(DIXNEUVIéME SERMON)
Pretiosa in conspectu Domini, mors sanctorum ejus.
La mort des justes est prcieuse aux yeux du Seigneur.
(Ps. cxv, 15.)
La mort, M.F., est un juste sujet de trouble et de frayeur pour le pcheur impnitent, qui se voit forc de quitter ses plaisirs. Accabl de douleur, assig de la pense du jugement qu'il va subir, dvor l'avance par la crainte des horreurs de l'enfer o il va bientt tre prcipit, il se voit comme abandonn des cratures et de Dieu mme. Mais, par une loi toute contraire, la mort remplit de joie et de consolation l'homme de bien qui aura vcu selon l'vangile, march sur les traces de Jsus-Christ mme, et satisfait la justice divine par une vraie pnitence. Les justes regardent la mort comme la fin de leurs maux, de leurs chagrins, de leurs tentations et de toutes leurs misres ; ils la considrent comme le commencement de leur bonheur ; elle leur procure l'entre la vie, au repos et la batitude ternelle. Mais, M.F., il n'est point d'hommes, et mme jusqu'aux plus scandaleux qui ne dsirent et ne souhaitent cette prcieuse mort. Ce qui est incomprhensible, c'est que tous nous dsirons une bonne mort, et que presque personne ne prend les moyens de se rendre heureux. C'est un aveuglement difficile expliquer ; cependant, comme je dsire ardemment que vous fassiez tous une bonne mort ; je vais vous engager vivre de manire pouvoir esprer ce bonheur, en vous montrant 1¡ les avantages d'une bonne mort, et 2¡ les moyens de la rendre bonne.
I. – Si nous devions mourir deux fois, nous pourrions en exposer une ; mais l'on ne meurt qu'une fois [1] , et de notre mort dpend notre ternit. L o l'arbre tombe, il reste. Si une personne se trouve, au moment de la mort, dans quelque mauvaise habitude, sa pauvre me, tombera ct de l'enfer ; si, au contraire, elle est en bon tat, elle prendra le chemin du ciel. O heureux chemin qui nous conduit la jouissance des biens parfaits ! Devrions-nous passer par les flammes du purgatoire, nous sommes srs d'y arriver. Toutefois, cela dpendra de la vie que nous aurons mene : il est certain que notre mort sera conforme notre vie ; si nous avons vcu en bons chrtiens et selon Dieu, nous mourrons de mme en bons chrtiens pour vivre ternellement avec Dieu. Au contraire, si nous vivons selon nos passions, dans les plaisirs et le libertinage, nous mourrons infailliblement dans le pch [2] . N'oublions jamais cette vrit qui a converti tant de pcheurs : o l'arbre tombera, il restera pour jamais [3] . Mais, M.F., la mort, par elle-mme, n'est pas si effrayante qu'on veut bien le croire, puisqu'il ne tient qu' nous de la rendre heureuse, belle et agrable. Saint Jrme tait prs de mourir ; ses amis le lui ayant annonc, il sembla runir toutes ses forces pour s'crier : Ç O heureuse et bonne nouvelle ! mort, venez bientt ! ah ! qu'il y a longtemps que je vous dsire ! venez me dlivrer de toutes les misres de ce monde ! Venez, c'est vous qui m'allez runir mon Sauveur ! È S'adressant aux assistants : Ç Mes amis, pour ne pas craindre la mort et la trouver douce, il faut marcher dans le chemin que Jsus-Christ nous a trac, et se mortifier continuellement. È En effet, c'est l'heure de la mort qu'un bon chrtien commence tre rcompens du bien qu'il a pu faire pendant sa vie ; ce moment, le ciel semble s'ouvrir pour lui faire goter la douceur des biens clestes. Voici, sur ce sujet, un bel exemple. Saint Franois de Sales visitant son diocse, fut pri de venir auprs d'un bon paysan malade qui dsirait ardemment, avant de mourir, recevoir sa bndiction. En toute hte, le saint vque se rendit auprs de lui, et trouva dans ce mourant un jugement encore fort sain. En effet, le malade tmoigna son vque la joie qu'il avait de le voir, et demanda se confesser. Quand il eut fini, se voyant seul avec le saint prlat, il lui fit cette question : Ç Monseigneur, dois-je bientt mourir ? È Le saint, croyant que la frayeur portait le malade faire cette demande, lui rpondit pour le rassurer, qu'il avait vu des malades revenir de plus loin, et que du reste, il devait mettre sa confiance en Dieu, qui seul appartient notre vie comme notre mort. – Ç Mais encore, Monseigneur, croyez-vous que je meure ? È – Ç Mon fils, cela un mdecin rpondrait mieux que moi ; tout au plus, vous dirai-je que votre me est en fort bon tat, et peut-tre dans un autre temps, n'auriez-vous pas d'aussi bonnes dispositions. Ce que vous avez donc de mieux faire, c'est de vous abandonner entirement la providence et la misricorde de Dieu ; afin qu'il dispose de vous selon son bon plaisir. È – Ç Monseigneur, reprit le paysan ce n'est pas la crainte de mourir qui me fait vous demander si je mourrai de cette maladie ; mais bien plutt la crainte de vivre plus longtemps. È Le saint, surpris d'un langage aussi extraordinaire, et, sachant qu'une grande vertu ou une excessive tristesse taient seules capables de faire natre le dsir de la mort, demanda au malade d'o lui venait ce dgot pour la vie. Ç Oh ! Monseigneur, s'crie le malade, ce monde est si peu de chose ! je ne sais comment on peut aimer cette vie. Si le bon Dieu ne nous forait d'y rester jusqu' ce qu'il nous en retire, il y longtemps que je n'y serais plus. – Est-ce la souffrance, la pauvret, qui vous a ainsi dgot de la vie ? – Non, Monseigneur, j'ai men une vie fort sereine jusqu' l'ge de soixante-dix ans o vous me voyez, et, grce Dieu, je ne sais pas ce que c'est que la pauvret. – Peut-tre avez-vous eu quelque mcontentement de la part de votre femme, ou de vos enfants ? – Point du tout, ils ne m'ont jamais caus le moindre chagrin, et ont toujours cherch me rendre heureux ; la seule chose que je regretterais en quittant le monde, serait de les quitter. – Pourquoi donc dsirez-vous la mort avec tant d'ardeur ? – C'est que j'ai entendu dire dans les prdications tant de merveilles sur l'autre vie et les joies du paradis que ce monde est pour moi comme un cachot et une prison. È Alors, parlant de l'abondance du cÏur, ce paysan ajouta des choses si belles et si sublimes sur le ciel, que le saint vque se retira ravi d'admiration, et profita lui-mme de cet exemple, pour s'animer mpriser les choses cres et soupirer aprs le bonheur du ciel.
N'avais-je pas raison de vous dire que la mort est douce et consolante pour un bon chrtien ; car elle le dlivre de toutes les misres de la vie et le met en possession des biens ternels. O misrable vie, comment peut-on s'attacher si fort toi !... Job nous dit en peu de mots ce que c'est que la vie : Ç L'homme vit fort peu de temps et sa vie est remplie de misres. Comme une fleur, il ne fait que paratre, et dj se fltrit. Il est comme l'ombre qui passe et s'enfuit [4] . È Il n'y a point, en effet, d'animal au monde qui soit autant que l'homme, rempli de misres. Depuis la tte jusqu'aux pieds, il nÕest pas un endroit qui ne soit sujet toutes sortes de maladies. Sans compter les craintes, les frayeurs de maux qui, le plus souvent, ne nous arriveront jamais. Et la mort, M.F., nous dlivre de toutes ces misres [5] . Saint Paul crivant aux Hbreux leur dit : Ç Nous sommes ici comme de pauvres bannis, qui n'ont point de cit permanente ; mais nous en cherchons une qui est dans l'autre monde [6] . È Quelle joie, M F. pour une personne qui a t bannie de son pays, et conduite pour de longues annes en esclavage, lorsqu'on lui annonce que son exil est fini, qu'elle va revenir dans sa patrie, voir ses parents et ses amis ! Or, le mme bonheur attend une me qui aime Dieu, et languit ici-bas, dans le dsir d'aller le voir au ciel au milieu des saints, qui sont ses vritables parents et amis. Elle soupire donc ardemment aprs le moment de sa dlivrance.
La mort, M.F., est l'homme de bien ce que le sommeil est au laboureur, qui se rjouit l'approche de la nuit o il va trouver le repos des fatigues de la journe. La mort dlivre le juste de la prison de son corps ; c'est ce qui faisait dire saint Paul : Ç Ah ! malheureux homme que je suis ! qui me dlivrera de ce corps de mort [7] ? È – Ç Tirez-moi, mon Dieu, disait le saint roi David, tirez mon me de la prison de ce corps, parce que les justes m'attendent, jusqu' ce que vous m'ayez donn ma rcompense. Ah ! qui me donnera des ailes comme la colombe [8] ? È Et l'pouse du cantique Ç Si vous avez vu mon bien-aim, dites-lui que je languis d'amour [9] ! È Hlas ! notre pauvre me est dans notre corps comme un diamant dans la boue. O heureuse mort, qui nous dlivre de tant de misres !... Saint Grgoire rapporte qu'un pauvre homme nomm Prneste, depuis longtemps perclus de tous ses membres, tant prs de mourir, pria les assistants de chanter. On lui demanda pourquoi, et ce qui pouvait le rjouir dans l'tat o il tait. Ç Ah ! dit-il, c'est que bientt mon me va quitter mon corps ! Tout l'heure je vais tre dlivr de cette prison ! È Lorsqu'ils eurent chant un moment, ils entendirent une agrable musique d'anges. Oh ! leur dit le moribond, n'entendez-vous pas les anges qui chantent ? laissez, laissez-les chanter ! È et il mourut. A l'instant, il se rpandit autour de lui une odeur si agrable, que la chambre en fut embaume. Dans cet exemple, M.F., nous voyons s'accomplir la lettre ce que Dieu dit par la bouche du prophte Isae : Ç Lve toi, Jrusalem ma bien-aime, rveille-toi, car tu as bu de ma main, jusqu' la lie, le calice de ma colre..., tous les maux sont venus ensemble fondre sur toi... coute, Jrusalem, pauvre cit, tu ne boiras plus l'avenir le calice de mon indignation... ; revts-toi de ta force, Sion ; revts-toi des vtements de ta gloire... Sors de ta poussire, et romps les fers de ton cou [10] !... È
Qui pourrait comprendre, M.F., la, grandeur des joies de sainte Liduwine ? Aprs vingt-sept ans de maladie, ronge par un chancre et dvore par les vers, se voyant la fin de ses maux, elle s'crie : Ç O bonheur ! tous mes maux sont finis !... Heureuse nouvelle ! Prcieuse mort, hte-toi ! Je te dsire depuis si longtemps [11] ! È Quelle satisfaction pour saint Clment, martyr, lorsqu'aprs trente-deux ans de prison et de supplices ; on vint lui annoncer sa condamnation, mort ! Ç O heureuse nouvelle ! s'crie-t-il, adieu prison, tortures et bourreaux ! voici donc enfin le terme de ma vie et de mes souffrances. O mort, que tu es prcieuse, ah ! ne tarde pas !... ; mort tant dsire, viens mettre le comble mon bonheur en me runissant mon Dieu [12] !É È
Qu'un chrtien est donc heureux, s'il a le courage de marcher sur les traces de son divin Matre !... Mais en quoi consiste la vie de Jsus-Christ ? Le voici, M.F. Elle consiste en trois choses, savoir : les prires ; les actions et les souffrances. Vous voyez que dans sa vie publique, le Sauveur s'est souvent retir l'cart pour prier, et qu'il tait toujours en action pour le salut des mes. Or, il faudrait, M.F., que la pense de Dieu nous ft aussi naturelle que la respiration. Pendant sa vie de prires et d'actions, Jsus-Christ a beaucoup souffert, tantt la pauvret, tantt les perscutions, tantt les humiliations et toutes sortes de mauvais traitements. Ç Ma vie, nous dit-il par son prophte, a dfailli dans la douleur, et mes annes dans les gmissements, ma force s'est affaiblie dans la pauvret [13] . È La vie d'un bon chrtien peut-elle tre autre chose que celle d'un homme attach la croix avec Jsus-Christ ? Un juste est un crucifi.
Nous voyons que les saints ont trouv tant de plaisirs dans la douleur, qu'ils semblaient ne pouvoir s'en rassasier. Voyez ce grand pape Innocent Ier : il tait couvert d'ulcres des pieds la tte, cependant il n'tait pas encore content, et soupirait sans cesse aprs de nouvelles souffrances. Il les demandait chaque jour Dieu par ses prires. Ç Mon Dieu, disait-il, augmentez mes douleurs, des maladies encore plus cruelles, pourvu que vous me donniez de nouvelles grces ! È – Ç Pourquoi, lui disait-on, demandez-vous Dieu un surcrot de souffrances ? vous tes dj couvert de plaies. È – Ç Vous ne savez pas combien est grand le mrite des souffrances. Ah ! si vous pouviez comprendre ce que vaut la douleur, comme vous l'aimeriez ! È Saint Ignace le martyr, craignant que les lions et les tigres ne vinssent lui lcher les pieds, comme cela arrivait quelquefois, fit entendre ces belles paroles : Ç Quand est-ce que je vous baiserai, btes farouches, vous qui tes prpares pour mon supplice ! Ah ! quand vous caresserai-je ? Si vous ne voulez pas me dvorer je vous exciterai ; afin que vous tombiez sur moi avec plus de fureur ; je vous presserai pour que vous vous htiez de me dvorer. È Il crivait ses disciples : Ç Je vous cris pour vous annoncer combien je suis heureux ! je vais mourir pour Jsus-Christ mon Dieu ! Tout ce que je vous demande c'est de ne rien faire pour m'arracher la mort, je sais ce qui m'est avantageux. Je suis le froment de Dieu. Il faut que je sois moulu entre les dents des lions pour devenir un pain digne de Jsus-Christ [14] . È
Entendez encore saint Andr qui s'crie la vue de la croix sur laquelle il va perdre la vie : Ç O heureuse croix, par toi je vais tre runi mon Matre ! ah ! bnite croix, reois-moi entre tes bras ; puisque, de tes bras, je serai reu entre ceux de mon Dieu. È La foule, voyant ce bon vieillard attach la croix ; voulait mettre en pices le proconsul et dtacher le saint. Ç Non, mes enfants, leur cria saint Andr du haut de sa croix, laissez-moi, laissez moi terminer une vie si misrable, puisque, de l, je vais mon Dieu [15] . È Saint Laurent est tendu sur un gril de fer, les flammes qui, autrefois, ont pargn les trois enfants dans la fournaise de Babylone, le brlent impitoyablement. Il est dj rti d'un ct, et pour toute rcompense il demande d'tre retourn de l'autre ct ; afin que, dans le ciel, toutes les parties de son corps soient galement glorieuses. Sans doute, M.F., cet exemple est un miracle de la grce, qui est toute-puissante dans celui qui aime Dieu ; mais voyez sainte Paule. Cette dame romaine tait torture par de violentes douleurs qu'elle prouvait dans l'estomac, elle aima mieux mourir, que de boire une goutte de vin qu'on voulait lui faire prendre [16] . Saint Grgoire nous rapporte ce trait d'un pauvre mais clbre mendiant ; qui, tant demeur plusieurs annes paralytique, ne pouvant se remuer sur la paille o il couchait, souffrait des douleurs inconcevables, et, cependant, ne cessa pas un instant de sa vie de bnir Dieu. Il mourut en chantant ses louanges.
Ah ! dit saint Augustin, qu'il est consolant de mourir avec la conscience en paix ! Le repos de l'me et la tranquillit du cÏur sont les dons les plus prcieux que nous puissions obtenir, nous dit le Saint-Esprit, il n'y a point de plaisir comparable la joie du cÏur [17] . Le juste, dit le mme Docteur, ne craint pas la mort, puisqu'elle va le runir son Dieu et le mettre en possession de tontes sortes de dlices. Voyez la joie que les saints font paratre en allant la mort... Voyez, nous dit saint Jean Chrysostome, l'intrpidit et la joie avec laquelle saint Paul va Jrusalem, quoiqu'il soit certain des mauvais traitements qui l'attendent : Ç Je sais qu'il n'y a pour moi que des tribulations et des chanes ; je sais les perscutions et les maux que j'y souffrirai ; mais, n'importe, je ne crains rien, parce que je suis persuad que j'ai affaire un bon matre qui ne m'abandonnera pas. Jsus-Christ lui-mme est ma caution et mon garant. È Et voyant pleurer ses disciples, l'aptre ajoutait : Ç Que faites-vous, en pleurant et affligeant mon cÏur ? car moi, je suis prt, non seulement tre li mais mourir Jrusalem pour le nom du Seigneur Jsus [18] . È Nous ne sommes pas srs, il est vrai, d'tre comme saint Paul, les amis du bon Dieu ; cependant, quoique pcheurs, si nous avons confess nos pchs avec un sincre regret, et que nous ayons tch de satisfaire autant que nous avons pu, par la prire et la pnitence ; mais surtout, si une grande douleur de nos pchs vient se joindre un ardent amour pour le bon Dieu, nous pouvons avoir confiance : nos pchs ont t noys dans le sang prcieux de Jsus-Christ, comme l'arme de Pharaon dans la mer Rouge. M.F., il y avait trois croix sur le calvaire, celle de Jsus-Christ, qui est la croix de l'innocence, nous ne pouvons aspirer celle-l, parce que nous avons pch. Puis, celle du bon larron, la croix de pnitence : ce doit tre la ntre. Imitons le bon larron, qui profita des derniers instants de sa vie, pour se repentir, et, de sa croix monta au ciel. Jsus-Christ le lui annona : Ç Aujourd'hui mme tu sera, avec moi dans le paradis [19] È La dernire croix est celle du mauvais larron ; nous devons la laisser ces pcheurs qui veulent mourir dans leur pch... Mais, pour nous, M.F., nous pouvons certainement, si nous le voulons bien, tre du nombre de ceux qui font une bonne mort.
A la mort, tout nous quitte : biens, parents et amis ; mais ici, ce qui est un supplice pour le pcheur procure au juste une grande joie. Dites-moi quel chagrin, en effet, pourrait prouver un bon chrtien sa dernire heure ! Pourrait-il regretter ces biens, qu'il a mpriss toute sa vie ? Son corps ? il le regarde comme un cruel ennemi, qui l'a mis plus d'une fois en danger de perdre son me. Serait-ce les plaisirs du monde ? Non, sans doute, puisqu'il a pass sa vie dans les gmissements, la pnitence et les larmes. Non, M.F., il ne regrette rien de tout cela. La mort ne fait que le sparer de ce qu'il a toujours ha et mpris ; c'est--dire, le pch, le monde et les plaisirs. En s'en allant, il emporte avec lui tout ce qu'il a le plus aim : ses vertus et ses bonnes Ïuvres ; il quitte toutes sortes de misres pour aller prendre possession d'innombrables richesses ; il quitte le combat pour aller jouir de la paix ; il quitte un ennemi cruel, le dmon, pour aller se reposer dans le sein du meilleur de tous les pres. Oui, ses bonnes Ïuvres le conduisent en triomphe devant Dieu, qui lui apparat, non comme un juge, mais comme un tendre ami, qui aprs avoir compati ses souffrances, ne dsire rien autre chose que de le rcompenser.
Le prophte Isae nous apprend que nos bonnes Ïuvres iront solliciter la bont de Dieu, nous ouvriront la porte du paradis, et nous marqueront notre demeure dans le ciel. Il est parfaitement vrai que nos bonnes Ïuvres nous accompagneront. Voici un bel exemple du pieux roi Ezchias. Le Saint-Esprit nous montre ce roi orn de tous les mrites du juste. Il s'attache de tout son cÏur la pratique des bonnes Ïuvres, son intention est pure, le motif de toutes ses actions est uniquement celui de plaire Dieu. Il observe fidlement, et avec grand respect, toutes les crmonies de la loi. Mais qu'arriva-t-il ? Le voici. Tout lui russit pendant sa vie. Mais l'heure de sa mort toute sa magnificence et ses richesses, qui taient trs grandes, le quittrent ; ses sujets les plus fidles furent forcs de l'abandonner ; tandis que ses bonnes Ïuvres ne le quittrent point. Par elles, il prie Dieu de lui faire grce : Ç Je vous en conjure, Seigneur, souvenez-vous que j'ai toujours march devant vous avec un cÏur pur et droit ; j'ai toujours cherch ce que j'ai cru vous tre plus agrable [20] . È Telle est, M.F., l'heureuse fin d'une personne qui a travaill toute sa vie bien faire tout ce qu'elle a fait, en vue de plaire Dieu seul. Ç Heureux, dit saint Jean, ceux qui meurent dans le Seigneur, car leurs Ïuvres les suivent [21] ! È Oui, M.F., nous emporterons tout ce que nous avons de plus prcieux ; les biens qui doivent passer, nous les laisserons sur la terre, et ce qui doit durer ternellement nous suivra. Le solitaire sera accompagn de son silence, de sa retraite et de toutes ses oraisons ; le religieux sera accompagn de ses macrations, de ses jenes et abstinences ; le prtre de tous ses travaux apostoliques : il y verra toutes les mes qu'il a converties et qui seront sa rcompense et sa gloire ; le chrtien fidle retrouvera toutes les bonnes confessions et communions qu'il aura faites, toutes les vertus qu'il aura pratiques pendant sa vie. Heureuse mort, M.F., que celle du juste ! coutez le prophte Isae : Ç Dites au juste qu'il est heureux, parce qu'il recueillera le fruit de ses Ïuvres [22] . È
Vous conviendrez donc que la mort du juste est bien prcieuse aux yeux de tous les hommes ; qu'un prtre aille visiter un tel mourant, sa seule prsence l'affermira dans la foi et l'esprance ; qu'on lui parle de Dieu et de ses grces, aussitt son amour s'enflammera comme une fournaise ardente ; qu'on lui parle des derniers sacrements, ce qui glace un pcheur de frayeur et de crainte, il est inond d'un torrent de dlices ; car son Dieu va venir en son cÏur pour le conduire avec lui au paradis. Saint Grgoire nous rapporte que sa tante sainte Tharsille, tant prs de mourir, s'cria, transporte : Ç Ah ! voil mon Dieu ! voil mon poux ! È et elle expira dans un lan d'amour. Voyez encore saint Nicolas de Tolentino [23] . Pendant les huit derniers jours de sa maladie, lorsqu'il avait reu le corps du Sauveur, on entendait les anges chanter dans sa chambre ; et quand ces chants eurent cess, il mourut : les anges l'emmenrent au ciel avec eux. Heureuse mort que celle du juste !.. Sainte Thrse ayant apparu toute brillante de gloire une religieuse de son ordre, elle l'assura que Notre-Seigneur tait prsent sa mort, et avait conduit son me au ciel. Heureuse l'me qui peut tre assiste la mort par Jsus-Christ lui-mme !... Qu'il est doux et consolant de mourir dans l'amiti de Dieu !... N'est-ce pas une premire rcompense du bien que l'on a pu faire pendant sa vie ?
II. – Je sais, M.F., que nous dsirons tous faire une bonne mort ; mais ce n'est pas assez de le dsirer, il faut encore travailler mriter ce bonheur, ce grand bonheur. Voulez-vous savoir ce qui nous peut procurer ce bien ? Le voici en peu de mots. Parmi les moyens que nous devons prendre pour bien mourir, j'en choisis trois, qui, avec la grce de Dieu, nous conduiront infailliblement une bonne mort. Il faut nous y prparer 1¡ par une sainte vie ; 2¡ par une vritable pnitence si nous avons pch, et 3¡ par une parfaite conformit de notre mort celle de Jsus-Christ.
On meurt pour l'ordinaire, comme l'on a vcu : c'est l une de ces grandes vrits que l'criture et les saints Pres nous affirment en maint endroit. Si vous vivez en bons chrtiens, vous tes srs de mourir en bons chrtiens ; mais si vous vivez mal, vous tes srs de faire une mauvaise mort. Le prophte Isae dit : Ç Malheur l'impie qui ne pense qu' mal faire, parce qu'il sera trait comme il le mrite : la mort il recevra le salaire des Ïuvres de ses mains [24] . È Il est vrai cependant que l'on peut quelquefois, par une espce de miracle, mal commencer et bien finir ; mais cela arrive si rarement que, d'aprs saint Jrme, la mort est ordinairement l'cho de la vie ; vous croyez qu'alors vous reviendrez au bon Dieu ? non, vous prirez dans le mal.
Mais si, tant touchs de repentir, vous commencez vivre chrtiennement, vous serez du nombre de ces pnitents qui attendrissent le cÏur de Dieu et gagnent son amiti. Quoique moins riches, ils ne laissent pas que d'aller au ciel, et c'est d'eux prcisment que Dieu se sert pour manifester sa misricorde. Le Saint-Esprit nous dit : Ç Si vous avez un ami, faites-lui du bien avant votre mort [25] . È Eh ! M.F., pouvons-nous avoir un meilleur ami que notre me ? Faisons pour elle tout ce que nous pourrons ; car au moment que nous voudrons lui faire du bien, nous ne le pourrons plus !... La vie est courte. Si vous diffrez de vous convertir jusqu' l'heure de votre mort, vous tes des aveugles ; puisque, vous ne savez ni le moment, ni le lieu o vous mourrez, peut-tre sans secours. Qui sait si vous n'irez point paratre cette nuit mme, couverts de pchs devant le tribunal de Jsus-Christ ?... Non, M.F., ce n'est pas ce que vous devez faire ; vous devez vous purifier, et vous tenir toujours en tat de paratre devant votre juge. Voici un exemple qui vous fera voir que celui qui retarde de jour en jour son retour Dieu, meurt comme il a vcu. Le cardinal Pierre Damien nous rapporte qu'un religieux avait pass la meilleure partie de sa vie en chicanes et en disputes avec ses frres. tant au lit de la mort, ses frres le conjuraient de confesser ses pchs, d'en demander pardon Dieu et d'en faire pnitence, avec un bon propos de n'y plus retomber, si la sant lui tait rendue. Ils n'en tirrent pas un seul mot. Mais un peu plus tard, ayant repris la parole, il leur parla, et de quoi ? hlas ! de ce qui avait fait le sujet de ses conversations pendant sa vie : de procs et autres affaires. Ses frres le suppliaient de songer son me ; tout fut inutile, il se rendormit et mourut ainsi, sans donner le moindre signe de repentir. Oui, M.F., telle vie, telle mort. N'esprez pas un miracle que Dieu ne fait que rarement ; vous vivez dans le pch, vous mourrez dans le pch.
Un grand nombre d'exemples nous prouve qu'aprs une mauvaise vie, nous ne devons pas attendre une bonne mort. Nous lisons dans l'criture sainte [26] , qu'Abimlech, prince fier et orgueilleux, s'empara du royaume qu'il devait partager avec ses frres, et les fit mourir afin de rgner seul. Comme il attaquait une place, les assigs s'tant rfugis dans une tour, il s'en approcha pour y mettre le feu. Une femme qui le vit du haut du rempart, lui jeta une pierre et lui fendit la tte. Ce malheureux se sentant bless, appela son cuyer et lui dit : Ç Tire ton pe et perce moi le corps... Fais-moi promptement mourir, afin de m'pargner la confusion d'avoir t tu par une femme. È Quelle trange conduite, M. F : ? Est-il le premier prince qui ait t ainsi bless ? Pourquoi, donc veut-il que son cuyer le tue ? Hlas ! c'est qu'il n'a t toute sa vie qu'un ambitieux !... Sal venait de livrer bataille aux Amalcites, le sort des armes tait trs incertain ; il se sentait perdu, car il tait dj bless, et voyait l'arme ennemie prte fondre sur lui. S'appuyant sur son pe, et voyant venir derrire lui un soldat, il lui dit : Ç Viens ici, mon ami, qui es-tu ? È Ç Je suis un Amalcite. È – Ç Eh bien ! fais-moi une grce : jette-toi sur moi et me tue ; parce que je suis accabl de douleur ; je ne saurais mourir, achve-moi [27] . È Et pourquoi, M.F., ce misrable veut-il mourir de la main d'un Amalcite ? tait-ce donc le seul prince qui ait perdu une bataille ? Ne vous tonnez pas de cela, nous rpondent les saints Pres, c'est un prince qui, pendant sa vie, s'est livr aux vices, qui s'est laiss dominer par l'envie, l'avarice et par toutes sortes de passions. Pourquoi meurt-il d'une manire si dshonorante ? C'est qu'il a mal vcu. Tout le monde sait qu'Absalon avait t toute sa vie dsobissant et rebelle son bon pre. L'heure de sa mort que Dieu avait marque de toute ternit, tant enfin arrive, comme il passait sous un arbre, il y resta suspendu par les cheveux. Joab le voyant, lui tira trois coups de flches [28] . D'o vient, M.F., la fin malheureuse de ce prince ? sinon que toute sa vie il n'avait t qu'un mauvais fils. Il meurt de cette sorte, parce qu'il avait mal vcu.
Vous voyez donc clairement, M.F., que si nous voulons faire une bonne mort, il faut mener une vie chrtienne et faire pnitence pour nos pchs ; il faut exciter en nous, avec la grce de Dieu, une humilit profonde, dans un cÏur plein de regret d'avoir offens un matre si bon. Mais un troisime moyen, pour nous prparer bien mourir, c'est de rgler notre mort sur celle de Jsus-Christ. Quand on porte le bon Dieu un malade, on porte aussi la croix ; ce n'est pas seulement pour chasser le dmon, mais bien plus, pour que ce Sauveur crucifi serve de modle au moribond, et afin que, jetant les yeux sur l'image d'un Dieu crucifi pour son salut, il se prpare la mort comme Jsus-Christ s'y est prpar. La premire chose que fit Jsus-Christ avant de mourir fut de se sparer de ses aptres ; un malade doit faire de mme, s'loigner du monde, et se dtacher autant qu'il peut des personnes qui lui sont les plus chres pour ne s'occuper plus que de Dieu seul et de son salut. Jsus-Christ sachant que sa mort tait proche, se prosterna la face contre terre dans le jardin des Oliviers, en priant avec instances
[29]
. Voil bien ce que doit faire un malade aux approches de la mort ; il doit prier avec ferveur, et dans son agonie, s'unir l'agonie de Jsus-Christ. Le malade qui veut rendre son mal mritoire doit accepter la mort avec joie, ou, du moins, avec une grande soumission la volont de son Pre cleste ; pensant qu'il faut absolument mourir pour aller voir Dieu, et que c'est l tout notre bonheur. Saint Augustin nous dit que celui qui ne veut pas mourir, porte la marque d'un rprouv. Oh ! M.F., qu'un chrtien qui a bien vcu est heureux ce dernier moment ! Il quitte toutes sortes de misres pour entrer en possession de toutes sortes de biens !... Heureuse sparation ! Elle nous unit notre souverain bien qui est Dieu mme !... C'est ce que je vous souhaite.
[1]
Satutum est hominibus semel mori. Hebr. ix, 27.
[2] Mais, bien loin de travailler rendre heureuse notre mort, nous faisons tout le contraire ; dites-moi, est-ce cet orgueil qui va vous procurer une bonne mort ? est-ce ce... Dtail de tous les autres pchs... Mort de la sainte Vierge. (Note du Saint.)
[3]
Si ceciderit lignum ad austrum, aut ad aquilonem, in quocumque loco ceciderit, ibi erit. Eccli. xi, 3.
[4]
Job, xiv, 1-2.
[5]
Trois choses consoleront un chrtien lÕheure de la mort, le pass, le prsent, lÕavenirÉ (Note du Saint)
[6]
Hebr. xii, 14.
[7] Rom. Xii, 24.
[8]
Ps. cxli, 8 ; liv. 7.
[9]
Cant, v, 8.
[10] Is. li, 17, 22 ; lii, 1-2.
[11] Ribadeneira, au 14 avril.
[12] Ibid. au 23 janvier, saint Clment, vque dÕAncyre et martyr.
[13]
Ps. xxx. 10.
[14] Ribadeneira au 1er fvrier.
[15] Ribadeneira au 30 novembre
[16] Ibid. au 26 janvier
[17]
Non est oblectamentum super cordis gaudium. Eccli. xxx. 16.
[18]
Act. xx.
[19]
Luc, xxiii, 43.
[20]
Is. xxxviii, 3.
[21]
Beati, qui in Domino moriuntur... Opera enim illorum sequuntur illos. Apoc. xiv, 13.
[22] Dicite jusio quoniam bene, quoniam fructum adinventionum suarum comedet. Is. iii, 10.
[23] Ribadeneira, au 10 septembre
[24]
V¾ impio in malum : retributio enim manuum ejus fiet ei. Is. iii, 11.
[25]
Eccli. xiv, 13.
[26]
Judic. ix.
[27]
I Reg. xxxi.
[28]
II Reg. xviii.