aux flots de l'Océan, ou à une moisson d'épis caressée par le souffle des aquilons, on voit une armée innombrable, une forêt d'êtres humains s'agiter sur la plaine silencieuse : Steterunt–que super pedes suos, exercitus grandis nimis valde.

 

« Fils de l'homme, ces ossements arides représentent l'innombrable maison d'Israël , parce que mes promesses ne se réalisent pas sur l'heure, cette génération indocile perd confiance, elle dit : Nos os sont desséchés pour toujours, nos espérances sont détruites, les consolations de notre foi sont mensongères, il ne nous reste qu'à goûter les joies de la vie et à endormir nos peines, car nous sommes à jamais rayés du nombre des vivants. C'est pourquoi je t'ordonne de leur dire : Enfants d'Israël, levez vos têtes, l'heure de votre rédemption approche, j'ouvrirai vos tombeaux, je briserai cette barrière du sépulcre, qui vous semblait éternelle, et je vous introduirai dans cette terre de la béatitude, que vous poursuivîtes par tant de sacrifices et tant d'efforts : Et inducam vos in terrain Israël. »


II

 

La Résurrection opérée, le jugement en est la conséquence im–médiate, et il aura lieu sans délai. On ne saurait en effet concevoir l'innombrable famille humaine, formée de la longue chaîne des générations, agglomérée sur l'étroite surface de cette terre, cher–chant à reconnaître les traces des lieux qu'elle a jadis habités, et réduite de nouveau à les arroser de ses sueurs et s'en disputer les lambeaux.

 

Il est évident que l'humanité ressuscitée entrera dans un autre ordre d'existence, et que la divine Bonté est tenue de lui ouvrir de nouveaux séjours, de nouvelles habitations. Ces habitations seront diverses, suivant les mérites ou les démérites de chacun. Les justes entreront dans le Ciel empyrée, les réprouvés iront remplir les abîmes ténébreux de la haine et de la malédiction.

Inutile de réfuter ces impies qui contestent cette manifestation suprême de la justice et ce dénouement solennel des destinées humaines.

 

Le jugement universel est un fait certain, annoncé par tous les Prophètes ; il est une vérité sur laquelle Jésus‑Christ ne cesse d'insister, vérité sanctionnée par la raison, en accord avec la loi de la conscience et toutes les notions d'équité.

 

Dans la sainte Écriture, chaque fois qu'il est parlé du jugement sans autre désignation propre, et que ce jour du jugement est désigné par ces paroles : Dies Domini, dies irœ, ou par d'autres termes analogues, ces expressions doivent s'entendre du jugement universel et qui aura lieu à la fin des temps. Ainsi il est écrit : « En vérité je vous le dis, il y aura pour Tyr, pour Sidon, au jour du jugement moins de rigueur que pour vous [15] . » – « Le jour du jugement, les terres de Sodome seront traitées avec plus d'indulgence [16] . » – « Le jour du jugement viendra comme un voleur qui s'introduit pendant la nuit [17] . » – « Ne vous laissez pas ébranler, dit saint Paul, comme si le jour du Seigneur était près d'arriver [18] . » – Les prophètes * sont remplis de locutions semblables : « Le jour du Seigneur est proche, dit le prophète Sophonie, jour d'amertume et de colère, jour de tribulation et d'angoisse, de calamité et de misère, d'obscurcissement et de ténèbres, jour où il y aura des clameurs et où les trompettes sonneront avec éclat [19] ... »

 

Jésus‑Christ parle plus explicitement en saint Matthieu, chapi–tre xiii : « Le Seigneur » y est‑il dit, se montrera comme un père de famille qui vient purifier son aire. Il saisira le van dans ses mains, le bon grain sera mis dans le grenier et l'ivraie donnée en pâture aux flammes... »

 

Et ailleurs, dans le même Évangile, chap. xiii, v. 47 . « Le royaume de Dieu est semblable à un filet jeté dans la mer et recueillant toute sorte de poissons. Et lorsqu'il est plein, les pêcheurs, le retirant et s'asseyant sur le rivage, choisissent les bons pour les mettre dans les vases et jettent les mauvais dehors. Ainsi en sera‑t‑il à la consommation des siècles. Les anges viendront et sépareront les mauvais du milieu des justes. Ils les jetteront dans la fournaise de flammes. Là seront des pleurs et des grincements de dents. Se tournant vers ses disciples, il leur dit : « Avez‑vous compris toutes ces choses ? » Les disciples répondent : « Nous les avons comprises... » *

 

A ces textes des Écritures, ajoutons le témoignage de saint Thomas qui nous donne trois raisons théologiques de l'opportu–nité et de la convenance d'un jugement universel.

 

La première de ces raisons consiste dans ce fait, que les œuvres, bonnes ou mauvaises de l'homme, ne sont pas toujours des actes isolés et transitoires ; le plus souvent, surtout lorsqu'il s'agit des chefs des nations ou de ceux qui sont investis de l'autorité publique, elles continuent à subsister, après qu'elles sont consommées, soit dans la mémoire des autres hommes, soit dans la renommée publique, par suite du retentissement qu'elles ont eu et du scandale qu'elles ont causé. – Ainsi tel crime secret, à première vue, ne semble qu'une œuvre privée et personnelle, mais il devient social par ses effets. – Il est de foi sans doute qu'il y a un juge–ment particulier et que tout homme, au moment de son dernier soupir, apparaît au tribunal de Dieu, pour y entendre prononcer son éternelle sentence. – Mais ce jugement ne peut suffire, il est indispensable qu'il soit suivi d'un autre jugement public, où Dieu n'examinera plus les actions isolément et prises en elles‑mêmes, mais où il les examinera dans leurs effets par rapport aux autres hommes, dans les biens ou les maux qui en ont dérivé pour les familles et pour les peuples, en un mot, dans les conséquences qu'elles ont produites et que celui qui les a opérées était tenu de prévoir.

 

La seconde raison de cette manifestation publique donnée par le Docteur Angélique est celle des faux jugements et des appréciations erronées de l'opinion humaine. – La plupart des hommes. même les plus éclairés et les plus sages. se laissent aisément circonvenir et tromper. Ils ne discernent pas le fond intime des âmes et ne peuvent y lire ce qui est secret et intérieur : d'où il arrive qu'ils forment généralement leurs jugements sur les apparences, sur ce qui est visible et extérieur. – Il s'ensuit encore que les hommes de bien sont souvent traités avec des sévérités injustes, qu'ils sont méconnus et lésés dans leur réputation. D'autre part, la méchanceté d'un grand nombre d'hommes reste ignorée, ils sont entourés de l'estime et de la confiance publique, et le monde leur décerne la considération et les louanges qui ne sont dues qu'aux justes. Il faut donc un jugement qui mette à nu tous les déguisements, qui fasse tomber le masque de toutes les hypocrisies, et signale les artifices cachés et toutes les vertus fausses et de mauvais aloi. Ce jugement, nous dit saint Jean, n'aura pas lieu « selon la chair, ni selon ce que voient les yeux et qu'enten–dent les oreilles », mais il se fera aux clartés éblouissantes de la lumière de Dieu, dans le discernement de toutes les intentions et de tous les désirs, la pleine intuition de ce que les cœurs ont eu de plus mystérieux et de plus secret : corda omnium intuendo [20] .

 

Enfin une troisième raison donnée par saint* Thomas, c'est que Dieu gouverne les hommes par des moyens accommodés aux conditions de leur nature, et il les jugera suivant les promesses qu'il leur a faites et les espérances qu'il a suscitées en eux , soit en récompensant, soit en punissant, il doit à sa sagesse de garder les lois et les proportions de la justice distributive telles qu'il les a ici‑bas fixées. – Or, saint Paul appelle lui‑même la vie pré–sente, un stade, une course, une arène [21] ; il nous représente l'homme voyageur sur cette terre, sous la figure d'un soldat ou d'un athlète s'élançant à la poursuite de sa couronne ; il nous propose la Vie éternelle en la désignant sous les noms de « palme, de trophée, de couronne de justice, couronne de vie et de gloire. » Il faut donc, pour que la récompense corresponde réellement à la promesse, qu'elle soit décernée en assemblée publique, avec une solennité et une pompe digne de celui qui la dispense, en présence de tous ceux qui ont participé à la lutte, de tous les ennemis dont les saints ont triomphé, à la manière dont l'ancienne Rome et la Grèce avaient coutume d'agir à l'égard de leurs guerriers vain–queurs et de leurs héros.

 

Dans quel lieu se tiendra le jugement dernier ? Nul ne le sait d'une certitude de foi, mais le sentiment général des Pères, celui de saint Thomas, est qu'il aura lieu dans la vallée de Josaphat .

 

Les saintes Ecritures appellent de ce nom, la région où coule le torrent de Cédron qui embrasse dans ses contours la ville de Jérusalem, le Calvaire et s'étend jusqu'au mont des Oliviers. N'est‑il pas convenable, en effet, que Jésus‑Christ se manifeste dans sa gloire sur les lieux même qui ont servi de théâtre à son agonie, où il est apparu dans ses souffrances et dans ses abaissements ? – C'est ce qu'insinuèrent les anges aux disciples lors–qu'ils leur dirent : Hic Jesus qui assumptus est a vobis sic veniet.

 

N'est‑il pas aussi de toute convenance que cette partie de la terre où le premier homme a été créé [22] , où le Fils de Dieu a opéré la rédemption et le salut des hommes, soit aussi celle où les saints recueilleront dans leur plénitude les fruits de sa Passion et de sa Mort, où ils entreront en participation de son Ascension glorieuse, et où Jésus‑Christ tirera une juste vengeance de ses persécuteurs et de tous ceux qui auront refusé de laver leur âme par l'infinie vertu de son sang ?

 

C'est pourquoi le prophète Joël, chap. iii, s'écrie : « Le Sei–gneur rugira de Sion et sa voix éclatera de Jérusalem. » Et dans le même chapitre, il dit encore : « Je rassemblerai toutes les nations, je les conduirai dans la vallée de Josaphat, où je ferai avec elles la grande discussion [23] . » *

 

C'est donc une vérité indubitable que le jugement se fera dans la vallée de Josaphat.

 

En vain nous objectera‑t‑on que notre assertion ne peut se soutenir, et qu'il suffit de lui opposer cette seule considération, que la vallée de Josaphat étant un espace moins étendu et plus resserré que la plupart des vallées des Alpes, il est inadmissible qu'elle puisse contenir ces milliards et ces milliards d'êtres humains qui se sont succédé ou se succéderont encore sur la terre.

 

Saint Paul dans son épître aux Thessaloniciens, résout et éclaircit cette difficulté : il nous rappelle qu'au jour du jugement, les élus ressuscités ne seront pas agglomérés sur la terre, « mais qu'ils s'élèveront à la rencontre de Jésus‑Christ dans les airs ». Notre Seigneur Jésus‑Christ descendra dans la région des airs, située au‑dessus de la vallée de Josaphat, et c'est là qu'environné de ses anges, il s'assiéra sur le trône de sa Majesté. – Ne con–vient‑il pas en effet que le Juge, en raison de sa dignité, soit élevé au‑dessus de tous, sur un lieu éminent, et d'où il puisse être vu et entendu de tous les hommes ? N'est‑il pas équitable, qu'eu égard aux mérites et aux perfections, une place honorable et plus proche du Souverain Juge soit affectée aux élus affranchis de la pesanteur, et qui possédant des corps glorieux et subtils, n'auront plus besoin d'avoir la terre pour appui ? – Seuls les réprouvés seront retenus sur la terre ; mais comme l'observe Suarez, ce serait à tort que nous les représenterions circonscrits et parqués, dans les étroites limites de la vallée de Josaphat ; leur multitude s'étendra, autant qu'il sera nécessaire, dans les lieux environnants, sur le mont des Oliviers. sur la montagne de Sion, sur l'emplacement où était située Jérusalem et peut‑être à des espa–ces très éloignés. Et s'il est dit que le jugement aura lieu dans la vallée de Josaphat, c'est parce que Jésus‑Christ dressera son trône au‑dessus d'elle, et que cette vallée sera le lieu où les hommes commenceront à se rassembler.

 

Par qui se fera le jugement ? – Par le Christ Jésus, non pas précisément par le Christ Jésus, en tant qu'il est Dieu, qu'il pos–sède une même substance et une même vie avec son Père, mais par le Christ Jésus en tant qu'il s'est incarné dans le temps et qu'il est appelé le Fils de l'Homme. Il est dit en saint Jean, chapitre v : « Le Père ne juge personne, niais il a donné tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Et il lui a donné la puissance de juger, parce qu'il est le Fils de l'Homme. » En effet en tant que Dieu, Jésus‑Christ est l'égal de son Père, l'expression et l'image de sa puissance souveraine, et il possède connaturellement avec les deux autres personnes divines, le droit qu'ont celles‑ci de juger. – A ce point de vue, Jésus‑Christ n'a pas à recevoir une seconde investiture, et c'est seulement en le considérant comme homme que saint Jean a pu dire qu'il sera honoré de tous, à cause de la puissance judiciaire que lui a conférée son Père.

Dans le verset suivant, saint Jean nous apprend que Jésus– Christ a reçu le pouvoir de rendre la vie aux morts. « L'heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu [24] . »

 

Il ressort de ce passage que le pouvoir de ressusciter conféré au Fils de l'homme, est une conséquence de sa qualité de juge il est indispensable en effet pour l'exercice de la judicature, que celui qui en est investi ait le moyen de citer les coupables et puisse les traîner à son tribunal. – Le jugement, observe saint Thomas. devant s'exercer sur des hommes, doit s'accommoder à leurs aptitudes, être approprié aux exigences et aux inclinations de leur nature. Mais l'homme est composé d'une âme et d'un corps ; il ne perçoit les choses spirituelles et invisibles que par l'intermédiaire des choses sensibles * : dès lors, n'est‑il pas indispensable que l'homme soit jugé par un homme, par un être se montrant corporellement, et dont il puisse voir la face et entendre la voix ? Et saint Jean nous dit avec raison : « Omne judicium dedit filio, qua filius hominis est. »

 

En outre, si nous étudions les choses suivant notre mode de concevoir, ne faut‑il pas que le juge soit vu de tous les hommes cités à sa barre ? Or, en tant qu'il a la forme humaine, Jésus– Christ sera vu simultanément des bons et des méchants *, en tant qu'il a la forme divine, il ne peut se manifester qu'aux élus. – Enfin, Dieu le Père a confié le jugement à Jésus‑Christ, en tant qu'il est homme, dans une disposition de bonté, afin de tempérer l'éclat de cette redoutable manifestation et d'en adoucir la sévé–rité et les rigueurs ; car, l’Église nous dit dans sa liturgie :

Quantus tremor est futurus

Quando judex est venturus

Cuncta stricte discussurus.

 

Si Jésus‑Christ apparaissait sous les traits d'une nature supé–rieure et toute céleste, quel être humain parviendrait à soutenir le poids de sa majesté et le feu de ses regards ? Mais il se montrera avec le visage et les traits qu'il avait durant sa vie mortelle, il se fera précéder de sa croix et des autres insignes de ses abaissements ; il laissera apparaître les cicatrices des blessures de ses pieds et de ses mains : Videbunt in quem transfixerunt;  les réprouvés alors n'oseront plus contester sa justice, et les * justes à leur tour se sentiront attirés vers lui avec une confiance plus vive. Le cœur de saint Paul se dilatait de joie et d'espérance : considérant que le Christ devait être son juge, il sentait s'éva–nouir toutes ses craintes et toutes ses défiances... « Quel sera l'accusateur contre les élus de Dieu, disait‑il ? Dieu qui les justi–fie. Qui les condamnera ? Le Christ Jésus, celui‑là même qui non seulement est mort, mais qui est ressuscité, qui est à la droite du Père et qui encore intercède pour nous. »

 

Quant au mode de ce second avènement, il sera semblable au premier sic veniet quemadmodum vidistis eum euntem in cœlis; ce sera le même Christ et le même homme, et ses traits, sa res–semblance seront les mêmes que durant sa vie mortelle ; il suf–fira à ceux qui vécurent et conversèrent avec lui de jeter les yeux sur sa personne pour le reconnaître. Mais cette seconde manifestation n'aura plus lieu dans l'infirmité et dans l'abaisse–ment, elle aura lieu dans la majesté et dans la gloire. « En véri–té », est‑il dit dans saint Matthieu « je vous le dis, vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu et venant sur les nuées du Ciel. » En d'autres termes, Jésus‑Christ apparaîtra entouré de l'appareil et de la pompe d'une royauté divine. Les * élus glorifiés et la multitude des anges formeront autour de son trône une cour si resplendissante, qu'aucun esprit ne parviendrait à se la retracer. Ceux qui auront combattu avec le plus de constance, qui l'auront suivi de plus près dans l'arène de ses souffrances, seront les plus rapprochés de sa personne: « Ils apparaîtront », dit le livre de la Sagesse, « le front haut et serein, avec une grande assurance contre ceux qui les auront opprimés tyranniquement durant leur vie. »

 

On peut se représenter les regrets et le désespoir des réprouvés à la peinture qu'en trace le même auteur inspiré. Touchés de regret et le cœur brisé par l'angoisse, ils s'écrieront : « Ce sont donc là ceux qui étaient l'objet de nos risées et que nous jugions dignes de tout opprobre, dont nous disions que la vie était une folie et que leur mort serait sans honneur. Cependant les voilà élevés au rang des enfants de Dieu, et leur partage est avec les saints. Nous nous sommes donc égarés des voies de la vérité. La lumière de la justice n'a point lui pour nous, et le soleil de l'intelligence ne s'est point levé pour nous » [25] .

 

Les apôtres, les martyrs, les docteurs, les milliers de justes qui auront combattu pour l'honneur de Dieu et des intérêts de la foi, s'uniront à leur chef pour proclamer la vérité de ses sentences et l'équité de ses jugements.

 

Ce jugement est appelé avec raison universel, * parce qu'il s'exercera sur tous les sujets de l'humanité, parce qu'il s'étendra à tous les crimes, à tous les délits et qu'il sera définitif et sans appel.

 

Premièrement, le jugement dernier s'exercera sur tous les sujets de l'humanité [26] .

Les hommes de toute nation, de toute tribu, de toute langue y comparaîtront. Il n'y aura plus entre eux aucune distinction de fortune, de naissance et de rang. Ceux qui s'appelaient Alexandre, César, Dioclétien, seront confondus pêle‑mêle avec les pâtres qui font en ce moment brouter leur troupeau sur les plages inconnues et désertes, où les cendres de ces maîtres du monde gisent dis–persées. Les hommes alors seront dominés par d'autres intérêts que ceux de la curiosité et d'une vaine admiration. Des spectacles autrement sérieux attireront leurs regards et leurs attentions ; la figure du monde se sera évanouie, et les victoires des grands capitaines, les œuvres conçues par le génie, les entreprises et les grandes découvertes ne seront estimées que des simulacres et des jeux d'enfants.

 

De même, dit saint Jean Chrysostome, que, sur un théâtre, lorsqu'un acteur descend de la scène, on ne l'admire pas précisé–ment à cause du rôle qu'il a joué, on ne le loue ni de ce qu'il a figuré le personnage d'un roi, ni de ce qu'il a représenté un valet ou un mendiant, mais on le loue de son habileté, et on applaudit uniquement à la perfection avec laquelle il a exécuté son rôle ; ainsi au jugement * dernier, tel ne sera pas honoré, parce qu'il aura été un roi, un éloquent orateur, un ministre et un grand homme d’État. Toutes ces dignités et ces distinctions, que le monde tient en si haute estime, seront réputées de nul mérite et de nulle valeur. Les hommes ne seront loués qu'en raison de leurs vertus et de leurs bonnes œuvres : Opera enim illorum sequuntur illos [27] .

 

Secondement, ce jugement est appelé universel, parce qu'il s'étendra à tous les crimes et à tous les délits.

 

C'est alors seulement que l'histoire humaine commencera. – Dans les clartés de la lumière de Dieu, on verra nettement et en détail tous les crimes publics et secrets qui se sont consommés sous tous les espaces et à travers tous les temps. La vie de chaque sujet humain sera dépliée tout entière. Aucune circonstance ne sera omise ; pas une action, pas une parole, pas un désir qui ne soit publié. On nous rappellera les divers âges que nous avons par–courus, on retracera à cet impudique ses désordres et ses discours de libertinage ; à cet ambitieux ses voies tortueuses et machia–véliques.

 

Le jugement démêlera et fera ressortir tous les fils et les détours de ces intrigues, si savamment ourdies ; il mettra dans leur vrai jour toutes ces basses palinodies et ces lâches connivences que des hommes, investis de la puissance publique, auront cherché à justifier, soit en invoquant le prétexte * spécieux de la raison d’État, soit en les recouvrant du masque de la piété ou du désinté–ressement. – Le Seigneur, dit saint Bernard, manifestera toutes ces libertés que l'on se dissimulait à soi‑même, tous ces dérègle–ments inconnus, ces projets de crime auxquels l'exécution seule a manqué, ces artifices  dont on se faisait des vertus ; et ces péchés oubliés, secrets, effacés de la mémoire, apparaîtront soudain comme des ennemis qui s'élancent d'une embuscade : Prodient ex improviso et quasi ex insidiis.

 

Il y a sans doute des hommes endurcis dans l'iniquité que la pensée de cette terrible manifestation touche peu. Familiarisés avec le crime, il s'en font un sujet de divertissement et de gloire. Ils se flattent sans doute d'affecter au jugement la même effronte–rie, de défier, par leur attitude cynique et arrogante, la majesté de Dieu et la conscience du genre humain. – Vain espoir ! – Le péché ne s'estimera plus selon l'appréciation des hommes charnels, faciles à excuser les plus grossiers emportements, dès lors qu'ils n'atteignent le prochain ni dans ses biens, ni dans sa vie. La laideur et le dérèglement du péché se manifesteront dans les ineffables clartés de la lumière de Dieu. Le péché, dit saint Tho–mas, se jugera comme Dieu lui‑même le juge : Tunc confusio respiciet œstimationem Dei quœ secundum veritatem est de pec–cato.

 

Trois classes principales d'hommes attireront sur elles l'atten–tion.

 

La première de ces classes sera celle des fils de justice et de lumière, dont les mérites et les bonnes * œuvres seront mises en pleine évidence, et obtiendront une sanction et une louange publi–que de la part du Juge clairvoyant et infaillible, dont le témoi–gnage ne saurait être sujet à aucune erreur et à aucune contra–diction.

 

La seconde de ces classes d'hommes sera celle des fils de Voltaire, des coryphées de la libre‑pensée et de la Révolution qui, à l'heure présente, ourdissent de ténébreux et sacrilèges complots contre Jésus‑Christ et son Église. – Il seront glacés d'épouvante et frémiront d'une indicible horreur, en voyant apparaître dans sa gloire et armé de sa toute‑puissance, Celui qu'ils avaient voulu écraser, qu'ils avaient stigmatisé, en l'appelant l'ennemi, l'insensé, l'infâme. Ceux‑là pousseront un cri suprême de rage et de malé–diction, et ils s'écrieront comme Julien l'Apostat : Tu as vaincu, Galiléen

 

 Enfin, la troisième catégorie d'hommes qui obtiendra au juge–ment une attention spéciale, sera celle des fils de Pilate, des ado–rateurs du veau d'or et des caméléons de la fortune et du pouvoir. Nuages sans eau, comme les appelle saint Jude, flottant à tout vent d'opinion et de doctrine, sans autre boussole religieuse ou politique que celle de leur ambition, toujours prêts à faire litière de leur conscience et de leurs principes , à défaut d'or spéculant sur le sang des âmes, et livrant le Christ comme le prêteur romain, afin d'acheter les honneurs et les complaisances du maître du jour.

 

Ce type hideux et repoussant se reproduit sans cesse avec les mêmes caractères et les mêmes traits * à toutes les époques de crise et de commotion sociale. – Saint Jean, dans son Évangile, a vulgarisé cet idéal du mensonge et de la lâcheté dans une figure à jamais populaire et vivante, où se reconnaîtront éternellement tous nos Pilates de législation et de gouvernement, qui vendent le Juste pour conquérir la faveur et les dignités lucratives. Ceux‑là apprendront au jugement qu'il n'est pas opportun de servir deux maîtres. Ils maudiront les Césars d'aventure, auxquels ils ont rendu ce qu'ils refusaient de rendre à Dieu, et s'écrieront : « Ergo erravimus [28] : Donc, nous nous sommes trompés. »

 

Enfin, le jugement dernier est appelé universel, parce qu'il est décisif et irrévocable.

 

Ce jugement est irrévocable, parce qu'il n'y a pas de degré de juridiction supérieure à la juridiction de Dieu, et qu'on ne petit en appeler de la justice absolue à la justice relative et bornée. Il n'y aura donc ni réhabilitation, ni amnistie partielle ou plénière. Les sentences divines sont irréformables, et Celui qui voit tout, qui a prévu le nœud et la conclusion des destinées humaines dans les éternels décrets de la prédestination. n'est pas un être suscep–tible de se déjuger. Ce qu'il a dit, il l'exécutera ; ce qu'il a fait, il le confirmera. Ce qu'il a une fois voulu restera éternellement fixé ; car les cieux et la terre passeront, mais la Parole de Dieu ne sera sujette à aucune erreur ni à aucun * changement : Cœlum et terra transibunt, verba autem mea non prœteribunt [29] .

 

 Ces grandes vérités nous impressionnent faiblement, parce que le jour de leur réalisation ne s'offre à nous que vaguement et dans un avenir éloigné, et que d'ici à ce qu'elles s'accomplissent, nous nous flattons d'en conjurer la rigueur. – A la vérité, les débats de ces grandes assises sont encore différés, mais l'instruc–tion en est commencée et elle se poursuit. Il est écrit : « Le visage de Dieu est fixé sur celui qui fait le mal. Le Seigneur épie soigneusement le juste et l'impie... et celui qui aime l'iniquité est le meurtrier de son âme [30] . »

 

De même que, de nos jours, le télégraphe est devenu un moyen merveilleux de communication entre les hommes, qu'il transmet instantanément avec la rapidité de l'éclair, d'un point de l'espace à l'autre, nos commandements et toutes nos paroles, ainsi il y a également un télégraphe divin : chacune de nos pensées, à l'instant où elle est conçue, chacune de nos paroles, aussitôt qu'elle est émise, est transcrite immédiatement en lettres indélébiles, et avec une véracité effrayante, sur ce grand livre dont il est fait mention dans la liturgie sacrée et où il est dit : Tunc liber scriptus profe–retur, in quo totum continetur, unde mundus judicetur [31] .

 

Ainsi ne nous laissons pas intimider par l'arrogance et les sombres menaces de l'impie, nous qui, * à cette heure, sommes livrés à la violence et à l'oppression, dont les droits sont mécon–nus et foulés aux pieds, et qui, en butte aux ruses et aux machi–nations d'hommes sans foi, subissons les odieux excès du despo–tisme et de la force. Si Dieu se tait et semble en ce moment dor–mir, immanquablement il se réveillera à son heure. – Encore une fois l'instruction est dressée, le dossier de l'impie est complet, les témoins sont cités, la réquisition est faite. – C'est à courte échéance que l'audience la plus solennelle de toutes est ajournée.

On raconte qu'un prince de Bretagne, fier, vaillant et généreux, fut vaincu et fait captif par un féroce rival, qui l'envoya languir dans un sombre cachot, où il lui mesurait l'air, le pain, le soleil, et où sa vie ne tarda pas à s'éteindre, dans l'horreur et sous les étreintes d'un supplice lent et froidement calculé. – Sur le point de mourir, la victime adressa à son meurtrier une citation ainsi conçue :

 

« J'en appelle de vos violences et de votre barbarie au Protec–teur suprême des opprimés, et dans un an et un jour je vous cite à comparaître avec moi à son divin tribunal. » – En effet, au jour échu, l'assassin passait de vie à trépas.

 

Nous tic sommes pas prophète, et nous n'oserions citer à si courte échéance tous les hommes pervers, les folliculaires de la libre pensée, les fauteurs de législation inique, ceux qui attentent à l'honneur et à la liberté des familles, aux droits et à la vertu de l'enfance ; niais que ces hommes qui défient Dieu et se rient de ses menaces, aient un jour un *compte minutieux et sévère à rendre à sa justice... c'est une vérité très certaine... ce compte, tôt ou tard ils le régleront. En ce jour des solennelles réparations, les impies qui appelaient les justes des insensés, qui se rassasiaient avidement de leurs tortures et de leurs larmes, comme le pain que dévore un homme affamé, apprendront à leurs dépens que Dieu ne souffre pas qu'on le prenne en dérision et qu'il n'y aura ni impu–nité ni prescription au profit du crime et de l'iniquité.

 

Tous les torts seront réparés avec éclat. Le sang d'Abel, dont s'est abreuvée la terre, rejaillira sur Caïn, et élèvera contre lui une voix accusatrice... Saint Pierre demandera compte à Néron du supplice auquel il l'a condamné. Marie Stuart appellera les vengeances divines sur la tête d’Élisabeth d'Angleterre, sa meur–trière. Tous les saints, s'adressant à Dieu, lui crieront d'une voix unanime : Usquequo, Domine, non judicas et non vindicas san–guinem nostrum de iis qui habitant in terra [32] .

Ce sera une grande cour de cassation, où une multitude des causes célèbres ici‑bas seront rapportées, où une infinité de juge–ments que la crainte, l'ambition, l'intérêt auront dictés aux hommes, seront irrévocablement annulés, où, en un mot, la Providence, contre laquelle blasphèment ici‑bas les insensés, qu'ils accusent d'insensibilité, d'injustice, de partialité aveugle, se justifiera pleinement* dans ses voies, suivant ce qu'il est écrit : Ut vincas cum judicaris [33] .

 

Il est raconté qu'il y avait en Allemagne un solitaire dont la sainteté et les œuvres jetaient un grand éclat ; il guérissait les malades, rendait la vue aux aveugles, et attirait autour de son habitation les peuples des alentours. – L'empereur Othon voulut aller le visiter ; ravi des discours de sagesse qui émanaient des lèvres du saint, il ne donna aucune borne à son admiration . « Mon Père, lui dit‑il, demandez‑moi ce qu'il vous plaira, fût‑ce la moitié de mon royaume. vous l'obtiendrez. »

 

Le saint prit alors un air solennel, il releva majestueusement sa tête, couronnée comme d'un diadème de noblesse et de vertus ; il mit sa main sur la poitrine de l'empereur, et, prenant un ton solennel : « Prince je n'ai que faire de votre couronne et de vos trésors ; mais je vous demande une grâce, c'est qu'au milieu des pompes et de la fascination de votre toute‑puissance et de vos grandeurs, vous vous retiriez chaque jour, quelques instants, dans la solitude secrète de votre cœur, afin de considérer le compte que vous rendrez un jour à Dieu ; car, comme le dit saint Clément, pape : « Quis peccare poterit, si semper ante oculos suos Dei judicium ponat, quod in fine mundi certum est agitandum [34] . »

 

Faisons de même, disons avec le prophète : Cogitavi dies anti–quos et annos œternos in mente habui [35] . Jugeons‑nous nous-mêmes avec sévérité et nous ne serons pas jugés. Habitons tous les jours de notre vie avec le Seigneur Jésus, et alors nous serons affranchis de toute crainte, car il n'y a pas de condamnation pour ceux qui habitent avec le Seigneur Jésus : Nihil ergo nunc damnationis iis qui sunt in Christo [36] .

 


 



[1] Act., xxix, 25.

[2] Cor., xv. 32.

[3] Id.

[5] 1 Cor., xv, 51, 52, 53, 54, 55.

[6] Cor., xv, 42, 43, 44, 45, 47, 50.

[7] Job., xiv, 24, 25.

[8] 1 Cor., xv, 14.

[9] Quant aux enfants morts sans baptême, voici ce que dit le théologien Suarez : ‑ Hæ omnia communia sunt infantibus qui in solo peccato originale decesserunt ; solum erit differentia, quia horum corpora licet ex interna dispo–sitione sint passibilia, tamen actu nihil patientur, nec fatigabuntur, neque inordinatum aliquem motum sentient et ita ex lege Dei possunt dici quodam–modo impassibilia ; hoc mortuis omnibus commune erit quando resurgent incorrupti. (Suarez, Quæst. lvi, art. 11.)

[10] Ephes., v, 13.

[11] Mittet angelos suos cum tuba et voce magna et congregabunt angelos suos a quatuor ventis.

[12] Notre Seigneur n'a pas enlevé la pierre qui fermait l'entrée de son sépulcre en la brisant, ainsi que quelques‑uns l'ont pensé. C'est l'ange qui l'a ôtée ou roulée. Saint Antonin de Plaisance, qui vivait dans le vil siècle, assure dans son itinéraire en Terre Sainte, avoir vu cette pierre qui était ronde comme une meule de moulin.

[13] 1 Isaïe, xxv, 8.

[14] Moigno, Splendeurs de la foi.

[15] Dico vobis, Tyro et Sidoni remissius erit in die judicii. (Mt., xi.)

[16] Terræ Sodomorum remissius erit in die judicii. (Mt., xi.)

[17] Dies Domini, sicut fur in nocte, ita veniet. (I ad Th., 5.)

[18] Non cito moveamini, quasi instet dies Domini. (Il ad Ths., 2.)

[19] Juxta est dies Domini magna. Dies Domini amara, dies iræ, dies tribula–tionis et angustiæ, dies calamitatis et miseriæ, dies tenebrarum et caliginis, dies tuba ! et clangoris. (Soph., i.)

[20] Non est secundum carnem. (Joan., viii.) ‑ Nec secundum visionem oculorum, aut auditum aurium. (Isa., ii.) ‑ Sed corda omnium intuendo. (Reg., xvi.)

[21] Nescitis quod qui in stadio currunt, omnes quidem currunt, sed unus accipit bravium ? Sic currite ut comprehendatis. (I Cor., ix, 26.) ‑ Corona justitiæ, vitæ et gloriæ. (Il ad Timoth.)

[22] Il n'est pas de foi qu'Adam ait été créé sur le Calvaire, c'est simplement une tradition.

[23] 1 Dominus de Sion rugiet, et de Jérusalem dabit vocem suam (Joël. iii). congregabo omnes gentes et educam m in vallem Josaphat et disceptabo cum eis.

[24] ' Amen, amen dico vobis, quia venit hora et nunc est, quando mortui audient vocem Filii Dei, et qui audierint, vivent. (Joan., v, 25.)

[25] Sap., v.

[26] Inde venturus est judicare vivos et mortuos.

[27] Apoc., xiv, 13.

[28] Sap., v, 6.

[29] Mt., xxiv, 35.

[30] Ps. xxxiii, 16. ‑ Ps. X, 6.

[31] Prose de 1'office des morts : Dies irœ.

[32] Apoc., vi, 10.

[33] Ps. L. 6.

[34] S. Clément, epist. ad Jacob.

[35] Ps. lxxxvi, 6.

[36] Rom., viii, 1.