Deuxième partie : DANS LES CONSCIENCES
I
La façon dont il « voyait »
Saint Jean-Marie Vianney comprenait-il lui-même, aurait-il pu expliquer comment il « voyait » dans le monde surnaturel, comment il « lisait » dans les consciences, comment se révélaient à lui l'état d'une âme, tels faits cachés pour lui dans le passé, le présent ou l'avenir ?
L'histoire suivante, racontée par M. le chanoine Ball, vice-postulateur de la Cause d'Ars, jettera peut-être là-dessus quelque lumière. On y constatera, en tout cas, que, si le saint percevait les choses avec évidence, il restait très humblement entre les mains de Dieu, au service des âmes, sans chercher à élucider la question.
Un jour cétait dans les dernières années de sa vie une dame inconnue se confessait à lui. Tout à coup, et sans savoir d'aucune manière qui elle était, si elle était mariée ou non, il lui dit :
« C'est donc vous, Madame, qui avez abandonné votre mari, qui l'avez laissé à l'hôpital et qui ne voulez pas le rejoindre ? »
Cette dame, stupéfaite, ouvrit de grands yeux, et lui répondit :
« Qui vous a dit cela, mon père ? Je n'en ai parlé à personne. En dehors de moi, Dieu seul le sait. »
La dame, ne pouvant contenir son étonnement, raconta le fait à plusieurs habitants ou pèlerins d'Ars qui s'empressèrent d'en donner connaissance à M. Toccanier, auxiliaire du saint Curé.
Voulant savoir du vénérable Curé lui-même comment les intuitions surnaturelles se présentaient à son esprit, l'abbé Toccanier l'aborda à la première occasion pour lui rappeler le fait de cette dame et lui poser cette question:
« Comment se fait-il, mon Père, que vous ayez dit à cette personne de vous complètement inconnue, qui ne vous avait rien dit de sa conduite envers son mari ni de ses intentions pour l'avenir, qu'elle l'avait abandonné, laissé à l'hôpital, et qu'elle ne voulait plus le rejoindre ? »
Le vénérable Curé, surpris et embarrassé de voir ses lumières surnaturelles mises à découvert, se contenta de répondre :
« Oh! Cette dame a été bien étonnée ; mais moi, j'étais plus étonné qu'elle encore, je croyais qu'elle me l'avait dit. »
Cette réponse fut donnée à M. Toccanier en présence du Frère Athanase, directeur des Frères d'Ars, et du Frère Jérôme, sacristain de l'église d'Ars. (1)
(1) Documents Ball, n° 133, M. Toccanier a déposé sur le même fait au Procès de l'Ordinaire.