XIX
« Matefaims » et tirage au sort
Un brave homme de Saint-Cyr-sur-Menthon, paroisse du diocèse de Belley, était père d'une famille nombreuse. L'une de ses filles, devenue Sur de la Charité, avait été placée à Châtillon-les-Dombes, là même où fut curé, en 1617, l'illustre saint Vincent de Paul. Il n'y a pas loin d'Ars à Châtillon.
Or l'un des frères de la religieuse atteignait l'âge de la conscription : s'il était pris pour le service, il passerait sept ans dans les armées. La famille n'était pas sans fortune ; le père se résolut à mettre de côté la somme nécessaire pour « racheter » son fils : il ne fallait pas compter trouver un remplaçant à moins de 2.500 francs. Ce serait un assez dur sacrifice !
Mais avant d'immobiliser cette somme, importante pour lui, notre homme alla trouver sa fille.
« Va donc consulter le Curé d'Ars, lui dit-il. Et puisque, d'après la renommée, il ne se nourrit guère que de matefaims, tu lui en porteras quelques-uns, qui lui feront plaisir. Ensuite, tu lui demanderas ce qu'il pense de ton frère. »
La religieuse, docile aux recommandations paternelles, quitta Châtillon munie de fort appétissantes galettes. Une fois dans Ars, n'arrivant pas, et pour cause, à les remettre entre les mains du saint Curé, elle les fit porter au presbytère où M. Vianney prenait alors son repas quotidien.
Elle put lui parler comme il sortait de l'église.
« Mon frère sera-t-il soldat ? demanda-t-elle.
Tout ira bien, mon enfant. Dites à votre père de ne point se mettre en peine de le racheter.
Et nos matefaims, Monsieur le Curé, osa-t-elle demander encore, les avez-vous trouvés bons ? »
M. Vianney se mit à sourire.
« Oh ! même trop bons... pour moi, répliqua-t-il. Je les ai donnés aux pauvres. »
Le jeune conscrit tira au sort un numéro qui l'exemptait du service militaire (1).
(1) D'après le témoignage Mlle Bozat, sur de M. le Curé de Perrex (Ain), qui a connu l'ex-conscrit et sa sur religieuse, et qui tenait d'eux tous ces détails.