XXV

 

Il ne s'était pas trompé

 

Certes oui, elle ne lui cacherait pas son dépit ; elle dirait sa pensée à ce curé de village, réputé un saint, qui lui avait conseillé d'entrer comme prétendante à la Charité de Lyon ! Or elle n'avait pas eu assez de santé pour mener cette existence si dure de religieuse d'hospice. Depuis un an, atteinte d'une maladie que la Faculté déclarait sans remède, elle vivait dans sa famille contre son gré !... Donc le Curé d'Ars s'était trompé, lourdement trompé, et elle venait le lui apprendre !

Ainsi, un jour de juillet 1859, dans la diligence partie de Lyon, ronchonnait une jeune personne originaire de Chevinay, dans le Rhône. Mlle Marie Regipas accomplissait pour la seconde fois le pèlerinage d'Ars. Mais où était-elle, l'enthousiaste pèlerine d'il y avait deux ans ? Ce n'était plus qu'une voyageuse lasse et morose, prête à exhaler sa mauvaise humeur.

 

La voiture s'arrêta devant l'église, et comme Mlle Régipas en descendait, un monsieur se présenta, qui lui dit : « Mademoiselle, M. le Curé vous attend au confessionnal,

— Moi ?

— Oui, vous, mademoiselle. Je suis M. Julien. Me trouvant de service à l'église pour empêcher les pèlerins de se précipiter sur notre saint Curé, je viens de l'entendre me dire : « Allez vers l'omnibus qui va arriver et priez la demoiselle qui en descendra la première de venir me parler tout de suite. »

Donc, M. Vianney connaissait l'arrivée de cette pénitente rébarbative que personne ne lui avait annoncée, il savait de science certaine quelle voiture l'avait amenée, et enfin que cette demoiselle serait la première à en descendre ! Tant de merveilleuses précisions troublèrent profondément notre voyageuse. Elle sentait le reproche expirer sur ses lèvres. Elle se trouva bien petite quand elle s'agenouilla aux pieds de l'homme de Dieu. Et c'est timidement qu'elle commença :

« Mon Père, vous m'avez conseillé d'entrer à la Charité et j'en ai été renvoyée pour cause de maladie.

— Mon enfant, répliqua immédiatement le saint, je vous ai retenue d'aller ailleurs, mais pour rentrer dans votre communauté, vous y rentrerez. »

II ne s'expliqua pas davantage.

Que penser cependant d'une décision si nette ?... Le directeur de la Charité qui avait renvoyé la jeune prétendante avait-il abandonné son poste ? Non. Le mal dont souffrait l'expulsée était-il guéri ? Pas plus qu'auparavant. Alors ?... Mlle Marie Regipas, confiante malgré tout, trouva le courage de se représenter à la Charité de Lyon peu de temps après son pèlerinage d'Ars.

Elle y fut reçue sans opposition. Elle y devait vivre de longues années au chevet des malades.

 

M. Ball, qui s'est attaché à commenter les faits d'intuition afin de mettre en un relief plus saisissant la sainteté de M. Vianney, termine ainsi son enquête sur le cas de Mlle Marie Regipas :

« Ce fait donne une double preuve du don d'intuition surnaturelle dont a été doué le vénérable Curé d'Ars.

Outre l'annonce qu'il fit à cette personne de sa rentrée certaine dans la communauté malgré les obstacles subsistants qui avaient motivé sa sortie, il la vit en route pour Ars et connut le moment précis de son arrivée.

Et tout cela sans que rien au monde eût pu naturellement le lui faire connaître, ni de la part de Mlle Marie qui ne lui avait ni écrit ni fait écrire ni fait savoir d'aucune autre manière qu'elle venait ou devait venir et qui arrivait inopinément, confondue avec le flot des pèlerins qui abordaient chaque jour à Ars par toutes les voies – ni de la part d'autres personnes qui ne pouvaient connaître ni annoncer d'avance ce qu'elles ne savaient pas.

Cette relation a été reçue le 3 juin 1879 de la bouche même de Mlle Marie Regipas, qui la certifie de tout point conforme à la vérité. » (1)

 

 

(1) Documents, N° 62