XVI

 

Des yeux qui se rouvriront

 

Pèlerine d'Ars en 1918, Sœur Adèle Mermier, religieuse de la Croix de Chavand (Haute-Savoie), fut heureuse de raconter à Mgr Convert une guérison annoncée par saint Jean-Marie Vianney et due sans doute à ses prières. A la demande du vénéré prélat, désireux d'enrichir encore les archives du presbytère, Sœur Adèle a transcrit cette histoire.

 

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Cela remonte à 1840 environ. Ma sœur aînée, âgée de trois ou quatre ans, fut prise d'un mal d'yeux. Une forte inflammation et les humeurs s'y portant, elle fut privée de la vue pendant trois mois. Quand elle n'était pas au lit, sa place était ordinairement près du foyer, là, sous les yeux de ma mère, par crainte d'un accident. On employa bien des moyens pour dériver les humeurs ; on alla jusqu'à mettre de la cantharide dans les cheveux ; tout fut inutile.

Sur ces entrefaites, une brave personne de Marlioz, commune des environs de Frangy où restait notre famille, eut l'idée de faire le pèlerinage d'Ars ; elle vint annoncer son projet à ma mère, avec la certitude de lui être agréable. Ayant, en effet, demeuré dans sa jeunesse à Belley, chez une cousine qui allait voir quelquefois le saint Curé et qui avait pour lui grande vénération, ma mère avait religieusement gardé dans sa mémoire et surtout dans son cœur les édifiants récits de cette parente. Toute confiante dans le bon Curé, ma mère dit donc à la pèlerine de Marlioz : « O ! Comme vous venez à propos ! Voyez ma petite... J'ai peur qu'elle ne reste aveugle ! ». Cette bonne dame fut priée d'attendre les commissions pour Ars.

Ma mère lui donna des honoraires de messes à remettre à M. le Curé et un billet par lequel elle recommandait son enfant aux prières du serviteur de Dieu, en faisant connaître ses appréhensions.

 

Quand elle fut de retour, la pèlerine se hâta de porter à ma mère la réponse de M. Vianney :

« Que cette personne ait pleine confiance, avait dit le saint ; son enfant ne perdra pas la vue. »

Ma sœur fut, en effet, radicalement guérie. Elle est décédée à l'âge de soixante-quatre ans. Vers soixante ans, elle se remit à souffrir des yeux et craignit que la maladie de son enfance ne revînt. Je lui rappelai alors ce qu'avait dit le saint Curé : elle en fut toute réconfortée. Les petites douleurs qu'elle ressentait disparurent si bien, que, peu de temps avant sa mort, voulant me lire une nouvelle intéressante du journal et ne retrouvant pas ses lunettes qu'elle égarait souvent, elle lut très bien à l'oeil nu, tenant la feuille à distance.