VII

L'intervention de l'Enfant-Jésus

 

Voici, dans sa simplicité savoureuse, l'extrait d'une lettre adressée d'Arcinges (Loire), le 31 août 1928, à M. le chanoine Camille Duvaux, curé de Saint-Jean de Montmartre à Paris, par son excellent organiste, M. Jean Vadon, alors en vacances au domaine de Monteulat-en-Arcinges (1).

 

« ... Il s'agit de mon arrière-grand-père, Pierre Barbin, né à Arcinges vers la fin de la Révolution et père de ma grand'mère maternelle, née elle-même à Arcinges, au hameau de la Beze en 1833.

Mon arrière-grand-père fit sa première communion à Arcinges, se maria à Arcinges, où il eut sept enfants : six filles et un garçon. La plus jeune de ces enfants était Etiennette, ma grand'mére maternelle et ma marraine, morte à Roanne en 1908.

Ce Pierre Barbin, dès son mariage, ne pratiqua plus. Il resta bien vingt ans ainsi.

Or, sur les instances des siens et en particulier de sa fille aînée, Sœur Agathe, religieuse du Verbe-Incarné à Belmont (Loire) – ma grand'tante que j'ai connue tout petit – il consentit à réfléchir, et, leurs prières redoublant, il revient aux pratiques religieuses.

Sœur Agathe le décida même à faire le pèlerinage d'Ars.

 

C'était vers l'été de 1850.

Mon arrière-grand-père, plein de zèle dans ce retour à Dieu, voulut faire le voyage non seulement à pied, mais pieds nus. Ses grosses chaussures sur le dos, il traversa villes et villages. Et encore, pour faire pénitence, il allongea son pèlerinage de quelque trente kilomètres : il aurait pu, d’Arcinges à Villefranche, n'en faire qu'une soixantaine; il en parcourut quatre-vingt-dix au moins par les sentiers de montagne, dans le Charolais et le Beaujolais. Avec cela, il se reposait à peine, couchait sur la dure et se sustentait maigrement.

Au bout de cinq jours, dans les lueurs de l'aube, il avait la joie de saluer le clocher d'Ars. Il pénétra dans l'église et put s'avancer assez loin dans la nef, juste au moment où le saint Curé rentrait à la sacristie, venant de dire la messe.

M. Vianney s'arrêta et lui fit signe de le suivre, l'interpellant par son nom, lui disant d'où il venait et pourquoi il avait fait ce long voyage.

Or le pèlerin, n'en pouvant croire ses yeux et ses oreilles, demeurait figé sur place.

« Faudra-t-il donc, continua le saint avec une amicale familiarité, que l'Enfant Jésus intervienne après moi pour te montrer le chemin du paradis ? »

Et il disparut dans la sacristie toute proche. Mon arrière-grand-père, qui n'hésitait plus à présent, s'élança sur les pas du prêtre.

Que se dirent-ils l'un à l'autre ? Le pèlerin n'avait pas confié aux siens ce qu'il pensait demander au Curé d'Ars, il n'a point révélé davantage ce qui se passa entre eux dans l'humble sacristie.

 

Vraisemblablement, le pèlerin se confessa au serviteur de Dieu. Et ce fut là sans doute la première intervention dont parlait saint Jean-Marie Vianney.

Mais l'intervention de l'Enfant Jésus ? Vingt-deux ans plus tard, en la fête de Noël, le divin Nouveau-né rappelait à lui mon arrière-grand-père.

Converti à fond, il s'éteignait entouré de nombreux descendants, dont quelques vieux Arcingeois sont les descendants actuels.

Ma grand-mère et marraine avait trente-neuf ans alors, et son fils – mon père, que vous avez vu à Saint-Jean – quatorze ans.

C'est surtout à mon père et à mon vieux cousin Destre, du village Fagot-d'Arcinges, que j'ai ouï conter toutes ces choses... »

 

(1) C'est un artiste de grande valeur, nous écrivait de lui en nous transmettant sa gentille lettre, M. le Curé de Saint-Jean de Montmartre ; M. Jean Vadon est ancien professeur à la SCHOLA, élève de Vincent d'Indy et de Guillemant.