VI

 

A l'heure des fiançailles

 

« Notre ville de Tarare est à quarante kilomètres d'ici ; ce n'est pas le bout du monde, mais certainement je n'arriverai pas d'heure pour apporter chez nous, quelle qu'elle soit, la réponse que doit me donner M. Vianney ! Je suis là depuis ce matin ; les vêpres sont chantées ; il est cinq heures du soir... Je sens que ma patience s'en va !... »

Ainsi songeait, un dimanche, dans l'église d'Ars, Mlle Pauline Cornet. Sur les instances de sa mère, elle venait consulter M. le Curé au sujet de sa sœur Caroline, une jeunesse sur le point de se fiancer et qui se souciait fort peu, apparemment, d'avoir sur ses projets matrimoniaux l'avis du saint M. Vianney. Tout semblait si bien réglé que le futur était attendu par la famille en cette après-midi de dimanche où sans doute se feraient les fiançailles. La mère, il faut le croire, y sentait quelque secrète répugnance, on ne sait quelle crainte la hantait ; en tout cas, elle avait pressé Pauline d'aller consulter là-dessus le Curé d'Ars...

Trop tard !... L'heure avançait. Enfin, Pauline s'agenouilla au confessionnal du saint. Comme elle se sentait la conscience tranquille, l'audience fut courte.

« Mon Père, ma sœur Caroline est sans doute à se fiancer en ce moment...

— Mon enfant, laissez faire : le Saint-Esprit va parler à son cœur. »

Pauline ne saisit pas ce que M. Vianney voulait dire ; mais elle retint précieusement ses paroles. – Elle les comprendrait, une fois de retour.

 

Or, pendant ce temps-là, que se passait-il dans la famille Cornet, rue Écorchebœuf, à Tarare ?... A l'instant où s'était éloignée Pauline, sa sœur était pleinement décidée au mariage. Et voilà qu'en cette après-midi de dimanche, Mlle Caroline se découvrait des dispositions toutes différentes. Il lui semblait sortir d'un rêve. La pensée de demeurer en l'état de virginité l'avait pénétrée si fortement qu'elle n'en pouvait détacher son cœur. Elle ne doutait pas que ce fût là une inspiration de Dieu.

Le prétendant arrive rue Écorchebœuf. Il est sûr de sa conquête... Ciel ! Quel changement, quelle surprise ! Mlle Caroline le reçoit avec politesse, mais rien de plus. Il lui demande la raison de sa froideur. « Je ne sais pas comment je vous laisse venir, lui explique-t-elle. Je ne veux plus me marier. »

« L'étonnement de la mère Cornet – ajoute M. Ball après avoir entendu ce récit de la bouche même de Mlle Pauline Cornet, « personne tout à fait digne de foi (1) » – ne fut pas moins grand que celui du jeune homme ; car jusque-là, elle avait vu sa fille toute disposée au mariage et rien ne l'avait préparée aux paroles qu'elle venait d'entendre. L'affaire fut complètement rompue sans autre forme de procès et la prétendue est encore aujourd'hui demoiselle. »

 

 

(1) À Ars, le 27 octobre 1878. (Documents, N° 55)