VI
Un veuf et une famille nombreuse
M. l'abbé Raymond, qui de curé de Savigneux devint pour huit années, de 1845 à 1853, l'auxiliaire de M. Vianney, avait une sur qui se sentait la vocation au mariage. Seulement, elle souhaitait n'avoir que peu d'enfants et s'était bien promis de ne pas épouser un veuf.
Jeanne Raymond avait vingt-sept ans quand un soupirant se présenta. Ce jeune homme était protestant ; Jeanne paraissait prête à l'agréer, quand, sur les instances de son frère l'abbé, elle consentit à venir consulter le saint. Elle habitait Beauregard, localité proche d'Ars.
« Ne vous mariez pas avec ce jeune homme, lui dit le serviteur de Dieu. Dans quelque temps, il se présentera un autre parti : c'est ce qu'il vous faut... Vous aurez beaucoup de peines, d'ennuis... et de nombreux enfants. »
De retour à Beauregard, Mlle Raymond, bien que la prophétie ne fût guère de son goût, congédia le soupirant, et attendit.
Un veuf, M. Gloppe, vint à son tour. Malgré ses répugnances passées, Jeanne l'agréa. Le mariage eut lieu. Quatorze enfants furent l'apanage de ce foyer chrétien. Sans doute, comme l'avait annoncé le saint d'Ars, pour élever tout ce monde il fallut bien des veilles, de durs travaux, de fréquentes inquiétudes, mais sur cette grande et belle famille planait la bénédiction d'un saint.
Mme Gloppe en reçut, un jour de 1857, une preuve tangible. Un de ses enfants, à l'âge de trois ans, ne marchait pas encore. C'était pour la mère sa peine la plus accablante. Enfin, n'y tenant plus :
« Le Curé d'Ars le guérira, dit-elle à son mari. Viens, je lui porte le petit tout de suite.
Mais, répliqua M. Gloppe, tu ne verras pas M. Vianney aujourd'hui même. Tu sais bien que l'église regorge de monde.
Il me reconnaîtra bien. »
Et sur ces mots cette femme de foi prit le chemin d'Ars. Elle trouva dans l'église le concours habituel des pèlerins. Pourtant elle avait eu raison d'espérer. Une voix faible et grêle, mais capable de subjuguer l'océan, jetait un nom au delà de cette foule :
« Madame Gloppe !... Madame Gloppe, venez donc !... Je sais que vous n'avez pas beaucoup de temps. »
La mère s'avança, serrant son pauvre petit infirme dans ses bras.
« C'est votre enfant ? interrogea le saint. Qu'est-ce que vous me demandez ?
Oh ! Qu'il marche, monsieur le Curé, qu'il marche !
Il faut demander cela à sainte Philomène.
Mais d'abord vous, monsieur le Curé, bénissez-le ! »
M. Vianney mit ses mains sur la tête du petit. Aussitôt, l'enfant se débattit pour échapper à sa mère. Il marcha. Il était guéri. (1)
(1) Ces détails ont été donnés le 12 mai 1913 par l'un des frères du jeune miraculé, M. Gloppe, de Limonest (Rhône), père de l'éditeur de musique de Lyon, à M. l'abbé Renoud, alors missionnaire d'Ars.