XI

Le candidat à la Chartreuse

 

Un missionnaire diocésain de Bayeux, faisant le pèlerinage d'Ars bien des années après la mort de saint Jean-Marie Vianney, se rencontra là-bas avec un prêtre âgé qui lui dit tout spontanément :

 

« Je l'ai bien connu, moi, le saint Curé... et même je lui ai bien désobéi, mais pas tellement pour mon bonheur !

Je n'étais encore que jeune séminariste, et je voulais à tout prix entrer à la Chartreuse. Mon directeur ne s'opposait pas à mon projet – je jouissais d'une robuste santé, les austérités m'attiraient, loin de me faire peur ; j'aimais la solitude... Bref, j'étais tout à fait décidé. Cependant l'idée me vint d'en parler au Curé d'Ars.

Dès la première ouverture, sans la moindre hésitation, il me répondit :

« Non, vous ne devez pas songer à la Chartreuse. »

Je le quittai mécontent.

 

Malgré tout, une décision aussi péremptoire avait ébranlé légèrement ma résolution. Présomptueux comme certains le sont à cet âge, sincère toutefois dans mon enthousiasme juvénil, je finis par me dire : « Bah ! le Curé d'Ars a si peu réfléchi sur mon cas, qu'il a dû se tromper, me prendre pour un autre. » Et de nouveau je soupirai ardemment vers la bénie solitude.

Et, un jour de mes grandes vacances, je me dis : « Voilà deux ans que tu as consulté M. Vianney. Depuis deux ans, il aura bien oublié ta figure qu'il a du reste à peine regardée. Et puis, s'il te reconnaît, il a peut-être changé d'avis. Va donc voir ce qu'il pense. »

Et j'y allai.

À peine me présentai-je à lui, qu'il s'écria : « Ah! c'est vous le Chartreux ! »

J'en fus tout interloqué.

« Eh bien, mon ami, continua-t-il, puisque vous y tenez tant, allez à la Chartreuse. Mais vous n'y resterez pas bien longtemps. »

 

J'entrai quand même chez ces religieux. Trois ans plus tard ils me priaient eux-mêmes de retourner plutôt au séminaire. Ce que je fis (1). »

 

(1) D'après une lettre adressée à Mgr Convert par le R. P. Jean-Marie Corbet, missionnaire diocésain à Caen, le 17 décembre 1931.