IX

 

Dans un fossé, sur la route d'Ars

 

Les époux Chognon, cultivateurs là-bas, dans le Puy-de-Dôme, à Saint-Jean-des-Ollières, après avoir traversé en leur largeur les deux départements de la Loire et du Rhône, se trouvaient, pour affaires, à la foire de Villefranche. La femme savait qu'il n'y a guère que deux lieues de Villefranche à Ars ; un véhément désir la prit de voir le saint Curé et de se confesser à lui.

Son mari objecta qu'il leur fallait absolument repartir le lendemain. Elle répondit que l'occasion était vraiment trop belle pour la manquer. Bref, elle obtint d'aller, à la condition qu'elle serait de retour à Villefranche pour le lendemain, vers midi.

 

Ce fut d'un pas allègre que Mme Chognon prit le chemin d'Ars. Cependant, à la vue des premières maisons du village, elle parut hésiter ; mais son indécision ne fut pas longue : elle descendit dans le fossé bordant la route, tira de sa poche un objet roulé dans un papier et le cacha prestement sous une pierre. Ensuite, rassurée, contente, elle se dirigea vers l'église.

Elle déchanta quand elle aperçut sur le perron tout ce monde, puis, dans la nef, cette file de pénitents qui assiégeaient le confessionnal. Évidemment, il lui serait bien difficile d'aborder le Curé d'Ars ; à tout hasard, elle prépara sa confession...

Mme Chognon passa dans le vestibule du clocher les premières heures de la nuit ; lorsque se rouvrit l'église, elle y reprit sa place ; elle assista à la messe de M. Vianney... Enfin ! Le catéchisme de onze heures approchant, elle perdit tout espoir et se leva pour repartir.

Au même instant, le saint, qui confessait les hommes dans la sacristie, en sortait. Il s'avança dans la nef et fit signe à Mme Chognon de venir. Tout heureuse, elle le suivit, et accusa ses fautes de son mieux.

« Est-ce tout, mon enfant ? lui demanda alors M. Vianney.

— Oui, mon Père. Je ne me rappelle pas autre chose.

— Et cette bouteille cachée dans le fossé, au bord de la route, vous ne m'en parlez pas ?... Pourtant, c'est mal ce que vous avez fait là. Ne recommencez pas, mon enfant. Ne retournez jamais vers ces personnes... »

Mme Chognon écoutait, stupéfaite. Ce flacon suspect qu'elle n'avait pas osé porter sur elle jusque dans Ars lui avait été vendu par une femme qui avait un don et qu'elle avait consultée pour l'un de ses enfants malades. Il y avait là-dedans un liquide quelconque où flottait une araignée.

La bonne paysanne de Saint-Jean-des-Ollières reprit aussitôt la route de Villefranche et elle eut bien soin, en repassant, d'écraser sous la pierre où elle l'avait cachée la chose superstitieuse. (1)

 

 

(1) Annales d'Ars, mars 1903