XIX

 

« Venir de si loin !... »

 

Mlle Marie Robert, de Clermont-Ferrand, a déposé aux archives d'Ars le récit d'un bien touchant prodige.

C'était en septembre 1857. Mlle Robert assistait au catéchisme de onze heures : « M. le Curé Vianney, conte-t-elle, était placé dans une petite stalle, à côté de l'autel de la Sainte Vierge. L'omnibus venait d'arriver sur la place. Tout à coup, la porte de l'église s'ouvrit bruyamment. Plusieurs personnes – et je fus de celles-lࠖ tournèrent la tête. Je vis alors trois personnes qui restaient près du bénitier : un homme, accompagné d'une femme, tenait un enfant dans ses bras. Absolument inconnus de M. Vianney, tous trois venaient à Ars pour la première fois. Ils s'agenouillèrent.

Aussitôt le saint, interrompant son catéchisme, s'adressa aux nouveaux venus : « Pauvres gens, leur dit-il, venir de si loin chercher ici ce que vous avez chez vous ! Que votre foi est grande ! ». Puis il reprit son simple discours.

Le catéchisme fini et l'angélus récité, le bon Curé revint au pitoyable groupe demeuré au fond de l'église : « Portez, leur cria-t-il d'une voix forte, portez votre enfant vers sainte Philomène, là-bas, à gauche. »

Ces gens traversèrent donc l'église et se mirent à genoux devant la statue de sainte Philomène qui, à ce moment-là, était toute redorée et comme neuve. Le père avait toujours son petit dans ses bras. Soudain se produisirent un bruit de chaise, un grand remuement que l'on entendit jusque du dehors. Vite, nous revînmes à l'église pour voir ce qui s'y passait.

Le pauvre père était tombé en syncope en entendant son fils parler pour la première fois. Cet enfant avait six ans et n'avait pas articulé un mot depuis sa naissance. Or il venait de dire dans le patois de son pays : « Joli, papa, joli !... »

Transporté à l'air sur le perron, ce brave homme reprit vite ses sens. « Nous étions venus à Ars, nous expliqua-t-il, pour demander la guérison de notre fils qui n'avait jamais parlé, ni marché. » Et la mère d'ajouter : « Ah ! que j'ai fait de neuvaines pour que le bon Dieu nous le reprît, puisqu'il n'y avait aucun espoir de guérison. Tous les médecins consultés ont été du même avis... Et à présent, le cher petit, le voici debout et il parle ! Quelle grâce ! »

C'était si touchant de les voir pleurer tous les deux !

Ils allèrent, conduits par un Frère, remercier M. Vianney dans sa cure. Dans le courant de la semaine, je revis la mère. « Je ne puis pas croire à la guérison de mon petit garçon, me dit-elle. Et pourtant voyez-le là-bas. »

Et j'aperçus l'enfant à qui son père et M. Vianney donnaient la main. Le saint Curé avait l'habitude de visiter, l'après-midi, les malades du village. Or, plusieurs jours de suite, il emmena ainsi avec lui l'enfant miraculé. D'après la mère, M. Vianney avait assuré que ce petit deviendrait missionnaire et qu'il produirait beaucoup de bien.

Encore une fois, peindre la joie des parents est impossible. J'ai partagé leur bonheur. J'ai vu marcher devant moi cet enfant de six ans qui n'avait jamais marché encore, j'ai entendu parler celui qui était sourd-muet de naissance. J'avais dix-neuf ans quand se sont déroulés les événements que je raconte. Or, je me rappelle toutes ces choses comme si elles étaient d'hier. »