VI
Soldat, sergent et sous-lieutenant
Savoyard comme saint François de Sales, puisqu'il était de Pont-de-Beauvoisin, le bon Frère Athanase, avant d'entrer dans la congrégation de la Sainte-Famille, s'appelait Jacob Planche, mais son prénom, bien qu'israélite, désignait déjà un rude chrétien.
Il s'installa à Ars comme directeur de l'école le 10 mars 1849 et gagna, dès la première entrevue, les vives sympathies de M. Vianney.
Son frère, Jean-Baptiste Planche, servait alors comme simple soldat dans l'armée de Charles-Albert, roi de Piémont et Sardaigne. Et Charles-Albert était en guerre avec l'Autriche. Frère Athanase se hâta de recommander Jean-Baptiste aux prières du saint Curé. Celui-ci répondit sans hésitation :
« Soyez tranquille. Il ne partira pas. »
Vers la fin de mars, on apprenait que, le vendredi 23, il s'était livré à Novare une grande bataille, où les troupes sardes avaient été battues à plates coutures ; mais une lettre rassurante arrivait dans le même temps au Frère Athanase : le bataillon dont faisait partie Jean-Baptiste Manche était resté à Turin.
Lorsque, quatre ans plus tard, éclata la guerre entre les Russes et les Turcs, des contingents sardes, anglais et français s'en allèrent aider les « Fils du Prophète » évidemment, cela ne valait pas les Croisades ! Jean-Baptiste Planche, toujours sous les drapeaux, était devenu sergent.
« Monsieur le Curé, demanda le Frère Athanase à M. Vianney, ne prierez-vous pas cette fois encore pour Jean-Baptiste ? Cette expédition lointaine...
Il n'en sera pas », se contenta de répondre le serviteur de Dieu.
Cette prédiction se vérifia d'une façon d'autant plus frappante que le sergent Planche, ayant fait instance auprès de ses chefs pour obtenir de suivre son bataillon qui se préparait au départ, se vit retenir en Piémont comme... comptable militaire.
Quand donc pourrait-il donner du champ à ses ardeurs belliqueuses ? Le Frère Athanase n'avait pas été sans l'avertir que les prières du Curé d'Ars entravaient leur essor. Aussi, lorsque, en 1859, le Piémont, aidé de la France, soutint le choc contre l'Autriche, Jean-Baptiste Planche, devenu sous-lieutenant, demanda-t-il à son frère de ne pas faire prier cette fois M. Vianney : il voulait absolument, disait-il, « tâter de la guerre ».
Comme on le pense bien, le Frère Athanase ne se crut point tenu au secret. En accompagnant M. le Curé dans sa chambre après la prière du soir, il lui confia ses appréhensions. Le lendemain, à la sacristie, le saint bénit pour Jean-Baptiste une petite médaille d'argent.
« Tenez, dit-il au Frère Athanase qui était là présent pour le service des messes, envoyez-lui cette médaille. Il ne lui arrivera rien. »
Le sous-lieutenant prit part, en cette guerre d'Italie, aux combats les plus meurtriers. Tous les officiers de son régiment, à l'exception de sept, furent tués. Et lui, que protégeait la prière d'un grand ami de Dieu et que ne quitta pas un instant sa médaille d'Ars, il revint sain et sauf, sans la moindre blessure, de cette courte mais rude campagne. (1)
(1) Documents BALL, N° 28.