II

La voyageuse au tablier bleu

 

Vers 1854, Sœur Régipas, jeune novice de la Charité de Lyon, fut renvoyée dans sa famille pour insuffisance de santé, à la suite d'une maladie grave.

Désolée, elle résolut de confier sa peine à M. Vianney. Mais, une fois rendue dans l'église d'Ars, elle vit que ce ne serait pas chose facile : elle disposait d'assez peu de temps, et la file des pénitentes lui apparut interminable. Que faire ? Elle pria, elle pleura beaucoup et, dans la soirée même de son arrivée, elle se disposa à repartir.

Les chevaux de la diligence secouaient leurs grelots dans la rue du village. C'était l'heure. Mlle Régipas, un regret bien amer au cœur, se dirigea vers la lourde voiture.

Or, à l'instant même où elle en abordait le marchepied, une dame inconnue la tira par la manche.

« M. le Curé vous demande, lui dit tout essoufflée cette personne qui avait couru.

— Moi ?

— Oui, vous-même, mademoiselle. J'étais déjà agenouillée au confessionnal. M. le Curé s'est levé et est venu me dire : « Allez sur la place et dites à la jeune fille vêtue d'un tablier bleu qui s'apprête à monter en voiture que je veux lui parler. Venez ! »

Mlle Régipas vint donc au confessionnal.

« Mon enfant, lui dit aussitôt le serviteur de Dieu, retournez à votre hôpital.

— Mon Père, répliqua la pénitente improvisée, on ne veut pas m'y reprendre à cause de ma santé.

— Mon enfant, retournez vous y présenter. On vous recevra, et vous aurez toujours assez de santé pour accomplir votre devoir. Vous aurez une longue carrière. »

 

Et il en fut ainsi. La pauvre convalescente redevint religieuse dans la même maison hospitalière dont elle s'était vue congédier, et elle y passa plus de soixante années au service des pauvres (1).

 

(1) Ce récit fut fait à Mgr Convert, au presbytère d'Ars, par Sœur Berthelier, de la Charité de Lyon, le 22 mai 1929.