II

 

La mission d'Etiennette Descombes

 

Dans la petite ville industrielle de Cours (Rhône), où se fabriquent de si bonnes couvertures, les anciens n'ont pas encore perdu le souvenir d'une petite vieille nommée Étiennette Descombes qu'ils connurent plus que centenaire. Fille d'un pauvre menuisier, elle était née à Cours en 1766, c'est-à-dire vingt ans avant que naquit à Dardilly l'enfant qui serait un jour le Curé d'Ars.

 

Étiennette vit M. Vianney pour la première fois vers 1828, ayant dépassé la soixantaine. Elle désirait consulter le saint au sujet d'une œuvre à laquelle elle avait voué sa vie : la prière pour les âmes souffrantes. Elle y trouvait bien quelques déboires et se demandait, en des heures tristes, si ses loisirs ne seraient pas mieux employés à telle autre œuvre de piété ou de zèle.

L'abbé Vianney fit à Étiennette Descombes le plus gracieux accueil.

« Votre mission, lui dit-il, est belle et très agréable à Dieu. Oh ! Des messes, des messes pour les âmes du purgatoire ! Quoi de plus précieux ? Faites-en une ample moisson : Dieu vous en donnera la grâce, il vous bénira, il vous accordera de longues années encore pour le bonheur de ces pauvres saintes âmes. »

 

Étiennette revint au pays, plus confiante et plus entreprenante. Pour ainsi parler, elle « étendit son commerce », multiplia ses petites industries. On la vit quêter sans crainte à la porte de l'église, circuler dans les cafés et les hôtels, les jours de foire. Et toujours la même prière, dont les termes étonnaient parfois des hommes venus à Cours pour leurs affaires : « Un sou, s'il vous plaît, pour les âmes du purgatoire ». Jamais, dit-on, Annette ne fut ni insultée ni rabrouée. Personne n'eût accusé de supercherie cette bonne femme si originale, il est vrai, mais si pieuse, si honnête et qui vivait de rien.

Étiennette réservait tous ses sous pour ses chères clientes. Quand son petit sac était rempli, elle fermait sa porte, déposait sa clef chez une voisine et, chaussée de ses sabots, un morceau de pain dans sa poche, sûre de trouver en route le vivre et le couvert, elle partait pour Ars. Il lui fallait traverser le département du Rhône dans toute sa largeur, franchir les monts du Beaujolais. N'importe ! Ces cinquante kilomètres de chemins malaisés ne l'effrayaient pas.

Elle fit bien quarante fois le voyage. Âgée de cent ans, elle le faisait encore ! Elle confiait qu'elle trouvait l'aller plus dur que le retour : c'est qu'elle revenait d'Ars, le cœur tout épanoui, tout réchauffé.

 

M. Vianney célébrait lui-même quelques-unes des messes dont Étiennette lui apportait les honoraires ; il répartissait les autres entre ses confrères du voisinage. Il en fonda un certain nombre à perpétuité. C'est par milliers certainement qu'il faut compter les messes procurées aux âmes du purgatoire par les soins d'Étiennette Descombes.

« Faites-en une ample moisson », lui avait commandé le Curé d'Ars en 1828. Étiennette avait bien rempli son mandat.

« Dieu vous accordera de longues années », avait ajouté le saint. Étiennette mourut le 22 décembre 1873, à l'âge de cent sept ans.

 

Des choses merveilleuses se passèrent, assure-t-on, pendant l'année qui précéda sa mort. Étiennette était devenue aveugle. Des dames du pays furent heureuses et fières de la soigner et de la servir. Or, plusieurs fois, elles trouvèrent le ménage tout en ordre, alors que la porte était restée, jusqu'à leur arrivée, close à double tour : « Ce sont les âmes du purgatoire qui sont venues ce matin », expliquait en souriant la sympathique aveugle.

Ses funérailles furent un triomphe. Les usines de Cours furent fermées ce jour-là ; ouvriers et patrons, un nombreux clergé escortèrent l'humble dépouille à qui le conseil municipal avait assigné dans le cimetière une place de choix.