XIX
A la veille du sous-diaconat
Les confidences qui vont suivre sont de M. le chanoine Fourès, qui, devenu incapable de tout ministère actif, vivait alors retiré dans sa famille à Aiguesvives (Haute-Garonne). Sa lettre, datée du 29 décembre 1904, fut adressée à Mgr Convert.
Elle relate un trait sans grand relief, si l'on veut, et pourtant précieux à retenir ; car il s'est passé dans Ars beaucoup de faits du même genre qui, malheureusement, resteront dans l'oubli. Nous voyons ici M. Vianney, après avoir pénétré une âme jusqu'en ses profondeurs, l'encourager à la persévérance en lui montrant l'avenir dans ses grandes lignes. Il procédait sans doute ainsi le plus souvent.
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Monsieur le Curé,
Permettez à un ancien pèlerin d'Ars de vous écrire.
C'était vers le milieu d'octobre 1856. Un jeune professeur du petit séminaire de Toulouse, ayant entendu raconter sur M. Vianney des choses remarquables, céda au vif désir d'aller voir ce saint prêtre et de lui confier quelques troubles à l'endroit de sa vocation.
Ce jeune ecclésiastique, arrivé dans l'église d'Ars pleine de monde, devait revenir à Toulouse sans retard, le lendemain étant le jour de la rentrée au séminaire. Il pénètre jusque dans la sacristie. « M. le Curé, lui dit-on, vous rejoindra à cinq heures. » A cinq heures en effet, le saint vieillard arrive tout haletant, n'ayant qu'un souffle et s'assied à côté de la grille pour écouter notre jeune homme.
« Mon Père, lui dit celui-ci humblement à genoux devant lui, ce n'est pas une confession que je viens vous faire, mais une confidence. Je suis à la veille d'être ordonné sous-diacre, et par moments, je suis très inquiet. Daignez demander au bon Dieu qu'il veuille vous faire connaître ce que je dois faire. Je viens de bien loin pour recevoir vos conseils. »
Le saint prêtre aussitôt, sans hésitation aucune, répond :
« Je vois parfaitement votre âme, je vois l'inclination de votre cur. Vous devez être prêtre et missionnaire. »
Il ajouta quelques paroles comme considérations générales sur la vanité de tout ce qui n'est pas Dieu.
Après la prière du soir, le jeune minoré fendit de nouveau la foule qui entourait déjà dans le sanctuaire le vénérable Curé, lui demanda sa bénédiction et se recommanda à ses prières. Il en reçut ces paroles :
« Soyez en paix, je ne change rien à ce que j'ai dit. Allez ! »
Notre pèlerin était ordonné prêtre quelque temps après. Il est devenu missionnaire du Sacré-Cur dans la maison du Calvaire de Toulouse, puis directeur du séminaire et enfin aumônier d'une institution de bienfaisance.
Il croit avoir fait quelque bien, surtout comme missionnaire. Visiblement la bénédiction du saint Curé d'Ars est demeurée sur lui. Faut-il dire que depuis la mort du serviteur de Dieu, arrivée le 4 août 1859, il a passé peu de jours sans l'invoquer ?... Vous avez déjà compris que ce pèlerin d'Ars, en 1856, est le prêtre même qui a l'honneur de vous écrire.