(SIXIéME SERMON)
Nemo potest duobus dominis servire.
Nul ne peut servir deux matres.
(S. Matthieu, VI, 24.)
Jsus-Christ nous dit, M.F., que nous ne pouvons pas servir deux matres, c'est--dire, Dieu et le monde. Vous ne pouvez plaire Dieu et au monde, nous dit-il. Malgr tout ce que vous ferez, vous ne pourrez convenir tous les deux en mme temps. En voici la raison, M.F., c'est qu'ils sont extrmement opposs dans leurs penses, leurs dsirs et leurs actions : l'un promet une chose tout fait contraire ce que promet l'autre ; l'un dfend ce que l'autre permet et commande ; l'un vous fait travailler pour le temps prsent, et l'autre pour le temps venir, qui est le ciel ; l'un vous offre les plaisirs, les honneurs et les richesses, l'autre ne vous prsente que les larmes, la pnitence et le renoncement vous-mmes ; l'un vous appelle dans un chemin de fleurs, du moins en apparence, et l'autre dans celui des pines. Chacun, M.F., demande notre cÏur, c'est nous de choisir lequel de ces deux matres nous voulons suivre. L'un, qui est le monde, nous promet de nous faire goter tout ce que nous pouvons dsirer pendant notre vie, quoiqu'il promette toujours plus qu'il ne donne ; mais, en mme temps, il nous cache les maux qui nous sont rservs pendant l'ternit. L'autre, qui est Jsus-Christ, ne nous promet point toutes ces choses ; mais il nous dit, pour nous consoler, qu'il nous aidera et que mme il adoucira grandement nos peines : Ç Venez moi, je vous consolerai ; et ma suite vous trouverez la paix de l'me et la joie du cÏur [1] . È Voil, M.F., ces deux matres qui nous demandent notre cÏur ; auquel voulez-vous appartenir ? Tout ce que le monde vous prsente n'est que pour le temps prsent. Les biens, plaisirs et honneurs finiront avec la vie, et en finissant la vie, nous allons commencer une ternit de tourments. Mais, si nous voulons suivre Jsus-Christ, qui nous appelle, charg de sa croix, nous verrons bientt que les peines de son service ne sont pas aussi grandes que nous le croyons bien : il marchera devant nous, il nous aidera, il nous consolera, et il nous promet, aprs quelques petits instants de peines, un bonheur qui durera autant que lui-mme [2] . Mais, pour mieux vous le faire comprendre, M.F., je vais vous montrer qu'il est impossible de plaire Dieu et au monde. Ou tout Dieu, ou tout au monde : point de partage.
I. – Il est certain, M.F., que si Jsus-Christ savait bien que plusieurs quitteraient le monde pour se donner lui, embrasseraient les folies de sa croix, et, son exemple, passeraient leur vie dans les larmes, les gmissements et la pnitence, pour se rendre dignes de la rcompense qu'il nous a mrite ; il savait aussi que plusieurs le quitteraient pour se donner au monde, qui ne leur promet que ce qu'il ne leur donnera jamais, en leur cachant les malheurs de l'ternit ; c'est pourquoi, il a voulu ne nous donner qu'un cÏur, afin que nous ne puissions nous donner qu' un seul matre. Il nous dit formellement qu'il est impossible d'tre Dieu et au monde ; car, lorsque nous voudrons plaire l'un, nous deviendrons l'ennemi de l'autre. Le bon Dieu, M.F., pour nous montrer combien il est difficile de nous sauver parmi le monde, a maudit ce monde, en disant : Ç Malheur au monde [3] ! È Mais touchons cela un peu plus de prs.
Vous savez, M.F., que l'esprit de Jsus-Christ est un esprit d'humilit et de mpris de soi-mme, un esprit de charit et de bont pour tout le monde. Eh bien ! comment pouvez-vous conserver cet esprit, si vous allez vous mler avec un orgueilleux, qui ne vous parlera que des plaisirs et des honneurs, qui se louera et se vantera de toutes ses prtendues bonnes qualits, de tout le bien qu'il a fait et mme de celui qu'il n'a pas fait. Si vous le frquentez quelque temps, ncessairement, sans vous en apercevoir, vous deviendrez orgueilleux comme lui. Vous entendrez continuellement quelqu'un parler mal de son prochain ; de mme, sans le savoir, vous allez devenir une mauvaise langue qui portera le trouble partout o vous serez. Vous savez que Jsus-Christ, que vous avez pris pour votre matre, veut que nous lui conservions notre cÏur et notre corps purs, autant qu'il est possible ; mais si vous allez frquenter ce libertin, qui n'est occup qu' penser et dire les choses les plus sales et les plus infmes, comment pourrez-vous conserver cette puret que Dieu demande de vous ? A force de le voir, vous deviendrez aussi sale et aussi infme que lui. Vous savez que votre Matre veut que vous aimiez et respectiez la religion, et tout ce qui a rapport la religion ; mais, si vous frquentez un impie, qui se raille de tout, mprise ce qu'il y a de plus saint, et tourne tout en ridicule, comment pourrez-vous aimer la religion et pratiquer ce qu'elle vous commande, en entendant toutes ces impits ? Comment pourrez-vous avoir confiance aux prtres, aprs que les impies vous auront dbit quelque calomnie et qu'ils vous auront persuad que cela est vrai, et que tous les prtres sont de mme ? Ah ! M.F., malheur celui qui suit le monde ! Il est perdu ! Dites-moi, comment aurez-vous du respect pour les lois de l'glise, si vous allez avec ces impies qui raillent et qui mprisent le jene et l'abstinence, en vous disant que tout cela n'est que de l'invention des hommes ? – L'esprit de Dieu, comme vous le savez, est de mpriser les choses cres pour ne s'attacher qu'aux biens de l'ternit. Eh ! comment pourrez-vous vous en former une ide si vous frquentez cet homme qui est un incrdule, qui croit, quoiqu'il ne le croie pas srieusement, ou qui veut que tout finisse avec la vie. Mon ami, si vous voulez vous sauver, il faut ncessairement fuir le monde, sans quoi, vous penserez et vous agirez comme le monde, et vous vous trouverez du nombre de ceux qui sont maudits de Dieu.
Voyez, M.F., quand quelque grand pcheur ne veut pas se convertir, l'glise l'excommunie, c'est--dire, le rejette de son sein ; elle ne le regarde plus comme son enfant, il n'a plus part aux grces que le bon Dieu nous distribue par les mrites de sa mort et de sa passion ; elle ne veut pas mme que l'on mange et boive avec lui, ni qu'on le salue ; elle nous dfend d'avoir aucune communication avec lui, si nous ne voulons pas participer son malheur. Si de telles personnes viennent mourir, elles sont enterres dans un lieu profane, et n'ont point de droit aux prires, parce qu'elles meurent en rprouves. Eh bien ! M.F., si nous voulons suivre le monde, le mme malheur nous arrivera. D'ailleurs, M.F., si vous, en doutez, voyez ce qu'ont fait tous les saints : ils ont regard le monde, ses plaisirs et mme ses biens, comme une peste pour le salut de leurs mes, et tous ceux qui ont pu l'ont quitt. Qu'est-ce qui est la cause de ce que les dserts se sont peupls de tant de personnes, qui, autrefois, habitaient les villes et les campagnes, sinon parce qu'elles ont craint le monde, et qu'elles l'ont quitt, dans la crainte que la contagion du monde ne les perdt, en faisant natre en elle les mmes sentiments et en les faisant agir avec le mme esprit. Oui, M.F., fuyons le monde, ou nous sommes srs de nous perdre comme le monde. Non, M.F., jamais nous ne serons d'accord avec le monde si nous voulons nous sauver. Nous devons lui jurer une guerre ternelle : c'est ce qu'ont fait tous les saints. Ou renoncer au ciel, ou renoncer au monde !...
Tenez, M.F., voulez-vous savoir combien nous sommes ennemis du monde, et combien le monde nous a en haine ? coutez-moi un instant, et vous verrez ce que nous devons faire, si nous voulons esprer d'avoir un jour le ciel. Nous en avons un bel exemple dans la personne de saint Janvier, qui tait vque de Bnvent [4] . Il fut dnonc au gouverneur Timothe, parce qu'il faisait tout ce qu'il pouvait pour fortifier les chrtiens, et pour porter les paens se convertir ; il leur disait qu'ils taient du nombre de ceux que Jsus-Christ avait maudits par ces paroles : Ç Malheur au monde ! È Le gouverneur, transport de colre ce rapport, ordonna d'aller, sur-le-champ, prendre le saint, et de le lui amener pieds et mains lis, devant son tribunal. Il fit placer une idole devant le saint, lui ordonnant d'adorer aussitt les dieux ; ou bien qu'il devait s'attendre mourir dans les tourments les plus rigoureux que l'on puisse inventer. Le saint lui rpondit sans s'mouvoir, qu'il n'tait pas n et baptis pour suivre le parti du monde, mais pour suivre Jsus-Christ portant sa croix et mourant sur le Calvaire ; que tous ces tourments dont il tait menac ne l'tonnaient point ; c'tait son partage qui devait faire un jour tout son bonheur. Ç Vous, dit-il au gouverneur, vous tes de ce monde que Jsus-Christ a maudit. È Cette rponse mit le gouverneur dans une telle fureur, qu'il ordonna que le saint ft jet de suite, dans une fournaise allume. Mais le bon Dieu, qui n'abandonne jamais ceux qui sont lui et non du monde, fit que saint Janvier, au lieu d'tre brl par les flammes, parut entrer dans un bain rafrachissant. Ce saint en sortit sans que ni ses habits, ni mme ses cheveux, fussent le moins du monde endommags : ce qui tonna toute cette foule de paens qui taient prsents. Le gouverneur lui-mme en fut tout tonn ; mais, pensant que cela tait fait par le dmon, il n'en devint que plus furieux, et il fit mettre le saint la torture, pour lui faire souffrir un supplice tel que l'enfer seul avait pu le lui inspirer. Il ordonna qu'on lui arracht tous les nerfs du corps les uns aprs les autres ; ensuite, voyant qu'il ne pouvait plus marcher que par miracle, il ordonna de le conduire en prison, dans l'esprance de le faire souffrir encore davantage. Les fidles de son diocse, ayant appris ce que l'on avait fait souffrir au saint vque, partirent aussitt pour l'aller visiter et le soulager, s'ils le pouvaient. Le gouverneur l'ayant appris, envoya aussitt des soldats pour les arrter tous et les amener devant son tribunal. Quand ils furent devant lui, il les interrogea sur leur religion, et sur le motif de leur voyage. Ils lui rpondirent avec courage qu'ils taient tous chrtiens et qu'ils venaient visiter leur vque, dans l'esprance qu'ils auraient le bonheur de lui tenir compagnie dans ses supplices. Il s'adressa saint Janvier en lui demandant si ces gens disaient la vrit. Le saint lui rpondit que cela tait tel, qu'ils taient chrtiens comme lui, qu'ils avaient renonc au monde pour se donner Jsus-Christ. Sur cette dclaration, le gouverneur ordonna de leur mettre les fers aux pieds et aux mains, et de les faire marcher devant son chariot jusqu' Pouzzoles pour y tre dvors par les btes. La joie que tous ces saints faisaient paratre en allant au martyre, tonnait les paens. Nos saints ne furent pas plus tt arrivs, qu'on les mit dans l'arne. Alors, saint Janvier qui tait le chef, puisqu'il tait leur vque, s'adressant tous ses compagnons : Ç Mes enfants, courage ! voici le jour de notre triomphe. Combattons gnreusement pour Jsus-Christ notre Matre, puisque nous l'avons pris pour notre Dieu : allons avec courage la mort, comme il y est all lui-mme pour l'amour de nous. Donnons, mes enfants, donnons hardiment notre sang pour Jsus-Christ, comme il l'a donn pour nous. Oui, mes enfants, puisque nous avons renonc au monde qui est maudit de Dieu, mprisons-le avec ceux qui suivent son parti ; que, ni les promesses, ni les menaces, ne soient dans le cas de nous faire tourner du ct du monde maudit ; mettons toute notre confiance en notre Dieu, et, avec son secours, ne craignons ni les tourments ni la mort. Voyez, mes enfants, voyez votre pasteur qui l'on a tir tous les nerfs du corps. Je donne volontiers tout le reste de mon corps aux btes froces qui vont venir me dvorer. Regardons le ciel, mes enfants, notre Dieu nous attend pour nous rcompenser ; encore un moment de souffrances, et nous aurons une ternit de bonheur. È A peine le saint eut-il fini de parler, qu'on lcha contre eux toutes ces btes froces, en prsence d'une multitude tonnante de peuple, qui tait venu voir ce spectacle. Les lions, les tigres et les lopards, que l'on avait laiss jener depuis plusieurs jours, coururent avec autant de fureur qu'un torrent d'eau qui tombe du haut d'un rocher dans un prcipice ; mais, au lieu de les dvorer, comme tout le monde le croyait, on vit tout coup ces btes perdre entirement leur frocit naturelle, se jeter leurs pieds, les lcher comme par respect, les flattant de leur queue, sans qu'aucune ost seulement les toucher. Ce miracle frappa tellement toute cette multitude, qu'on l'entendit s'crier : Ç Oui, oui, il n'y a que le Dieu des chrtiens qui soit le vrai Dieu, et tous nos dieux ne sont que des dieux qui nous trompent et nous perdent ; jamais les prtres de nos idoles n'ont fait rien de semblable. È Le gouverneur, entendant ces murmures, craignit pour lui-mme, et ordonna de mener les martyrs dans la place publique pour leur couper la tte ; mais, comme on les y conduisait, saint Janvier, passant devant le gouverneur, dit : Ç Seigneur, tez, je vous prie, la vue ce tyran, afin qu'il n'ait pas le barbare plaisir de voir mourir vos enfants. È Aussitt, le gouverneur perdit la vue. Ce chtiment si miraculeux lui fit reconnatre le pouvoir de ce serviteur de Dieu. De suite, il commanda d'arrter l'excution de la sentence qui avait t porte contre les saints martyrs, et s'tant fait amener le saint, il lui dit d'un ton suppliant : Ç Vous qui adorez le Dieu tout-puissant, priez-le donc pour moi, afin qu'il me rende la vue dont il m'a priv, en punition de mes pchs. È Comme les saints n'ont ni fiel, ni haine, pour montrer, par un double miracle, la puissance du vrai Dieu, il fit une seconde prire en faveur du gouverneur. Elle fut aussi efficace que la premire. Timothe recouvra la vue sur-le-champ. Cette merveille ne fut pas inutile pour la gloire de Dieu et le salut des mes ; presque cinq mille paens, qui en furent tmoins, se convertirent le mme jour ; mais le gouverneur, pour qui ce miracle avait t fait, tait si endurci qu'il ne se convertit pas lui-mme. Craignant que, s'il venait pargner les martyrs, il ne ft disgraci par l'empereur, il ordonna, en secret, ses officiers de faire mourir le saint vque. Pendant qu'on le conduisait en la place pour y tre excut, un bon vieillard lui demanda, aprs s'tre jet ses pieds, quelque chose qui lui et servi pour le conserver bien respectueusement. Le saint, touch de sa foi, lui dit : Ç Mon ami, je n'ai que mon mouchoir qui va me servir pour me bander les yeux ; mais soyez sr, qu'aprs, vous l'aurez. È Ceux qui l'entendaient parler de la sorte se mirent rire, et, aprs avoir fait mourir le saint, mirent les pieds sur le mouchoir, en disant : Ç Qu'il donne maintenant son mouchoir ce vieux homme qui il l'a promis. È Mais ils furent bien tonns, lorsqu'en passant, ils virent ce vieillard qui le tenait entre les mains. Le saint s'cria, au moment qu'on lui coupa la tte : Ç Mon Dieu, je remets mon me entre vos mains. È Eh bien ! M.F., voil le monde et Jsus-Christ, c'est--dire, ceux qui ont mpris le monde pour ne suivre que Jsus-Christ avec sa croix ; ceux qui ont vritablement quitt le monde, ses biens et ses plaisirs, pour ne chercher que le ciel et le salut de leur me ! Voyez de quel ct vous vous tourneriez, si le bon Dieu vous mettait une semblable preuve que saint Janvier et ses compagnons martyrs. Hlas ! mon Dieu, qu'il y en aurait peu... parce qu'il y en a bien peu qui ne soient pas du monde, c'est--dire, qui n'aiment pas le monde, ses biens et ses plaisirs.
Est-il bien possible que, quoique le monde ne fasse que des malheureux, qu'il promette beaucoup sans jamais donner ce qu'il promet, et quoique nous soyons si malheureux sa suite, nous l'aimions encore ! Tous se plaignent de sa perfidie, et malgr cela, nous cherchons encore lui plaire, et si nous ne pouvons le contenter, nous voulons au moins lui donner nos plus beaux ans, notre jeunesse et souvent notre sant, notre rputation et mme notre vie. Ah ! maudit monde ! jusques quand nous tromperas-tu en nous appelant ta suite pour nous accabler de tant de maux, tre toujours malheureux et jamais heureux ? ï mon Dieu ! ouvrez-nous, s'il vous plat, les yeux de l'me et nous connatrons notre aveuglement d'aimer celui qui ne cherche que notre perte ternelle ! Mais pour vous faire comprendre mieux encore lequel des deux partis vous devez suivre, considrons ce monde compos de trois socits : les uns sont tout pour le monde, les autres sont tout pour le bon Dieu, comme nous venons de le voir, et enfin, d'autres sont entre deux ; ceux-l voudraient tre au monde sans cesser d'tre Dieu, ce qui est impossible, comme vous allez le voir.
Nous disons 1¡, M.F., qu'une partie, et peut-tre la plus grande partie, sont tout pour le monde ; et, de ce nombre, sont ceux qui sont contents d'avoir touff tout sentiment de religion, toute pense de l'autre vie, qui ont fait tout ce qu'ils ont pu pour effacer la pense terrible du jugement qu'ils auront subir un jour. Ils emploient toute leur science et souvent leurs richesses pour attirer autant de personnes qu'ils peuvent dans leur route ; ils ne croient plus rien, ils se font mme gloire d'tre plus impies et plus incrdules qu'ils ne le sont en ralit, pour mieux convaincre les autres, et leur faire croire, je ne dis pas les vrits, mais les faussets qu'ils voudraient faire natre dans leur cÏur. Comme Voltaire qui un jour, dans un dner donn ses amis, c'est--dire, des impies, se rjouissait de ce que, de tous ceux qui taient l, pas un ne croyait la religion. Et cependant lui-mme y croyait, comme il le montra bien l'heure de sa mort. Alors, il demanda avec empressement un prtre pour pouvoir se rconcilier avec le bon Dieu ; mais c'tait trop tard pour lui ; le bon Dieu, contre qui il s'tait dchan avec tant de fureur, lui avait fait comme Antiochus : il l'avait abandonn la fureur des dmons. Voltaire n'eut, dans ce terrible moment, que le dsespoir et l'enfer pour partage. Ç L'impie, nous dit le Saint-Esprit, dit en lui-mme qu'il n'y a pas de Dieu [5] , È mais ce n'est que la corruption de son cÏur qui le peut porter un tel excs, il ne le croit pas dans le fond de son me. Ce mot : Ç Il y a un Dieu, È ne s'effacera jamais. Le plus grand pcheur le prononcera souvent, mme sans y penser ; mais laissons ces impies de ct. Heureusement, quoique vous ne soyez pas aussi bons chrtiens que vous devriez l'tre, grce Dieu, vous n'tes pas encore de ce nombre.
Mais, me direz-vous, qui sont ceux qui sont tantt Dieu, tantt au monde ? – M.F., le voici. Je les compare, si j'ose me servir de ce terme, ces chiens qui se donnent au premier qui les appelle. Suivez-les, M.F., du matin jusqu'au soir, du commencement de l'anne jusqu' la fin : ces gens-l ne regardent le dimanche que comme un jour de repos et de plaisir ; ils restent plus longtemps au lit que les jours de la semaine, et, au lieu de donner leur cÏur au bon Dieu, ils n'y pensent pas mme. Ils penseront, les uns leurs plaisirs, aux personnes qu'ils verront ; les autres, aux marchs qu'ils feront ou l'argent qu'ils iront porter ou recevoir. A peine font-ils un signe de croix, tant bien que mal ; sous prtexte qu'ils iront l'glise, ils ne feront point de prires en se disant : Ç Oh ! j'ai bien le temps de la faire avant la messe. È Ils ont toujours faire avant de partir la messe ; ils ont cru qu'ils auraient du temps de reste pour faire leur prire, et ils ne sont pas seulement au commencement de la sainte Messe. S'ils trouvent un ami en chemin, ils ne font point difficult de le mener chez eux et de laisser la messe pour une autre fois. Cependant, comme ils veulent encore paratre chrtiens aux yeux du monde, ils y vont encore quelquefois ; mais, c'est avec un ennui et un dgot mortel. Voil la pense qui les occupe : Ç Mon Dieu, quand est-ce que cela sera fini ! È Vous les voyez l'glise, surtout pendant l'instruction, tourner la tte d'un ct et d'un autre, demander leur voisin quelle heure il est ; d'autres billent et s'tendent, tournent les feuillets de leur livre, comme pour examiner si le libraire y a fait quelques fautes ; d'autres, vous les voyez dormir comme dans un bon lit. La premire pense qui se prsente eux, ce n'est pas d'avoir profan un lieu si saint, mais : Mon Dieu, cela ne finira plus !....jamais je ne reviens !... È Et enfin, d'autres qui la parole de Dieu, qui a tant converti de pcheurs, donne mal au cÏur : ils sont obligs de sortir, disent-ils, pour respirer un peu l'air, pour ne pas mourir ; vous les voyez tristes, peins pendant les saints offices ; mais lorsque l'office est fini, et mme souvent, le prtre n'est pas encore descendu de l'autel, qu'ils se pressent la porte qui sortira le premier ; vous voyez alors renatre cette joie qu'ils avaient perdue l'office. Ils sont si fatigus que, souvent, ils n'ont pas le courage de revenir vpres. Si on leur demande pourquoi ils ne vont pas vpres : Ç Ah ! vous disent-ils, il faudrait tre toute la journe l'glise ; nous avons autre chose faire ! È Pour ces personnes-l, il n'est question ni de catchisme, ni de chapelet, ni de prire du soir : tout cela est regard par elles comme des riens. Si on leur demande ce que l'on a dit l'instruction : Ç Ah ! vous rpondront-ils, il a assez cri !... il nous a assez ennuys !... je ne m'en rappelle pas seulement !... si ce n'tait pas si long, on retiendrait bien mieux ; voil ce qui dgote le monde d'aller aux offices : c'est parce que c'est trop long. È Vous avez raison de dire : le monde, parce que ces gens-l sont du nombre de ceux qui sont du monde, sans bien le savoir. Mais, allons, nous tcherons de leur mieux faire comprendre ; du moins s'ils le veulent ; mais tant sourds et aveugles, comme ils le sont, il est bien difficile de leur faire entendre les paroles de vie, et, tant aveugles, il sera encore mal ais de leur faire comprendre leur tat malheureux. D'abord, chez eux il n'est plus question de dire leurs Benedicite avant le repas, ni leur action de grces aprs, ni leur Angelus. Si, par une ancienne habitude, ils le font, si vous en tes tmoin, cela vous fait mal au cÏur : les femmes le font en travaillant, en criant aprs leurs enfants ou leurs domestiques ; les hommes le font en tournant leur chapeau ou leur bonnet entre les mains, comme pour examiner s'ils ont des trous ; ils pensent bien autant du bon Dieu, que s'ils croyaient vritablement qu'il n'y en ait point, et que c'est pour rire qu'ils font cela. Ils ne se font point de scrupule de vendre ou d'acheter, le saint jour de dimanche, quoiqu'ils sachent trs bien, ou du moins ils doivent savoir qu'un march un peu gros fait le dimanche, sans ncessit, est un pch mortel [6] . Ces gens-l regardent toutes ces choses comme des riens. Ils iront, en ces saints jours, dans une paroisse, pour affermer des domestiques ; si on leur dit qu'ils font mal : Ç Ah ! vous disent-ils, il faut bien y aller quand on peut les trouver. È Ils ne font point difficult d'aller payer leurs impts le dimanche ; parce que, dans la semaine, il faudrait aller un peu plus loin, et prendre quelques moments de plus.
Ah ! me direz-vous, nous ne faisons pas attention tout cela. – Vous ne faites pas attention tout cela, mon ami, je n'en suis pas tonn, c'est que vous tes du monde ; c'est--dire, que vous voudriez tre Dieu et contenter le monde. Savez-vous, M.F., ce que sont ces personnes ? Ce sont des personnes qui n'ont pas encore entirement perdu la foi, et qui il reste encore quelque attachement au service de Dieu, qui ne voudraient pas tout abandonner, car elles blment elles-mmes ceux qui ne frquentent plus les offices ; mais elles n'ont pas assez de courage pour rompre avec le monde, et pour se tourner du ct du bon Dieu. Ces gens-l ne voudraient pas se damner, mais ils ne voudraient pas non plus se gner ; ils esprent pouvoir se sauver, sans tant se faire de violence ; ils ont la pense que le bon Dieu tant si bon, ne les a pas crs pour les perdre, qu'il les pardonnera bien tout de mme ; qu'un temps viendra o ils se donneront au bon Dieu, qu'ils se corrigeront, qu'ils quitteront leurs mauvaises habitudes. Si, dans quelques moments de rflexion, ils se mettent leur pauvre vie un petit peu devant les yeux, ils en gmissent, et quelquefois mme ils en verseront des larmes.
Hlas, M.F., quelle triste vie mnent ceux qui voudraient tre au monde sans cesser d'tre Dieu ! Allons un peu plus loin et vous allez encore mieux le comprendre, vous allez voir combien leur vie mme est ridicule. Un moment, vous les entendrez prier le bon Dieu ou faire un acte de contrition, et un autre moment, vous les entendrez jurer, peut-tre mme le saint nom de Dieu, si quelque chose ne va pas comme ils veulent. Ce matin, vous les avez vus la sainte Messe chanter ou entendre les louanges de Dieu, et, dans le mme jour, vous les voyez tenir les propos les plus infmes. Les mmes mains qui ont pris de l'eau bnite, en demandant Dieu de les purifier de leurs pchs, un instant aprs les mmes mains sont employes faire des attouchements sales sur eux ou peut-tre mme sur d'autres. Les mmes yeux qui, ce matin, ont eu le grand bonheur de contempler Jsus-Christ lui-mme dans la sainte hostie, dans le courant du jour se porteront volontairement sur les objets les plus dshonntes, et cela, avec plaisir. Hier, vous avez vu cet homme faire la charit son prochain, ou lui rendre service ; aujourd'hui, il tchera de le tromper, s'il peut y trouver son profit. Il n'y a qu'un moment que cette mre souhaitait toutes sortes de bndictions ses enfants, et maintenant qu'ils l'ont contrarie, elle les accable de toutes sortes de malheurs : elle ne voudrait jamais les avoir vus, elle voudrait tre aussi loin d'eux qu'elle en est prs ; elle finit par les donner au dmon, afin de s'en dbarrasser. Un moment, elle envoie ses enfants la sainte Messe ou se confesser ; un autre, elle les enverra la danse, ou du moins, elle fera semblant de ne pas le savoir, ou elle le leur dfendra en riant, ce qui veut dire : Ç Pars. È Une fois, elle dira sa fille d'tre bien rserve, de ne pas frquenter les mauvaises compagnies, et une autre fois, elle la voit passer des heures entires avec des jeunes gens, sans rien lui dire. Allez, ma pauvre mre, vous tes du monde ; vous croyez tre Dieu, par quelque extrieur de religion que vous pratiquez. Vous vous trompez : vous tes du nombre de ceux qui Jsus-Christ dit : Ç Malheur au monde [7] ! È Voyez ces gens qui croient tre Dieu et qui sont au monde : ils ne se font point scrupule de prendre leur voisin, tantt du bois, tantt quelques fruits et mille autres choses ; tant qu'ils sont flatts dans leurs actions, qu'ils font pour ce qui regarde la religion, ils ont mme bien du plaisir le faire, ils montrent beaucoup d'empressement, ils sont bons pour donner des conseils aux autres ; mais, sont-ils mpriss ou calomnis, alors vous les voyez se dcourager, se tourmenter parce qu'on les traite de cette manire ; hier, ils ne voulaient que du bien ceux qui leur font du mal, et aujourd'hui ils ne peuvent plus les souffrir, ni souvent mme les voir ni leur parler.
Pauvre monde ! que vous tes malheureux, allez votre train ordinaire ; allez, vous ne pouvez esprer que l'enfer ! Les uns voudraient mme frquenter les sacrements, au moins une fois l'anne ; mais, pour cela, il faudrait un confesseur bien facile, ils voudraient seulement... et voil tout. Si le confesseur ne les voit pas assez bien disposs et qu'il leur refuse l'absolution ; les voil qui se dchanent contre lui, en disant tout ce qui pourra les justifier de ce qu'ils n'ont pas achev leur confession ; ils en diront du mal ; ils savent bien pourquoi ils restent en chemin, mais comme ils savent aussi, que le confesseur ne peut rien leur accorder, alors ils se contentent en disant tout ce qu'ils veulent. Allez, monde, allez votre train ordinaire, vous verrez un jour ce que, vous n'avez pas voulu voir. – Il faudrait donc que nous puissions partager notre cÏur en deux ! – Mais non, mon ami, ou tout Dieu ou tout au monde. Vous voulez frquenter les sacrements ? Eh bien ! laissez les jeux, les danses et les cabarets. D'ailleurs, vous avez bien bonne grce de venir aujourd'hui vous prsenter au tribunal de la pnitence, vous asseoir la Table sainte manger le pain des anges ; et, dans trois ou quatre semaines, peut-tre moins, l'on vous verra passer la nuit parmi les ivrognes qui regorgent de vin, et encore bien plus, faire les actes les plus infmes de l'impuret. Allez, monde, allez ! vous serez bientt en enfer : on vous y apprendra ce que vous deviez faire pour aller au ciel, que vous avez perdu bien par votre faute.
Non, M.F., ne nous y trompons pas ; il faut, de toute ncessit, ou sacrifier le monde Jsus-Christ, ou bien faire Jsus-Christ le sacrifice de tout ce que nous avons de plus cher sur la terre. Mais que peut vous donner le monde qui puisse entrer en comparaison avec ce que Jsus-Christ nous promet dans le ciel ? D'ailleurs, M.F., parmi tous ceux qui se sont attachs au monde, qui n'ont cherch qu' contenter leur penchant brutal et corrompu, il n'y en a pas un qui n'en soit la dupe et qui, l'heure de la mort, ne se repente de l'avoir aim. Oui, M.F., c'est alors que nous sentirons la vanit et la fragilit de ces choses, et nous les sentirions mme ds ce moment, si nous voulions jeter un coup d'Ïil sur notre vie passe ; nous verrions que la vie est bien peu de chose. Dites-moi, M.F., vous qui les annes commencent faire courber la tte sur les paules : pendant votre jeunesse, vous couriez aprs les plaisirs du monde, et il vous semblait ne plus pouvoir vous en rassasier ; vous avez pass nombre d'annes ne chercher que vos plaisirs : les danses, les jeux, les cabarets et la vanit faisaient toute votre occupation ; vous avez toujours remis plus loin votre retour Dieu. Lorsque vous avez atteint un ge plus avanc, vous avez pens ramasser du bien. Vous voil donc arriv la vieillesse, sans que vous ayez rien fait pour votre salut. Maintenant, que vous voil dsabus des folies de la jeunesse ; maintenant, que vous avez travaill pour vous ramasser quelque chose, vous pensez qu' prsent vous ferez mieux. Je n'en crois rien, mon ami. Les infirmits de la vieillesse qui vont vous accabler ; vos enfants, qui, peut-tre, vous mpriseront ; tout cela sera un nouvel obstacle votre salut. Vous avez cru tre Dieu et vous vous trouvez tre du monde : c'est--dire, du nombre de ceux qui sont tantt Dieu et tantt au monde, et qui finissent par recevoir la rcompense du monde.
Malheur au monde ! Allez, monde, suivez votre matre comme vous l'avez fait jusqu' prsent. Vous voyez trs bien que vous vous tes tromps en suivant le monde ; eh bien ! M.F., en serez-vous plus sages ? Non, M.F., non. Si une personne nous trompe une fois, nous dirons : Nous ne nous fions plus elle ; et nous avons bien raison ; le monde nous trompe continuellement, et cependant nous l'aimons. Ç Gardez-vous bien, nous dit saint Jean, d'aimer le monde et de vous attacher quoi que ce soit dans le monde [8] . È – Ç C'est en vain, nous dit le Prophte, que nous porterions la lumire cette sorte de gens ; ils ont t tromps et ils le seront encore ; ils n'ouvriront les yeux que dans le temps o ils n'auront plus d'esprance de revenir Dieu. È Ah ! M.F., si nous faisions bien rflexion sur ce que c'est que le monde, nous passerions notre vie recevoir ses adieux et lui faire les ntres. A l'ge de quinze ans nous avons dit adieu aux amusements de l'enfance, nous avons regard comme des niaiseries que de courir aprs les mouches, comme font les enfants qui leur btissent des maisons de cartes ou de boue. A trente ans, vous avez commenc dire adieu aux plaisirs bruyants d'une jeunesse fougueuse ; ce qui vous plaisait si fort dans ce temps-l, commence dj vous ennuyer. Disons mieux, M.F., chaque jour nous disons adieu au monde ; nous faisons comme un voyageur qui jouit de la beaut des pays o il a pass, peine les voit-il, qu'il faut dj les quitter ; il en est de mme des biens et des plaisirs auxquels nous avons tant d'attache. Enfin, nous arrivons au bord l'ternit, qui engloutit tout dans ses abmes. Ah ! c'est alors, M.F., que le monde va disparatre pour toujours nos yeux, et que nous reconnatrons notre folie de nous y tre attachs. Et tout ce que l'on nous a dit du pch !... Tout cela tait donc bien vrai, dirons-nous. Hlas ! je n'ai vcu que pour le monde. je n'ai cherch que le monde dans tout ce que j'ai fait, et les biens et les plaisirs du monde ne sont plus rien pour moi ! tout m'chappe des mains : ce monde que j'ai tant aim, ces biens et ces plaisirs, qui ont tant occup mon cÏur et mon esprit !... Il faut maintenant que je retourne vers mon Dieu !... Ah ! M.F., que cette pense est consolante pour celui qui n'a cherch que Dieu seul Pendant sa vie ! mais qu'elle est dsesprante pour celui qui a perdu de vue son Dieu et le salut de son me !
Non, non, M.F., ne nous y trompons pas, fuyons, ou nous nous mettons dans un grand danger de nous perdre. Tous les saints ont fui, mpris et abandonn le monde toute leur vie. Ceux qui ont t obligs d'y rester y ont vcu comme n'y tant pas. Combien de grands du monde l'ont quitt pour aller vivre dans la solitude ! voyez un saint Arsne. Frapp de cette pense : Qu'il est trs difficile de se sauver dans le monde, il abandonne la cour de l'empereur, et va passer sa vie dans les forts, pour y pleurer ses pchs et y faire pnitence [9] . Oui, M.F., si nous ne fuyons le monde, du moins autant qu'il nous sera possible, nous ne pouvons que nous perdre avec le monde, moins d'un grand miracle. En voici un bel exemple et bien capable de nous le faire comprendre. Nous lisons dans l'criture sainte [10] que Josaphat, roi de Juda, fit alliance avec Achab, roi d'Isral. Le Saint-Esprit nous dit que le premier, c'est--dire Josaphat, tait un saint roi ; mais il nous dit que le second, qui est Achab, tait un impie. Nanmoins, Josaphat consentit aller avec Achab pour combattre contre les Syriens. Avant de partir, il voulut voir un prophte du Seigneur, pour lui demander ce qu'il en serait de ce combat. Achab lui dit : Ç Nous avons bien ici un certain prophte du Seigneur, mais il ne nous prdit que des malheurs. È – Ç Eh bien ! lui dit Josaphat, faites-le venir, et nous le consulterons. È Le prophte tant devant le roi, Josaphat lui demande s'il fallait aller combattre contre les ennemis, ou non. Le roi Achab se hte de lui dire que tous ses prophtes l'ont assur de la victoire. Ç Oui, dit le prophte du Seigneur, allez, Princes, vous attaquerez vos ennemis, vous les battrez et vous reviendrez victorieux et chargs de leurs richesses. È Le roi Josaphat vit bien que ce n'tait pas ce que pensait le prophte, il lui demanda de dire ce que le Seigneur lui inspirait. Alors le prophte prenant le ton de prophte du Seigneur : Ç Vive le Seigneur, en la prsence de qui je suis ! Voici ce que le Seigneur, le Dieu d'Isral, m'a command de vous dire : Vous livrerez bataille ; mais vous serez vaincu. Le roi Achab y prira, et son arme sera mise tout en droute et chacun reviendra chez soi sans chef. È Le roi Achab dit l'autre : Ç Je vous avais bien dit que ce prophte n'annonce que des malheurs. È Il le fit mettre en prison, pour le punir son retour. Mais le prophte s'inquita fort peu de cela, car il savait bien que le roi ne reviendrait pas, mais qu'il y prirait. Ayant livr le combat, Achab, voyant que le gros de l'arme se tournait sur lui, changea d'habit. Alors l'on prit le roi Josaphat pour Achab qui seul on en voulait. Se voyant prs d'tre perc par les ennemis : Ç Ah ! Seigneur. Dieu d'Isral, s'cria-t-il, ayez piti de moi ! È Alors le Seigneur le secourut et carta de lui tous ses ennemis. Mais il lui envoya son prophte pour le reprendre de ce qu'il avait voulu accompagner ce roi impie : Ç Vous auriez mrit de prir avec lui, mais parce que le Seigneur a vu en vous de bonnes Ïuvres, il vous a conserv la vie, et vous aurez le bonheur de retourner dans votre ville. È Pour Achab, il prit dans ce combat, comme le prophte le lui avait prdit avant son dpart.
Voil, M.F., ce que c'est que de frquenter le monde ce qui nous montre que, ncessairement, nous devons fuir le monde si nous voulons ne pas prir avec lui. Avec les gens du monde, nous prenons l'esprit du monde et nous perdons l'esprit de Dieu : ce qui nous entrane dans un abme de pch, presque sans nous en apercevoir ; nous en avons un bel exemple dans l'histoire. Saint Augustin nous rapporte [11] qu'il avait pour ami un jeune homme qui vivait parfaitement bien. Il suivait son chemin aussi bien qu'un jeune homme peut le faire. Un jour, que quelques-uns de ses compagnons d'tudes sortaient avec lui aprs dner, ceux-ci fchs de ce qu'il ne faisait pas comme eux, ils essayrent de l'entraner l'amphithtre. C'tait un jour que l'on y faisait gorger des hommes par d'autres hommes. Comme ce jeune homme avait une extrme horreur pour ces sortes de curiosits, il rsista d'abord de toutes ses forces ; mais ses compagnons usrent de tant de flatteries et de tant de violences, que, cette fois, ils l'entranrent pour ainsi dire, malgr lui. Il leur dit : Ç Vous pouvez bien entraner mon corps et le placer parmi vous l'amphithtre ; mais vous ne pouvez pas disposer de mon esprit ni de mes yeux, qui, assurment, ne prendront jamais part un spectacle si horrible. Aussi y serai-je comme n'y tant pas, et, par l, je vous contenterai sans y prendre part. È Mais Alype eut beau dire, ils l'emmenrent, et, pendant que tout l'amphithtre tait dans les transports de ces barbares plaisirs, le jeune homme dfendait son cÏur d'y prendre part, et ses yeux de regarder, en les tenant ferms. Ah ! plt Dieu qu'il se ft bouch aussi les oreilles ; car, ayant t frapp d'un grand cri qui se fit entendre, la curiosit l'emporta : ne voulant voir que cela, il ouvrit les yeux, c'en fut assez pour le perdre. Plus il regardait ; plus son cÏur y sentait du plaisir ; il alla si loin dans la suite que, bien loin de se faire prier pour y aller, il y entranait lui-mme les autres. Ç Hlas ! mon Dieu, s'crie saint Augustin, qui pourra le tirer de cet abme ? Rien autre, sinon un miracle de la grce de Dieu. È
Je conclus, M.F., en disant que si nous ne fuyons le monde avec ses plaisirs, si nous ne nous cachons pas autant que nous pourrons, nous nous perdrons et nous serons damns. Mais la route la plus commode, c'est d'tre tantt au monde, tantt Dieu, c'est--dire, faire quelques pratiques de pit et suivre le train du monde : les jeux, les danses, les cabarets, travailler le dimanche ; nourrir ces haines, ces vengeances, ces ressentiments, relever ces petits torts. Mais pour tre tout Dieu, il faut vous attendre tre mpriss et rejets du monde. Heureux, M.F., celui qui sera de ce nombre, et qui marchera avec courage la suite de son Matre, portant sa croix ; puisque ce n'est que par l que nous aurons le grand bonheur d'arriver au ciel ! Ce que je vous souhaite.
[1]
MATTH. XI, 28-29.
[2]
II COR. IV, 17.
[3]
MATTH, XVIII, 7.
[4]
Voir Ribadneira, au 19 septembre.
[5]
PS, XIII, 1 ; LII, 1.
[6]
Ç Un march, un peu gros, fait le dimanche, sans ncessit, est un pch mortel. È Cette dcision du Vnrable a t inspire par des thologiens trop svres. Ç Il est permis de vendre et d'acheter le dimanche, dit Gury (tome l, p. 300), des maisons, des bestiaux, et autres marchandises prsentes ou non, en grande ou en petite quantit, quand bien mme on y emploierait un temps notable, pourvu que ces transactions se fassent d'une manire prive. È
[7]
MATTH. XVIII, 7.
[8]
I JOAN. II, 15.
[9]
Saint Arsne entendit deux fois, avant et aprs sa retraite au dsert, une voix qui lui disait : Ç Arsne, fuis la compagnie des hommes et tu te sauveras. Arsne, fuis les hommes, garde le silence et demeure dans le repos : ce sont l les premiers fondements que tu dois jeter pour lever l'difice de ton salut. È Vie des Pres du dsert, t. III, p. 239.
[10]
III REG. XXII.