Table des matières

SIXIEME CONFERENCE

 

DE L'ÉTERNITÉ DES PEINES ET DE LA DESTINÉE MALHEUREUSE

 

Ibunt hi in supplicium.

           

Ils iront au supplice éternel.

(Mt., chap. xxv. v. 26.)

 

Il est, dans le Christianisme, une vérité terrible, qui, de nos jours plus encore que dans les siècles antérieurs, suscite dans le cœur de l'homme d'implacables répulsions. – Cette vérité est celle des peines éternelles de l'Enfer. – Au seul énoncé de ce dogme, l'intelligence se trouble, le cœur se resserre et frémit, les passions se raidissent. et s'irritent contre cette doctrine et les voix importunes qui l'annoncent. – Faudrait‑il donc nous taire, laisser dans l'oubli et couvrir d'un voile épais une vérité essentielle, touchant à l'intérêt le plus important de l'homme, celui de sa destinée suprême. au‑delà des courtes années de son exil sur la terre ? – Mais si l'Enfer est une réalité, tout le silence que nous ferions autour de cette question fondamentale, n'ébranlerait pas sa certitude. Les atténuations et les adoucissements du langage humain, n'en abrégeraient pas la durée. Le comble de la folie serait de bous persuader, qu'en détournant notre attention de cette chance fatale.. en nous efforçant de n'y pas croire, nous parvien–drons un jour à en conjurer la rigueur.

 

Dans cette série de conférences où nous nous sommes proposé de traiter ce qui touche à l'avenir de l'homme et à ses fins immortelles, nous ne saurions omettre les supplices de l'autre vie sans trahir nos devoirs, et nous montrer, comme un médecin infidèle et trompeur, qui afin d'épargner un cruel traitement à son malade, le laisserait tranquillement mourir. Sur ce point Jésus‑Christ lui‑même n'a pas cru opportun d'user de ménagements et de réticences. Il ne cesse d'insister sur les peines réservées aux pécheurs, il parle à maintes reprises des ténèbres extérieures, de ce feu qui ne s'éteint pas, de cette prison sans issue où il y aura des grincements de dents, et où les pleurs ne tariront pas.

 

Lorsque la justice humaine veut frapper un grand coupable, elle fait dresser l'échafaud sur la place publique, elle convie le peuple à assister à cet affreux spectacle. Dans plusieurs contrées, elle laisse, des jours entiers, les membres fracassés du malheureux suspendus à la route. ou au gibet où il a rendu le dernier soupir, afin d'effrayer, par un tel exemple, les hommes égarés, et qui seraient entraînés par des passions coupables. – Jésus‑Christ procède comme la justice humaine, il montre au méchant le glaive suspendu au‑dessus de sa tête, afin que, saisi de terreur, il n'enfreigne pas sa loi, et qu'il fasse le bien, au lieu d'opérer le mal.

 

Saint Ignace de Loyola disait qu'il ne connaissait pas de prédication plus utile et plus fructueuse que celle de l'Enfer. – La considération des charmes de la vertu, les délices et les attractions de l'amour divin, ont peu de prise sur les hommes sensuels et grossiers ; au milieu des distractions tumultueuses où ils vivent, des exemples contagieux qui leur sont donnés, des pièges et des écueils semés sous leurs pas, la menace de l'Enfer est le seul frein assez puissant pour les contenir sur la ligne du devoir. – Par la même raison, sainte Thérèse invitait souvent ses religieuses aus–tères à descendre en esprit et par la pensée en Enfer durant leur vie, afin d'éviter, disait‑elle, d'y descendre en réalité après leur mort.

 

Dans l'étude que nous allons entreprendre sur cette grave question, du sort réservé aux hommes décédés dans la haine de Dieu, nous éviterons les opinions controversées ; nous procéderons avec la rigueur du raisonnement et aux clartés de la grande lumière théologique, ne prenant pour appui que les Ecritures, et la science authentique de la tradition et des Pères. – D'abord, l'Enfer existe‑t‑il et est‑il certain que les peines qu'on y endure sont éternelles ? – Secondement, quelle est la nature du supplice de l'Enfer et où en est le lieu ? – Troisièmement, la miséricorde de Dieu peut‑elle se concilier avec l'idée d'une justice, qu'aucune satisfaction ne parviendra à désarmer ?

 

Aucun homme ne saurait s'appliquer à l'étude de ces hautes considérations. sans entendre retentir au plus secret de son allie cette parole clos Écritures : « Prends garde, sers le Seigneur ton Dieu, et observe ses commandements ; car c'est là tout l’homme. » Qui méditera ces vérités terribles est assuré de devenir meilleur ; il sentira aussitôt son esprit se transformer, et son être se relever dans l'énergie de la vertu et dans l'amour du bien.

 

I

 

L'éternité des peines est une vérité formellement enseignée par les saintes Ecritures ; elle fait partie du symbole chrétien ; un grand nombre de conciles l'ont définie comme article de foi [1] .

 

Saint Matthieu, ch. xviii, saint Jean, Apoc. ch. xiv, parlant des peines des démons et des réprouvés *, disent qu'elles auront une durée sans bornes [2] . Saint Marc, ch. ix, et Isaïe, ch. lxvi, disent que leur feu ne s'éteindra pas, et que leur ver ne mourra pas. – Saint Augustin, citant ces paroles, observe que l'on peut discuter sur la nature de ce ver, sur la matérialité ou l'immatérialité de ce feu , mais ce qui reste acquis par la parole du pro–phète, ce qui est à l'abri de toute controverse, c'est que les ardeurs de ce feu ne seront jamais tempérées, et que les tortures de ce ver n'iront jamais en s'amoindrissant [3] .

 

Jésus‑Christ, parlant de la sentence suprême qu'il prononcera un jour, conserve et établit la même parité entre la justification et la condamnation ; il ne distingue, soit dans les récompenses des justes, soit dans le châtiment des impies, aucune mesure ni aucune différence de temps. – « Ceux‑là iront au supplice éternel et les justes à la vie éternelle [4]  » – Donc, si la vie éternelle ne doit pas avoir une limite de temps, la mort éternelle sera, elle aussi, sans limite et sans fin.

 

Il résulte de ces divers témoignages, que la miséricorde est exclue des Enfers, et que la rédemption ne saurait y avoir d'accès. Quia in inferno nulla est redemptio. – Du reste, les réprouvés et les démons ne pourraient se libérer envers la justice *, et obte–nir la délivrance ou la mitigation de leurs peines, que par trois moyens : ou par une vraie et sincère pénitence ; ou par la vertu des prières des saints et des œuvres satisfactoires offertes par les vivants ; ou encore par la destruction de leur être ; Dieu, dans l'impossibilité absolue où il est de les recevoir, dans son sein, en leur enlevant l'existence, ferait cesser par le fait leurs tour–ments ; – or, les réprouvés ne peuvent faire pénitence. – Dieu n'a jamais fait grâce à Satan. parce que Satan ne s'est jamais repenti. – Il arrive, dit saint Thomas, que l'on se repent et que l'on déteste le péché de deux manières : absolument ou acciden–tellement. Celui qui déteste le péché absolument, le hait à cause de sa difformité intrinsèque, et parce qu'il est l'offense de Dieu ; celui qui le déteste accidentellement, le hait, non par amour de Dieu, mais par amour de lui‑même : c'est‑à‑dire qu'il ne déteste pas réellement le péché, mais la peine et les maux qu'il lui a occa–sionnés. Or. la volonté des damnés reste inclinée au mal, et l'hor–reur et la détestation de leur peine n'est ni le repentir, ni l'expia–tion [5] – Ils sont sans doute consumés par des désirs et* des rêves ; mais ces rêves ont pour objet une félicité à eux et qu'ils se constitueraient indépendamment de Dieu. Tel est le rêve des démons et celui des damnés, rêve éternellement stérile et qui les consume dans un désespoir et dans une exaspération sans fin. Les damnés ne peuvent donc se repentir. – Sont‑ils susceptibles de participer aux prières et aux mérites des vivants ? S'il en était ainsi. Lucifer et ses anges seraient susceptibles, clans un temps plus ou moins éloigné, (le se relever dans le bien : et ils deviendraient dès lors des êtres saints, dignes de vénération et d'amour. au même titre que les chérubins et les archanges qu'ils embrasse–raient un jour dans une éternelle communion. Il s'ensuivrait encore que l’Église serait tenue de prier pour les démons. Les démons sont à la vérité nos pires ennemis, mais le précepte de la charité nous prescrit de prier, sans exclusion, pour tous nos ennemis. Or, l’Église prie ici‑bas pour ses persécuteurs, par la raison que, durant la vie présente, ils peuvent produire de dignes fruits de pénitence ; mais même au jour du jugement, où elle sera consom–mée en amour et en sainteté, elle ne priera pas pour les hommes condamnés par le juste juge à d'éternels tourments. – Si les réprouvés peuvent espérer un jour leur salut, non seulement l’Église doit prier pour eux, mais de plus, nous ne voyons pas pourquoi elle s'abstiendrait de leur décerner un culte, et ne recueillerait pas les restes des Néron, des Robespierre et des Marat, pour les honorer sur les autels, au même titre que les cendres des Louis * de Gonzague, des Vincent de Paul, des Fran–çois de Sales.

 

Enfin les souffrances des réprouvés ne s'épuiseront pas, et leur être ne, 'sera jamais détruit. La sainte Écritures dépeint leur état lamentable cri l'appelant : Secunda mors « seconde mort. » « Ce sera », dit saint Grégoire le Grand, « une mort qui ne sera jamais consommée, une fin, toujours suivie d'un nouveau commencement, une déconsistance qui n'amènera jamais aucun dépérisse–ment [6] . » – Saint Augustin n'exprime pas avec moins de force et de clarté, la triste condition de cette mort qui, laissant éter–nellement subsister l'âme, lui fera endurer ses affres et ses hor–reurs dans toute leur intensité. « On ne peut pas dire qu'il y aura en Enfer la vie de l'âme, puisque l'âme ne participera en aucune manière à la vie surnaturelle de Dieu ; on ne peut pas dire qu'il y aura la vie du corps, puisque le corps y sera en proie à toute sorte de douleurs. – Par là-même, cette seconde mort sera plus cruelle. parce que la mort ne pourra y mettre fin [7] . »

 

Ajoutons à ces preuves théologiques les preuves de raison

S'il n'y avait pas un Enfer éternel, le christianisme disparaîtrait, et l'ordre moral serait supprimé.

 

Cette vérité de l'éternité des peines est essentiellement liée aux vérités substantielles de la religion, à la chute de l'homme, à l'Incarnation, à la Rédemption, qui en impliquent logiquement la certitude. – S'il n'y avait pas d'Enfer, pourquoi Jésus‑Christ serait‑il descendu du Ciel, pourquoi ses abaissements dans la crèche, ses ignominies, ses souffrances et son sacrifice sur la croix ? – Cet excès d'amour d'un Dieu se faisant homme pour mourir aurait été une œuvre dénuée de toute sagesse, et sans pro–portion avec la fin proposée, s'il se fût agi de nous délivrer sim–plement d'une peine temporelle et passagère, telle que l'est le Purgatoire. – L'homme était donc tombé dans un malheur irré–parable et frappé d'une disgrâce infinie, puisqu'il tic pouvait être relevé que par un remède divin. – Autrement il faudrait dire que Jésus‑Christ no nous a rachetés que d'une peine finie, dont nous aurions pu nous libérer par notre propre satisfaction, et dans ce cas les trésors de son sang ne seraient‑ils pas superflus ? – Il n'y aurait plus alors de rédemption, dans le sens strict et absolu de ce mot : Jésus-Christ ne serait plus notre Sauveur ; le tribut de gratitude et d'amour sans bornes qu'il exige des hommes serait une prétention excessive et imméritée. – Le Dieu fait homme pleinement détrôné de nos cœurs et de nos adorations, le Christianisme deviendrait une imposture, et tout esprit conséquent serait nécessairement induit à rejeter la révélation et Dieu lui‑même.

 

S'il n'y a pas un Enfer éternel, il n'y a plus d'ordre moral.

Le fondement de l'ordre moral, c'est la différence absolue et essentielle entre le bien et le mal. Le bien et le mal diffèrent essen–tiellement, parce qu'ils ont des conclusions différentes et abou–tissent à des fins opposées , niais, si nous supprimons la sanction éternelle (les peines, le vice et la vertu parviennent au même terme : l'un et l'autre, par des voies différentes, atteignent leur fin dernière, qui est le repos et la jouissance dans la béatitude de Dieu. Le même sort échoit en partage à ceux qui ont été les instru–ments du mal et à ceux qui ont été jusqu'au bout les organes incorruptibles du bien.

 

Vous nous direz : Soit, mais ce sera mille, cent mille ans plus tôt pour le juste ; mille, cent mille ans plus tard pour l'impie. – Qu'importe ? – Une durée expiatoire, si longue que vous la supposiez, ne constitue pas, pour la destinée de l'un et celle de l'autre, une différence essentielle. Durant notre vie éphémère et fugitive, où les instants une fois écoulés ne renaissent jamais plus, mille, cent mille ans, sont une durée et ont (le l'importance ; niais dès que l'homme est entré dans l'éternité, mille, cent mille ans, n'ont plus de signification : ils sont moins qu'un grain de sable dans le désert, qu'une goutte d'eau dans l'Océan. – Imaginez un avenir de supplices, aussi long que vous voudrez, doublez les années, entassez les siècles sur les siècles, * dès que la fin est la même pour tous, le passé ne compte plus pour rien. Une fois la peine finie, la mesure de sa durée, comparée à la mesure de l'éter–nité, apparaîtra une quantité tellement minime, tellement centési–male, qu'elle sera comme si elle n'était pas.

 

Et puisque entre une éternité et une éternité, il n'y a pas de différence perceptible, il serait vrai de dire que le péché n'a pas nui au pécheur. – Par exemple, que Dieu, pour me punir de mes crimes nie plonge dans les flammes durant des siècles, je me con–sole.... je sais que j'ai pour moi, une mesure mathématiquement égale à celle du juste..., j'ai l'éternité... Donc éternité de jouissance et de gloire pour celui qui aura servi Dieu et l'aura aimé jusqu'à mourir ; éternité de jouissance et de gloire pour le scélérat qui tressaillait en faisant l'iniquité et a constamment foulé aux pieds les lois et les commandements divins. – Or si les deux conclusions sont les mêmes, si par la route du mal, comme par la route du bien, on arrive infailliblement à la vie, à la vie durant une éternité, il faut forcément en conclure, que la vertu et le crime sont deux voies d'une sécurité égale, qu'il est facultatif à l'homme de les embraser l'une ou l'autre à son gré, et que la vie la plus souillée, comme la vie la plus pure, sont de même mérite et de même digni–té, puisque l'une et l'autre sont le principe d'une même perfection et d'une même félicité.

 

Ce système admis, il n'y a plus sur la terre, ni * morale, ni ordre public, ni ombre de probité. – La justice est dépouillée de sa sanction, la conscience est un préjugé, la vertu et le sacrifice sont un effort stupide. – Enlevez à l'humanité la crainte des châtiments éternels, le monde se remplit de crimes, les forfaits les plus exécrables deviennent un devoir, chaque fois qu'ils peuvent se flatter d'échapper à la prison et au glaive. L'Enfer ne sera qu'anti–cipé ; au lieu d'être ajourné à la vie future, il sera inauguré au sein de l'humanité, dès la vie présente. Un écrivain de nos jours a dit : « Il ne saurait y avoir de ternie moyen pour la société. ou Dieu ou le revolver. » – S'il n'y a aucune sanction au‑delà de cette vie, la force prévaut sur le droit, le bourreau devient la clef de voûte et le pivot de l'ordre social, et la justice sera proclamée au nom de la mort, faute d'être proclamée au nom de Dieu. – « Du reste, observe un autre moraliste, en vertu de quel droit les tribunaux frapperaient‑ils le crime, lorsqu'il a pour lui la consécra–tion de l'impunité divine, et que la justice éternelle s'engage à ne pas sortir de son repos, pour lui infliger son légitime châti–ment [8]  ? »

 

La conscience des peuples s'est soulevée contre cette consé–quence monstrueuse. Au milieu du déchaînement des erreurs, de la chute des vraies croyances, la doctrine d'un état futur de châti–ments et de récompenses est demeurée debout. Elle * se retrouve chez les païens. Virgile a été l'interprète de la croyance dans ces vers fameux :

 

Sedet aeternumque sedebit infelix Theseus . (En. vi, 618.)

 

Rostroque immanis vultur obunco

Immortale jecur tondens...

Nec fibris requies datur ulla renatis. (vi, 597.)

 

« Les vils scélérats dont l'âme est incurable », dit Platon (Phœd., p. 144) « sont tourmentés de châtiments qui les agitent sans les guérir. – Les âmes qui ont commis de grands crimes sont précipitées dans l'abîme qu'on nomme l'Enfer. – Tel est le jugement des Dieux, qui habitent le ciel : les bons sont réunis aux bons, et les méchants aux méchants. »

 

C'est une chose étonnante, que cet accord de tous les hommes, poètes, philosophes, peuples, rois, civilisés, barbares, sur cette vérité qui trouble nos pensées et que les hommes auraient tant d'intérêt à nier. Ce serait le lieu de nous arrêter sous l'autorité et le poids de cet axiome fondamental : Quod semper, quod ab omnibus, quod ubique ; ce qui a été cru toujours, par tous, et en tout lieu, est nécessairement la vérité. Tout dogme a été altéré sauf celui‑là ; tous les points importants de la théologie catholique ont donné lieu à des discussions ; l'Enfer a échappé à cette commune loi ; il est venu jusqu'à nous, sans rencontrer, sur cette longue route, un esprit qui en contestât la justice, ou du moins en ébran–lât la formidable certitude. * « Les protestants qui ont nié tant de choses, n'ont pas nié celle‑là. Destructeurs de ce qui portait le plus d'ombrage tu sens humain, de la pénitence, de la virginité, de l'efficacité des bonnes œuvres, ils n'ont pas dépouillé l'Enfer de sa physionomie terrifiante. Leur main s'est arrêtée à ce seuil de la douleur, elle qui n'avait pas respecté la porte du tabernacle, où repose, dans la bonté et le sacrifice, la chair de l'Homme Dieu [9] ... »

 

Le rationalisme contemporain s'est seul enhardi jusqu'à cette négation, et, chose étrange, il l'a fait en se réfugiant dans le sein même des perfections infinies. Il s'est armé contre la justice de Dieu, de sa grandeur, de sa sagesse ; et lui qui nie la Rédemption, il fait appel à cet excès môme d'amour, que Jésus‑Christ, en expirant, a fait éclater sur la croix.

 

« Dieu, » dit‑il, « est un être trop parfait, trop sublime, trop désintéressé pour vouloir écraser éternellement, sous les foudres de sa puissance, une frêle créature, induite au mal par emporte–ment ou par fragilité. Ce serait là une vengeance, une représaille indigne de sa gloire et de ses perfections. » Nous répondrons que si le crime était impuni, la grandeur cesserait d'être l'apanage de Dieu, elle appartiendrait de plein droit à l'homme méchant. Il ne tiendrait qu'à lui, par un seul acte de sa volonté, de faire triompher la révolte dans le gouvernement divin. Dieu se serait alors bercé * d'un rêve, le jour où, en sortant de son repos pour sa gloire, il aurait établi cette loi fondamentale, que la créature doit tendre vers lui par chacune de ses aspirations, le servir et l'aimer par des actes constants de louange, de dépendance et d'adoration. Dieu ne serait plus notre fin essentielle et dernière.

 

Admettons, en effet, comme ont osé le soutenir quelques‑uns, que l'Enfer est simplement un lieu d'ennui et de tristesse, où l'âme captive n'est soumise qu'à une souffrance adoucie et limitée. – Figurons‑nous, dans cette supposition, Satan et ses complices comblant la mesure et de leur révolte et de leur orgueil, disant au Dieu qui les a rejetés : « Nous sommes dans un état et en possession d'une existence assez tolérable pour consentir à nous passer éternellement de toi. A la vérité, nous sommes loin de posséder la béatitude parfaite, mais nous avons une mesure de vie et de repos qui est notre œuvre exclusive, et nous nous en contentons ; si nous ne sommes pas radieux comme tes anges, du moins nous ne sommes pas tes sujets, nous ne te servons pas, nous ne t'obéissons pas. »

 

Tel serait le langage de toute créature exclue du sein de Dieu si elle parvenait à échapper à sa destinée, sans ressentir une dou–leur immense, infinie, comme le bienfait qu'elle a librement et obstinément dédaigné. Pour adoucir la misère des démons et des réprouvés, Dieu ne leur laisserait‑il qu'une ombre de bien, qu'un frêle espoir, une * goutte d'eau destinée à les rafraîchir ; ils adhé–reraient à cette ombre, à cette apparence, avec toute l'énergie de leur volonté épuisée et haletante ; ils s'éprendraient d'ardeur pour cette parcelle de soulagement, cherchant à s'y séduire et à se tromper sur l'étendue et la profondeur de leur infortune. – Et il faut ne pas connaître le cœur de l'homme, pour se figurer qu'il ne se résignerait pas à cet Enfer mitigé, plutôt qu'à ployer le genou et fléchir.

 

Si donc l'Enfer n'est pas un déluge et un accablement d'ineffa–bles et d'éternelles souffrances, faisant sentir au coupable tout le poids de la main qui le châtie, dans la lutte du bien et du mal, l'homme restera victorieux et le Maître du Ciel sera le vaincu ; tout genou ne fléchira pas devant lui, comme il J'a prédit. – Il est donc de toute nécessité, pour la gloire divine, que l'homme qui l'a outragée. en se montrant obstinément et systématiquement rebelle, soit soumis à des tourments extrêmes, sans fin, incompréhensibles et en équation avec la gloire divine offensée. Il faut qu'il endure des déchirements et des douleurs sans mélange, accompagnés d'une séparation absolue et totale de toute créature en état de le recréer et de le distraire, des douleurs qui l'enveloppent, ne lui laissant entrevoir, au‑dessus de sa tête, à ses pieds, autour de lui, que désolation et terreur ; et cela afin qu'il reconnaisse la grandeur de Dieu qu'il a méconnue, et que l'excès de sa détresse lui arra–chant l'hommage que n'a pu obtenir la bonté, il s'écrie comme Julien l'Apostat à sa mort : Tu as vaincu, Galiléen. *

 

Sans doute, cet état d'un supplice sans adoucissement terrifie nos pensées , mais il est la sanction nécessaire du gouvernement divin ; un Enfer temporaire, tel que le Purgatoire, ne pourrait suffire à en assurer l'ordre et lit sanction. – En effet, combien est‑il d'hommes, en cette vie, qui aient souci du Purgatoire ? Combien de chrétiens sans générosité et sans courage, souscri–raient volontiers à mille Purgatoires, afin de contenter leurs désirs d'un instant. – Un philosophe Allemand discutant un jour avec un de ses amis disait : « Pour obtenir la réalisation de tel vœu, de tel projet d'ambition après lequel je soupire, je donnerais volon–tiers deux millions de ma félicité éternelle. » Son interlocuteur lui répondit : « Vous êtes singulièrement modéré dans le sacri–fice que vous offrez. » – L'homme n'estime que ce qui est infini : qu'une créature s'offre à lui avec le sourire et le charme de la séduction, aussitôt il la doue de tout cet infini, renfermé dans ses affections et dans ses rêves, il fait reposer sur elle l'idéal et l'enchantement d'un bonheur gigantesque et illimité ; eh bien, en face de cet infini, sensible, vivant, palpable, qui donne la fièvre à son cœur, allume un feu dévorant dans ses sens, mettez pour contrepoids une peine d'une durée infinie, dont la menace se mon–tre à lui dans un avenir lointain et indéterminé, qu'il se repré–sente d'une manière confuse, et dont il se flatte de conjurer la ri–gueur avant la mort, nous le disons, cet Enfer temporaire appa–raîtra à cet homme une compensation modeste * des jouissances sans mesure que lui promet une minute de pouvoir ou de volupté. – Il risquera tout , il mettra dans son enjeu les milliards et les milliards de siècles dont vous le menacez, il se figurera gagner une bonne partie ; à moins que ce ne soit l'éternité, il ne marchan–dera ni sur le degré ni sur le temps. Celui qui n'admet pas cela n'a jamais sondé les profondeurs de la nature humaine ; à un être immortel, il faut des espérances et des craintes qui soient à son niveau ; tout ce qui n'est pas éternel disparaît devant l'ef–froyable immensité de ses désirs [10] .

 

Notre démonstration de l'éternité établie, disons quelles en sont les peines, quelle est leur intensité, et le lieu où les démons et les réprouvés les endurent.

 

II

 

Les peines endurées par les réprouvés sont : les unes privatives, les autres positives. – Les peines privatives consistent dans le supplice du dam, c'est‑à‑dire dans la perte de Dieu ; les peines positives dans le supplice du feu.

 

Saint Augustin nous dit que la peine du dam est de toutes les peines de l'Enfer la plus terrible et la plus incompréhensible ; auprès des regrets et du désespoir qu'elle suscite, les autres souffrances* n'en méritent pas même le nom : Plus torquetur cœlo quam gehenna.

 

Le réprouvé a la certitude qu'il a perdu Dieu, qu'il ne peut plus s'unir à celui qui l'a créé ; il est à jamais privé de la posses–sion du souverain bien et de la vue de l'infinie beauté, et cette considération lui cause une douleur si acerbe, qu'elle suffirait, à elle seule, pour allumer les flammes qui le consument. Durant la vie présente, appesantis par notre enveloppe terrestre, distraits et égarés par le spectacle des choses sensibles, nous ne pouvons apprécier l'immensité d'une telle perte ; niais lorsque l'âme, par la mort, est séparée de l'universalité des créatures, elle n'a plus aucun objet sur lequel elle puisse se complaire ; Dieu apparaît à elle comme l'unique trésor et l'unique fin ; elle se précipite vers lui avec toute l'impétuosité de ses désirs ; elle concentre, sur cette divine beauté, toute sa force, toutes ses ardeurs et la plénitude de ses aspirations.

 

Que l'on se figure un poisson jeté hors de son élément liquide, une aiguille aimantée oscillant d'une oscillation non interrompue, sans parvenir à se fixer dans la direction de son pôle, une loco–motive déraillée, et emportée dans les espaces par une course précipitée ; toutes ces similitudes ne nous retracent qu’imparfaitement l'indicible état d'une âme dévoyée, égarée loin de sa fin, et dans l'impuissance de rentrer jamais dans sa voie. – Il n'y a plus d'avenir pour elle. – Le poète théologien du moyen âge voyait écrites en caractères noirs *, à la porte des lieux sombres et maudits de l'Enfer. ces significatives paroles : « Par moi l'on va dans la cité des larmes, par moi l'on va dans l'abîme des douleurs. La justice anima mon sublime Créateur ; je suis l'ouvrage de la divine puissance, de la haute sagesse et du premier amour... 0 vous qui entrez ici, laissez toute espérance [11] . »

 

Ce qu'il y a de certain, et ce qu'enseignent tous les théologiens, c'est que les démons et les réprouvés sont privés de toute grâce et de toute illumination surnaturelle. A ce point de vue, ils sont plongés dans les ténèbres et frappés d'une incurable cécité ; mais ils ne sont nullement déchus dans leurs forces et l'usage de leurs facultés naturelles, ils restent en possession des sciences spécula–tives qu'ils avaient acquises, ils sont même susceptibles d'acquérir expérimentalement de nouvelles connaissances.

 

Au milieu de leurs tourments, leur mémoire ne perd pas sa fermeté, leur intelligence conserve sa pénétration, et leur volonté son énergie et toute son activité ; niais toutes ces facultés et toutes ces aptitudes naturelles, que Dieu laisse en eux afin d'accroître leurs châtiments, sont faussées dans leur but et dans leur direc–tion, elles ne peuvent plus tendre vers des objets honnêtes, utiles et * sérieux. La raison en est que l'honnête, le beau, l'utile, sont des reflets et une participation des divins attributs, et l'âme sépa–rée de Dieu sans retour n'est plus susceptible de cette participa–tion. – Comme le dit Suarez, le jugement des damnés est sans rectitude pratique pour tout ce qui a trait à la règle de leurs pen–sées, de leurs désirs et à la sage ordonnance de leurs actions [12] . – Courbés sous le poids de la malédiction, les démons et les réprou–vés ne peuvent plus s'attacher au vrai, et leur esprit n'aspire qu'à se nourrir d'illusions et de mensonges ; leur cœur déréglé ne peut s'ouvrir à l'amour et demeure rongé par la haine ; leur imagina–tion est assaillie par d'effrayants fantômes et par des terreurs sans cesse renaissantes.

 

Dans les siècles de foi, lorsqu'un ministre des autels avait trahi ses engagements sacrés et s'était rendu gravement coupable, il était conduit dans le sanctuaire et soumis à la peine de la dégra–dation. – Le Pontife le dépouillait de ses insignes : il lui enlevait l'aube. symbole d'innocence ; l'étole, signe de sa juridiction sur les âmes ; la chasuble, mystérieux emblème de sa personnification avec Jésus‑Christ, et il lui disait : Sois dépouillé de ces ornements dont tu es indigne. – Les chrétiens réprouvés sont soumis à une dégradation analogue; Dieu, en les abandonnant au moment où s'est consommée * leur fin malheureuse, leur retire tout ce qui reste en eux de vertus théologales, telles que la foi et l'espérance. Il les dépouille de leurs vertus morales, de la force, de la pru–dence, de la justice, de la tempérance, de toutes les autres quali–tés naturelles, telles que le désintéressement, la fidélité aux lois de l'honneur, l'aménité et la distinction des manières, vertus dont ils ont abusé pour entretenir en eux l'orgueil et ses complaisances coupables. Il ne laisse subsister aucune trace de perfection dans ceux qu'il a rejetés. Ainsi les damnés sont des êtres profondément dégradés ; ils ne sont plus susceptibles d'aucun respect, d'aucun amour, d'aucune compassion. En tant que séparés du souverain bien, ils deviennent souverainement haïssables, et, comme les démons, ils ne sauraient inspirer d'autre sentiment, que l'horreur et l'exécration. – Afin de mieux concevoir leur sort lamentable, retraçons‑nous une ville où seraient agglomérés les Caïn, les Néron, tous les scélérats qui ont souillé la terre, et dont la justice humaine se défait en les reléguant au fond des prisons et des bagnes ; supposons en outre que, dans cette ville, il n'y eût ni police, ni soldat, ni force publique, afin d'empêcher ces malheu–reux de s'entre‑tuer, et de se déchirer les uns les autres. Eh bien ! c'est là l'Enfer, tel que nous le décrit le prophète Job : « Ubi nullus ordo, sed sempiternus horror inhabitat [13] ; un séjour où il n'y a pas d'ordre et où règne une horreur éternelle. » *

 

Telle est la peine du dam. Ayant perdu Dieu, les damnés ont perdu, par le fait, toute espérance, toute dignité, toute conso–lation.

 

La seconde peine de l'Enfer, c'est celle du feu ; ce feu est‑il de même substance et de même nature que le nôtre, oui bien, comme quelques‑uns le veulent, est‑il un feu immatériel, un sim–ple effet de la vive douleur causée à l'âme par les regrets de sa perte ? – Comme nous l'avons dit, les saintes Ecritures désignent

 


 

 

constamment la peine du feu, lorsqu'elles parlent des supplices des réprouvés. Comme elles emploient cette expression sans l'ac–compagner d'aucun terme restrictif, il n'y a aucune raison de l'interpréter dans un sens métaphorique et défiguré.

 

Sur ce point, la doctrine de saint Thomas est d'une précision remarquable.

« De quelque manière que l'on imagine le feu de l'Enfer, il est certain que, considéré en lui‑même, et quant à sa substance, il est matériel, et de même nature que le nôtre , quant à ses effets, et par rapport aux corps soumis à son action, il se peut faire qu'il soit d'une espèce différente. – Ainsi le charbon et la flamme, le bois embrasé et le fer rougi et incandescent, ne diffèrent pas, quant à l'élément calorifique qui les pénètre et quant à leur état d'ignition, mais, seulement, quant au mode de réception. – Le fer est rougi et entre en fusion par l'effet d'une communication extérieure ; le soufre, au contraire, entre en combustion par la vertu d'un principe qui lui est * intime et inhérent ; ainsi nul doute que. considéré en lui‑même, le feu de l'Enfer ne soit de même espèce que le nôtre ; mais quant à dire qu'il subsiste en lui‑même, ou dans une substance étrangère, nous ne pouvons rien affirmer sur ce point [14] . »

 

D'après le Docteur angélique, le feu de l'Enfer a le même principe que le feu terrestre, niais il se distingue du nôtre par ses propriétés et sa destination. Le feu de la terre est un don de la Providence, il a été créé pour notre usage ; le feu de l'Enfer est un instrument de la divine justice, il est créé pour punir. – Le feu de la terre brûle et consume, le feu de l'Enfer brûle sans détruire ni consumer. – Le feu de la terre désunit les organes, et il résout les chairs en cendre et en vapeur, le feu de l'Enfer est comparé au sel par saint Marc, omnis enim igne salietur [15] , c'est‑à‑dire qu'il nourrit et consolide les chairs en les brûlant. – Le feu de la terre est sujet à s'éteindre, s'il n'est entretenu * par le bois ou par d'autres matières combustibles ; le feu de l'Enfer s'entretient de lui‑même, et subsiste sans être alimenté, et s'il faut accepter le témoignage de Lactance, « il lie laisse émaner aucune fumée, il est pur et liquide, pareil à un lac et à un étang [16]  ». Les réprouvés y seront plongés comme le poisson dans la mer, imbibés d'ardeurs dévorantes qui n'émousseront jamais leur sensibilité. Quis poterit habitera de vobis cum igne devorante [17] .

 

Une difficulté reste à éclaircir : un feu d'une nature matérielle peut‑il agir sur les âmes séparées du corps et sur de purs esprits ?

 

Saint Augustin, liv. xxi de la Cité de Dieu, ch. x, cherche à résoudre l'objection : « Pourquoi ne dirions‑nous pas. quoique le mode soit incompréhensible et ineffable, que la peine corporelle du feu peut affecter les esprits incorporels ? Si, en effet, les esprits des hommes purs de toute matière peuvent, dès ici‑bas, être enfermés dans des membres corporels, si, après la mort, ils peuvent de nouveau être unis à ces mêmes corps par des liens indissolubles, les esprits des démons, quoique sans corps, ne peuvent‑ils pas être attachés pour leurs supplices à des feux corporels [18]  ? »

 

Le théologien Lessius, dans son traité des divines perfections, donne cette autre explication : « La faculté sensitive dont nous sommes doués n'est pas distincte de l'essence de notre âme, et elle subsistera tout entière après la mort. Si le feu, par sa propre chaleur, peut faire sentir son action à l'esprit de l'homme par l'intermédiaire du corps, pourquoi ce même feu, agissant comme un instrument de Dieu, ne pourrait‑il affecter l'esprit immédiatement ? – Lorsqu'un homme est brûlé, le corps n'est qu'un milieu de transmission pour appliquer la chaleur à l'esprit ; car dans l'ordre actuel, sans la présence du corps, l'âme ne pourrait exercer la faculté qu'elle a de sentir ; mais Dieu agit directement quand il le veut, et il peut à son gré suppléer à l'absence d'un milieu ou remplir lui‑même l'effet d'un milieu quelconque [19] . »

 

Enfin, dernière question, quel est le lieu de l'Enfer ?

Si l'on prend à la lettre divers passages des Ecritures et si l'on s'arrête au sentiment général des * théologiens, le centre de la terre est le lieu où sont détenus les réprouvés et où, après la résurrection, ils habiteront avec les dénions. – Saint Luc, ch. viii, appelle l'Enfer Abyssus, l'abîme. – Saint Jean, dans l'Apoca–lypse, dit « L'ange enferma le diable dans les profondeurs de l'abîme [20] ». – Il l'appelle encore « l'étang de feu [21] » – L'Enfer inférieur. » – Saint Grégoire le Grand dit « Ce séjour est appelé l’Enfer, parce qu'en réalité, il est le lieu situé le plus bas : lnfernum appellari, eo quod infra sit. » – Hugues de Saint‑Victor ajoute : « Ce lieu inférieur, préparé pour les peines des damnés, se trouve dans l'intérieur de la terre [22] . »

 

Saint Thomas énonce le même sentiment : « Personne », dit‑il, « à moins d'être directement instruit par l'Esprit Saint, ne peut savoir d'une certitude absolue le lieu où sont les réprouvés. » Mais quant à son opinion personnelle, il l'exprime dans son style nerveux et didactique, et avec une argumentation incom–parable. « Les morts damnés », dit‑il, « se sont perdus par « l'amour déréglé des plaisirs charnels, il est donc juste que le même sort échu à leurs corps, échoit aussi à leur âme. Les corps ont été enfouis sous la terre, il est donc juste que l'âme soit aussi enfermée dans les profondeurs de la terre. – En outre, la tristesse est à l'esprit ce que la pesanteur est au corps : la joie * au contraire est à l'âme ce que la légèreté est à la matière. – De même que, dans l'ordre des corps les parties les plus basses sont celles où les corps ont plus de gravité, ainsi dans l'ordre des esprits, les régions les plus basses sont aussi les plus tristes : il s'ensuit donc, que le lieu qui convient à la joie est le ciel empyrée et le lieu qui convient à la tristesse le centre de la terre [23] . » Citons enfin le raisonnement de Suarez qui complète, et donne une nouvelle clarté à celui de saint Tho–mas. « L'Enfer », dit‑il, « est une prison qui servira en même temps de séjour, et aux anges rebelles et aux démons ; ce séjour ne peut être que le plus incommode, le plus obscur, le plus ignominieux de tous les séjours créés ; il convient qu'il soit ait pôle opposé et à la distance extrême de celui destiné aux élus. Or les élus régneront éternellement dans la partie la plus élevée du ciel, qui est le ciel empyrée, et par suite la partie la plus basse de la terre est celle où Lucifer et les damnés subiront leurs éternels tourments. »

 

Observons, toutefois, qu'il n'est pas certain d'une * certitude de foi, que l'Enfer soit situé au centre de la terre ; l’Église n'a rien défini sur ce point, c'est simplement l'opinion la plus proba–ble fondée sur le témoignage de la presque unanimité des Doc–teurs et des Pères. Quoi qu'il en soit de ce fait, l'essentiel, dit saint Jean Chrysostome, n'est nullement de connaître où se trouve l’Enfer, niais de prendre le moyen de n'y être pas un jour précipité, ne igitur quœramus, ubi sit, sed quomodo eam (Gehennam) effugiamus [24] .

 

Tel parait donc être le lieu de l'Enfer [25] . – Le feu qui torture les dénions et les réprouvés est un feu matériel : ce feu matériel fait sentir son action aux esprits et aux âmes séparées. – Il nous reste à considérer comment la sévérité implacable de la justice divine petit se concilier avec sa miséricorde infinie.

 

III

 

Un homme d'esprit disait un jour en parlant des méchants : Ils sont un grand embarras dans ce monde et dans l'autre. Cet embarras extrême, que les sociétés humaines ressentent à l'égard de certains coupables, on peut dire, qu'en un sens, Dieu l'éprou–ve plus vivement encore à l'égard de l'homme pécheur.

 

Il est de foi que Dieu veut le salut de tous les hommes, et qu'autant qu'il est en lui, il n'exclut personne des fruits de la Rédemption. Ce n'est pas volontiers qu'il a créé l'Enfer; au contraire, il épuise tous les moyens de sa sagesse et tous les secrets de sa tendresse, afin de nous prémunir contre un tel malheur ; il nous le dit par la bouche d'Isaïe : Quid est quod debui ultra facere vineœ meœ et non feci [26]  ? – Si Dieu était susceptible de souffrir, aucune angoisse ne serait comparable à celles que ressent son Cœur, lorsqu'il est réduit à condamner une âme. Le saint Curé d'Ars dit un jour : « S'il était possible à Dieu de souffrir, en damnant une âme, il serait saisi de la même horreur et du même frémissement, qu'une mère réduite à laisser tomber elle‑même le couteau de la guillotine sur le cou de son enfant. »

 

Voyez Jésus‑Christ à la dernière Cène ; il contemple Judas avec des regards où se peignent la tristesse et la plus amère désolation , il est dans un trouble convulsif, et dans le dernier excès de la consternation ; il comprend mieux que nous ne par–viendrons jamais à le concevoir, combien c'est chose horrible que l'état d'un homme dévoyé, perdu sans remède, laissé sans aucun moyen de revenir * sur ses voies et de ressaisir sa des–tinée. Il tente tous les moyens imaginables pour conjurer la perte de ce misérable ; il se jette à ses pieds, les baise ; il l'admet, malgré son indignité, au festin de sa chair sacrée... Et lorsque les ténèbres qui envahissent de plus en plus l'âme obstinée de Judas ont obstrué toutes les avenues par où la grâce divine aurait pu se frayer accès, Jésus‑Christ pleure , il semble oublier que le traître l'a choisi pour la victime de sa lâche avarice ; il ne voit que l'horreur de son sort, il dit avec angoisse : « Il aurait bien mieux valu pour cet homme qu'il ne fût point né [27] . »

 

Ô vous qui accusez le Créateur de dureté, et lui reprochez de ne pas aller jusqu'à la limite extrême de sa toute‑puissance, afin d'empêcher sa créature de périr éternellement, indiquez‑lui donc votre moyen et enseignez‑lui votre secret. Que voulez‑vous que fasse Dieu ?

 

Demanderiez‑vous qu'il supprimât l'Enfer ?... Supprimer l’En–fer, ce serait supprimer le Ciel. Croyez‑vous que les martyrs, les anachorètes, les vierges, les saints s'enivrant à cette heure des joies de la béatitude, se seraient soustraits aux séductions, qu'ils auraient foulé aux pieds les amorces mondaines, cherché les solitudes, traversé les persécutions, affronté les bourreaux et le glaive, s'ils n'avaient eu présente la parole du Maître : « Ne craignez pas ceux qui ne peuvent faire périr que le corps ; mais craignez celui qui peut précipiter * l'âme et le corps « dans la fournaise des flammes [28] . » L'amour divin s'éveilla seu–lement en eux lorsque, par de courageuses violences, ils se furent détachés du péché et des habitudes sensuelles. Le point de départ de leur justification fut la crainte : Initium sapientiœ timor [29] . Le tonnerre qui les secoua de leur sommeil et de leur léthargie, ce fut la parole redoutable : Éternité... Ils jetèrent alors un regard sur leurs somptueuses habitations, sur les lambris dorés de leurs palais, et ils dirent : C'est là que nous amassons tous les jours des trésors de colère, que toutes les séductions se donnent rendez-vous pour nous perdre. La haine de Dieu, les flammes, une malé–diction sans fin pour un plaisir d'un jour, voilà ce qui nous attend... Le lendemain ces hommes se mettaient pieds nus, ils étaient couverts d'un sac et cherchaient la route qui conduit dans les solitudes et les déserts. – Sans ces miséricordieuses terreurs, la cité de Dieu ne se serait jamais remplie ; tous nous nous serions égarés dans nos voies ; aucun homme n'aurait fait le bien, non est qui faciat bonum, non est usque ad unum.

 

Dieu ne petit supprimer l'Enfer sans supprimer le Ciel ; vou–lons‑nous alors qu'il attende, qu'il pardonne, qu'il pardonne sans cesse ? Mais c'est ce qu'il fait. – En cette vie, il ne se retire jamais de celui‑là même qui le repousse. Il le poursuit dans * le sanctuaire de sa conscience, par une voix intérieure qui ne cesse pas un seul instant de se faire entendre. En face de la tentation qui nous sollicite au mal, cette voix retentit avec éclat et nous crie : Prends garde... Si nous sommes sourds, il ne se hâte pas, comme il en aurait le droit, de trancher le fil de nos jours ; il n'épie pas la minute de nos manquements pour en faire la minute suprême de notre mort ; il revient à nous ; il nous fait sentir l'aiguillon du remords, il ne se rebute pas de nos refus, il attend des années. Il laisse la maturité de l'âge succéder à la fougue de l'adolescence, les glaces de la vieillesse aux illusions qui séduisent encore l'âge viril, et tous ses efforts sont vains... La dernière heure de cet homme sonne enfin ; le plus souvent elle est précédée d'une maladie, présage et annonce de sa fin pro–chaine... Cet homme s'endurcit toujours. Une minute avant son dernier soupir, Dieu s'offre encore à le recevoir dans son sein et à le sauver des flammes de l'abîme... Sa parole n'a plus de force, son état est désespéré. Eh bien ! il suffit que dans l'inti–mité de son cœur, il laisse échapper cette simple parole : « Je t'aime je nie repens ; » cette parole serait sa planche de salut... le pécheur la refuse avec obstination... Nous le demandons, que petit faire Dieu ? Doit‑il, pour consacrer l'endurcissement de sa créature renverser tout le plan et tous les conseils de sa sagesse, anéantir les ténèbres par un acte de toute‑puissance qui serait stupide, parce qu'un homme égaré s'est crevé les yeux, afin de ne pas participer * à la divine lumière... Ah ! Dieu a le droit de se laver les mains et de dire : « 0 homme, ta perdition est ton œuvre et non la mienne. Perditio tua ex te, Israel. »

 

Mais, pourquoi la grâce et la rédemption seraient‑elles exclues des Enfers ? – Alors que l'homme désabusé a vu périr ses dernières illusions, et qu'il mesure avec effroi toute la profondeur et l'étendue de sa misère, pourquoi Dieu ne laisserait‑il pas tom–ber sur lui un dernier rayon de sa miséricorde, et ne tendrait‑il pas à cet infortuné une main qui serait saisie avec un amour, une gratitude proportionnée à l'immensité de la délivrance ? Nous répondons sans hésiter, que Dieu ne le peut pas ; qu'il ne le peut du moins sans déroger à son infinie dignité. Il faudrait qu'il se penchât de son propre mouvement vers une créature rebelle et obstinée, qui, loin de l'appeler, le hait et le maudit. – La mort a mis le pécheur dans un état qui ne lui laisse plus de choix : il sait, il est certain d'une certitude qui accable son libre arbitre ; il reste confirmé dans une haine, dans un orgueil se gros–sissant de ses larmes et de son désespoir. Pour susciter en lui un regret salutaire et méritoire, il lui faudrait une grâce. Or, cette grâce, il ne la demande pas, il ne la désire pas, il ne la veut pas ; il déteste sa peine à la vérité, mais il hait souveraine–ment Dieu, et en même temps les dons et les lumières qui éma–nent du Cœur de Dieu.

 

Mais Dieu est‑il juste et n'excède‑t‑il pas toutes proportions, en punissant d'une éternité de supplices, une faute éphémère consommée en un seul instant ? – Ici le raisonnement est im–puissant, car Dieu est le plus grand des mystères ; le péché est un mystère aussi insondable que la majesté de celui qu'il offense, et la peine due à sa malice est encore un mystère sans bornes que l'esprit humain ne parviendra jamais à scruter.

 

Tout ce que nous pouvons dire, c'est que si l'on considère la personne de Dieu, l'injure qui lui est faite par le péché est une injure infinie ; or l'homme. à cause de sa nature bornée, ne pouvant subir une peine infinie en rigueur et en intensité, il est de toute justice qu'il subisse une peine infinie en durée. – La justice humaine est l'image et l'esquisse de la justice divine. Le droit de punir et de frapper le coupable de mort est conféré aux tri–bunaux de la terre pour l'utilité et le bien des hommes. Ils condamnent les crimes, non pas à cause de leur difformité intrin–sèque et parce qu'ils offensent Dieu, mais parce qu'ils sont nuisi–bles et dommageables au bien et à la bonne ordonnance des sociétés humaines. Et cependant, ils ont le droit de punir d'une peine perpétuelle un meurtrier dont le crime n'a duré qu'un instant, de le supprimer à jamais de la société, parce qu'il a violé l'ordre moral et humain. A plus forte raison, Dieu a‑t‑il le droit de punir d'une peine perpétuelle et de bannir à jamais de la société céleste, celui qui a violé l'ordre universel et divin.

 

Il ne répugne nullement, observe saint Augustin, que Dieu limite sa miséricorde aux années de la * vie présente, de telle sorte que, celles‑ci écoulées, il n'y aura plus lieu au pardon. Les princes de la terre n'agissent‑ils pas de même, lorsqu'ils refusent de faire grâce à des hommes renfermés dans les prisons, et qui témoignent cependant leur repentir et une détestation sincère des crimes qu'ils ont commis ?

 

Parmi les systèmes divers élaborés pour concilier la miséricorde de Dieu avec la justice, le plus rationnel, le plus admissible, celui qui, à première vue, semble donner une solution satisfai–sante au formidable problème de la destinée humaine, est le sys–tème imaginé par Pythagore et les sectes d'Orient, qui admet–tent, qu'au lieu de précipiter l'homme dans une disgrâce sans fin, Dieu l'introduira dans une seconde phase d'épreuves, où il y aura pour lui comme dans les précédentes, mélange d'ombres et de lumières, où le champ de la liberté lui sera ouvert, où il y aura tentations, partages, lutte entre Dieu qui se voit à demi et les créatures qui étalent leurs séductions.

 

Avouons‑le, sans balancer, entre toutes les doctrines opposées à celle du Christianisme, la doctrine de la métempsycose ou de la transmigration des âmes, est incontestablement la préférable. En l'examinant de loin et superficiellement, il semble qu'elle laisse intacte la croyance à une vie immortelle, elle ne paraît pas por–ter atteinte aux attributs divins, ni dépouiller la loi humaine de sa * sanction ; mais, si on étudie cette doctrine de près, il est aisé de reconnaître qu'elle nous replace dans toutes les difficultés antérieures et qu'elle en soulève de plus insolubles encore. « Car » comme l'observe un illustre philosophe chrétien, dont je cite les paroles, « si cette seconde vie où vous faites entrer l'homme, n'est pas plus pure que la première ; si son âme y meurt une seconde fois par le péché, à quel parti Dieu s'arrêtera‑t‑il alors ? Faudra‑t‑il qu'elle reprenne, avec un intarissable droit, le cours de ses immigrations, sans que Dieu puisse jamais la soumettre et la punir, autrement qu'en lui donnant le droit de l'offenser toujours ? Au lieu de cette effrayante perspective qui fait, du jugement, l'écueil solennel de la vie, le pécheur s'en irait au tombeau avec la sécurité d'un passant qui franchit un portique, et il se dirait dans l'ironie de son impunité : L'univers est grand, les siècles sont longs, achevons d'abord la circumnavigation des mondes et des temps. Passons de Jupiter à Vénus, du premier ciel au second, du second au troisième, et s'il arrive après des espaces et des périodes sans nombre, que les soleils viennent à nous manquer, nous nous présenterons à Dieu pour lui dire : Nous voici, notre heure est venue, fais nous de nouveaux cieux et des astres nouveaux, car si tu es las de nous attendre, nous ne le sommes point de te maudire et de nous passer de toi [30] ... » *

 

Enfin, dirons‑nous, l'amour est tout‑puissant, il a des secrets, des excès dont nos cœurs ne sauraient avoir le soupçon, et, quoi que l'on dise, il ne peut consentir à perdre éternellement la créa–ture, œuvre de ses mains et rachetée de son sang. Ah ! l'amour, nous pourrions l'opposer à la justice, si c'était la justice qui punît ; mais la justice s'est désarmée, il y a dix‑neuf siècles, sur le Calvaire ; au pied de la croix elle a signé quittance à l'hu–manité des dettes que celle‑ci avait contractées par ses crimes, elle a brisé le glaive de ses rigueurs pour ne plus s'en ressaisir.

 

Écoutons saint Paul ' « Quel est celui qui accusera devant les élus de Dieu ? Le Dieu qui justifie. Quel est celui qui condamne ? Le Christ Jésus, celui qui est mort, qui est ressuscité, qui est assis à la droite de Dieu et qui ne cesse d'interpeller « pour nous [31] . »

 

Or, c'est parce que la malédiction vient de l'amour qu'il ne saurait y avoir de rédemption.

 

Si c'était la justice qui punît, l'amour pourrait s'interposer encore une fois sur la montagne et dire : Grâce, pitié, mon Père, épargnez l'homme, et agréez en échange de la mort qui lui est due, l'hommage de ma chair et de mon sang ! ...

 

Mais, lorsque c'est celui‑là même, qui est pour nous plus qu'un frère, plus qu'un ami le plus* tendre... qui resserre ce cœur dévoré de tendresse, et le convertit en un foyer inépuisable de haine, comment l'ingratitude de l'homme qui a opéré cette trans–formation, d'autant plus épouvantable qu'elle est plus contre nature, oserait‑elle se promettre une espérance et un abri ?

 

Ô vous, qui une fois ou l'autre, sur cette terre, avez aimé d'un amour sincère, brûlant, illimité, vous connaissez les exigences et les lois de l'amour... L'amour s'offre longtemps, il s'offre avec insistance et avec excès, il souffre, il se dévoue sans réserve, il s'abaisse, il se fait petit... Mais il est une chose qui le rend im–placable et qu'il ne pardonne jamais, c'est le mépris qui s'obstine, le mépris jusqu'à la fin.

 

Allez donc, maudits, dira le Sauveur au jour de son juge–ment : Ite maledicti. J'avais tout fait pour vous, je vous avais donné ma vie, mon sang, ma divinité, mon être; et en échange de mes libéralités infinies, je ne vous demandais que cette simple parole : Je t'obéis, je t'aime. Vous m'avez constamment dédaigné, et vous n'avez répondu à mes avances, que par ces paroles : « Va, je te préfère mes grossiers intérêts et mes brutales voluptés... »

 

Soyez vous‑mêmes vos juges, ajoutera le Sauveur : Quelle sentence porteriez‑vous contre l'être le plus chéri et le plus adoré, qui vous aurait opposé la même indifférence et la même dureté ?

 

Ce n'est pas moi qui vous réprouve, c'est vous‑mêmes qui vous êtes maudits. Vous avez choisi, de votre plein gré, la cité où l'égoïsme, la haine, la révolte ont assis leur empire. Je retourne dans * le Ciel où sont mes anges, et j'y reporte ce Cœur, objet de vos insultes et de vos dédains. Soyez les fils de votre choix, restez avec vous‑mêmes, avec ce ver qui ne meurt pas, avec ce feu qui ne s'éteint pas.

 

Tremblons, mais aussi soyons saisis d'une vive et inébranlable confiance ! La damnation est l’œuvre de l'amour. C'est la misé–ricorde incarnée qui fixera notre sort et portera l'éternelle sen–tence. Il est donc aisé de la conjurer pendant le temps que dure la vie présente. L'amour, ici‑bas, n'exige pas une parité parfaite entre la faute et la peine. Il se contente de peu, d'un soupir, d'un bon vouloir... Jésus‑Christ nous ouvre son Cœur, nous sommes le prix de son sang et sa conquête ; il nous destine l'éternité, non pas une éternité de larmes et de souffrances, mais une éter–nité de béatitude que nous posséderons avec lui, dans le sein de .son Père, en union avec l'Esprit Saint et au foyer même de sa gloire. Ainsi soit‑il.


 



[1] Et qui bona egerunt, ibunt in vitam æternam, qui vero mala in ignem æternum. Hæc est fides catholica, quam nisi quisque fideliter, firmiterque credi–derit, salvus esse non poterit. (Symbol. Athanas.)

Si quis dixerit etiam post mortem hominem justificari posse, aut pœnas damnatorum in gehennâ perpetuas futuras esse negaverit, anathema sit. (Concil Vatican., Schem., const. dogm. de fide cathol.)

[2] Et fumus tormentorum eortun ascendet in sæcula sæculorum.

[3] August., ad Orosium., ch. vi.

[4] Ibunt hi in supplicium xternum, justi autem in vitam oeternam. (Mt, xxv, 46.)

[5] Poenitere de peccato contingit dupliciter, uno modo pet se, alio modo pet accidens. Per se quidem de peccato poenitet, qui peccatum quantum est pecca–tum abominatur. Per acciden,;, qui illud odit ratione alicujus adjuncti utpote a

poenoe vel licujus hujusmodi. Mali igitur non poenitebunt per se loquendo de peccatis, quia voluntas malitiie in eis remanet ; poenitebunt autem Per accidens, in quantum affligentur de poenâ, quant. pro peccato sustinent. (S. Thomas Quxst. xcviii, Art. 11.)

[6] Fit ergo miseris mors sine morte, finis sine fine, defeclits sine defectu : Quia et mots vivit, et finis semper incipit, et deficere defectus nescit. (S. Greg. Moral., 1, IX, ch. lxvi.)

[7] Miseria sempiterna, quoe‑ etiam sccunda mors dicitur ; quia nec anima ibi vivere dicenda est. quoe à vitâ Dei alienata erit ; nec corpus quod Tternis dolo–ribus subjacebit , le per hoc durior ista secunda Mo;‑r, erit, quia finiri morte non poleril. (De civit. Dei, lib. xix, ch. xxviii.)

[8] Lacordaire : De la Sanction du Gouvernement divin.

[9] Lacordaire : De la sanction du Gouvernement divin.

[10] Nicolas : Études sur le Christianisme.

[11] Per me si va nella città dolente; Per me si va nell'eterno dolore ;  Per me si va nella perduta gente. Giustizia mosse l’mio fattore; Fecemi la divina potestate. La somma sapienzia, e il primo amore. Lasciate ogni speranza voi che intrate. (Dante, L'Enfer, chant. iii.)

[12] Dicendum est, Dæmones (idem dicatur de reliquis damnatis) in inferno privatos esse rectitudine judicii de rebus agendis, ita ut numquarn habeant verum judicium practicuni in ordine ad affectum et opus moraliter bonum. (Suarez, de Angelis, 1,viii, ch. v.)

[13] Job, x, 22.

[14] Quocumque autem modo ignis inveniatur, semper est idem in specie quiinturn ad naturam ignis pertinet. Potest autem esse divertitas in specie, quaptum ad corpora quoe sunt materia ignis : Unde flamma et carbo differtint specie, et similiter lignum igneurn et ferrum ignitum. Nec diffeït quantum ad hoc, sive ignita sint per violentiam ut in ferro apparet , sive ex prin,~ipio intrinseco naturali, ut accidit in sulfure. Quod ergo ignis inferni, quantum ad hoc quod habet de naturâ ignis. sit ejusdem speciei curn igne qui apud no; e,;t, manifestuan est. Utrum autem ille ignis sit in propriâ materiâ existens, aut sit in alieni, in quâ materiâ sit, nobis ignoturn est et secunduni hoc, potest ab igne qui apud nos est, specie differre. (Quoest. xcvii, art. 6.)

[15] S. Marc, ix, 48.

[16] Ignis scitipiteini nitura iliversa est ab hoc nostra, quo ad vitæ necesaria utimur, qui nisi, alicujus materke fonlite alatur, extinguitur. file divinus pcr scipsum semper vivit ac viget, sine ullis alimentis, nec admixtum liabet fumurn, sed est purus ac liquidus, et in aquæ modum fluidus. (Lactane, Divin Instit., liv. vii, ch. xxi)

[17] Is, xxxiii, 14.

[18] Cur non dicamus, quamvis miris tamen veris modis, etiam spiritus incor–poreos posse poena corporalis ignis affligi. Si spiritus hominum etiam ipsi pro–fecte, incorporei et nunc potuerunt corportim suorum insolubiliter ailligari ? Adhoerebunt ergo, etsi eis nulla sunt corpora, sipiritus doeinonum, imo spiritus doemoncs, licet incorporci, corporeis ignibus cruciandi. (Aug., De civit. Dei, XXI, X.)

[19] Si ignis naturaliter per suum calorern potest affligere spirituni hominis, mediante corpore, cur idem ignist ut instrumentum Dei non poterit ailligere spiritum sine ullo corpore medio 7 Corpus enim solum se habet ut medium, per quod immediate calor spiritui applicatur, ut ejus presentià vi sentiendi percipiatur. Deus autem non eget aliquo medio, omnern medii effectum et refectum supplere potest. (Lessius, de Divin, Perfect., 1, XIII, ch. xxx.)

[20] Angelus misit et clausit Diabolum in abyssum. (Ap. xx.)

[21] Stagnum ignis. (Apoc. xx.)

[22] Est inferior locus in imo terroe positus, poenis damnatorum proeparatus. (Hug. de S. Victor., lib. 11, de sacram.)

[23] Augustinus in libro XII. Sup. Gencs., duits rationcs langerc vidctur, quare co~gruum est infernurn esse sub terra. Una est, ut, quoniani defunctorurn ;inim;c carnis more pecciverunt, hoc eis exhibeatur quod ip;i carni mortum solet exhiberi, ut scilicet sub terra recludantur. Alia est quod, sicut est gravitas in corporibus, ita tristitia in spiritibus, et loetitia ~,icut levitas ; unde sicut, secunduin corpus, si ponderis sui ordincin tencant, infeiiora sunt onini‑i gra–Niora, ita secunduin spiritum, inferiora sunt tristiora. Et sic, sicut comeniens locus gaudio efectorum est coelurn evipyveurn, ita comeniens locus tii,,66oe damnatoruin est infimum terroe. (D. Th. Somm., Qwes. xcviu, art. 7..)

[24] Chrysost.. Hom. in Epist. a Rom., 4, 5.

[25] On objecte que le centre de la terre ne pourra contenir la multitude des hommes damnés. Mais, comme l'observe Suarez, après la résurrection, l'Enfer sera agrandi de tout l'espace du Purgatoire et des limbes des enfants morts sans baptême, qui resteront vides. Les enfants morts sans baptême ne verront jamais Dieu : mais plusieurs Docteurs émettent le sentiment qu'ils habiteront la surface de la terre, où ils jouiront d'une félicité simplement naturelle. Quant à la terre, son volume peut s'agrandir, et l'abîme se dilater autant qu'il sera nécessaire, suivant cette parole d'Isaïe : Dilatavit infernus animam suam.

[26] Isaïe, v, 4.

[27] Bonum erat ei si natus non fuisset homo ille. (Mt., xxvi, 24.)

[28] Et nolite timere cos qui occidunt corpus, anirnarn non possurit occiderc: sed potius timete eum qui potest et animam et corpus perdere in gchennarn. (Mt., x, 28.)

[29] Eccl., I, 16.

[30] Lacordaire, De la Sanction du Gouvernement divin.

[31] Quis accusabit adversus electos Dei ? Deus qui justificat. Quis est qui condemnet ? Christus Jesus, qui mortuus est, imo qui et resurrexit qui est ad dexteram Dei, qui etiam interpellat pro nobis. (Rom., vii.)