PREMIER DIMANCHE DE CARÊME
 

(PREMIER SERMON)

Sur les tentations

Ductes est Jesus in desertum a Spiritu Sancto, ut tentaretur a diabolo.
Jésus fut conduit dans le désert par le Saint-Esprit pour y être tenté par le démon. (S. Matth., IV, 1.)


Que Jésus-Christ, M. F., choisisse le désert pour y prier, cela ne doit pas nous étonner, puisque la solitude faisait ses délices ; qu'il y soit conduit par le Saint-Esprit, cela doit encore moins nous surprendre, parce que le Fils de Dieu ne pouvait avoir que le Saint-Esprit pour conducteur. Mais qu'il soit tenté par le démon, qu'il soit emporté plusieurs fois par cet esprit de ténebres, qui oserait le croire, si ce n'était Jésus-Christ lui-même qui nous le dit par la bouche de saint Matthieu ? Cependant, M. F. bien loin de nous en étonner, au contraire, nous devons nous en réjouir et en remercier infiniment ce bon Sauveur, qui n'a voulu être tenté que pour nousmériter la victoire dans nos tentations. Que nous sommes heureux, M. F. Depuis que ce tendre Sauveur a voulu être tenté, nous n'avons qu'à vouloir être victorieux pour vaincre. Voilà, M. F., les grands avantages que nous retirons de la tentation du Fils de Dieu.

Quel est mon dessein, M. F. ? Le voici : c'est de vous montrer : 1 ° que la tentation nous est très nécessaire pour nous faire connaître ce que nous sommes ; 2° que nous devons grandement craindre la tentation, parce que le démon est très fin et très rusé, et qu'une seule tentation peut nous jeter en enfer, si nous avons le malheur de succomber ; 3° que nous devons combattre vigoureusement jusqu'à la fin, parce que ce n'est qu'à cette condition que le ciel nous sera donné.

Vouloir, M. F., vous prouver qu'il y a des démons pour nous tenter ; il faudrait supposer que je parle à des idolâtres ou à des païens, ou, si vous voulez, à des chrétiens enveloppés dans l'ignorance la plus crasse et la plus misérable ; ce serait me persuader que vous n'avez jamais su votre catéchisme. On vous a demandé, dès votre enfance, si tous les anges sont demeurés fidèles à Dieu ? Vous avez répondu que non ; qu'une partie s'est révoltée contre Dieu, a été chassée du ciel et précipitée en enfer. L'on vous a encore demandé : Quelle est l'occupation de ces anges rebelles ? Vous avez dit que c'était de tenter les hommes, et de faire tous leurs efforts pour les porter au mal ; j'ai des preuves plus avantageuses que vous de tout cela. Vous savez que ce fut le démon qui tenta nos premiers parents dans le paradis terrestre (Gen. III. 1.), où il remporta sa première victoire : ce qui le rendit si fier et si orgueilleux. Ce fut le démon qui tenta Caïn, qui le porta à tuer son frère Abel (Gen. IV, 8.). Nous lisons dans l'Ancieil Testament (Job, I, 7.) que le Seigneur dit à Satan : « D'où viens-tu ? » - « Je viens, lui répondit le démon, de faire le tour du monde. » preuve bien forte, M. F., que le démon roule sur la terre pour nous tenter. Nous lisons dans l'Évangile que Madeleine ayant confessé ses péchés à Jésus-Christ, il sortit sept démons de son corps (Luc. VIII, 2.). Nous voyons encore, dans un autre endroit de l'Évangile, que l'esprit impur étant sorti du corps d'une personne, dit : « J'y reviendrai avec d'autres démons encore plus méchants que moi (Luc, VI, 26.). » Tout ceci, M. F., n'est pas ce qui vous est le plus nécessaire à savoir ; personne n'a le moindre doute là-dessus ; mais ce qui vous est le plus avantageux, c'est de vous bien faire comprendre la manière dont le démon peut vous tenter.

Pour bien vous convaincre de la nécessité de repousser la tentation, demandez à tous les chrétiens réprouvés pourquoi est-ce qu'ils sont allés en enfer, eux qui n'étaient créés que pour le ciel : tous vous répondront que c'est parce qu'étant tentés, ils ont succombé à la tentation. Aller encore demander à tous les saints qui règnent dans le ciel, qui leur a procuré ce bonheur ; tous vous diront : C'est qu'étant tentés, nous avons, avec la grâce de Dieu, résisté à la tentation et méprisé le tentateur. - Mais, me direz-vous peut-être, qu'est-ce donc que d'être tentés ? - Mon ami, le voici ; écoutez-le bien, et vous verrez, vous comprendrez : toutes les fois que le démon vous tente, c'est de faire une chose que le bon Dieu vous défend, ou de ne pas faire ce qu'il vous ordonne ou vous commande. Le bon Dieu veut que vous fassiez bien vos prières le matin et le soir, à genoux, avec un grand respect. Le bon Dieu veut que vous passiez saintement le saint jour du dimanche à prier, c'est-à-dire à assister à tous les offices (1) ; que vous ne travailliez nullement, pas plus que si vous étiez à l'agonie. Le bon Dieu veut que les enfants respectent grandement leurs pères et mères ; les domestiques, leurs maîtres. Le bon Dieu veut que vous aimiez tout le monde, que vous fassiez du bien à tout le monde, sans aucune préférence (2), même à vos ennemis ; que vous ne fassiez jamais gras les jours défendus ; que vous ayez un grand zèle à vous instruire de vos devoirs ; que vous pardonniez de bon coeur à ceux qui vous ont fait quelque injure. Le bon Dieu veut que vous ne disiez jamais de jurements, de médisances, de calomnies, de paroles sales, que vous ne fassiez jamais d'actions honteuses : ceci est bien aisé à comprendre.

Si, malgré que le démon vous tente de faire ce que le bon Dieu vous défend, vous ne le faites pas, alors vous ne succombez pas à la tentation ; si vous allez faire ce qu'il vous défend, alors vous succomberez à la tentation. Ou, si vous voulez encore mieux le comprendre, avant de consentir à ce que le démon voudra vous inspirer de faire, pensez si, à l'heure de la mort, vous voudriez l'avoir fait, et vous verrez que votre conscience criera.

Savez-vous, M. F., pourquoi est-ce que le démon est si en fureur, pour nous porter au mal ? Le voici : C'est, que, ne pouvant pas mépriser Dieu par lui-même, il le fait mépriser par ses créatures. Mais, que nous sommes heureux, M. F. ! quel bonheur pour nous d'avoir un Dieu pour notre modèle ! Sommes-nous pauvres, nous avons un Dieu qui naît dans une crèche, couché sur une poignée de paille. Sommes-nous méprisés, nous avons un Dieu qui marche devant nous, qui a été couronné d'épines, revêtu d'un vil manteau d'écarlate et traité comme un fou. Sommes-nous dans les souffrances, nous avons devant nos yeux un Dieu tout couvert de plaies, et qui meurt de la manière la plus douloureuse, que jamais nous ne pourrons comprendre. Sommes-nous persécutés, eh bien ! M. F., comment pourrons-nous oser nous plaindre, puisque nous avons un Dieu qui meurt pour ses propres bourreaux ? Mais sommes-nous tentés par le démon, nous avons notre aimable Rédempteur qui a été tenté par le démon, emporté deux fois par cet esprit infernal ; de sorte, M. F., que, dans quelque état de souffrances, de peines ou de tentations que nous nous trouvions, nous avons partout et toujours notre Dieu qui marche devant, nous, nous assurant la victoire toutes les fois que nous le désirons.

Voilà, M. F., ce qui doit grandement consoler un chrétien ; en pensant que toutes les fois qu'étant tenté, il aura recours à Dieu, il est sûr de ne pas succomber à la tentation.

1.- Nous avons dit que la tentation nous était nécessair pour nous faire sentir que nous ne sommes rien de nous-mêmes. Saint-Augustin nous dit que nous devons autant remercier le bon Dieu des péchés dont il nous a préservés que de ceux qu'il a eu la charité de nous pardonner. Si nous avons le malheur de tomber si souvent dans les pièges du démon, c'est que nous nous refions trop sur nos résolutions et sur nos promesses, pas assez sur le bon Dieu. Cela est très véritable. Lorsque rien ne nous chagrine, et que tout va selon nos désir, nous osons croire que rien ne nous pourra faire tomber ; nous oublions notre néant et notre pauvre faiblesse ; nous faisons les plus helles protestations, que nous sommes prêts à mourir plutôt que de nous laisser vaincre. Nous en voyons un bel exemple dans saint Pierre, qui disait au bon Lieu : « Quand même tous les autres vous renieraient, pour moi, je ne le ferai jamais (Math, XXVI, 33.). » Helas ! le bon Dieu, pour lui montrer combien l'homme livré à lui-même est peu de chose, ne se servit pas des rois, ni des princes, ni des armes, mais de la seule voix d'une servante, qui paraissait même lui parler d'une manière fort indifférente. Tout à l'heure, il était prêt à mourir pour lui, et maintenant il assure qu'il ne le connaît pas, qu'il ne sait pas de qui on veut lui parler ; pour mieux les assurer qu'il ne le connaissait pas, il en fait serment. Mon Dieu, de quoi nous sommes capables, livrés à nous-mêmes ! Il y en a qui, à leur langage, semblent porter envie aux saints qui ont fait de grandes pénitences ; ils croient qu'ils en pourraient bien faire autant. En lisant la vie de quelques martyrs, nous serions, disons-nous, prêts à tout souffrir cela pour le bon Dieu. Ce moment est bientôt passé, disons-nous, pour une éternité de récompense. Mais que fait le bon Dieu pour un peu nous apprendre à nous connaître, ou plutôt, nous montrer que nous ne sommes rien ? Le voici : il permet au démon de s'approcher un peu plus près de nous. Écoutez ce chrétien, qui, tout à l'heure, portait envie aux solitaires qui ne vivent que de racines et d'herbes, qui prenait la grande résolution de traiter si durement son corps ; hélas ! un petit mal de tête, une piqûre d'épingle le fait plaindre aussi gros qu'il est : il se tourmente, il crie, tout à l'heure il aurait voulu faire toutes les pénitences des anachorètes, et un rien le désespère. Voyez cet autre, qui semble vouloir donner volontiers toute sa vie pour le bon Dieu, que tous les tourments ne sont pas capables d'arrêter : une petite médisance, une calomnie, même un air un peu froid, une petite injustice qu'on lui a faite, un bienfait payé d'ingratitude fait de suite naître dans son âme des sentiments de haine, de vangeance, d'aversion, au point souvent de ne vouloir plus voir son prochain ou du moins, d'une manière froide, avec un air qui montre bien ce qui se passe dans son coeur ; et combien de fois en s'éveillant c'est sa première pensée, qui va jusqu'à l'empêcher de dormir. Hélas ! M. F., que nous sommes peu de chose et que nous devons peu compter sur toutes nos belles résolutions !

Vous voyez donc que rien n'est plus nécessaire que la tentation pour nous tenir renfermés dans notre néant, et pour nous empêcher de nous laisser dominer par l'orgueil. Écoutez ce que nous dit saint Philippe de Néri, qui, considérant combien nous sommes faibles et en danger de nous perdre a chaque instant, disait au bon Dieu en versant des larmes : « Mon Dieu, tenez-moi bien, vous savez que je suis un traître, vous connaissez combien je suis mauvais : si vous me quittez un instant, je crains de vous trahir. »

Mais, peut-être pensez-vous, qui sont donc ceux qui sont les plus tentés : ce sont sans doute les ivrognes, les médisants et les impudiques qui se jettent à corps perdu dans leurs ordures, un avare, qui prend de toutes manières ? Non, M. F., non, ce ne sont pas ceux-là ; au contraire, le démon les méprise, ou bien il les retient, crainte qu'ils ne fassent pas le mal assez longtemps, parce que, plus ils vivront, plus leurs mauvais exemples traînent d'âmes en enfer. En effet, si le démon avait pressé fortement ce vieux impudique, qu'il ait abrégé ses jours de quinze ou vingt ans, il n'aurait pas enlevé la fleur de la virginité à cette jeune fille en la plongeant dans le plus infâme bourbier de ses impudicités, il n'aurait pas encore séduit cette femme, ou il n'aurait pas appris le mal à ce jeune homme, qui peut-être le continuera jusqu'à la mort. Si le démon avait porté ce voleur à piller en toute rencontre, depuis longtemps il serait conduit sur l'échafaud, il n'aurait pas porté son voisin à faire comme lui. Si le démon avait sollicité cet ivrogne à se remplir sans cesse de vin, depuis longtemps il aurait péri dans sa crapule ; au lieu qu'en prolongeant ses jours, il en a rendu plusieurs semblables à lui. Si le démon avait ôté la vie à ce musicien, à ce teneur de bal, à ce cabaretier dans une battue ou d'autres occasions, combien qui, sans toutes ces gens, ne seraient pas damnés et qui le seront. Saint Augustin nous apprend que le démon ne tourmente pas beaucoup ces personnes, au contraire, il les méprise et leur crache dessus.

Mais, me direz-vous, qui sont donc ceux qui sont les plus tentés ? Mon ami, le voici, écoutez-le bien. Ce sont ceux qui sont prêts, avec la grâce de Dieu, de tout sacrifier pour le salut de leur pauvre âme ; qui renoncent à tout ce que sur la terre on recherche avec tant d'empressement. Ce n'est pas seulement un démon qui les tente, mais des millions qui leur tombent dessus pour les faire tomber dans leurs pièges : en voici un bel exemple. Il est rapporté dans l'histoire que saint Frattçois d'Assise était rassemblé avec tous ses religieux dans un grand champ où l'on avait bâti de petites maisons de jonc. Saint François, voyant qu'ils faisaient des pénitences si extraordinaires, leur commande d'apporter tous, leurs instruments de pénitence ; l'on en fit comme des monceaux de paille. Dans ce moment, il y avait un jeune homme à qui le bon Dieu fit la grâce de lui rendre son ange gardien visible : d'un côté, il voyait tous ces bons religieux qui ne pouvaient pas assez se rassasier de pénilences ; d'un autre côté, son bon ange gardien lui fit voir une assemblée de dix-huit mille démons, qui tenaient conseil de la manière dont ils pourraient renverser ces religieux par la tentation. Il y en eut un qui dit : « Vous n'y comprenez rien, ces religieux sont si humbles, ah ! belle vertu ! si détachés deux-mêmes, si attachés à Dieu ; ils ont un supérieur qui les conduit si bien qu'il est impossible de pouvoir les vaincre ; attendons que le supérieur soit mort, alors nous tâcherons d'introduire des jeunes gens sans vocation qui porteront le relâchement, et par ce moyen nous les aurons. Un peu plus loin, en entrant dans la ville il vit un démon seul, qui était assis sur les portes de la ville pour tenter ceux qui étaient dedans. Ce saint demanda à son ange gardien, pourquoi est-ce que, pour tenter tous ces religieux, il y avait tant de mille de démons, tandis que pour toute une ville, il n'y en avait qu'un, encore était-il assis ? Son bon ange lui répondit que les gens du monde n'avaient pas même besoin de tentations, qu'ils se portaient assez d'eux-mêmes au mal, tandis que le, religieux faisaient bien, malgré tous les pièges et les cotttbats que le démon pouvait leur livrer (3).

Voici, M. F., la première tentation que le démon donne à une personne qui a commence à mieux servir le bon Dieu : c'est le respect humain. Elle n'osera plus paraître, elle se cache des personnes avec lesquelles elle avait autrefois pris ses plaisirs ; si on lui dit qu'elle a donc bien changé : elle en a honte ! Ce qu'en dira-t-on est toujours dans sa tête, de sorte qu'elle n'a plus la force de faire le bien devant le monde. Si le démon ne peut plus la gagner par le respect humain, il fait naître en elle une crainte extraordinaire : que ses confessions ne sont pas bonnes, que son confesseur ne la connaît pas, qu'elle aura beau faire, qu'elle sera tout de même damnée : qu'elle gagne autant de tout laisser que de continuer, parce qu'elle a trop d'orcasions. Pourqnoi est-ce, M. F., que quand une personne ne pense pas à sauver son âme, qu'elle vit dans le péché, elle n'est rien tentée ; mais dès qu'elle veut changer de vie, c'est-à-dire qu'elle le désire pour se donner au bon Dieu, tout l'enfer lui tombe dessus ? Écoutez ce que saint Augustin va vous dire : « Voilà, nous dit-il, la manière dont le démon se comporte envers le pécheur : il fait comme un geôlier qui a plusieurs prisonniers renfermés dans sa prison ; mais qui, tenant la clef dans sa poche, les laisse bien tranquilles, convaincu qu'ils ne peuvent pas sortir. Voilà sa manière d'agir envers un pécheur qui ne pense pas à sortir du péché : il ne se met pas en peine de le tenter ; il regarde ce temps comme un temps perdu, parce que non seulement il ne pense pas à le quitter, mais il ne fait qu'aggraver ses chaînes : ce serait donc inutile de le tenter, il le laisse vivre en paix, si toutefois l'on peut être en paix dans le péché. Il lui cache, autant qu'il lui est possible, son état jusqu'à la mort, où il tâche de lui faire la peinture la plus effrayante de sa vie pour le jeter dans le désespoir. Mais une personne qui a résolu de changer de vie pour se donner au bon Dieu, c'est bien autre chose. » Tant que saint Augustin vécut dans le désordre, il ne s'aperçut presque rien de ce que c'était que d'être tenté. Il se croyait en paix, comme il le raconte lui-même ; mais dès le moment qu'il voulut tourner le dos au démon, il fallut se battre avec le démon, jusqu'à en perdre la respiration : et cela pendant cinq ans ; il employa les larmes les plus amères, les pénitences les plus austères. « Je me débattais avec lui, dit-il, dans mes chaînes. Un jour je me croyais victorieux, le lendemain j'étais par terre. Cette guerre cruelle et opiniâtre dura cinq ans. Cependant, dit-il, le bon Dieu me fit la grâce d'être victorieux de mon ennemi (Voir les Confessions du saint docteur). » Voyez encore les combats qu'éprouva saint Jérôme lorsqu'il voulut se donner au bon Dieu, et qu'il eut la pensée d'aller visiter la Terre-Sainte. Étant à Rome, il conçut un nouveau désir de travailler à son salut. En quittant Rome, il va s'ensevelir dans un affreux désert pour se livrer à tout ce que son amour pour le bon Dieu pourrait lui inspirer. Alors le démon, qui prévoyait combien cette conversion en ferait d'autres, semblait crever de désespoir. Il n'y eut sorte de tentation qu'il ne lui livrât. Je ne crois pas qu'il y ait eu un saint qui ait été si fortement tenté que lui. Voici comment il écrivait à un de ses amis (Epist. 22a ad Eustochium.) : « Mon cher ami, je viens vous faire part de mon affliction et de l'état où le démon veut me réduire. Combien de fois, dans cette vaste solitude que les ardeurs du soleil rendent insupportables, combien de fois les plaisirs de Rome sont venus m'assaillir ; la douleur et l'amertume dont mon âme est remplie me fait verser, nuit et jour, des torrents de larmes. Je vais me cacher dans les lieux les plus écartés pour combattre mes tentations et y pleurer mes péchés. Mon corps est tout défiguré et couvert d'un rude cilice. Je n'ai point d'autre lit que la terre nue, et pour toute nourriture que des racines crues et de l'eau, même dans mes maladies. Malgré toutes ces rigueurs, mon corps ressent encore la pensée des plaisirs infâmes dont Rome est infectée ; mon esprit se trouve au milieu de ces belles compagnies où j'ai tant offensé le bon Dieu. Dans ce désert auquel je me suis condamné moi-même pour éviter l'enfer, entre ces sombres rochers, où je n'ai point d'autres compagnies que les scorpions et les bêtes farouches, cependant, malgré toutes ces horreurs dont je suis environné et effrayé, mon esprit brûle encore d'un feu impur mon corps, déjà mort avant moi-même ; le démon ose encore lui offrir des plaisirs à goûter. Me voyant si humilié par des tentations dont la seule pensée me fait mourir d'horreur, ne sachant plus quelle rigueur je dois exercer sur mon corps pour le tenir au bon Dieu, je me jette par terre au pied de mon crucifix, en l'arrosant de mes larmes, et lorsque je ne peux plus pleurer, je prends des pierres, je me frappe la poitrine jusqu'à ce que le sang me sorte par la bouche, en criant miséricorde, jusqu'à ce que le Seigneur ait pitié de moi. Qui pourra comprendre combien mon état est misérable, désirant si ardemment de plaire au bon Dieu et de n'aimer que lui seul ? Me voyant sans cesse porté à l'offenser, quelle douleur pour moi ! Aidez-rnoi, mon cher ami, du secours de vos prières, afin que je sois plus fort pour repousser le démon, qui a juré ma perte éternelle. »

Voilà, M. F., les combats auxquels le bon Dieu permet que ses grands saints soient exposés. Hélas ! M. F., que nous sommes a plaindre, si nous ne sommes pas fortement combattus par le démon ! Selon toute apparence, nous sommes les amis du démon : il nous laisse vivre dans une fausse paix, il nous a endormis sous prétexte que nous avons fait quelques bonnes prières, quelques aumônes, que nous avons moins fait de mal que d'autres. Selon nous, en effet, M. F., si vous demandez à cette colonne de cabaret si le démon le tente, il vous dira tout simplement que non, que rien ne le tourmente. Demandez à cette fille de vanité, quels sont ses combats ? Elle vous répondra en riant qu'elle n'en a point, qu'elle ne sait pas même ce que c'est que d'être tentée. Voilà, M. F., la tentation la plus effroyable, qui est de n'être pas tenté : voilà l'état de ceux que le démon conserve pour l'enfer. Si j'osais, je vous dirais qu'il prend bien garde de les tenter et de les tourmenter sur leur vie passée, crainte de leur faire ouvrir les yeux sur leurs péchés.

Je dis donc, M. F., que le plus grand de tous les malheurs pour les chrétiens, c'est de n'être pas tentés puisqu'il y a lieu de croire que le démon les regarde comme lui appartenant, et qu'il n'attend que la mort pour les traîner en enfer. Rien n'est plus facile à concevoir. Voyez un chrétien qui cherche tant soit peu le salut de son âme : tout ce qui l'environne le porte au mal ; il ne peut souvent pas même lever les yeux sans être tenté, malgré toutes ses prières et ses pénitences ; et un vieux pécheur qui, peut-être depuis vingt ans, se roule et se traîne dans ses ordures, il dira qu'il n'est pas tenté. Tant pis, mon ami, tant, pis ! C'est précisément ce qui doit vous faire trembler, c'est que vous ne connaissez pas les tentations ; parce que, dire que vous n'êtes pas tenté, c'est comme si vous disiez qu'il n'y a plus de démon ou qu'il a perdu toute sa rage contre les chrétiens. « Si vous m'avez point de tentations, nous dit Saint Grégoire, c'est que les démons sont vos amis, vos conducteurs et vos pasteurs ; en vous laissant passer tranquillement votre pauvre vie, à la fin de vos jours, ils vous traîneront dans les abîmes. » Saint Augustin nous dit que la plus grande tentation, c'est de ne point avoir de tentation, parce que c'est être une personne réprouvée, abandonnée du bon Dieu et livrée entre les mains de ses passions.

II. - En second lien, nous avons dit, que la tentation nous est absolument nécessaire pour nous tenir dans l'humilité et la défiance de nous-mêmes, et pour nous obliger à avoir recours au bon Dieu. Nous lisons dans l'histoire qu'un solitaire étant extrêmement tenté par le démon, son supérieur lui dit : « Mon ami, voulez-vous que je demande au bon Dieu de vous délivrer de vos tentations ? » - « Non, mon père, lui répondit le solitaire, parce que cela fait que je ne perds presque jamais la présence du bon Dieu, puisque j'ai toujours besoin d'avoir recours à lui pour m'aider à combattre. » Cependant, M. F., nous pouvons dire que, quoiqu'il soit bien humiliant d'être tenté, c'est la marque la plus sûre que nous sommes dans le chemin du ciel. Il ne nous reste qu'une seule chose, c'est de combattre avec courage, parce que la tentation est un temps de moisson : en voici un bel exemple. Nous lisons dans l'histoire qu'une sainte était depuis longtemps tellement tourmentée par le démon, qu'elle se croyait réprouvée. Le bon Dieu lui apparut pour la consoler et lui dit qu'elle avait plus gagné depuis cette épreuve que dans tous les autres temps de sa vie. Saint Augustin nous dit que, sans les tentations, tout ce que nous faisons serait de peu de mérite ; bien loin de nous tourmenter dans la tentation, au contraire, nous devons remercier le bon Dieu et combattre avec courage, parce que nous sommes sûrs d'être toujours victorieux, et que jamais le bon Dieu ne permettra au démon de nous tenter au-dessus de nos forces.

Mais, ce qu'il y a de sûr, M. F., c'est que nous devons nous attendre à n'être plus tentés que quand nous serons morts ; le démon étant un esprit, il ne se lasse jamais : après nous avoir tentés pendant cent mille ans, il est aussi fort, aussi en fureur que si c'était la première fois. Nous ne devons point croire que nous puissions vaincre le démon, le fuir, pour n'être plus tentés : puisque le grand Origène nous dit que les démons sont si nombreux, qu'ils surpassent les atomes qui sont dans les airs, les gouttes d'eau qui composent les mers, pour nous montrer que le nombre en est infini. Saint Pierre nous dit : « Veillez sans cesse, car le démon rôde autour de vous comme un lion rugissant, qui cherche à dévorer quelqu'un (I Petr., V, 8.). » Jésus-Christ nous dit lui-même : « Priez sans cesse, pour ne pas succomber à la tentation (Matth., XXVI, 41.) ; » c'est-à-dire que le démon nous attend partout. De même, il faut nous attendre à être tentés, dans quelque endroit et dans quelque état que nous soyons. Voyez ce saint homme qui était tout couvert de plaies, ou plutôt tout pourri ; le démon ne laissa pas de le tenter pendant sept ans ; sainte Marie Egyptienne, pendant dix-neuf ans ; saint Paul, pendant toute sa vie, c'est-à-dire, depuis le moment qu'il se donna au bon Dieu. Saint Augustin, pour nous consoler, nous dit que le démon est un gros chien à l'attache, qui aboie, qui fait grand bruit, mais qui ne mord que ceux qui s'approchent trop de près. Un saint prêtre trouva un jeune homme qui était bien tourmenté ; il lui demanda pourquoi il se tourmentait tant. Hélas ! mon père, lui dit-il, je crains d'être tenté et de succomber. Vous sentez-vous tenté, dit-il, faites un signe de croix, une élévation de votre coeur vers le bon Dieu ; si le démon continue, continuez aussi, et vous êtes sûr de ne pas souiller votre âme. Voyez ce que fit saint Macaire, qui venant chercher de quoi faire des nattes, rencontra en son chemin un démon avec une faux toute en feu qui lui courait dessus comme pour le tuer et l'écraser. Saint  Macaire sans s'étonner éleva son coeur vers Dieu. Le démon en fut si en fureur, qu'il s'écria : « Ah ! Macaire, que tu me fais souffrir de ne pouvoir te maltraiter ! Cependant tout ce que tu fais, je le fais aussi bien que toi : si tu veilles, moi je ne dors rien ; si tu jeûnes, moi je ne mange jamais ; il n'y a qu'une chose que tu as, que je n'ai pas moi-même. Le saint lui demanda ce que c'était ; il lui répondit : « C'est l'humilité ; » et il disparut. Oui, M. F., l'humilité est une vertu redoutable au démon. Aussi, nous voyons que quand saint Antoine était tenté, il ne faisait que s'humilier profondément, en disant, à Dieu : « Mon Dieu, ayez pitié de ce grand pécheur ; » de suite le démon prenait la fuite.

III.- Nous avons dit, troisièmement, que le démon se déchaine contre les personnes qui ont vraiment à coeur leur salut, et il les poursuit continuellement, vigoureusement, toujours dans l'espérance de les vaincre : en voici un bel exemple. Il est rapporté qu'un jeune solitaire, déjà depuis plusieurs années, avait quitté le monde pour ne penser qu'à sauver son âme. Le démon en fut si en fureur, qu'il semblait à ce pauvre jeune homme que tout l'enfer lui était après. Cassien, qui rapporte cet exemple, nous dit que ce solitaire étant tourmenté de tentations d'impureté, après bien des larmes et des pénitences, il lui vint la pensée d'aller trouver un ancien solitaire pour se consoler, espérant qu'il lui donnerait des remèdes pour mieux vaincre son ennemi, et, surtout pour se recommander à ses prières. Mais il en arriva tout autrement : Ce vieillard, qui avait passé sa vie presque sans combats, bien loin de consoler ce jeunne homme, lui témoigna une extrême surprise au récit qu'il lui fit de ses tentations, le reprit avec aigreur, lui dit des paroles dures, en l'appelant infâme, malheureux, et lui disant qu'il était indigne de porter le nom de solitaire, puisqu'il lui arrivait de semblables choses. Ce pauvre jeune homme s'en alla si désolé, qu'il se crut perdu et damné, et se laissa aller au désespoir. Il se disait à lui-même : « Puisque je suis damné, il ne faut plus résister, ni combattre, il faut m'abandonner à tout ce que le démon voudra ; cependant le bon Pieu sait que je n'ai quitté le monde que pour l'aimer et sauver mon âme. Pourquoi, mon Dieu ! disait-il dans son désespoir, m'avez-vous si peu donné de forces ? Vous savez que je veux vous aimer, puisque j'ai tant de crainte et de douleur de vous déplaire ; et pourtant vous ne m'en donnez pas la force et vous me laissez tomber ! Puisque tout est perdu pour moi, que je n'ai plus le moyen de me sauver, je vais retourner dans le monde. »

Comme, dans cc désespoir, il sortait déjà dc sa solitude, il y avait dans le même désert un saint abbé nommé Apollon, qui était, en grande réputation de sainteté à qui le bon Dieu fit connaitre l'état de son âme ; il alla à sa rencontre ; le voyant si troublé, et s'étant approché de lui, il lui demanda avec beaucoup de douceur ce qu'il avait et quelle était la cause de son égarement et de la tristesse qui paraissait sur son visage. Mais ce pauvre jeune homme était si profondément enseveli dans ses pensées, qu'il ne répondit rien. Le saint abbé, qui voyait le désordre de son âme, le pressa tant de lui dire ce qui l'agitait de la sorte, d'où venait qu'il sortait de sa solitude, et quel était le but qu'il se proposait dans son chemin, que, voyant, que son état était à découvert à ce saint abbé, malgré qu'il le cachait autant qu'il le pouvait, ce jeune homme lui dit en versant des larmes en abondance et poussant les sanglots les plus attendrissants : « Je retourne dans le monde, parce que je suis damné ; je n'ai plus d'espérance de pouvoir me sauver. Je suis allé trouver un vieillard qui a été bien scandalisé de ma vie. Puisque j'étais si malheureux de ne pouvoir plaire à Dieu, j'ai résolu d'abandonner ma solitude pour retourner dans le monde où je vais m'abandonner à tout ce que le démon voudra. J'ai cependant bien versé tant des larmes, je voudrais ne pas offenser le bon Dieu ; je voulais bien me sauver, j'avais un grand plaisir à faire pénitence ; mais je n'ai pas assez de force, je ne vais pas plus loin. » Le saint abbé l'entendant parler et le voyant pleurer, lui dit, mêlant ses larmes avec les siennes : « Ah ! mon ami, vous ne voyez donc pas que, bien loin d'avoir offensé le bon Dieu, au contraire, c'est précisément parce que vous lui êtes bien agréable, que vous êtes tenté de la sorte. Consolez-vous, mon cher ami, et reprenez courage, le démon vous croyait vaincu ; mais au contraire, vous allez le vaincre ; retournez au moins jusqu'à demain dans votre cellule. Ne perdez pas courage, mon ami ; je suis moi-même tous les jours tenté de la même manière que vous. Ce n'est pas sur nos forces que nous devons compter, mais sur la miséricorde du bon Dieu : Je vais vous aider à vaincre en priant avec vous. O mon ami ! il est trop bon pour nous abandonner à la fureur de nos ennemis sans nous donner la force pour les vaincre, c'est le bon Dieu, mon cher ami, qui m'envoie pour vous consoler et vous dire de ne pas vous perdre : vous allez être délivré. » Ce pauvre jeune homme, déjà tout consolé, retourna dans sa solitude, en se jetant, entre les bras de la miséricorde de Dieu, disant : « Je croyais que vous vous étiez retiré de moi pour toujours. »

Pendant ce temps-là, Apollon va auprès de la cellule de ce vieillard qui avait si mal reçu ce pauvre jeune homme, se prosterne la face contre terre en disant « Seigneur, mon Dieu, vous connaissez nos faiblesses délivrez, s'il vous plaît, ce jeune homme de ses tentations qui le découragent ; vous voyez les larmes qu'il a versées par la peine qu'il avait de vous avoir offensé. Faites passer la même tentation à ce vieillard, afin qu'il apprenne à avoir pitié de ceux que vous permettez qu'ils soient tentés. » A peine eût-il achevé sa prière, qu'il vit le démon en forme d'un petit nègre hideux qui lançait une flèche de feu impur à la cellule du vieillard, qui n'en eût pas plus tôt senti l'atteinte, que le voilà dans une agitation épouvantable qui ne lui donnait aucune relâche. Il se lève, il sort, il rentre. Aprés avoir fait assez longtemps la même chose, enfin, pensant que jamais il ne pourrait combattre, il fait comme le jeune solitaire, et prend la résolution de s'en aller dans le monde, puisqu'il ne pouvait plus résister au démon ; il dit adieu à sa cellule et part. Le saint abbé, qui l'observait sans que l'autre s'en aperçut (le bon Dieu lui fit connaître que la tentation du jeune homme avait passé au vieillard), s'étant approché de lui, lui demande où il va, et d'où vient qu'il oublie la gravité de son âge, paraissant si agité ; que sans doute il avait quelque inquiétude sur le salut de son âme. Le vieillard vit bien que le bon Dieu lui faisait connaître ce qui se passait au-dedans de lui-même. « Retournez, mon ami, lui dit le saint, rappelez-vous bien que cette tentation ne vous est arrivée dans votre vieillesse qu'afin que vous appreniez à compatir aux infirmités de vos frères, et à les consoler dans leurs infirmités. Vous aviez découragé ce pauvre jeune homme qui est allé vous faire part de ses peines ; au lieu de le consoler vous alliez le jeter au désespoir ; sans une grâce extraordinaire, il aurait été perdu. Savez-vous, mon père, pourquoi le démon avait livré une guerre si opiniâtre et si cruelle à ce pauvre jeune homme, c'est qu'il apercevait en lui de grandes dispositions pour la vertu, ce qui le piquait d'un vif sentiment de jalousie et d'envie, et qu'une vertu si ferme ne pouvait être vaincue qu'après une tentation trop forte et trop violente. Apprenez à avoir compassion des autres, à leur tendre la main pour ne pas les laisser tomber. Si le démon vous a laissé tranquille, malgré tant d'années de solitude, c'est qu'il voyait en vous peu de bien : au lieu de vous tenter, il vous méprise. »

D'après cet exemple, nous voyons que bien loin de nous décourager dans les tentations, au contraire, nous devons nous consoler et même nous réjouir, parce qu'il n'y a de tentés que ceux que le démon prévoit que leur manière de vivre leur gagnera le ciel. D'ailleurs, M. F., nous devons bien être persuadés qu'il est impossible de vouloir plaire au bon Dieu et sauver son âme sans être tenté. Voyez Jésus-Christ : après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il fut bien tenté et emporté deux fois par le démon, lui qui était la sainteté même (Matth., IV.).

Je ne sais pas, M. F., si vous comprenez bien ce que c'est qu'une tentation. Ce n'est pas seulement une mauvaise pensée d'impureté ou de haine ou de vengeance qu'il faut rejeter, mais ce sont tous les ennuis qui nous arrivent : comme une maladie où nous sommes porté à nous plaindre, une calomnie qu'on fait contre nous, une injustice qu'on nous fait, une perte de biens, d'un père, d'une mère, ou d'un enfant. Si nous ne nous soumettons pas volontiers à la volonté du bon Dieu, alors nous succombons à la tentation, parce que le bon Dieu veut que nous souffrions cela pour son amour ; et d'un autre côté, le démon fait tout ce qu'il peut pour nous faire murmurer contre le bon Dieu. Mais voici les tentations les plus à craindre, et qui perdent bien plus d'âmes qu'on ne croit : ce sont ces petites pensées d'amour-propre, ces pensées d'estime de soi, ces petits applaudissements sur tout ce que l'on fait, sur ce que l'on a dit de nous : nous repassons tout cela dans notre tête, nous aimons à voir les personnes à qui nous avons fait quelque bien, et il nous semble qu'elles y pensent, qu'elles ont bonne opinion de nous ; nous aimons quand on se recommande à nos prières ; nous nous empressons de savoir si ce que nous avons demandé au bon Dieu pour eux, ils l'ont obtenu. Oui, M. F., voilà une des plus rudes tentations du démon ; là, je dis que nous devons grandement veiller sur nous-mêmes, parce que le démon est très adroit ; ce qui doit bien nous porter à demander
au bon Dieu tous les matins la grâce de bien connaître toutes les fois que le démon viendra nous tenter. Pourquoi est-ce que si souvent nous faisons le mal et que nous n'y pensons qu'après ? C'est que nous n'avons pas demandé cette grâce au bon Dieu le matin, ou que nous l'avons mal demandée.

Enfin nous disons, M. F., que nous devons combattre vigoureusement, et non comme nous faisons : nous disons non au démon et nous lui tendons la main. Voyez saint Bernard faisant un voyage, étant couché, dans une chambre ; une malheureuse femme vient le trouver la nuit pour le solliciter au péché ; il se met à crier au voleur : elle revint jusqu'à trois fois, mais il la renvoya honteusement. Voyez saint Martinien, qu'une femme de mauvaise vie vint tenter, et le reste. Voyez saint Thomas d'Aquin, à qui l'on envoya une fille dans sa chambre pour tâcher de le porter au péché : il prend un tison et la chasse honteusement de sa chambre. Voyez ce que fit saint Bernard qui, étant tenté, alla se jeter dans un étang glacé jusqu'au cou. D'autres (saint Benoit et saint François d'assise) se roulèrent dans les épines. Il est rapporté qu'il y avait une fois un saint (saint Macaire d'Alexandrie) qui, étant tenté, alla dans un marais où il y avait quantité de guêpes qui se mirent après lui, lui rendirent le corps semblable à une lèpre ; à son retour, son supérieur ne le reconnaissant plus que par sa voix, lui demanda pourquoi il s'était mis dans cet état ? « C'est, lui dit-il, que mon corps voulait perdre mon âme : voilà pourquoi je l'ai réduit dans cet état. »

Que devons-nous conclure de tout cela, M. F. ? Le voici : 1° C'est de ne pas croire que nous serons délivrés de tentations ou d'une manière ou d'une autre, tant que nous vivrons ; par conséquent, il faut nous résoudre à combattre jusqu'à la mort ; 2° Dès que nous sommes tentés, de vite avoir recours au bon Dieu, autant de temps que la tentation dure, parce que, si le démon persévère à nous tenter, c'est toujours dans l'espérance de nous gagner. En troisième lieu, c'est de fuir tout ce qui est capable de nous donner des tentations, du moins si nous le pouvons, et de ne jamais perdre de vue que les mauvais anges n'ont été tentés qu'une fois, et que, de la tentation ils sont tombés en enfer. Il faut avoir une grande humilité, ne jamais croire que, de nous-même, nous pouvons ne pas succomber ; mais seulement, qu'aidés de la gràce du bon Dieu nous ne tomberons pas. Heureux, M. F., celui qui, à l'heure de la mort, pourra dire comme saint Paul : « J'ai bien combattu, mais avec la grâce du bon Dieu, j'ai vaincu ; c'est pour cela que j'attends la couronne de gloire que le bon Dieu donne à celui qui lui a été fidèle jusqu'à la mort (II Tim., IV, 8.). » C'est le bonheur...


(1) A tous les offices, c'est-à-dire, a la messe, comme étant de précepte ; et aux autres offices, comme les vêpres, la prière du soir, comme étant de conseil et bien utiles.
(2) Il ne faudrait point prendre cette proposition dans toute sa rigeur. Pourvu que nous ne fasions pas d'exclusion pour nos ennemi, dans notre charité, Jésus-Christ ne nous défend pas d'avoir certaines préferences justifiées par la parenté, l'amitié. Le Sauteur Lui-même n'a-t-il point manifesté des preférences d'affection vis-a-vis de saint Pierre, de saint Jacques et de saint Jean ?
(3) on trouve dans la Vie des Pères du désert une histoire semblable à la precédente. N'est-ce point même celle que rapporte le saint curé avec quelque changement dans certains détail ?