XVIII

Le marinier

 

Voici ce que raconta, le 5 décembre 1885, à M. Ball, alors curé d'Ars, M. Roybier, prêtre retiré à Genay, dans le canton de Trévoux :

 

« À la fin de juillet ou au commencement d'août de cette année, étant encore curé de Saint-Didier-sur-Formans, j'allais de Jassans vers Ars, lorsque je fis la rencontre d'un pèlerin qui s'y rendait lui aussi. Chemin faisant, nous engageâmes la conversation.

C'était un marinier de Lyon. Dans sa jeunesse, il avait été malade pendant cinq ans, à tel point que son estomac finit par lui refuser tout service. Des camarades bien pensants lui conseillèrent d'aller trouver M. Vianney qui, plus fort avec sa sainteté que tous les médecins, viendrait seul à bout de le guérir.

Il fit effectivement le voyage d'Ars.

Il se tenait là, entre le presbytère et l'église, perdu dans la foule compacte des pèlerins, lorsque M. Vianney fixa les yeux sur lui, et soudain l'appela par son prénom et son nom, que certes personne n'avait pu lui apprendre. Et il ajouta :

« Allez-vous-en tout de suite Votre femme et vos enfants sont en peine de vous et vous attendent avec impatience... Vous reviendrez quand vous serez guéri. »

C'était vrai à la lettre que le brave marinier était attendu chez lui avec impatience. Il était parti seul ; malade comme il était, sa femme et ses enfants pouvaient tout craindre...

Le malade repartit par la voiture suivante. Or, dès le soir de son retour à Lyon, il se trouva radicalement guéri, ne se ressentit plus de rien et se porta désormais aussi bien qu'avant sa maladie. »

 

À ce récit, le chanoine Ball, selon sa coutume, ajoute son petit commentaire personnel :

« Mais comment le vénérable Curé d'Ars pouvait-il savoir les nom et prénom de cet homme, qu'il avait femme et enfants, qu'il en était attendu avec impatience ? Il ne pouvait l'avoir appris que par les lumières de l'intuition surnaturelle (1). »

 

(1) Documents, n° 115