DEUXIEME DIMANCHE DE L'AVENT
 

Sur le respect humain


Beatus qui non fuerit scandalizatus in me.
Bienheureux celui qui ne prendra pas de moi un sujet de scandale (S. Matth., XI, 6.)


Rien, M. F., de plus glorieux et de plus honorable pour un chrétien que de porter le nom sublime d'enfant de Dieu, de frère de Jésus-Christ. Mais aussi rien n'est plus infâme que d'avoir honte de le manifester autant de fois que l'occasion s'en présente. Nous ne sommes pas étonnés de voir des hypocrites montrer autant qu'ils peuvent un extérieur de piété pour s'attirer l'estime et les louanges des hommes, tandis que, leurs pauvres coeurs sont dévorés par les péchés les plus infâmes. Ils voudraient, ces aveugles, jouir des honneurs qui sont inséparables de la vertu, sans avoir la peine de la pratiquer. Nous sommes encore moins étonnés de voir de bons chrétiens cacher, autant qu'ils le peuvent, leurs bonnes oeuvres aux yeux du monde, de crainte que la vaine gloire ne se glisse dans leur coeur et que les vains applaudissements des hommes ne leur en fassent perdre le mérite et la récompense. Mais, M. F., où trouvons-nous une lâcheté plus criminelle et une abomination plus détestable que la nôtre : que, faisant profession de croire en Jésus-Christ; que, nous étant engagés par les serments les plus sacrés à marcher sur ses traces, à soutenir ses intéréts et sa gloire, aux dépens même de notre vie, nous soyons si lâches, qu'à la première, occasion nous violions les promesses que nous lui avons faites sur les fonts sacrés du Baptême. Ah ! malheureux, que faisons-nous ? Qui est Celui que nous renions ? Hélas ! nous abandonnons notre Dieu, notre Sauveur, pour nous ranger parmi les esclaves du démon qui nous trompe et qui ne cherche que notre perte et notre malheur éternel. Oh ! maudit respect humain ! que tu entraînes d'âmes dans les enfers ? Mais pour mieux vous en faire sentir la bassesse, je vous montrerai : 1° Combien le respect humain, c'est-à-dire la honte de faire le bien, outrage le bon Dieu ; 2° Combien celui qui le commet annonce un esprit faible et borné.

1. - Nous ne parlerons pas, M. F., de tous ces impies de la première classe qui emploient leur temps, leur science et leur pauvre vie à détruire notre sainte religion, s'ils le pouvaient. Ces malheureux ne semblent vivre que pour anéantir les souffrances, les mérites de la mort et passion de Jésus-Christ. Ils ont employé, les uns leurs forces, les autres leur science, pour briser cette pierre sur laquelle Jésus-Christ a bâti son Église. Mais ces insensés vont se briser contre cette pierre de l'Église, qui est notre sainte religion, laquelle subsistera toujours malgré tous leurs efforts.

En effet, M. F., à quoi aboutit toute la furie des persécuteurs de l'Église, des Néron, des Maximien, des Dioclétien, et de tant d'autres qui ont cru que, par la force de leurs armes, ils viendraient à bout de la faire dispaître de la terre. C'est bien tout le contraire : le sang de tant de martyrs n'a servi, comme dit Tertullien, qu'à faire fleurir la religion plus que jamais, et leur sang semblait une semence qui en produisait cent pour un. Malheureux ! que vous a fait cette belle et sainte religion, pour tant la persécuter, puisqu'elle seule peut rendre l'homme heureux sur la terre ? Hélas ! que de larmes et que de cris ils poussent maintenant dans les enfer, où ils reconnaissent bien clairement que cette religion, contre laquelle ils se sont déchainés, les aurait conduits au ciel ! Mais, regrets inutiles et superflus !

Voyez encore ces autres impies qui ont fait tout ce qu'ils ont pu pour détruire notre sainte religion par leurs écrits, tels qu'un Voltaire, un Jean-Jacques Rousseau, un Diderot, un D'Alembert, un Volney et tant d'autres, qui n'ont passé leur vie qu'à vomir par leurs écrits tout ce que le démon pouvait leur inspirer. Hélas ! ils ont bien fait du mal, il est vrai ; ils ont perdu des âmes, en ont bien entraîné avec eux aux enfers ; mais ils n'ont pas pu détruire la religion, comme ils croyaient ; ils se sont brisés contre cette pierre. Mais ils n'ont pas brisé la pierre sur laquelle Jésus-Christ a bâti son Église et qui devra durer jusqu'à la fin du monde. Où sont maintenant ces pauvres impies ? Hélas ! en enfer, où ils pleurent leur malheur et celui de tous ceux qu'ils ont entraînés avec eux. Ne disons rien encore, M. F., de ces derniers impies, qui, sans se montrer ouvertement les ennemis de la religion parce qu'ils en pratiquent encore quelques points extérieurs, en font, malgré cela de temps en temps de petites plaisanteries, par exemple, sur la vertu ou la piété de ceux qu'ils n'ont pas le courage d'imiter. Dites-moi, mon ami, que vous a fait cette religion que vous tenez de vos ancêtres, qu'ils ont pratiquée si fidèlement devant vos veux, dont ils vous ont tant de fois dit qu'elle seule pouvait faire le bonheur de l'homme sur la terre, et, qu'en l'abandonnant, nous ne pouvions être que malheureux ? Et où pensez-vous, mon ami, que vous conduira votre petite impiété ? Hélas ! mon ami, en enfer, pour vous y faire pleurer votre aveuglement.

Ne disons rien encore de ces chrétiens qui ne sont chrétiens que de nom ; qui font leur devoir de chrétiens d'une manière si misérable, qu'ils vous feraient mourir de compassion. Voyez-en un, pendant sa prière faite avec ennui, dissipation, sans respect. Voyez-les à l'église, sans dévotion : l'office commence toujours trop tôt, et finit toujours trop tard ; le prêtre n'est pas encore descendu de l'autel, qu'ils sont déjà dehors. Pour la fréquentation des Sacrements, il ne faut pas leur en parler : s'ils s'en approchent quelquefois, c'est avec une certaine indifférence qui annonce qu'ils ne connaissent. nullement ce qu'ils font. Tout ce qui a rapport au service de Dieu est fait avec un dégoût épouvantable. Mon Dieu ! que d'âmes perdues pour l'éternité ! O mon Dieu ! que le nombre de ceux qui entreront dans le royaume des cieux est petit, puisqu'il y en a si peu qui font ce qu'ils doivent pour le mériter ?

Mais, me direz-vous maintenant : Qui sont donc ceux qui se rendent coupables de respect humain ? M. F., écoutez-moi un instant, et vous allez le savoir. D'abord, je vous dirai avec saint Bernard que, de quelque côté que nous considérions le respect humain, qui est la honte de remplir ses devoirs de religion à cause du monde, tout nous démontre en lui le mépris de Dieu et de ses grâces et l'aveuglement de l'âme. Je dis en premier lieu, M. F., que la honte de faire le bien, de crainte d'être méprisé ou raillé de la part de quelques malheureux impies, ou de quelques ignorants, est un mépris affreux que nous faisons de la présence du bon Dieu devant lequel nous sommes et qui pourrait à l'heure même nous jeter en enfer. Pourquoi est-ce, M. F., que ces mauvais chrétiens vous raillent et tournent en ridicule votre dévotion ? Hélas ! M. F., en voici la véritable raison : c'est que n'ayant pas la force de faire ce que vous faites, ils vous en veulent de ce que vous réveillez les remords de leur conscience ; mais, soyez bien sûrs que dans le coeur ils ne vous méprisent pas, au contraire, ils vous estiment beaucoup. S'ils ont un bon conseil à prendre, ou à demander une grâce auprès du bon Dieu, ce n'est pas à ceux qui font comme eux qu'ils auront recours, mais à ceux qu'ils ont raillés, du moins en paroles. Vous avez honte, mon ami, de servir le bon Dieu, par crainte d'être méprisé ? Mais, mon ami, regardez donc Celui qui est mort sur cette croix ; demandez-lui donc s'il a eu honte d'être méprisé, et de mourir de la manière la plus Honteuse sur cette croix infâme. Ah ! ingrats que nous sommes envers Dieu, qui semble trouver sa gloire à faire publier de siècle en siècle qu'il nous choisit pour ses enfants. O mon Dieu ! que l'homme est aveugle et méprisable de craindre un misérable qu'en-dira-t-on, et de ne pas craindre d'offenser un Dieu si bon. Je dis encore que le respect humain nous fait mépriser toutes les grâces que le bon Dieu nous a méritées par sa mort et sa passion. Oui, M. F., par le respect humain, nous anéantissons toutes les grâces que le bon Dieu nous avait destinées pour nous sauver. Oh ! maudit respect humain, que tu entraînes d'âmes en enfer !

En deuxième lieu, je dis que le respect humain renferme l'aveuglement le plus déplorable. Hélas ! nous ne faisons pas attention à ce que nous perdons. Ah ! M. F., quel malheur pour nous ! nous perdons notre Dieu, que nul ne pourra jamais remplacer. Nous perdons le ciel avec tous ses biens et ses plaisirs ! Mais un autre malheur, c'est que nous prenons le démon pour notre père, et l'enfer avec tous ses tourments pour notre héritage et notre récompense. Nous changeons nos douceurs et nos joies éternelles contre des souffrances et des larmes. Ah ! mon ami, à quoi pensez-vous ? Quels seront vos regrets pendant toute l'élernité ! Ah ! mon Dieu ! peut-on bien y penser et vivre encore esclave du monde ?

Il est vrai, me direz-vous, que celui qui craint le monde pour remplir ses devoirs de religion est bien malheureux, puisque le bon Dieu nous a dit que celui qui aura honte de le servir devant les hommes, il ne voudra pas le reconnaître devant son Père au jour du jugement.

Mais mon Dieu ! craindre le monde, pourquoi donc puisque nous savons qu'il faut absolument être méprisé du monde pour plaire à Dieu. Si vous craigniez le monde, il ne fallait pas vous faire chrétien. Vous saviez bien que sur les fonts sacrés du baptême, vous prêtiez serment en présence de Jésus-Christ même ; que vous renonciez au démon et au monde ; que vous vous engagiez à suivre Jésus-Christ portant sa croix, chargé d'opprobres et de mépris. Si vous craignez le monde, eh bien ! renoncez a votre baptême et donnez-vous à ce monde à qui vous craignez tant de déplaire.

Mais, me direz-vous, quand est-ce que nous agissons par respect humain ? Mon ami, écoutez-moi bien. C'est un jour que vous étiez à la foire, ou dans une auberge où l'on mangeait de la viande un jour défendu et que l'un vous pria d'en manger ; que, vous contentant de baisser les yeux et de rougir, au lieu de dire que vous étiez chrétien, que votre religion vous le défendait, vous en mangeâtes comme les autres, en disant : Si je ne fais pas comme les autres, on se moquera de moi. - On vous raillera, mon ami. Ah! certes, c'est bien dommage ! - Eh ! me direz-vous, je ferai bien plus de mal, en étant la cause de toutes les mauvaises raisons que l'on dira contre la religion, que j'en ferais en mangeant de la viande.- Dites-moi, mon ami, vous ferez plus de mal ? Si les martyrs avaient craint tous ces blasphèmes, tous ces jurements, alors ils auraient donc tous renoncé à leur religion ? C'est tant pis pour ceux qui font mal. Hélas ! M. F., disons mieux : ce n'est pas assez que les autres malheureux aient crucifié Jésus-Christ par leur mauvaise vie ; il faut encore vous unir à eux pour faire souffrir Jésus-Christ davantage ? Vous craignez d'être raillé ? Ah ! malheureux, regardez Jésus-Christ sur la croix, et vous verrez ce qu'il a fait pour vous.

Vous ne savez pas quand vous avez renié Jésus-Christ ? C'est un jour qu'étant avec deux ou trois personnes, il semblait que vous n'aviez point de mains, ou que vous ne saviez pas faire le signe de la croix, et que vous regardiez si l'on avait les yeux sur vous, et que vous vous êtes contenté de dire votre Benedicite ou vos grâces dans votre coeur, ou bien que vous allâtes dans un coin pour les dire. C'est lorsque, passant vers une croix, vous fîtes semblant, de ne pas la voir, ou bien vous disiez que ce n'est pas pour nous que le bon Dieu est mort.

Vous ne savez pas quand vous avez eu du respect humain ? C'est un jour, que, vous trouvant dans une société, où l'on disait de sales paroles contre la sainte vertu de pureté, ou contre la religion, vous n'osâtes pas reprendre ces personnes, et bien plus, dans la crainte que l'on vous raille, vous en avez souri. - Mais, me direz-vous, l'on est bien forcé, sans quoi l'on serait trop souvent raillé. - Vous craignez, mon ami, d'être raillé ? Ce fut bien aussi cette crainte qui porta saint Pierre à renier son divin Maître ; mais cela n'empêcha pas qu'il commit un gros péché qu'il pleura toute sa vie.

Vous ne savez pas quand vous avez eu du respect humain ? C'est un jour que le bon Dieu vous donna la pensée d'aller vous confesser, vous sentiez que vous en aviez bien besoin, mais vous pensâtes que l'on se moquerait de vous, que l'on vous traiterait de dévot. C'est une fois que vous aviez la pensée d'aller à la sainte Messe dans la semaine, et que vous pouviez y aller ; vous avez dit en vous-même que l'on se moquerait de vous et que l'on dirait : C'est bon pour ceux qui n'ont rien à faire, qui ont de quoi vivre de leurs rentes.

Combien de fois ce maudit respect humain vous a empêché d'assister au catéchisme, à la prière du soir ! Combien de fois, étant chez vous et faisant quelques prières ou quelques lectures de piété, vous êtes-vous caché voyant venir quelqu'un ! Combien de fois le respect humain vous a fait violer la loi du jeûne ou de l'abstinence, et n'oser pas dire que vous jeûniez, ou que vous ne faisiez pas gras ! Combien de fois vous n'avez pas osé dire votre Angelus devant le monde, ou vous vous êtes contenté de le dire dans votre coeur, ou vous êtes sorti pour le dire dehors ! Combien de fois vous n'avez point fait de prières le matin ou le soir, parce que vous vous êtes trouvé avec des personnes qui n'en faisaient point ; et tout cela, de crainte que l'on ne se moquât de vous ! Allez, pauvre esclave du monde, attendez l'enfer où vous serez précipité ; vous aurez bien le temps de regretter le bien que le monde vous a empêché de faire.

Ah ! mon Dieu, quelle triste vie mène celui qui veut plaire au monde et au bon Dieu ! Non, mon ami, vous vous trompez. Outre que vous vivrez toujours malheureux, vous ne viendrez jamais à bout de plaire au monde et au bon Dieu ; cela est aussi impossible que de mettre fin à l'éternité. Voici le conseil que j'ai à vous donner, et vous serez moins malheureux : ou donnez-vous tout au bon Dieu, ou tout au monde ; ne cherchez, et ne suivez qu'un maître, et, une fois à sa suite, ne le quittez pas.

Vous ne vous rappelez donc pas ce que Jésus-Christ vous dit dans l'Évangile : Vous ne pouvez servir Dieu et le monde, c'est-à-dire que vous ne pouvez pas suivre le monde avec ses plaisirs, et Jésus-Christ avec sa croix. N'est-ce pas que vous avez bonne grâce d'être tantôt à Dieu et tantôt au monde ! Parlons plus clairement : il faudrait que votre conscience, que votre coeur vous permit d'être le matin à la table sainte et le soir à la danse ; une partie du jour à l'église et le reste dans les cabarets ou dans les jeux ; un moment parler du bon Dieu, et un autre moment dire des saletés ou bien des calomnies contre le prochain ; une fois, faire du bien à votre voisin, et un autre moment lui faire tort, c'est-à-dlire, qu'avec les bons vous ferez le bien, parlerez du bon Dieu, avec les méchants vous ferez le mal.

Ah! M. F., que la compagnie des méchants nous fait faire de mal ! Que de péchés nous éviterions, si nous avions le bonheur de fuir les gens sans religion ! Saint Augustin nous dit que plusieurs fois, s'étant trouvé avec les méchants, il avait eu honte de n'avoir pas autant de malice qu'eux, et, afin qu'on ne le blâmât pas, il disait le mal même qu'il n'avait pas fait (Conf. lib. II, c. II, 7.). Pauvre aveugle ! que vous êtes à plaindre ! quelle triste vie ! .... Oh ! maudit respect humain, que tu entraînes d'âmes dans les enfers ! Oh ! que de crimes dont tu es la cause ! Ah ! qu'il est coupable le mépris que nous faisons des grâces que le bon Dieu veut nous accorder pour nous sauver ! Hélas ! combien ont commencé leur réprobation par le respect humain, parce que, à mesure qu'ils ont méprisé les grâces que le bon Dieu leur voulait donner, la foi s'est éteinte en eux ; et, peu à peu, ils ont moins senti la grandeur du péché, la perte du ciel, les outrages qu'ils faisaient à Dieu par le péché. Ils ont fini par tomber en paralysie, c'est-à-dire qu'ils n'ont plus connu l'état malheureux de leur pauvre âme : ils restent dans le péché, et la plus grande partie y périssent.

Nous lisons dans l'Évangile que Jésus-Christ, dans ses missions, comblait de toute sorte de grâces les lieux où il passait. Tantôt, c'était un aveugle à qui il rendait la vue ; tantôt c'étaient des sourds qu'il faisait entendre ; ici, c'est un lépreux qu'il guérit, là c'est un mort à qui il rend la vie. Cependant nous voyons qu'il y en a très peu qui publient les bienfaits qu'ils viennent de recevoir ; ils le font seulement au moment, où ils sont aux pieds de Jésus-Christ. Et d'où vient cela, M. F. ? C'est qu'ils craignaient les Juifs, parce qu'il fallait être amis ou des Juifs ou de Jésus-Christ ; quand ils étaient auprès de JésusChrist, ils le reconnaissaient ; et, quand ils étaient avec les Juifs, ils semblaient les approuver par leur silence. Voilà précisément ce que nous faisons : quand nous sommes seuls, que nous réfléchissons sur tous les bienfaits que nous avons reçus du bon Dieu, nous ne pouvons nous empêcher de lui témoigner notre reconnaissance d'être nés chrétiens, d'avoir été confirmés ; mais, quand nous sommes avec les libertins, nous semblons être de leur sentiment en applaudissant par nos sourires ou notre silence à leurs impiétés. Oh ! quelle indigne préférence, s'écrie saint Maxime ! Ah ! maudit respect humain, que d'âmes tu traînes en enfer ! Hélas! M. F., quel tourment n'éprouvera pas une personne qui veut plaire et vivre ainsi, comme nous en avons un bel exemple dans l'Évangile. Nous y lisons que le roi Hérode s'était épris d'un amour profane pour Hérodiade. Cette barbare courtisane avait une fille qui dansa devant lui avec tant de grâce, qu'il lui promit la moitié de son royaume. Mais la malheureuse se garda bien de la lui demander, ce n'était pas assez ; étant allée trouver sa mère pour prendre conseil sur ce qu'il fallait dire au roi, la mère, plus infâme que sa fille, lui présenta un plat : « va, lui dit-elle, demander au roi qu'il mette la tête de Jean-Baptiste dans ce plat, afin que tu me l'apportes ; » et cela, parce que saint Jean-Baptiste lui reprochait sa mauvaise vie. Le roi, à cette demande, fut saisi de frayeur ; car, d'un côté, il estimait saint Jean-Baptiste, il regrettait, la mort d'un homme qui était si digne de vivre. Que fera-t-il ? Quel parti prendrat-il ? Ah ! maudit respect humain, que vas-tu faire ? Il ne voudrait, pas faire mourir saint Jean-Baptiste ; mais, d'un autre côté, il a peur qu'on se moque de lui, de ce qu'étant roi, il ne tient pas sa parole. Allez, dit ce malheureux roi à un bourreau, allez couper la tête de Jean-Baptiste ; j'aime mieux laisser crier ma conscience que si l'on se moquait de moi. Mais quelle horreur ! quand la tête parut dans la salle, les yeux et la bouche, quoique fermés, semblaient lui reprocher son crime et le menacer des châtiments les plus terribles. A ce spectacle, il frémit et pâlit. Hélas ! que celui qui se laisse conduire par le respect humain est à plaindre !

Il est vrai que le respect humain ne nous empêche pas toujours de faire de bonnes oeuvres. Mais combien de bonnes oeuvres dont le respect humain nous fait perdre le mérite ! Combien de bonnes oeuvres que nous ne ferions pas, si nous n'espérions en être loués et estimés du monde ! Combien de gens ne viennent à l'église que par respect humain, ou pensant que, dès qu'une personne ne pratique plus la religion, du moins à l'extérieur, l'on n'a plus confiance en elle, comme on dit : Où il n'y a point de religion, il n'y a point de conscience ! Combien de mères qui semblent avoir soin de leurs enfants seulement pour être estimées aux yeux du monde ! Combien qui se réconcilient avec leurs ennemis, parce qu'ils craignent qu'on perde la bonne estime que l'un a d'eux ! Combien de personnes qui ne seraient pas si bien, si elles ne savaient pas qu'elles y gagnent d'être louées du monde ? Combien qui sont plus réservées dans leurs paroles et plus modestes à l'église à cause du monde ! Oh ! maudit respect humain, que tu gâtes de bonnes oeuvres qui conduiraient tant de chrétiens au ciel, et qui ne feront que les pousser en enfer !

Mais, me direz-vous, il y a bien à faire, pour que le monde ne se mêle de rien dans tout ce que l'on fait. Mais, M. F., nous n'attendons pas notre récompense du monde, mais de Dieu seul : si l'on me loue, je sais bien que je ne le mérite pas, étant si pécheur ; si l'on me méprise, il n'y a rien d'extraordinaire pour un pécheur comme moi qui ai tant de fois méprisé le bon Dieu par mes péchés ; j'en mérite bien davantage. D'ailleurs, Jésus-Christ ne nous a-t-il pas dit : Bienheureux ceux qui seront méprisés et persécutés? Et qui sont ceux qui vous méprisent ? Hélas ! quelques pauvres pécheurs qui n'ont pas le courage de faire ce que vous faites, qui, pour cacher un peu leur honte, voudraient que vous fissiez comme eux; c'est un pauvre aveugle qui, bien loin de vous mépriser, devrait passer sa vie à pleurer son malheur. Ses railleries vous montrent combien il est à plaindre et digne de compassion. Il fait comme une personne qui a perdu l'esprit, qui court les forêts qui se roule par terre ou se jette dans les précipices en criant à tous ceux qui la voient de faire comme elle ; elle a beau crier, vous la laissez faire, et vous la plaignez, parce qu'elle ne connaît pas son malheur. De même, M. F., laissons ces pauvres mallteureux crier et railler les bons chrétiens ; laissons les insensés dans leur démence ; laissons les aveugles dans leurs ténèbres ; écoutons les cris et les hurlements des réprouvés ; mais ne craignons rien, suivons notre route ; ils se font beaucoup de mal, sans point nous en faire ; plaignons-les, et marchons à notre ordinaire.

Savez-vous pourquoi les autres vous raillent ? C'est qu'ils voient que vous les craignez et qu'un rien vous fait rougir. Ce n'est pas votre piété qu'ils raillent, mais seulement votre inconstance et, votre lâcheté à suivre votre chef. Voyez les gens du monde : avec quelle audace ils suivent leur chef ! Ne se font-ils pas gloire d'être libertins, ivrognes, adroits, vindicatifs ? Voyez un impudique : craint-il de vomir ses saletés devant le monde ? Pourquoi cela, M. F. ? C'est parce qu'ils sont contraints à suivre leur maître qui est le monde ; ils ne pensent et ne cherchent qu'à lui plaire ; ils ont beau souffrir, rien ne peut les arrêter. Voilà, M. F., ce que vous feriez, si vous vouliez en faire autant. Vous ne craindriez ni le monde ni le démon ; vous ne chercheriez et ne voudriez que ce qui pourrait plaire à votre Maitre, qui est Dieu lui-même. Convenez avec moi que les mondains sont beaucoup plus constants à tous les sacrifices qu'ils font pour plaire à leur maître, qui est le monde, que nous, à faire ce que nous devons pour plaire à notre Maître, qui est notre Dieu.

II. - Mais, maintenant, recommençons d'une autre manière. Dites-moi, mon ami, pourquoi est-ce que vous raillez ceux qui font profession de piété, ou, si vous ne comprenez pas bien, ceux qui font des prières plus longues que les vôtres, qui fréquentent plus souvent les sacrements que vous ne le faites vous-même, et qui fuient les applaudissements du monde ? De trois choses l'une, M. F. : ou vous regardez ces personnes comme des hypocrites, ou vous raillez la piété elle-même, ou enfin, vous êtes fâchés de ce qu'ils valent mieux que vous.

1° Pour les traiter d'hypocrites, il faut que vous ayez lu dans leur coeur, et que vous soyez parfaitement convaincus que toute leur dévotion est fausse. Eh quoi ! M. F., ne parait-il pas naturel que, quand nous voyons faire quelques bonnes oeuvres à quelqu'un, nous pensions que leur coeur est bon et sincère ? D'après cela, voyez combien votre langage et votre jugement sont ridicules. Vous voyez un extérieur bon dans votre voisin, et vous dites ou pensez que son intérieur ne vaut rien. Voilà, dit-on, du bon fruit ; certainement, l'arbre qui le porte est de bonne espèce, et vous en jugez bien. Et s'il s'agit de juger des gens de bien, vous direz tout le contraire : voilà du bon fruit ; mais l'arbre qui le porte ne vaut rien ! Non, M. F., non, vous n'êtes ni si aveugles ni si insensés que de déraisonner de la sorte.

2° En deuxième lieu, nous disons que vous raillez la piété elle-même ; je me trompe : vous ne raillez pas cette personne  parce qu'elle prie longtemps ou souvent et avec respect : non, ce n'est pas pour cela, car, vous aussi, vous priez (du moins si vous ne le faites pas, vous manquez à un de vos premiers devoirs.) Est-ce parce qu'elle fréquente les sacrements ? Mais vous n'ètes pas venu jusqu'à ce temps sans vous approcher des sacrements, on vous a bien vu au tribunal de la pénitence, on vous a bien vu vous asseoir à la table sainte. Vous ne méprisez donc pas cette personne parce qu'elle remplit mieux ses devoirs de religion que vous, étant parfaitement convaincus du danger où nous sommes de nous perdre, et par conséquent du besoin que nous avons d'avoir souvent recours à la prière et aux sacrements pour persevérer dans la grâce du bon Dieu, et sachant qu'après ce monde il n'y a plus de ressources : bien ou mal, il faudra y rester pendant toute l'éternité.

3° Non, M. F., ce n'est pas tout cela qui nous fatigue dans la personne de notre voisin : c'est que, n'ayant pas le courage de l'imiter, nous ne voudrions pas avoir la honte de notre lâcheté ; mais nous voudrions l'entraîner dans nos désordres ou dans notre vie indifférente. Combien de fois ne disons-nous pas : A quoi servent toutes ces grimaces, à quoi sert de tant rester à l'église, d'y aller si matin, et le reste ? Ah ! M. F., c'est que la vie des personnes de piété qui sont sérieuse, est la condamnation de notre vie lâche et indifférente. Il est bien aisé de comprendre que leur humilité et le mépris qu'elles font d'elles-mêmes condamne notre vie orgueilleuse, qui ne veut rien souffrir, qui voudrait que tout le monde nous aime et nous loue ; il n'y a pas de doute que leur douceur et leur bonté pour tout le monde fait honte à nos emportements et à nos colères ; il est bien vrai que leur modestie, leur réserve dans toutes leurs démarches condamne notre vie mondaine et pleine de scandales. N'est-ce pas cela seul qui nous tourmente dans la personne de notre prochain ? N'est-ce pas que cela nous fâche, quand nous entendons dire du bien des autres et publier leurs bonnes actions ? Oui, sans doute que leur dévotion, leur respect à l'église nous condamne, et fait ombrage à notre vie tout évaporée et à notre indifférence pour notre salut. Comme nous sommes naturellement portés à excuser dans les autres les défauts que nous avons nous-mêmes, de même nous sommes toujours portés à désapprouver dans les autres les vertus que nous n'avons pas le courage de pratiquer : c'est ce que nous voyons tous les jours. Un libertin est content de trouver un libertin qui l'applaudira dans ses désordres ; bien loin de le détourner, il l'encourage. Un vindicatif se réjouira d'être avec un autre vindicatif pour se consulter ensemble, afin de trouver le moyen de se venger de leurs ennemis. Mais, mettez une personne sage avec un libertin, une personne qui est toujours prête à pardonner avec un vindicatif : de suite, vous voyez les méchants se déchaîner contre les bons et leur tomber dessus. Pourquoi cela, M. F., sinon parce que n'ayant pas la force de faire ce qu'ils font, ils voudraient pouvoir les entraîner de leur côté, afin que leur vie sainte ne soit pas une censure continuelle de la leur propre ? Mais, si vous voulez comprendre l'aveuglement de ceux qui se raillent des personnes qui remplissent mieux leur devoir de chrétien qu'eu, écoutez-moi un instant.

Que diriez-vous d'une personne pauvre qui porterait envie à un riche, si ce pauvre n'est pas riche parce qu'il ne le veut pas ? Ne lui diriez-vous pas : Mon ami, pourquoi dites-vous du mal de cette personne parce qu'elle est riche ? Il ne tient qu'à vous de l'être, et encore plus, si vous le voulez. De même, M. F., pourquoi sommes-nous portés à blâmer ceux qui sont plus sages ? Il ne tient qu'à nous de l'être, et encore plus, si nous voulons. Les gens qui pratiquent la religion, qui en font plus que nous, ne nous empêchent pas d'être aussi sages et plus même, si nous voulons.

Je dis donc que les gens sans religion méprisent ceux qui en font profession... ; je me trompe, ils ne les méprisent pas, il font seulement semblant de les mépriser, parce que dans le fond de leur cacur ils sont pleins d'estime pour eux. En voulez-vous une preuve ? la voici. Auprès de qui va aller une personne, même sans piété, pour trouver quelques consolations dans ses peines, ou quelque adoucissement dans ses chagrins ou ses souffrances ? Croyez-vous que ce soit auprès d'une autre, personne sans religion comme elle ? Non, mon ami, non. Elle sait bien qu'une personne sans religion ne peut la consoler, ni lui donner des bons conseils. Mais elle ira trouver les personnes mêmes qu'elle a raillées dans un temps. Elle est trop bien convaincue qu'il n'y a qu'une personne sage et craignant Dieu qui peut la consoler et un peu adoucir ses peines. En effet, M. F., combien de fois nous étant trouvés abimés dans le chagrin ou quelque autre misère, sommes-nous allés trouver quelques personnes sages, et après un quart d'heure de conversation, nous nous sommes sentis tout changés et nous nous sommes retirés en disant : que ceux qui aiment le bon Dieu sont heureux, et aussi ceux qui sont autour d'eux ! Je me désolais, je ne faisais que pleurer, je me désespérais : pour un petit instant que j'ai été avec cette personne, je me suis senti tout consolé. C'est bien vrai, tout ce qu'elle m'a dit que le bon Dieu n'avait permis cela que pour mon bien, et que tous les saints et saintes en avaient bien plus enduré que moi, et qu'il valait bien mieux souffrir en ce monde que dans l'autre. Nous finissons par dire : Dès que j'aurai quelque peine, vite je retournerai chez elle me consoler. Oh ! belle religion, que ceux qui vous pratiquent tout de bon sont heureux, et que les douceurs et les consolations que vous nous procurez sont grandes et précieuses...

Eh bien ! M. F., vous voyez donc que vous raillez ceux qui ne le méritent pas ; vous devez, au contraire, infiniment remercier le bon Dieu d'avoir parmi vous quelques bonnes âmes qui sachent apaiser la colère de Dieu, sans quoi, nous serions bientôt écrasés par sa justice. Mais, tout bien considéré, une personne qui fait bien ses prières, qui ne cherche qu'à plaire au bon Dieu, qui aime à rendre service au prochain, qui sait donner jusqu'à son nécessaire pour l'aider, qui pardonne volontiers ceux qui lui font quelque injure, vous ne pouvez pas dire que celle-là fait mal, au contraire. Elle n'est que bien digne d'être louée et estimée de tout le monde. C'est cependant cette personne que vous déchirez ; n'est-ce pas que vous ne pensiez pas à ce que vous disiez ? C'est bien vrai, pensez-vous en vous-mêmes ; elle est plus heureuse que nous. Tenez, mon ami, écoutez-moi, et je vous dirai ce que vous devez faire : bien loin de les blâmer et de les railler, vous devriez faire tous vos efforts pour les imiter ; vous unir, tous les matins, à leurs prières et à toutes les actions qu'elles feront pendant la journée. - Mais, direz-vous, pour faire ce qu'elles font, il y a trop de violence à se faire et trop de sacrifices à accomplir. Il y a bien à faire ! - Pas autant que vous dites bien : c'est si malaisé de bien faire vos prières le matin et le soir ? Est-ce bien difficile d'écouter la parole de Dieu avec respect, en demandant au bon Dieu la grâce d'en bien profiter ? Est-ce bien difficile de ne pas sortir de l'église pendant les instructions ? de ne pas travailler le saint jour du dimanche ? de ne pas manger de la viande les jours défendus et de mépriser les mondains qui veulent absolument se perdre ?

Si vous craignez que le courage vous manque, portez vos regards sur la Croix où Jésus-Christ est mort, et vous verrez que le courage ne vous manquera pas. Voyez ces foules de martyrs qui ont tant souffert que vous ne pourrez jamais le comprendre, dans la crainte de perdre leurs âmes. Sont-ils, M. F., maintenant fâchés d'avoir méprisé le monde et ses qu'en dira-t-on ?

Concluons, M. F., en disant : Combien il y a peu de personnes qui servent véritablement le bon Dieu ! Les uns tâchent de détruire la religion, s'ils pouvaient, par la force de leurs armes, comme faisaient les rois et les empereurs païens ; les autres, par leurs cris impies, voudraient l'avilir et la faire perdre, s'ils pouvaient ; d'autres la raillent dans ceux qui la pratiquent ; et enfin d'autres voudraient bien la pratiquer, mais ils ont peur de le faire devant le monde. Hélas ! M. F., que le nombre de ceux qui sont pour le ciel est petit, puisqu'il n'y a que ceux qui combattent continuellement et vigoureusement le démon et leurs penchants et qui méprisent le monde avec toutes ses railleries. Puisque, M. F., nous n'attendons notre récompense et notre bonheur que de Dieu seul, pourquoi aimer le monde, tandis que nous avons promis ; avec serment de le haïr et de le mépriser pour ne suivre que Jésus-Christ, en portant notre croix tous les jours de notre vie ? Heureux celui, M. F., qui ne cherche que Dieu seul et qui méprise tout le reste ! C'est le bonheur...