XX

 

« Vous n'êtes pas encore à Saint-Charles ? »

 

« Mon enfant, disait un jour M. Vianney à une jeune pénitente, vous désirez être religieuse... Allez à Saint-Charles : c'est là que le bon Dieu vous veut... Oh ! la belle vie : aimer le bon Dieu, le faire aimer en apprenant le catéchisme aux enfants !... Que c'est beau !... Ô mon enfant, remerciez Dieu d'une si belle vocation. »

Cela se passait vers 1854. De retour à Lyon où elle habitait, Mlle Marie-Pierrette C... alla postuler son entrée en religion auprès de la Révérende Mère Sainte-Apollinaire, supérieure des Religieuses de Saint-Charles. Marie-Pierrette toussait alors un peu. « Mon enfant, lui dit la Révérende Mère, chez nous les emplois sont pénibles, les classes nombreuses. Vous ne me paraissez pas assez forte pour supporter notre genre de vie. Peut-être ferez-vous bien de chercher une autre communauté. »

Marie-Pierrette se retira. Les yeux rougis par les larmes, elle se demandait si elle avait bien compris les paroles du saint Curé d'Ars... Ou bien c'est lui qui s'était trompé ?... Quel trouble, quelle perplexité dans l'âme de la pauvre enfant !

 

Au cours des cinq années qui suivent, elle se présente en plusieurs communautés, où la même déception l'attend. La voici enfin au port désiré ; elle le pense du moins : les Filles de Saint-Vincent-de-Paul viennent de l'admettre comme postulante. Assez joyeuse, elle se prépare à entrer. Mais un dernier doute la saisit. Elle part pour Ars. Après un jour et deux nuits d'une fiévreuse attente, elle s'agenouille de nouveau aux pieds du saint confesseur. M. Vianney ne l'a pas revue, n'a pas entendu parler d'elle depuis cinq ans. Marie-Pierrette n'a même pas le temps d'ouvrir la bouche.

« Eh ! quoi, mon enfant, lui jette l'homme de Dieu, vous n'êtes pas encore à Saint-Charles ?... Hâtez-vous : le bon Dieu vous y attend.

— Mais, mon Père, on ne peut pas m'y recevoir à cause de ma santé. Je vais entrer chez les Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul.

— Non, non, mon enfant, c'est à Saint-Charles qu'il faut aller. Je vais prier pour vous, et l'on vous recevra... Ô mon enfant, que vous êtes heureuse ! Que c'est beau de passer sa vie à aimer Dieu et à le faire aimer ! Quelle belle vocation ! »

Au lieu d'être bouleversée comme on pourrait le croire, Marie-Pierrette se sentit toute rassérénée, et ce fut avec pleine confiance qu'elle se présenta de nouveau à Saint-Charles. Sa demande fut agréée. Le 26 juillet 1860, elle devenait Sœur Sainte-Mélanie.

Longtemps Sœur Sainte-Mélanie se dévoua à l'éducation des petits enfants. Nommée en 1900 supérieure à Ampuis, dans le Rhône, elle en était expulsée le 1er octobre 1904 par l'inique loi contre l'enseignement congréganiste.

Elle mourut pleine d'âge et de mérites, le 28 mars 1910, dans la maison de retraite de sa congrégation, heureuse de proclamer jusqu'à son dernier jour que le saint Curé d'Ars ne s'était point trompé. (1)

 

(1) Les détails de ce récit proviennent d'une religieuse de Saint-Charles qui les tenait de Mère Sainte-Mélanie elle-même.