XIV

L'avenir d'un petit protégé

 

Une excellente dame de Donjon (Allier) était plongée dans une grande affliction : son fils Henri, frêle garçon d'une douzaine d'années, atteint de crises épileptiques, venait d'être déclaré incurable par les médecins. En sa désolation, la mère prit conseil de l'abbé Antoine Chevrier, futur fondateur du Prado de Lyon ; elle connaissait en effet ce saint prêtre, alors directeur spirituel de la Cité de l'Enfant-Jésus, créée par M. Rambaud, pour l'enfance pauvre.

 

L'abbé Chevrier adressa cette dame au Curé d'Ars. Un jour de 1857 ou de 1858, elle se rendit avec son fils auprès du thaumaturge.

Or, par un privilège inouï, M. Vianney accepta de prendre l'enfant sous sa garde : il lui trouva une pension sûre dans le village et promit de veiller sur lui. En de telles conditions, la mère se résigna sans peine à se séparer de son Henri pour plusieurs mois.

Il s'habitua très vite à Ars.

Les allées et venues des pèlerins étaient pour lui une récréation de tous les jours. Gentil, complaisant, il rendait aux étrangers maints services, les renseignant, les guidant vers les maisons hospitalières.

Dans l'église même, Henri s'employait de son mieux : il eut maintes fois l'honneur d'être délégué par le Frère Jérôme, sacristain d'Ars, ou par l'un des messieurs de garde pour introduire à la sacristie les pénitents du saint Curé ; il fallait le voir soulever avec gravité la tige de fer qui fermait le passage.

 

M. le Curé permettait qu'on laissât pénétrer ce jeune garçon dans le jardin du presbytère. Sans doute le saint en avait-il fait couper les arbres fruitiers, du temps où le vaste potager n'était séparé de la rue que par une haie vive ; il avait de la sorte supprimé radicalement les tentations de maraude ! Mais, sous la protection d'un mur dû à l'administration municipale, des pêchers avaient poussé. Henri pouvait donc s'en donner à cœur joie. Quand il avait bien considéré le cadran solaire planté au milieu du jardin, il gambadait dans les allées, sans trop endommager l'oseille et la laitue de Catherine Lassagne ; car la bonne Catherine, qui ne dirigeait plus dans ce temps-là la « maison de Providence », entretenait le clos du presbytère, aidée puissamment par sa compagne Jeanne-Marie Chanay retirée avec elle dans une maisonnette auprès de la vieille cure. À la belle saison, Henri secouait assez souvent les pêchers pour en faire tomber les fruits mûrs. Catherine ou Jeanne-Marie grondaient, faisaient leurs rapports à M. Vianney. « Mais puisqu'il en a la permission ! » répondait paisiblement le bon saint.

Presque tous les soirs – et c'était pour lui le moment impatiemment attendu – Henri se faufilait parmi les prêtres et les laïcs qui avaient la faveur de reconduire M. Vianney jusqu'à sa chambre.

« Mon enfant, comment as-tu passé la journée ? » lui demandait le serviteur de Dieu. Et le petit racontait ingénument ce qui l'avait intéressé ce jour-là. Plus d'une fois, le Curé d'Ars le fit s'agenouiller près de lui pour une courte prière. Toute sa vie, Henri devait se souvenir de l'émotion qu'il éprouvait à voir M. Vianney parler à Dieu avec une foi si ardente, les yeux levés vers son crucifix, des larmes ruisselant soudain sur son visage. Le saint le renvoyait ensuite après l'avoir béni d'un signe de croix sur le front, et continuait de converser avec ses visiteurs.

Henri fit dans le village un séjour de près d'une année. Sa pieuse mère, qui vint l'y voir à plusieurs reprises, lui trouvait à chaque fois meilleure mine. Quand elle l’emmena d'Ars définitivement, le serviteur de Dieu déclara que l'enfant ne se ressentirait plus jamais de son mal, qu'il se marierait et aurait de la famille.

Trois prédictions qui se réalisèrent (1).

 

(1) Ces détails proviennent de M. l'abbé Guéret, curé-doyen de Souvigny, au diocèse de Moulins, qui connut assez intimement M. Henri C., le héros de l'histoire, et qui la lui entendit raconter plus d'une fois.