Sur la Sanctification du Chrétien
Domine, dimitte illam et hoc anno.
Seigneur, laissez-le encore une annee sur la terre. (S. Luc, XIII, 8.)
Un homme, nous dit le Sauveur du monde, avait un figuier planté dans sa vigne, et, venant pour y chercher du fruit, il n'en trouva point. Alors, il s'adressa au vigneron et lui dit : « Voilà déjà trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier sans en trouver ; coupez-le donc ; pourquoi occupe-t-il encore la terre ? » Le vigneron lui répondit : « Seigneur, laissez-le encore cette année, je labourerai autour, j'y mettrai du fumier ; peut-être portera-t-il du fruit ; sinon, vous le couperez et le jetterez au feu. »
Non, M. F., non, cette parabole n'a pas besoin d'explication. C'est précisément nous qui sommes ce figuier que Dieu a planté dans le sein de son Église, et de qui il avait droit d'attendre de bonnes oeuvres ; mais jusqu'ici nous avons trompé son espérance. Indigné de notre conduite, il voulait nous ôter de ce monde et nous punir ; mais Jésus-Christ, qui est notre véritable vigneron, qui cultive nos âmes avec tant de soin, et qui est déjà notre médiateur, a demandé en grâce à son Père, de nous laisser encore cette année sur la terre, promettant à son Père qu'il redoublerait ses soins et qu'il ferait tout ce qu'il pourrait pour nous convertir. Mon Père, lui dit ce tendre Sauveur, encore cette année, ne les punissez pas si tôt ; je les poursuivrai continuellement, tantôt par les remords de la conscience qui les dévoreront, tantôt par des bons exemples, tantôt par de bonnes inspirations. Je chargerai mes ministres de leur annoncer que je suis toujours prêt à les recevoir, que ma miséricorde est infinie. Mais si, malgré tout cela, ils ne veulent pas vous aimer, bien loin de les défendre contre votre justice, moi-même je me tournerai contre eux, en vous priant de les ôter de ce monde et de les punir. Prévenons, M. F., un si grand malheur, et. profitons de cette miséricorde qui est infinie. M. F., passons saintement l'année que nous allons commencer : et, pour cela, évitons tous ces désordres qui ont rendu nos années passées si criminelles aux yeux de Dieu. C'est ce que je vais vous montrer d'une manière simple et familière, afin que, le comprenant bien, vous puissiez en profiter.
I.- Pourquoi, M, F., notre vie est-elle remplie de tant de misères ? Si nous considérons bien la vie de l'homme, ce n'est autre chose qu'une chaîne de maux : les maladies, les chagrins, les persécutions, ou enfin les pertes de biens nous tombent sans cesse dessus ; de sorte que, de quelque côté que l'homme terrestre se tourne ou se considère, il ne trouve que croix et afflictions. Allez, interrogez depuis le plus petit jusqu'au plus grand, tous vous tiendront le même langage. Enfin, M. F., l'Homme, sur la terre, à moins qu'il ne se tourne du côté de Dieu, ne peut être que malheureux. Savez-vous pourquoi, M. F, ? Non, me direz-vous.- Eh bien mon ami, en voici la vétitable raison : C'est que Dieu, ne nous ayant mis en ce monde que comme dans un lieu d'exil et de bannissement, il veut nous forcer par tant de maux à ne pas y attacher notre coeur et à soupirer après des biens plus grands, plus purs et plus durables que ceux que l'on peut trouver en cette vie. Pour mieux nous faire sentir la nécessité de porter nos vues vers les biens éternels, Dieu a donné à notre coeur des désirs si vastes et si étendus, que plus rien de créé n'est capable de le contenter : c'est à ce point que, s'il espère trouver quelque plaisir en s'attachant à des objets créés, à peine possède-t-il ce qu'il désirait avec tant d'ardeur, à peine l'a-t-il goûté, qu'il se tourne d'un autre côté, espérant trouver quelque chose de mieux. Il est donc contraint et forcé d'avouer, par sa propre expérience, que c'est inutilement qu'il veut mettre son bonheur ici-bas dans les choses périssables. S'il espère avoir quelque consolation dans ce monde, ce ne sera qu'en méprisant les choses qui sont si passagères et de si peu de durée, et en tendant vers la fin noble et heureuse pour laquelle Dieu l'a créé. Voulez-vous être heureux, mon ami ? Regardez le ciel : c'est là où votre coeur trouvera de quoi se rassasier pleinement.
Pour vous prouver cela, M. F., je n'aurais qu'à interroger un enfant et à lui demander pour quelle raison Dieu l'a créé et mis au monde ; il me répondrait : Pour le connaître, l'aimer, le servir, et par ce moyen gagner la vie éternelle. - Mais ces biens, ces plaisirs, ces honneurs, qu'en devez-vous donc faire ? - Il me dirait encore : Tout cela n'existe que pour être méprisé, et tout chrétien qui est fidèle aux engagements qu'il a contractés avec Dieu sur les fonts sacrés du baptême, le méprise et le foule sous les pieds. - Mais, me direz-vous encore, que devons-nous donc faire ? De quelle manière devons-nous nous conduire, au milieu de tant de misères, pour arriver à la fin heureuse pour laquelle nous sommes créés ? - Eh ! mes amis, rien de plus facile ; tous les maux que vous éprouvez sont les véritables moyens pour vous y conduire : je vais vous le montrer d'une manière claire comme le jour dans son midi. D'abord, je vous dirai que Jésus-Christ, par ses souffrances et sa mort, a rendu tous nos actes méritoires, de sorte que, pour un bon chrétien, il n'y a pas un mouvement de notre coeur et de notre corps qui ne soit récompensé, si nous le faisons pour lui. - Peut-être pensez-vous encore : cela n'est pas assez clair ? - Eh bien ! si cela ne suffit pas, commençons la matière. Suivez-moi un instant, et vous allez savoir la manière de rendre toutes vos actions méritoires pour la vie éternelle, sans rien changer à votre manière d'agir. Il faut seulement tout faire en vue de plaire à Dieu, et j'ajouterai qu'au lieu de rendre vos actions plus pénibles en les faisant pour Dieu, au contraire elles n'en seront que plus douces et plus légères. Le matin, en vous éveillant, pensez aussitôt à Dieu, et faites vite le signe de la croix, en lui disant : Mon Dieu, je vous donne mon coeur, et puisque vous êtes si bon que de me donner encore un jour, faites-moi la grâce que tout ce que je ferai ne soit que pour votre gloire et le salut de mon âme. Hélas ! devons-nous dire en nous-mêmes, combien, depuis hier, sont tombés en enfer, qui peut-être étaient moins coupables que moi ! il faut donc que je fasse mieux que je n'ai fait jusqu'à présent.
Dès ce moment, il faut offrir à Dieu toutes vos actions de la journée en lui disant : Recevez, ô mon Dieu, toutes les pensées, toutes les actions que je ferai en union avec ce que vous avez enduré pendant votre vie mortelle pour l'amour de moi. C'est ce que vous ne devez jamais oublier ; car, afin que nos actions soient méritoires pour le ciel, il faut que nous les ayons offertes au bon Dieu, sans quoi elles seront sans récompense. Quand l'heure de vous lever sera venue, levez-vous promptement, prenez bien garde de ne pas écouter le démon, qui vous tentera de rester encore quelque temps au lit, afin de vous faire manquer votre prière, ou de vous la faire faire avec distraction, par la pensée que l'on vous attend, ou que votre ouvrage presse. Lorsque vous vous habillez, faites-le avec modestie ; pensez que Dieu a les yeux fixés sur vous, et que votre bon ange gardien est à côté de vous, comme vous ne pouvez pas en douter. Mettez-vous de suite à genoux, n'écoutez pas le démon qui vous dit encore de remettre votre prière à un autre moment, afin de vous faire offenser Dieu dès le matin ; au contraire, faites votre prière avec autant de respect et de modestie que vous le pourrez. Après votre prière, prévoyez les occasions que vous pourriez avoir d'offenser Dieu pendant la journée, afin d'éviter ce malheur. Prenez ensuite quelque résolution que vous vous efforcerez d'exécuter dès le premier moment, comme, par exemple, de faire votre travail en esprit de pénitence, d'éviter les impatiences, les murmures, les jurements, de retenir votre langue. Le soir, vous examinerez si vous y avez été fidèle ; si vous y avez manqué, il faut vous imposer quelque pénitence pour vous punir de vos infidélités, et vous êtes sûr que, si vous vous servez de cette pratique, vous serez bientôt venu à bout de vous corriger de tous vos défauts.
Lorsque vous allez travailler, au lieu de vous occuper de la conduite de l'un et de l'autre, occupez-vous de quelques bonnes pensées, comme de la mort, en pensant que bientôt vous allez sortir de ce monde ; vous examinerez quel bien vous y faites depuis que vous y êtes ; vous gémirez surtout des jours perdus pour le ciel, ce qui vous portera à redoubler vos bonnes oeuvres, vos pénitences, vos larmes ; - ou bien, du jugement : que, peut-être avant que la journée finisse, vous allez rendre compte de toute votre vie, et que ce moment décidera de votre sort, ou éternellement malheureux, ou éternellement bienheureux ; - ou pensez au feu de l'enfer, dans lequel brûlent ceux qui ont vécu dans le péché ; ou au bonheur du paradis, qui est la récompense de ceux qui ont été fidèles à servir Dieu ; - ou bien, si vous voulez, entretenez-vous de la laideur du péché, qui nous sépare de Dieu, qui nous rend les esclaves du démon en nous jettant dans un abîme de maux éternels.
Mais, me direz-vous, nous ne pouvons pas faire toutes ces méditations. - Eh bien ! voyez la bonté de Dieu : vous ne savez pas méditer ces grandes vérités ? Eh bien ! faites quelques prières, dites votre chapelet. Si vous êtes père ou mère de famille, dites-le pour vos enfants, afin que le bon Dieu leur fasse la grâce d'être de bons chrétiens, qui feront votre consolation en ce monde et votre gloire en l'autre. Et les enfants doivent le dire pour leurs pères et mères, afin que Dieu les conserve et qu'ils les élèvent bien chrétiennement. Ou bien priez pour la conversion des pécheurs, afin qu'ils aient le bonheur de revenir à Dieu. Et par là, vous éviterez un nombre infini de paroles inutiles, ou peut-être même des propos qui souvent ne sont pas des plus innocents. Il faut, M. F., vous accoutumer de bonne heure à employer saintement le temps. Souvenez-vous que nous ne pouvons pas nous sauver sans y penser, et que, s'il y a une affaire qui mérite qu'on y pense, c'est bien l'affaire de notre salut, puisque Dieu ne nous a mis sur la terre que pour cela.
Il faut, M. F., avant de commencer votre travail, ne jamais manquer de faire le signe de la croix, et ne pas imiter ces gens sans religion qui n'osent pas se signer à cause qu'ils sont en compagnie. Offrez tout simplement vos peines au bon Dieu, et renouvelez de temps en temps cette offrande ; par là, vous aurez le bonheur d'attirer la bénédiction du Ciel sur vous et sur tout ce que vous ferez. Voyez, M. F., combien d'actes de vertu vous pouvez pratiquer en vous comportant de cette manière, sans rien changer à ce que vous faites. Si vous travaillez en vue de plaire à Dieu, d'obéir à ses commandements qui vous ordonnent de gagner votre pain à la sueur de votre front , voilà un acte d'obéissance ; si c'est pour expier vos péchés, vous faites un acte de pénitence ; si c'est afin d'obtenir quelque grâce pour vous ou pour d'autres, voilà un acte de confiance et de charité. O combien, M. F., nous pouvons mériter chaque jour le ciel en ne faisant que ce que nous faisons, mais en le faisant pour Dieu et le salut de notre âme ! Qui vous empêche, lorsque vous entendez sonner les heures, de penser à la brièveté du temps et de dire en vous-même : les heures passent et la mort s'avance, je cours vers l'éternité; suis-je bien prêt à paraître devant le tribunal de Dieu ? Ne suis-je pas en état de péché ? Et, M. F., si vous aviez ce malheur, faites vite un acte de contrition pour témoigner à Dieu votre regret, et ensuite prenez vite la résolution d'aller vous confesser, pour deux raisons : la prernière, c'est que, si vous veniez à mourir dans cet état, vous seriez damné tout net; et la seconde, c'est que toutes les bonnes oeuvres que vous auriez faites seraient perdues pour le ciel. D'ailleurs, M. F., auriez-vous bien le courage de rester dans un état qui vous rend l'ennemi de votre Dieu, qui vous aime tant ? Lorsque vous vous reposez de vos fatigues, jetez les yeux vers ce beau ciel, qui vous est préparé, si vous avez le bonheur de servir Dieu comme vous le devez, en vous disant à vous-même : O beau ciel, quand aurai-je le bonheur de vous posséder !
Cependant., M. F., il est vrai de dire que le démon ne laisse pas de faire tout ce qu'il peut pour nous porter au péché, puisque saint Pierre nous dit : « qu'il rôde sans cesse autour de nous comme un lion pour nous dévorer (1 Pet., V, 8.). » Il faut donc vous attendre, M. F., à ce que, tant que vous serez sur la terre, vous aurez des tentations. Mais, que devez-vous faire, lorsque vous sentez que le demon voudrait vous porter au mal ? Le voici : vite avoir recours à Dieu en lui disant : « Mon Dieu, venez à mon secours ! Vierge sainte, aidez-moi, s'il vous plaît ! » ou bien : « Mon saint ange gardien, combattez pour moi l'ennemi de mon salut ! » Faites vite ces réflexions : A l'heure de la mort, voudrais-je avoir fait cela ? non, sans doute : eh bien ! il faut donc résister à cette tentation. Je pourrais bien maintenant me cacher aux yeux du monde ; mais Dieu me voit. Lorsqu'il me jugera, que vais-je lui répondre, si j'ai eu le malheur de commettre ce péché ? Il s'agit ici du paradis ou de l'enfer, lequel des deux veux-je choisir ? Croyez-moi, M. F., faites ces petites réflexions toutes les fois que vous serez tentés, et vous verrez que la tentation diminuera à mesure que vous lui résisterez, et vous en sortirez victorieux. Ensuite, vous éprouverez vous-mêmes que, s'il en coûte pour résister, l'on est ensuite bien dédommagé par la joie et les consolations que l'on éprouve après avoir chassé le démon. Je suis sûr que plusieurs d'entre vous se disent en eux-mêmes que cela est bien vrai.
Les pères et mères doivent accoutumer leurs enfants de bonne heure à résister à la tentation ; car l'on peut dire à tant de pères et de mères qu'il y a des enfants qui ont quinze et seize ans, et qui ne savent pas ce que c'est que de résister à une tentation, qui se laissent prendre aux pièges du démon comme des oiseaux dans les filets ! D'où vient cela, sinon de l'ignorance ou de la négligence des parents ? - Mais, peut-être me direz-vous : comment voulez-vous que nous apprenions cela à nos enfants, quand nous ne le savons pas nous-mêmes ? - Mais, si vous n'êtes pas assez instruits, pourquoi êtes-vous donc entrés dans l'état du mariage, où vous saviez, ou du moins vous deviez savoir que, si le bon Dien vous donnait des enfants, vous étiez obligés, sous peine de damnation, de les instruire de la manière dont ils devaient se conduire pour aller au ciel ? Mon ami, n'était-ce pas assez que votre ignorance vous perdit, sans en perdre d'autres avec vous ? Si du moins vous êtes parfaitement convaincu que vous n'avez pas assez de lumières, pourquoi ne vous faites-vous pas instruire de vos devoirs par ceux qui en sont chargés ? - Mais, me direz-vous, comment oser dire à mon pasteur que je suis peu instruit ? il se moquera de moi. - Il se moquera de vous ? M. F., vous vous trompez ; il se fera un plaisir de vous apprendre ce que vous devez savoir, et ce que vous devez enseigner à vos enfants.
Vous devez encore leur apprendre à sanctifier leur travail, c'est-à-dire, à le faire, ni pour devenir riches, ni pour se faire estimer du monde, mais pour plaire à Dieu, qui nous le commande pour expier nos péchés ; par là, vous aurez la consolation de les voir devenir des enfants sages et obéissants, qui feront votre consolation en ce monde et votre gloire dans l'autre : vous aurez le bonheur de les voir craignant Dieu et maîtres de leurs passions. Non, M. F., mon dessein n'est pas aujourd'hui de montrer aux pères et mères la grandeur de leurs obligations : elles sont si grandes et si terribles, qu'elles méritent bien une instruction tout entière. Je leur dirai seulement en passant qu'ils doivent tous bien faire leurs efforts pour leur inspirer la crainte et l'amour de Dieu ; que leurs âmes sont un dépôt que Dieu leur a confié, dont un jour il faudra rendre un compte bien rigoureux.
Enfin, l'on doit terminer la journée par sa prière du soir, que l'on doit faire en commun, autant qu'il est possible : car, M. F., rien n'est plus avantageux que cette pratique de piété, parce que Jésus-Christ nous dit lui-même : « Si deux ou trois personnes s'unissent ensemble pour prier en mon nom, je serai au milieu (Matth., XVIII, 20.). » D'un autre côté, quoi de plus consolant, pour un père de famille, de voir chaque jour toute sa maison prosternée aux pieds de Dieu pour l'adorer et le remercier des bienfaits reçus pendant la journée, et, en même temps, pour gémir sur ses fautes passées ? N'a-t-il pas lieu d'espérer que tous passeront saintement la nuit ? Celui qui fait la prière ne doit pas aller trop vite, afin que les autres puissent le suivre, ni trop lentement, ce qui donnerait des distractions aux autres, mais tenir un juste milieu. A cette prière du soir, l'on doit ajouter un examen en commun, c'est-à-dire, s'arrêter un instant pour se remettre ses péchés devant les yeux. Voilà l'avantage de cet examen : il nous porte à la douleur de nos péchés ; il nous inspire la résolution de n'y plus retomber ; et, lorsque nous allons nous confesser, nous avons beaucoup plus de facilité à nous les rappeler : enfin, si la mort nous frappait, nous paraîtrions avec plus de confiance devant le tribunal de Dieu ; puisque saint Paul nous dit que, « si nous nous jugeons nous-mêmes, Dieu nous épargnera dans ses jugements (I Cor., XI, 31). » Il serait encore à souhaiter, qu'avant d'aller vous coucher, vous fissiez une petite lecture de piété, du moins pendant l'hiver : cela vous donnerait quelques bonnes pensées, qui vous occuperaient en vous couchant et en vous levant, et par là, vous graveriez plus parfaitement les vérités de, votre salut dans votre coeur. Dans les maisons où l'on ne sait pas lire, eh bien ! l'on peul dire le chapelet, ce qui attirerait la protection de la sainte Vierge. Oui, M. F., quand on a passé ainsi la journée, l'on peut prendre son repos en paix et s'endormir dans le Seigneur. Si pendant la nuit on s'éveille, on profite de ce moment pour louer et adorer Dieu. Voilà, M. F., le plan de vie que vous devez suivre, et le bon ordre que vous devez établir dans vos familles.
II. - Voyons maintenant les désordres les plus communs et les plus dangereux qu'il faut éviter, et ensuite les obligations de chaque état en particulier. Je dis d'abord que les péchés, les désordres les plus communs sont les veilles, les jurements, les paroles et les chansons déshonnêtes. Je dis d'abord les veilles (1) : oui, M, F., oui, ces assemblées nocturnes sont ordinairement l'école où les jeunes gens perdent toutes les vertus de leur âge, et apprennent toutes sortes de vices. En effet, M. F., quelles sont les vertus de la jeunesse ? N'est-ce-pas l'amour de la prière, la fréquentation des sacrements, la soumission à leurs parents, l'assiduité à leur travail, une admirable pureté de conscience, une vive horreur du péché honteux ? Telles sont, M. F., les vertus que les jeunes gens doivent s'efforcer d'acquérir. Eh bien ! M. F., moi, je vous dirai que, quelque affermi que soit un jeune homme ou une jeune fille dans ces vertus, s'ils ont le malheur de fréquenter certaines veillées, ou certaines compagnies, ils les auront bientôt toutes perdues. Dites-moi, M. F., vous qui en êtes témoins, qu'y entend-on, sinon les paroles les plus sales et les plus honteuses ? Qu'y voit-on, si ce n'est des familiarités entre les jeunes personnes, qui font rougir la pudeur ? et j'ose dire que quand ce seraient des infidèles, ils n'en feraient pas davantage. Et des pères, et des mères en sont témoins, et n'en disent rien, et des maîtres et des maitresses gardent le silence ! Un faux respect humain leur ferme la bouche ! Et vous êtes chrétiens, vous avez de la religion, et vous espérez d'aller un jour au ciel ! O mon Dieu, quel aveuglement ! Peut-on bien le concevoir ? Oui, pauvres aveugles, vous irez, mais ce sera en enfer : voilà où vous serez jetés.
Comment, vous vous plaignez de ce que vos bêtes périssent ? Vous avez sans doute oublié tous ces crîmes qui se sont commis pendant cinq ou six mois de l'hiver dans vos écuries (2) ? Vous avez oublié ce que dit l'Esprit-Saint : « que partout où le péché se commettra, la ma lédiction du Seigneur tombera (3). » Hélas ! combien de jeunes gens qui auraient, encore leur innocence s'ils n'avaient pas été à certaines veillées et qui, peut-être, ne reviendront jamais à Dieu ! N'est-ce pas encore au sortir de là, que les jeunes gens s'en vont courir et former des liaisons, qui, le plus souvent, finissent par le scandale et la perte de la réputation d'une jeune fille ? N'est-ce pas là que ces jeunes libertins, après avoir vendu leur âme au démon, vont encore perdre celle des autres ? Oui, M. F., les maux qui en résultent sont incalculables. Si vous êtes chrétiens, et que vous désiriez sauver vos âmes et celles de vos enfants et de vos domestiques, vous ne devez jamais tenir de veillées chez vous, à moins que vous n'y soyez, vous, un des chefs de la maison, pour empêcher que Dieu ne soit offensé. Lorsque vous êtes tous entrés, vous devez fermer la porte et n'y laisser entrer personne. Commencez votre veillée en récitant une ou deux dizaines de votre chapelet pour attirer la protection de la sainte Vierge, ce que vous pouvez faire en travaillant. Ensuite bannissez toutes ces chansons lascives ou mauvaises : elles profanent votre coeur et votre bouche qui sont les temples de l'Esprit-Saint ; ainsi que tous ces contes qui ne sont que des mensonges, et qui, le plus ordinairement, sont contre des personnes consacrées à Dieu, ce qui les rend plus criminels. Et vous ne devez jamais laisser aller vos enfants dans les autres veillées. Pourquoi est-ce qu'ils vous fuient, sinon pour être plus libres ? Si vous êtes fidèles à remplir vos devoirs, Dieu sera moins offensé, et vous, moins coupables.
Il y a encore un désordre d'autant plus déplorable qu'il est plus commun, ce sont les paroles libres. Non, M. F., rien de plus abominable, de plus affreux que ces paroles. En effet, M. F., quoi de plus contraire à la sainteté de notre religion que ces paroles impures ? Elles outragent Dieu, elles scandalisent le prochain ; mais pour parler plus clairement, elles perdent tout. Il ne faut souvent qu'une parole déshonnête pour occasionner mille mauvaises pensées, mille désirs honteux, peut-être même pour faire tomber dans un nombre infini d'autres infamies, et pour apprendre aux âmes innocentes le mal qu'elles avaient le bonheur d'ignorer. Eh quoi ! M. F., un chrétien peut-il bien se laisser occuper l'esprit de telles horreurs ! un chrétien qui est le temple de l'Esprit-Saint, un chrétien qui a été sanctifié par l'attouchement du corps adorable et par le sang précieux de Jésus-Christ ! O mon Dieu, que nous connaissons peu ce que nous faisons en péchant ! Si Notre-Seigneur nous dit que « l'on peut connaître un arbre à son fruit (Matth,. XII, 33.) », jugez d'après le langage de certaines personnes quelle doit être la corruption de leur coeur. Et cependant rien de plus commun. Quelle est la conversation des jeunes gens ? N'est-ce pas ce maudit péché ? Ont-ils autre chose à la bouche ? Entrez, oserai-je dire avec saint Jean Chrysostôme, entrez dans ces cabarets, c'est-à-dire, dans ces repaires d'impureté ; sur quoi roule la conversation, même parmi des personnes d'un certain âge ? Ne vont-ils pas jusqu'à se faire gloire à celui qui en dira le plus ? Leur bouche n'est-elle pas semblable à un tuyau dont l'enfer se sert pour vomir toutes les ordures de ses impuretés sur la terre, et entraîner les âmes à lui ? Que font ces mauvais chrétiens, ou plutôt ces envoyés des abîmes ? Sont-ils dans la joie ? Au lieu de chanter les louanges de Dieu, ce sont les chansons les plus honteuses, qui devraient faire mourir un chrétien d'horreur ! Ah ! grand Dieu ! qui ne frémirait pas en pensant au jugement que Dieu en portera ? Si, comme Jésus-Christ nous l'assure lui-même, une seule parole inutile ne restera pas sans punition, hélas ! quelle sera donc la punition de ces discours licencieux, de ces propos indécents, de ces horreurs infâmes qui font dresser les cheveux ?
Voulez-vous concevoir l'aveuglement de ces pauvres malheureux ? Ecoutez ces paroles : « Je n'ai point de mauvaise intention, vous disent-ils ; et encore : « C'est pour rire, ce ne sont que des bagatelles et des bêtises qui ne font rien. » - Eh quoi ! M. F., un péché aussi affreux aux yeux de Dieu, un péché, dis-je, que le sacrilège seul peut surpasser ! c'est une bagatelle pour vous ! Oh ! c'est que votre coeur est gâté et pourri par ce vice odieux. Oh non ! non, l'on ne peut pas rire et badiner de ce que nous devrions fuir avec plus d'horreur qu'un monstre qui nous poursuit pour nous dévorer. D'ailleurs, M. F., quel crime d'aimer ce que Dieu veut que nous détestions souverainement ! Vous me dites que vous n'avez point de mauvaise intention : mais dite-moi aussi, pauvre et misérable victime des abîmes, ceux qui vous entendent en auront-ils moins de mauvaises pensées, et de désirs criminels ? Votre intention arrêtera-t-elle leur imagination et leur coeur ? Parler plus clairement, en disant que vous êtes la cause de leur perte et de leur damnation éternelle. Oh ! que ce péché jette d'âmes en enfer ! L'Esprit-Saint nous dit que ce maudit péché d'impureté a couvert la surface de la terre (Gen., VI, 11-12.).
Non, M. F., non, je ne vais pas plus loin en cette matière ; j'y reviendrai dans une instruction, où j'essaierai de vous le dépeindre encore avec bien plus d'horreur. Je dis donc que les pères et mères doivent être très vigilants à l'égard de leurs enfants ou domestiques, ne jamais faire ni dire quelque chose qui puisse donner atteinte à cette belle vertu de pureté. Combien d'enfants et de domestiques qui ne se sont adonnés à ce vice que depuis que leurs pères et mères leur en ont donné l'exemple ! O combien d'enfants et de domestiques perdus par les mauvais exemples de leurs pères et mères, ou de leurs maîtres et maîtresses ! Ah ! il eût bien mieux valu pour eux qu'on leur plantât un poignard dans le sein !... Du moins, ils auraient eu le bonheur d'être en état de grâce, ils seraient allés au ciel, au lieu que vous les jetez en enfer.
Les maîtres doivent être très vigilants envers leurs domestiques. S'ils en ont quelques-uns qui soient libertins en paroles, la charité doit les porter à les reprendre deux ou trois fois avec bonté ; mais s'ils continuent, vous devez les chasser de chez vous, sinon vos enfants ne tarderont pas à leur ressembler. Disons même, un domestique de cette espèce est capable d'attirer toutes sortes de malédictions sur une maison.
Un autre désordre qui règne dans les ménages et entre les ouvriers, ce sont les impatiences, les murmures, les jurerrrents. Eh bien, M. F., que gagnez-vous par vos impatiences et vos murmures ? Vos affaires en vont-elles mieux ? En souffrez-vous moins ? N'est-ce pas tout le contraire ? Vous en souffrez davantage, et ce qu'il y a encore de plus malheureux, c'est que vous en perdez tout le mérite pour le ciel. Mais, me direz-vous peut-être, cela est bien bon pour ceux qui n'ont rien à endurer ; si vous étiez à ma place, vous feriez peut-être encore pis. Je conviens bien de tout cela, M. F., si nous n'étions pas chrétiens, si nous n'avions pas d'autre espérance que les biens et les plaisirs que nous pouvons goûter en ce monde ; si, dis-je, nous étions les premiers qui souffrions ; mais, depuis Adam jusqu'à présent, tous les saints ont eu quelque chose à souffrir, et, la plus grande partie, beaucoup plus que nous ; mais ils ont souffert avec patience, toujours soumis à la volonté de Dieu, et à présent, leurs peines sont finies, leur bonheur, qui est commencé, ne finira jamais. Ah ! M. F., regardons ce beau ciel, pensons au bonheur que Dieu nous y prépare, et nous endurerons tous les maux de la vie, en esprit de pénitence, avec l'espérance d'une récompense éternelle. Si vous aviez le bonheur, le soir, de pouvoir dire que votre journée est toute pour le bon Dieu !
Je dis que les ouvriers, s'ils veulent gagner le ciel, doivent souffrir avec patience la rigueur des saisons, la mauvaise humeur de ceux qui les font travailler ; éviter ces murmures et ces jurements si communs entre eux, et remplir fidèlement leur devoir. Les époux et les épouses doivent vivre en paix dans leur union, s'édifier mutuellement, prier l'un pour l'autre, supporter leurs défauts avec patience, s'encourager à la vertu par leurs bons exemples et suivre les règles saintes et sacrées de leur état, en pensant qu'ils sont « les enfants des saints (Tob. II, 18.) », et que, par conséquent, ils ne doivent pas se comporter comme des païens qui n'ont pas le bonheur de connaître le vrai Dieu. Les maîtres doivent prendre les mêmes soins de leurs domestiques que de leurs enfants, en se rappelant ce que dit saint Paul, que « s'ils n'ont pas soin de leurs domestiques, ils sont pires que des païens (I Tim. V, 8.), » et seront punis plus sévèrement au jour du jugement. Les domestiques sont pour vous servir et vous être fidèles, et vous devez les traiter non comme des esclaves, mais comme vos enfants et vos frères. Les domestiques doivent regarder leurs maîtres comme tenant la place de Jésus-Christ sur la terre. Leur devoir est de les servir avec joie, de leur obéir de bonne grâce, sans murmures, et soigner leur bien comme le leur propre. Les domestiques doivent éviter entre eux ces actes extrêmement familiers qui sont si dangereux et si funestes à l'innocence. Si vous avez le malheur de vous trouver dans une de ces occasions, vous devez la quitter, quoi qu'il vous en coûte : c'est précisément là où vous devez suivre le conseil que Jésus-Christ vous donne, en vous disant : « Si votre oeil droit, ou votre main droite vous sont une occasion de péché, arrachez-les et les jetez loin de vous, parce qu'il vaut mieux aller au ciel avec un oeil ou une main de moins, que d'être précipité en enfer avec tout votre corps (Matth., V, 29-30) ; » c'est-à-dire que, quelque avantageuse que soit la condition où vous êtes, il faut la quitter sans délai : sans quoi, jamais vous ne vous sauverez. Préférez, nous dit Jésus-Christ, votre salut, parce que c'est « la seule chose que vous devez avoir à coeur (Luc, X, 42.) ». Hélas ! M. F., qu'ils sont rares ces chrétiens qui sont prêts à tout souffrir plutôt que d'exposer le salut de leur âme !
Oui, M. F., vous venez de voir en abrégé tout ce que vous devez faire pour vous sanctifier dans votre état : hélas ! que de péchés n'avons-nous pas à nous reprocher jusqu'à présent ! Jugeons-nous, M. F., d'après ces règles, tâchons d'y conformer désormais notre conduite. Et pourquoi, M. F., ne ferions-nous pas tout ce que nous pourrions pour plaire à notre Dieu qui nous aime tant ? Ah ! si nous prenions la peine de jeter nos regards sur la bonté de Dieu envers nous ! En effet, M. F., tous les sentiments de Dieu envers le pécheur ne sont que des sentiments de bonté et de miséricorde. Quoique pécheur, il l'aime encore. Il hait le péché, il est vrai ; mais il aime le pécheur, qui, quoique pécheur, ne laisse pas d'être son ouvrage, créé à sa ressemblance, et d'être l'objet de ses plus tendres soupirs de toute éternité. C'est pour lui qu'il a créé le ciel et la terre; c'est pour lui qu'il a quitté les anges et les saints ; c'est pour lui que, sur la terre, il a tant souffert pendant trente-trois ans ; et c'est pour lui qu'il a établi cette belle religion si digne d'un Dieu, si capable de rendre, heureux celui qui a le bonheur de la suivre.
Voulez-vous, M. F., que je vous montre combien Dieu nous aime, quoique pécheurs ? Écoutez l'Esprit-Saint qui nous dit que Dieu se comporte envers nous comme David se comporta envers son fils Absalon, qui leva une armée de scélérats pour détrôner et ôter la vie à un si bon père, afin de pouvoir régner à sa place. David est forcé de fuir et de quitter son palais pour mettre sa vie en sûreté, étant poursuivi par son fils dénaturé. Et malgré que ce crime dût être bien odieux à David, cependant l'Esprit-Saint nous dit que son amour pour ce fils ingrat était sans borne, et qu'il semblait même qu'à mesure que ce méchant fils armait sa fureur, ce bon père sentait un nouvel amour pour lui. Se voyant forcé de marcher à la tête d'une armée pour arrêter ce malheureux fils, son premier soin fut, avant d'engager le combat, de recommander à ses officiers et à ses soldats de sauver son fils. Ce fils criminel et barbare veut lui ôter la vie, et c'est pour lui que ce père prie. Il périt par une permission visible d'en-haut; et David, bien loin de se réjouir de la défaite de ce rebelle et de se voir en sûreté, au contraire, lorsqu'il apprend la défaite, il semble oublier sa vie et son royaume, pour ne penser qu'à pleurer la mort de celui qui ne cherchait qu'à le perdre. Sa douleur fut si grande, et ses larmes si abondantes, qu'il se couvrit le visage pour ne plus voir le jour ; il se retira dans l'obscurité de son palais, et là se livra à toute l'amertume de son coeur. Ses cris étaient si perçants et ses larmes si amères et si abondantes, qu'il jeta la consternation jusqu'au milieu de ses troupes, se reprochant à lui-même de ce qu'il n'avait pas eu le bonheur de mourir pour sauver la vie de son fils. A tout instant on l'entendait s'écrier : « Ah ! mon cher enfant, Absalon, ah ! que ne suis-je mort à ta place ! ah ! qui m'ôtera la vie pour te la rendre ? - Ah ! plût à Dieu que je fusse mort à ta place (II Reg., XVIII) ! » Il ne voulut plus recevoir de consolation ; sa douleur et ses larmes l'accompagnèrent jusqu'au tombeau.
Dites-moi, M. F., auriez-vous jamais pu penser que votre perte causât tant de larmes et de douleurs à notre divin Sauveur ? Ah ! qui ne serait pas touché ?... Un Dieu qui pleure la perte d'une âme avec tant de larmes, qui ne cesse de lui crier : Mon ami, où vas-tu perdre ton âme et ton Dieu ? Arrête ! arrête ! Ah ! regarde mes larmes, mon sang qui coule encore : faut-il que je meure une seconde fois pour le sauver ? Me voici. Oh ! anges du ciel, descendez sur la terre, venez pleurer avec moi la perte de cette âme ! Oh ! qu'un chrétien est malheureux, s'il persévère encore à courir vers les abîmes, malgré la voix que son Dieu lui fait entendre continuellement !
Mais, me direz-vous, personne ne nous tient ce langage. - Oh ! mon ami, si vous ne vouliez pas boucher vos oreilles, vous entendriez sans cesse la voix de votre Dieu qui vous poursuit. Dites-moi, mon ami, que sont donc ces remords de conscience, lorsque vous êtes tombé dans le péché ? Pourquoi donc ces troubles, ces tempêtes qui vous agitent ? Pourquoi donc cette crainte et cette frayeur où vous êtes, où vous vous croyez sans cesse près d'être écrasé par les foudres du ciel ? Combien de fois n'avez-vous pas ressenti, même en péchant, une main invisible qui semblait vous repousser en vous disant : Malheureux, où vas-tu ? Ah ! mon fils, pourquoi veux-tu te damner ?... Ne conviendrez-vous pas avec moi qu'un chrétien qui méprise tant de grâces, mérite d'être abandonné et réprouvé, parce qu'il n'a pas écouté la voix de Dieu, ni profité de ses grâces ? Mais non, M. F., c'est Dieu seul que cette âme ingrate méprise et à qui elle semble vouloir ôter la vie ; et toutes les créatures demandent vengeance ; et c'est précisément Dieu seul qui veut la sauver, et s'oppose à tout ce qui pourrait lui nuire, en veillant à sa conservation, comme si elle était seule dans le monde, et que son bonheur dépendît du sien. Tandis que le pécheur lui plante le poignard dans le sein, Dieu lui tend une main, pour lui dire qu'il veut lui pardonner. Les tonnerres et les foudres du ciel semblent se jeter au pied du trône de Dieu, pour le prier en grâce de leur permettre de l'écraser. Ah ! non, non, leur dit ce divin Sauveur, cette âme m'a coûté trop cher, je l'aime encore, quoique pécheresse. Mais, Seigneur, reprennent ces foudres, elle ne vit que pour vous outrager ? N'importe, je veux la conserver, parce que je sais qu'un jour elle m'aimera : c'est pour cela que je veux veiller à sa conservation.
Ah ! M. F., seriez-vous si durs que de n'être pas touchés de tant de bonté de la part de notre Dieu ? Eh bien M., F., allons plus loin. Vous allez voir un autre spectacle de l'amour de Dieu pour ses créatures et surtout, pour un pécheur converti. Le Seigneur nous parle par la bouche du prophète Isaïe. Il va même jusqu'à vouloir encore cacher nos péchés, en nous disant que Dieu traite le pécheur qui l'outrage, comme une mère traite un enfant dépourvu de la raison. Vous voyez, nous dit-il, cet enfant privé de raison, tantôt il est de mauvaise humeur, tantôt il s'impatiente, il crie, il s'irrite, il va jusqu'à frapper de ses petites mains le sein de sa mère qui le porte ; il s'efforce de satisfaire sa faible colère. Eh bien : nous dit-il, quelle vengeance croyez-vous que cette mère tirera de la témérité de cet enfant ? La voici : elle le serrera et le pressera encore plus tendrement sur son coeur : elle redouble ses caresses, elle le flatte, elle lui présente sa mamelle et son lait, pour tâcher d'apaiser sa petite humeur : voilà toute sa vengeance. Eh bien ! nous dit, ce prophète, si cet enfant avait la connaissance de ce qu'il fait, que devrait-il penser en voyant tant de douceur de la part de cette mère ? Donnons-lui pour un moment le langage de la raison que la nature lui a refusé. Que pensera-t-il et que jugera-t-il de tout cela, lorsqu'il sera revenu de sa colère ? Il est vrai qu'il sera tout étonné de la témérité qu'il a eue de s'irriter contre celle qui le tenait entre ses bras, qui n'avait qu'à ouvrir la main pour le laisser tomber par terre et l'écraser. Mais en même temps, craindra-t-il que cette bonne mère refuse de pardonner ses petites fureurs ? Ne verra-t-il pas au contraire qu'elles sont déjà pardonnées, puisqu'elle le caresse plus tendrement et qu'elle pouvait si bien se venger ? Oui, nous dit ce saint prophète, voilà la manière dont Dieu traite le pécheur au milieu même de ses plus grands désordres. Oui, nous dit-il encore, le Seigneur vous aime tant, quoique pécheurs, qu'il vous porte entre ses mains jusque dans votre vieillesse. Non, non, dil-il, quand une mère aurait le courage d'abandonnor son enfant (Is. XLIX, 15.), pour moi je ne pourrais jamais abandonner une de mes créatures.
Hélas ! M. F., rien de plus facile à concevoir. Dieu ne semble-t-il pas fermer les yeux sur nos péchés ? Ne voit-on pas, tous les jours, des pécheurs qui ne semblent vivre que pour l'outrager, et qui font tous leurs efforts pour perdre les autres, soit par leurs mauvais exemples, soit par leurs railleries, soit par leurs paroles déshonnêtes ? Ne semblerait-il pas que l'enfer les a envoyés pour arracher ces âmes d'entre les mains de Dieu même, pour les jeter en enfer ? Vous en convenez tous avec moi. Eh bien ! Dieu n'a-t-il pas soin de ces malheureux qui ne vivent que pour le faire souffrir et lui ravir des âmes ? Ne fait-il pas pour eux tout ce qu'il fait pour les plus justes ? Ne commande-t-il pas au soleil de les éclairer, à la terre de les nourrir ? Aux animaux, les uns, de les nourrir, les autres, de les vêtir, ou de les soulager dans leurs travaux ? Ne commande-t-il pas à tous les hommes de les aimer comme eux-mêmes ? Oui, M. F., il semble que Dieu, de son côté, s'épuise à nous faire du bien pour gagner notre amour, et d'un autre côté, il semble que le pécheur emploie tout ce qui est en lui pour faire la guerre à Dieu et le mépriser ! O mon Dieu ! que l'homme est aveugle ! qu'il connait peu ce qu'il fait en péchant, en se révoltant contre un si bon père, un ami si charitable !
En déplorant notre aveuglement, que devons-nous conclure de tout cela, chrétiens ? C'est que, si Dieu est si bon que de nous donner l'espérance d'une nouvelle année, nous devons faire tout ce que nous pourrons pour la passer saintement, et que, pendant cette année, nous pouvons encore gagner l'amitié de notre Dieu, réparer le mal que nous avons fait, non seulement cette année qui vient, de passer, mais dans toute notre vie, et nous assurer une éternité de bonheur, de joie et de gloire. Oh ! si l'année prochaine nous avions le bonheur de pouvoir dire que cette année a été toute pour le bon Dieu ! Quel trésor nous aurions amassé ! C'est ce que je .....
(1) Les veilles, les veillées, dans les Dombes et dans d'autres campagnes, sont des réunions organisées pendant les soirées d'hiver, pour faire en commun et plus gaîment quelques travaux faciles.
Mais, comme dit le Saint Curé d'Ars, « ces assemblées nocturnes sont ordinairement l'école où les jeunes gens perdent toutes les vertus de leur âge et apprennent toutes sortes de vices ».
(2) Dans certaines contrées, les veillées se faisaient dans les écuries, où l'haleine et la chaleur naturelle des animaux entretenaient une douce atmosphère.
(3) On peut citer, entre autres exemple, celui d'Achab et de Jézabel qui furent punis dans le champ même de Naboth, qu'ils y avaient fait lapider : Haec dicit Dominus : In loco hoc, in quo linxerunt canes sanguinem Nahoth, lambent quoque sanguinem tuum... Canes comedent Jezabel in agru Jezrael, » II Reg., XXI, 19, 23.