III
« De fil en aiguille »
Mme Prieur, qui s'est éteinte à Moulins en 1938, âgée de 97 ans, avait eu le bonheur de faire dans sa jeunesse le pèlerinage d'Ars.
Elle était accompagnée d'une sienne cousine, un peu dure d'oreille. Ce fut à grand'peine que les deux Moulinoises pénétrèrent dans l'église du village, tellement la foule y était pressée. Debout contre la porte du fond, elles demandèrent à leurs voisines où se trouvait le saint Curé et si elles pourraient l'apercevoir avant de reprendre la voiture ; car en vérité c'était bien inutile d'espérer mieux que cela : et elles qui avaient fait un si fatigant voyage pour se confesser !... Monsieur le Curé, leur fut-il répondu, est à ce moment dans son confessionnal, mais d'ici, le confessionnal lui-même est tout à fait invisible, puisqu'il est appliqué au mur de cette chapelle, la plus éloignée, à gauche de la nef.
« Eh bien, prononça, résignée mais déjà en larmes, la future Mme Prieur, nous allons dire une prière, puis nous en aller ! »
Tout de même, les deux voyageuses prolongèrent encore leur attente. Mais l'horloge était inexorable. Il fallut bien se décider à sortir. Un dernier regard vers l'arceau mystérieux où demeurait caché le grand serviteur de Dieu, et adieu le village d'Ars !... Mais quelle surprise !
Le saint était là, oui, c'était bien lui, sur le seuil de la chapelle Saint-Jean-Baptiste, et il en descendait l'unique degré, et il s'avançait à travers la foule, au delà de la chaire... vers la tribune sous laquelle, ramassant leurs bagages, nos deux Moulinoises faisaient la génuflexion. Elles le virent tout près d'elles.
« Mesdemoiselles, leur dit-il simplement, puisque vous êtes pressées, veuillez me suivre. » Et il ajouta pour la cousine, en élevant un peu la voix : « Vous, puisque vous ne pouvez le faire au confessionnal, venez vous confesser à la sacristie. »
Double joie, double émotion.
À 97 ans, Mme Prieur avait gardé toute la fraîcheur de ses souvenirs. Par discrétion, personne n'osa jamais lui demander de détails sur son entrevue avec saint Jean-Marie Vianney. On devinait qu'elle eût gardé jalousement son secret. Cependant, elle contait volontiers ce beau voyage, soleil de sa longue vie. « De fil en aiguille, confiait-elle spontanément, le Curé d'Ars m'a annoncé ce qui devait m'arriver. Tout s'est réalisé à la lettre ! (1) »
(1) Ces détails proviennent de M. le Curé de Meillard (Allier). À Meillard, se trouve la propriété de « la Brenne » où Mme Prieur passait régulièrement le temps des vacances parmi ses enfants et petits-enfants.