III

 

La « jambe d'or » et les onze médailles

 

Saint-Pierre d'Albigny se cache dans les monts de la Savoie, à quelque trente kilomètres au delà de Chambéry. C'est de cette paroisse lointaine qu'arrivait à Ars, un jour de 1847, une pieuse femme, Mme Marie Gex, avec un de ses fils âgé de onze ans qu'un genou infirme rendait boiteux. Au dire des médecins, le mal était incurable. Aussi, la mère, n'écoutant que sa foi, avait-elle courageusement entrepris un si pénible voyage pour demander au saint Curé un miracle de plus.

Les deux voyageurs gravirent le perron qui accède à l'église. Mais les cahots de la voiture ayant fatigué le petit boiteux, sa mère le fit asseoir sur le muret du cimetière, puis se mêla aux pèlerins qui s'entassaient dans la nef.

Ô surprise ! Presque aussitôt un remous se produit parmi les pèlerins. M. Vianney s'avance précédé d'un frère qui demande passage. Il s'approche de Mme Gex, la dépasse, lui fait signe de le suivre dehors. Le voilà auprès du jeune infirme, qu'il caresse.

« Ma bonne dame, votre enfant ne guérira pas, déclare-t-il, mais consolez-vous : sa jambe est une jambe d'or pour le ciel. »

Puis, sans les compter, il remit des médailles à la maman. « En voici onze, dit-il. Une pour vous, une autre pour votre mari, le reste pour vos enfants. »

Mme Gex prit les onze médailles sans objecter que sa famille n'atteignait pas encore un chiffre aussi élevé... Or, dans son mystérieux calcul, le serviteur de Dieu ne s'était pas trompé. Les enfants Gex finirent bien par atteindre le nombre de neuf. Et, à mesure des naissances, chaque nouveau venu reçut sa médaille d'Ars.

 

Sur ces neuf enfants, une fille s'est faite religieuse – elle est devenue, au Brésil, supérieure provinciale des Sœurs de Saint Joseph de Chambéry –, quatre fils ont été honorés du sacerdoce : un premier fut curé dans le diocèse de Chambéry ; un second fit partie de la Société des Missions-Étrangères de Paris ; un troisième s'engagea dans les Missions africaines de Lyon ; le quatrième enfin, à cause de cette jambe qui serait d'or pour le ciel, ne put suivre ses frères dans le ministère actif ; il choisit la vie contemplative et mourut religieux à l'abbaye de Haute-combe. (1)

 

 

(1) Les détails de ce double fait d'intuition ont été communiqués à Mgr Convert par M. le chanoine Bois, curé de la paroisse même de Saint-Pierre-d'AIbigny