Qui de nous, M.F., pourra jeter les yeux sur cette croix sainte et sacrée, sur laquelle Jésus-Christ a perdu la vie, sans être pénétré de la plus vive reconnaissance ? Quoi ! M.F., Jésus-Christ égal à son Père meurt pour nous sauver ! O croix sainte ! O croix précieuse ! Sans vous, jamais de ciel sans vous, jamais de Dieu ! sans vous, toujours pleurer dans les enfers ! Sans vous, jamais de bonheur en l'autre vie ! Oui, c'est cette croix qui a fait descendre du ciel le Fils de Dieu, par le désir qu'il avait de mourir sur elle, et de racheter ainsi le monde entier. Que la vue de cette croix rappelle de biens à un chrétien qui n'a pas encore perdu la foi ! Hélas ! qu'étions-nous avant que cette croix fût teinte du sang adorable du Fils de Dieu ! Nous étions bannis du ciel, séparés pour toujours de notre Dieu, condamnés à passer notre éternité dans des flammes, à pleurer et souffrir pendant des jours sans fin. Allons souvent au pied de cette croix, et nous verrons en elle la clef qui nous a ouvert la porte du ciel et fermé celle de l'enfer. O mon Dieu, si tant de biens nous sont donnés par elle, quel respect et quelle estime ne devons-nous pas en faire ! Pour augmenter en vous ce respect, je vais vous montrer 1° les bienfaits que nous recevons de la croix, et 2° l'estime que nous devons en faire.
1. – Avant que la croix fût sanctifiée par la mort d'un Dieu fait homme, les démons étaient sur la terre, et, semblables à des lions, dévoraient tout ce qui se présentait à eux. Cet esprit de ténèbres l'avoua un jour à saint Antoine, en lui disant que, depuis l'avènement du Messie, il était enchaîné et ne pouvait nuire qu'à ceux qui le voulaient. Saint Antoine, dans toutes ses tentations, si fréquentes et si violentes, n'avait pas d'autres armes que le signe salutaire de la croix [1] . Aussi fut-il toujours victorieux de son ennemi. Sainte Thérèse, par un seul signe de croix, mit en fuite le démon, qui lui apparaissait un jour sous la forme d'une montagne entr'ouverte et prête à l'engloutir. Je n'entrerai pas dans un long détail des biens que nous recevons de la croix. C’est la croix qui nous a valu une éternité de bonheur ; c'est elle qui a changé la colère du Seigneur en un amour infini ; c'est elle qui a arraché les foudres des mains du Père éternel, pour les remplir de toutes sortes de biens et de bénédictions. C'est encore la croix qui nous procure nos bonnes pensées, nos bons désirs, les remords de conscience, la douleur de nos péchés passés. Ah ! ce n'est pas encore assez !... C'est par cette croix que nous sommes devenus les enfants et les amis de Dieu, les frères et les membres de Jésus-christ, les héritiers de son bonheur éternel ; c'est encore sur elle qu'a pris naissance cette belle religion qui nous donne, avec ses consolations, l'espérance d'un avenir heureux. De cette croix, les sacrements tirent toute leur efficacité. O belle et sainte croix, que de biens tu nous as mérités ! C'est toi qui fais que le sang adorable de Jésus-christ ruisselle chaque jour sur nos autels pour apaiser la colère de Dieu !... C'est sur la croix, qu'a été semée cette manne céleste, c'est-à-dire l'adorable sacrement de l'Eucharistie, qui sera, jusqu'à la fin des siècles, la nourriture de nos âmes. C'est cette croix qui a porté ces raisins mystérieux, dont le jus abreuve notre âme pendant son exil. Le pécheur y trouve sa conversion et le juste la persévérance. O belle et précieuse croix ! que celui qui viendrait souvent à tes pieds serait fort et terrible contre les puissances de l'enfer ! De plus, je dis que la vue de la croix fait la gloire des saints dans le ciel, et le désespoir des damnés dans les enfers. En effet, les élus dans le ciel voient que la gloire et le bonheur dont ils jouissent leur sont venus de la croix, et que sur ce bois sacré, a pris naissance cet amour qui doit les enivrer éternellement. Au contraire, la seule présence de cette crois fera le désespoir des damnés. Ils se rappelleront, qu'elle aurait pu être pour eux l'instrument du salut, un moyen d'éviter le malheur éternel, et une source abondante de secours et de grâces. Ah ! triste souvenir de tant de biens méprisés !…
Ce n'est que par la croix que nous pouvons aller au ciel. II y a différentes espèces de croix : les unes sont intérieures et invisibles, les autres visibles ou sensibles. Les premières s'appesantissent sur tous les mortels sans exception d'un seul ; nous avons chacun la nôtre. Traitons cela familièrement. 1° Vous me demandez ce que c'est qu'une croix invisible ? J'entends sous ce nom, par exemple, une violente tentation qui vous poursuit vivement pour vous faire tomber dans le péché ; une calomnie que l'on débite contre vous ; une perte de bien ; un tort que l'on vous fait ; une maladie qui semble ne plus vouloir vous quitter. C'est encore une croix invisible que ces railleries, ces mépris dont on vous couvrira sans relâche. Toutes ces croix sont adoucies, et perdent presque toute leur amertume, par la vue de la croix sur laquelle notre bon Sauveur est mort pour nous arracher des griffes du démon. Voulez-vous trouver vos peines légères ou plutôt douces et agréables ? Venez avec moi un instant au pied de la croix, sur laquelle nous avons été enfantés en Jésus-christ. Etes-vous méprisé ? Voyez votre Dieu entre les mains des Juifs, traîné par les cheveux, jeté contre les murs, les yeux bandés, les mains liées derrière le dos, frappé de grands coups de poings et de bâtons, tandis qu'on lui demande qui l'a frappé ? Êtes-vous pauvre ? Eh bien ! voyez ce Dieu dans une crèche, couché sur un peu de paille. En voulez-vous davantage ? Portez vos regards sur la croix, et vous verrez ce Dieu mourir dépouillé de ses vêtements. Êtes-vous calomnié ? Écoutez les blasphèmes et les malédictions que l'on vomit contre un Dieu, venu sur la terre pour l'inonder de bénédictions. Tout ce que l'on dit contre lui est faux ; et comment se venge-t-il ? En priant pour ceux qui le calomnient. Êtes-vous dans les souffrances, les infirmités ? Levez vos yeux sur cette croix, considérez votre Dieu attaché, mourant de la mort la plus cruelle et la plus douloureuse. Mon Père, pardonnez, de grâce, à ceux qui me font mourir : c'est pour eux que je perds la vie, c'est pour leurs péchés que je souffre. Que souffrons-nous, mes amis, si nous le comparons à ce que Jésus-Christ a enduré pour nous ?
Ah ! M.F., que les saints connaissaient bien mieux que nous le prix des souffrances !... Voyez saint Jean de la Croix, frappé par ses religieux jusqu'à tomber dans son sang. Notre-Seigneur lui apparaît et lui dit : « Jean, que veux-tu que je te donne, pour tout ce que tu souffres avec tant d'amour ? » – « Ah ! Seigneur, de grâce, ne diminuez pas mes souffrances ; mais, au contraire, faites pour toute récompense, que je souffre toujours davantage, puisque vous, l'innocence même, avez enduré tant de tourments [2] ». Saint Bernard ne pouvait regarder la croix sans verser des larmes en voyant ce qu'un Dieu avait souffert pour nous. Écoutez ce que Jésus-Christ dit un jour à saint Pierre, martyr, lorsqu'il se plaignait des outrages qu'on lui faisait : « Et moi, Pierre, qu'ai-je fait lorsqu'on m'a crucifié [3] ? » Oui, M.F., au pied de la croix nous apprendrons ce qu'est le péché, le prix de notre âme et l'amour d'un Dieu pour les hommes. C'est au pied de la croix que nous trouverons les plus douces consolations dans nos peines, les plus grandes forces dans nos tentations, et à l'heure de la mort, la plus ferme confiance. Venons donc souvent au pied de cette croix répandre notre cœur et nous y apprendrons ce qu'un Dieu a fait pour nous, et ce que nous devons faire pour lui.
2° J'ai dit en premier lieu qu'au pied de la croix nous apprendrons ce qu'est le péché, et l'horreur que nous devons en avoir. Le feu de l'enfer, il est vrai, semble nous faire comprendre quelque chose de son énormité, puisque, pour une seule pensée d'orgueil qui aura duré à peine une ou deux minutes, si nous mourons dans ce péché, nous serons condamnés à aller brûler dans les brasiers allumés par la colère d'un Dieu Tout-Puissant [4] . Une personne aura volé cinquante sous ou trois francs à son voisin ; si, le pouvant, elle ne l'a pas rendu, ce péché seul la précipitera pour jamais dans les abîmes [5] . Et ainsi de tous les autres péchés : cela fait frémir .... O mon Dieu, que l'homme qui le commet est aveugle ! Mais plus aveugle encore est celui qui l'a commis, et, se voyant dans cet état, pousse la fureur jusqu'à y rester. Cependant j'ose vous dire que l'amour d'un Dieu mourant sur la croix, nous montre d'une manière encore plus sensible, la malice et la fureur du péché. En effet, si nous considérons tout ce que Jésus-Christ a souffert pour l'expier : les humiliations, les outrages, les blasphèmes qu'on a vomis contre lui, son crucifiement et sa mort, l'on peut dire : Il n'y a que Dieu pour savoir ce qu'est le péché.
En second lieu, j'ai dit que la croix nous montre l'amour infini d'un Dieu pour ses créatures. Ah ! mes enfants, nous dit-il du haut de la croix sur laquelle il est cloué ; voyez si vous pouvez trouver un amour semblable au mien ; pouvais-je faire plus, que de mourir pour vous ? Ah ! si nous regardions cette croix avec les yeux de la foi, pourrions-nous ne pas nous écrier comme saint Paul : O croix sainte et sacrée ! ô croix d'amour, que de biens vous nous apportez ! Ah ! mes enfants, vous n'aimeriez pas votre Dieu ! Oui, M.F., si nous aimions véritablement notre Dieu, nous ne vivrions que pour lui ! En cela je veux dire que nous devons le prendre pour modèle, être contents de nous voir humiliés, méprisés, calomniés, et loin de nous venger, regarder tout cela, au contraire, comme venant de la main de Dieu, et comme une grande grâce qu'il nous accorde. Si vous vouliez imiter Jésus-Christ, vous fuiriez les plaisirs, les bals, les danses, les jeux et les cabarets ; car Jésus-Christ a condamné tout cela, par l'exemple d'une vie pénitente et retirée. Imitez Jésus-Christ et vous ne craindrez point la mort ; au contraire, ce sera un bonheur puisqu'elle vous réunira à lui. Si vous vivez sans vous attacher aux choses de la terre, votre cœur sera tout pour le ciel.
J'ai dit ensuite, M.F., que la croix fera toute la consolation du chrétien qui l'aura portée avec joie pendant sa vie. En effet, où sera votre ressource dans ce terrible moment qui décidera de votre sort éternel ? Où porterez-vous vos regards, où adresserez-vous vos soupirs et vos prières, si ce n'est vers la croix ? Qu'exposera-t-on à vos yeux, que mettra-t-on entre vos mains, que vous appliquera-t-on sur les lèvres ? Rien autre, M.F., que la croix. Quel nom vous fera-t-on prononcer dans ce moment ? Le nom de Jésus et de Jésus crucifié. Oh ! quelle consolation pour un chrétien de tenir en mourant une croix entre ses mains, si elle a été pendant sa vie le sujet de ses méditations et de son amour ! Alors il pourra dire à son Juge : « Seigneur, vous voyez que je n'ai jamais fui ou méprisé votre croix ; je l'ai portée avec plaisir ; les humiliations, les injures et les souffrances, loin de m'abattre et me décourager, m'ont rempli de joie et de courage. » O mon Dieu, si nous pouvions comprendre combien les croix nous sont un grand bienfait de votre main ! Ne perdons jamais de vue, M.F., qu'à la mort, la croix sera notre seule ressource. Mais aussi quel désespoir pour celui qui, à sa dernière heure, verra cette croix qu'il aura méprisée pendant sa vie et dont il aura rougi par crainte d'une raillerie ! Quel désespoir lorsque Jésus-Christ va confronter sa vie avec celle de ce pécheur ! Lorsqu'il opposera son humilité et les mépris qu'il a endurés, à l'orgueil de ce pécheur, sa pauvreté à l'avarice, sa pureté aux actions infâmes, le pardon de ses ennemis aux vengeances, ses pénitences et ses larmes aux plaisirs, ses jeûnes aux gourmandises de ce misérable ! Que deviendront alors ces pauvres malheureux, qui, pendant leur vie, n'auront eu aucun trait de ressemblance avec leur Sauveur ?... 0 mon Dieu ! peut-on penser à cela, et ne pas mourir de douleur !... Un Dieu vit et meurt dans les souffrances, et un chrétien, quoique chargé de péchés, ne veut rien souffrir !... Hélas ! que de repentirs à l'heure de la mort ! mais il sera trop tard.
II. – Je vais vous parler maintenant des croix visibles, et vous donner la raison de leur multiplicité, de leur bénédiction et de si grands honneurs que l'Église leur rend. Si les croix intérieures sont si nombreuses, si les croix visibles, images de celle où notre Dieu est mort, sont aussi en grand nombre ; c'est afin que nous ayons toujours présent à la pensée que nous sommes les enfants d'un Dieu crucifié. Ne soyons pas étonnés, M.F., des honneurs que l'Église rend à ce bois sacré, qui nous procure tant de grâces et de si grands avantages. Nous voyons que l'Église fait le signe de la croix dans toutes les cérémonies, dans l'administration de tous les sacrements. – Pourquoi cela ? me direz-vous. – Mon ami, le voici : c'est que toutes nos prières et tous les sacrements tirent de la croix leur force et leur vertu. Pendant le saint Sacrifice de la sainte Messe, qui est l'action la plus grande, la plus auguste et la plus sublime de toutes celles qui peuvent glorifier Dieu, à chaque instant le prêtre fait le signe de la croix. Dieu veut que nous n'en perdions jamais le souvenir, comme le moyen le plus sûr de notre salut et l'instrument le plus redoutable au démon. Il nous a même créés en forme de croix, afin que tout homme fût l'image de cette croix, sur laquelle Jésus-Christ est mort pour nous sauver. Voyez comme l'Église s'empresse d'en multiplier le nombre elle en fait l'ornement spécial de nos églises, de tous ses autels ; elle les place sur les endroits les plus élevés, pour nous montrer le triomphe remporté sur l'ennemi de notre salut. Quoi de plus touchant que ce monument glorieux, qui nous met devant les yeux l'abrégé de toutes les souffrances de notre bon Sauveur ? Ne semble-t-il pas nous dire : Voyez, mes enfants, ce que j'ai fait pour mériter vos hommages ! O mon Dieu, un tel spectacle n'est-il pas capable de toucher le cœur le plus dur et le plus enfoui dans les ordures du péché ? 0 mon Dieu, qu'un cœur tant soit peu sensible y trouve de consolations et de larmes ! Un chrétien pourrait-il jeter les yeux sur ce bois sacré, sans sentir se réveiller en lui les remords de la conscience, sans reconnaître ce qu'il est et ce qu'il doit faire ?
1° Pourquoi place-t-on des croix près des villes et des villages ? C'est pour montrer la profession publique qu'un chrétien doit faire de la religion de Jésus-Christ, et pour rappeler aux passants qu'ils ne doivent jamais perdre le souvenir de la mort et de la passion du Sauveur. Ce signe salutaire nous distingue des idolâtres, comme autrefois la circoncision distinguait le peuple juif d'avec les infidèles. Aussi voyons-nous que dès que l'on veut détruire la religion, l'on commence par renverser ces monuments. Les premiers chrétiens regardaient comme leur plus grand bonheur de porter sur eux ce signe salutaire de notre Rédemption. Autrefois, les femmes, les filles portaient une croix dont elles faisaient leur ornement le plus précieux: elles la suspendaient à leur cou, montrant par là qu'elles étaient les servantes d'un Dieu crucifié. Mais, à mesure que la foi a diminué, et que la religion s'est affaiblie, ce signe sacré est devenu rare, ou, pour mieux dire, a presque disparu. Voyez comme le démon entraîne au mal par degré. Elles ont commencé à retrancher l’image du Crucifié et de la sainte Vierge, et se sont contentées de porter une croix qu'elles appellent papillon. Après cela, le démon les a poussées plus loin : elles ont pris pour remplacer ce signe sacré, une chaîne, qui n'est autre chose qu'un ornement de vanité, et qui, bien loin d'attirer sur elles les bénédictions du Ciel, ne fait, au contraire, que les engager dans les voies et les embûches du démon. Voyez la différence, entre une chaîne et une croix : par la croix, nous sommes devenus enfants libres ; par la croix, Jésus-Christ nous a délivrés de la tyrannie du démon, où le péché nous avait conduits. La chaîne, au contraire, est un signe d'esclavage ; c'est-à-dire que par cet instrument de vanité, nous quittons Dieu en nous donnant au démon. Seigneur ! que le monde a changé depuis les premiers chrétiens, qui se faisaient un honneur et une sainte joie de porter ce signe sacré de notre religion !...
2° L'intention de l'Église est que nous ayons tous des croix dans nos maisons, pour ne jamais perdre de vue que nous sommes chrétiens et disciples d'un Dieu crucifié. On connaît vite si la religion règne dans une maison, par les croix et les images que l'on y trouve. En entrant dans une maison, je cherche des yeux, tout autour, le signe de notre Rédemption. Si je ne le trouve point, je ne puis m'empêcher de déplorer le malheur de la maison et de ceux qui sont dedans. Oh ! M.F., que la présence et la vue d'une croix est salutaire ! Souvent, il ne faut qu'un regard sur un crucifix, pour adoucir les peines les plus profondes et les plus douloureuses, pour nous faire faire les sacrifices les plus grands, et pratiquer les vertus les plus sublimes. Qui pourrait encore avoir le courage de satisfaire une passion quelle qu'elle soit, en voyant un Dieu cloué sur une croix ? Qui trouverait trop grande ses souffrances, en considérant un Dieu dont le corps est tout en lambeaux par les coups qu'il a reçus dans sa flagellation ? Qui pourrait trouver difficile la pratique de la vertu, en voyant un Dieu qui n'a rien commandé qu'il n'ait commencé à pratiquer lui-même. Personne donc, ne doit laisser sa maison sans ce signe salutaire, afin que tous ceux qui entrent puissent reconnaître que vous êtes chrétiens, et que vous en faites profession publique. Un chrétien vertueux doit avoir un beau crucifix, quelques belles images, et les regarder comme le plus bel ornement et l'honneur de sa maison. De temps à autre portez vos regards sur les images ou le crucifix, faites une petite réflexion sur ce que Jésus-Christ a souffert pour nous et combien il nous a aimés. En voyant l'image de la Sainte Vierge, car vous ne devez jamais laisser vos maisons sans une représentation de cette bonne Mère, priez-la de vous recevoir vous et votre famille sous sa sainte protection. Quand vous considérez les images des saints, pensez aux vertus qu'ils ont pratiquées, aux pénitences qu'ils ont faites pendant leur vie, pour mériter le bonheur dont ils jouissent maintenant dans le ciel. Que doit-on penser d'une maison où l'on ne trouve ni christ, ni autre signe de religion ? Hélas ! on pense qu'elle est habitée par des gens qui ont perdu la foi, qui sont devenus les ennemis de la croix, et ne sont plus chrétiens que de nom. Ah ! combien est grand le nombre de ceux qui ne sont plus chrétiens que de nom, et dont la conduite est semblable à celle des païens !
Ah ! me direz-vous, c'est un peu fort ! Nous ne sommes pas fâchés d'être chrétiens, au contraire : expliquez-nous comment nous n'avons plus que le titre de chrétien ? – Eh ! mes amis, c'est facile. C'est lorsque vous craignez de faire vos actes de religion devant le monde, et que, vous trouvant dans une maison, vous n'osez pas faire le signe de croix avant de manger, ou, bien que, pour le faire, vous vous tournez de l'autre côté, crainte d'être aperçu et raillé ; c'est lorsque, entendant sonner l'Angelus, vous faites semblant de ne pas l'entendre, et vous ne le dites pas, de peur qu'on ne se moque de vous. Ou encore, lorsque le bon Dieu vous donne la pensée d'aller vous confesser, vous dites: « Oh ! je n'y vais pas, l'on se moquerait de moi. » Si vous vous comportez de cette manière, vous ne pouvez pas dire que vous êtes chrétiens. Non, mes amis, vous êtes, comme autrefois les Juifs, rejetés, ou plutôt, vous vous êtes séparés vous-mêmes ; vous n'êtes que des apostats ; votre langage le prouve, et votre manière de vivre le manifeste assez clairement. Pourquoi, M.F., avait-on donné le nom d'apostat à l'empereur Julien ? – C'est, me direz-vous, parce qu'il était d'abord chrétien et qu'ensuite il vécut comme les païens. – Eh bien ! mes amis, quelle différence y a-t-il entre votre conduite et celle des païens ? Savez-vous quels sont les vices ordinaires chez les païens ? Les uns, corrompus par le vice infâme de l'impureté, vomissent de leur bouche toutes sortes d'abominations ; les autres, adonnés à la gourmandise, ne recherchent que les bons morceaux ou se remplissent de vin ; toute l'occupation de leurs filles n'est que dans la parure et le désir de plaire. Que pensez-vous, M.F., de cette conduite ? – C'est la conduite de personnes qui n'ont point l'espérance d'une autre vie. -Vous avez raison. Et quelle différence y a-t-il entre votre vie et la leur ? Si vous voulez parler franchement, vous conviendrez qu'il n'y en a aucune, et que, par conséquent, vous n'êtes chrétiens que de nom. O mon Dieu ! que vous avez peu de chrétiens pour vous imiter ! Hélas ! s'il y en a si peu pour porter leur croix, il y en aura aussi bien peu pour vous bénir pendant l'éternité.
3° On plante des croix bénites dans les champs, et on en place dans les endroits où sont les récoltes : la raison en est que nos péchés semblent continuellement presser la justice de Dieu pour attirer sur nous les fléaux de sa colère ; les grêles, les gelées, les sécheresses, les inondations. Comme par la croix le Fils de Dieu nous a réconciliés avec son Père, et nous a mérité les trésors célestes ; l'intention de l'Église est, en les plaçant dans les champs, d'en écarter les calamités. La bénédiction qu'elles reçoivent est pour demander à Dieu de ne pas détourner ses yeux miséricordieux des champs où elles sont plantées, et d'y répandre ses bénédictions. Mais ce n'est pas tout de planter des croix, il faut encore le faire avec piété, avec foi, et surtout ne pas être alors en état de péché ; vous êtes sûrs que si vous les plantez avec de tels sentiments, le bon Dieu bénira vos terres et les garantira de malheur temporel. Si vos croix ne produisent pas l'effet que vous deviez en attendre, ce n'est pas difficile à concevoir, c'est que vous allez les planter sans foi, sans piété ; c'est qu'en les plantant, vous n'avez peut-être pas même dit un Pater et un Ave à genoux ; ou, si vous avez prié, c'est peut-être un genou à terre et l'autre en l'air. Si cela est, comment voulez-vous que le bon Dieu bénisse vos récoltes ? Mais lorsque vous les retrouvez [6] , c'est bien une autre abomination !... Oh ! que la religion a donc perdu de son ancienne beauté ! Oui, ces croix sont vraiment plantées dans des champs de païens, et non de chrétiens. O mon Dieu ! dans quel malheureux siècle sommes-nous donc arrivés !...
Lorsque l'Église institua cette sainte cérémonie, chacun enviait le bonheur de placer ces croix dans son champ, on le faisait avec le respect le plus profond. Lorsqu'on les retrouvait, soit en moissonnant, soit en vendangeant, on se prosternait la face contre terre pour adorer Jésus-Christ, mort sur la croix pour nous, et on exprimait ainsi sa reconnaissance de ce qu'il avait bien voulu conserver et bénir la récolte. Tous, les larmes aux yeux, baisaient le signe sacré de notre Rédemption. Hélas ! mon Dieu, ce n'est plus ainsi que les chrétiens, vous témoignent, leur reconnaissance ! Oserai-je le dire ? Ils imitent Judas et les Juifs ! Ils ressemblent aux Juifs, lorsqu'ils fléchissaient le genou pour insulter sa royauté ; ils imitent Judas, qui le baisa avec une bouche souillée des plus grands crimes. Les uns et les autres ne lui rendaient ce semblant de respect que par dérision ; n'est ce pas là vraiment ce que vous faites quand vous rencontrez une croix ? Au lieu de témoigner à Dieu votre reconnaissance de ce qu'il a bien voulu bénir et conserver les fruits de la terre ; n'est-ce pas une injure que vous lui faites, que de la baiser en riant ? N'est ce pas faire acte de dérision ou plutôt, d'idolâtrie, que de présenter une poignée de blé, comme si vous encensiez la personne qui tient la croix. Allez, malheureux, ou dans ce monde ou dans l'autre, le bon Dieu vous punira. Pères de famille, ne vous avais-je pas dit, il y a deux ans, qu'au moment de la moisson, vous deviez prendre toutes les croix qui sont dans vos champs, afin d'éviter leur Profanation ? Ne vous avais-je pas recommandé de les remettre sur vos gerbiers, et, quand vous avez battu votre blé, de les faire brûler, dans la crainte qu'elles ne fussent profanées ? Si vous n'avez pas fait cela, vous êtes très coupables ; vous devez ne pas manquer de vous en confesser. Hélas ! qui pourrait compter toutes les horreurs qui se commettent au moment de la moisson, ou des vendanges, dans ces moments où Dieu, dans sa bonté et sa charité, couvre la terre des dons de sa providence ! L'homme ingrat semble redoubler alors ses injures, et multiplier ses outrages. Comment osez-vous murmurer de ce que vos récoltes manquent, de ce que la grêle ou la gelée vous les enlèvent ? Ah ! plutôt, soyez dans l'étonnement, de ce que, malgré tant de péchés, le bon Dieu veut encore vous donner votre nécessaire, et bien plus qu'il ne faut encore ! O mon Dieu, que l'homme est misérable et aveugle !
4° Le signe de la croix est l’arme la plus terrible contre le démon ; aussi, l'Église veut-elle que, non seulement nous l'ayons continuellement devant les yeux, pour nous rappeler ce que notre âme vaut, ce qu'elle a coûté à Jésus-Christ ; mais encore que nous le fassions à tout moment sur nous-mêmes : en nous couchant, lorsque nous nous éveillons la nuit, lorsque nous nous levons, quand nous commençons nos actions, et surtout lorsque nous sommes tentés. Nous pouvons dire qu'un chrétien qui fait le signe de la croix avec des sentiments de piété, c'est-à-dire, bien pénétré de l'action qu'il accomplit, fait trembler tout l'enfer [7] .Une personne tentée qui fait ce signe de notre salut avec une foi vive peut dire qu'elle écrase les démons et réjouit toute 1a cour céleste. Voyez saint Antoine, à qui les démon, faisaient une guerre rude et continuelle ; de quels moyen: se servait-il pour se défendre, sinon du signe de notre Rédemption ? Un jour que les démons le tentaient, il leur dit : « Que vous êtes peu de chose ! moi qui ne suis qu'un pauvre solitaire, pouvant à peine me tenir droit, accablé par la pénitence, d'un seul signe de croix je vous mets tous en déroute [8] ». Il est raconté dans la vie de sainte Justine [9] , que Cyprien le magicien, épris de sa beauté, s'était vendu au démon, pour qu'il employât tous ses artifices afin de la porter au mal. Le démon ne tarda pas à lui avouer qu'il ne pouvait rien sur elle, parce que, à la première tentation, elle faisait le signe de la croix, et qu'ainsi elle rendait ses efforts inutiles.
Mais quand nous faisons le signe de la croix, il faut le faire non par habitude, mais avec respect, avec attention, en pensant à ce que nous faisons. O mon Dieu ! de quel saint tremblement ne serions-nous pas pénétrés, si, en le faisant sur nous, nous nous rappelions que nous prononçons tout ce que nous avons de plus saint et de plus sacré dans notre religion ! Voyez de quelle dévotion nous serions pénétrés, si nous pensions que nous nommons les trois personnes de la très sainte et très adorable Trinité : le Père, qui nous a créés et tirés du néant comme tout ce qui existe ; le Fils, qui a pris un corps et une âme dans le sein de la très sainte Vierge, qui s'est sacrifié pour nous sauver tous de l'enfer, et nous mériter un bonheur éternel ; le Saint-Esprit, qui fait de notre cœur son temple, à qui nous sommes redevables de toutes les bonnes inspirations et de tous les bons désirs que nous avons. Voyez. M.F., si vous faisiez toutes ces réflexions combien vous seriez pénétrés d'amour et de reconnaissance envers ce Dieu en trois personnes, surtout lorsque, entrant à l'église, vous prenez de l'eau bénite. Oh ! s'il en était ainsi, l'on n'entrerait qu'en tremblant. C'est pourquoi, lorsque vos enfants commencent à remuer les bras, il faut bientôt leur faire former ce signe sacré, et leur en inspirer le plus grand respect.
5° Vous me demanderez peut-être ce que veulent dire ces mots : Invention de la sainte Croix, Exaltation de la sainte Croix ? Mes amis, ce sont deux fêtes dont l'une se fait le 3 mai, et l’autre le 14 septembre. Voici l'origine de la première : Il y avait 326 ans que Jésus-christ était mort [10] , l'empereur Constantin combattant contre le tyran Maxence, vit dans les airs une croix plus brillante que le soleil, et sur laquelle étaient écrites ces paroles : « Par ce signe, tu seras victorieux de ton ennemi. » L'empereur, frappé d'un tel prodige, fit aussitôt peindre ce signe sacré sur ses armes et ses drapeaux, et remporta une victoire éclatante. Sainte Hélène, sa mère, conçut envers la croix de Jésus-christ une telle dévotion, qu'elle ne se donna plus de repos qu'elle ne l'eût trouvée. Elle alla donc à Jérusalem. Dieu lui ayant fait connaître le lieu où elle était, après de pénibles recherches, elle la trouva ainsi que les deux autres croix des larrons. Afin de distinguer quelle était celle du Sauveur, on apporta un mort qui, étant mis sur les deux premières, ne ressuscita point. Mais lorsqu'on l'eut déposé sur la troisième, le mort se leva et se mit à marcher [11] . Cette croix a été la source d'un nombre infini de miracles. Saint Jean Chrysostome l'appelle l'espérance des chrétiens, la résurrection des morts, la consolation des pauvres, l'espoir des riches, la confusion des orgueilleux et le tourment de l'enfer. O mes enfants, nous dit saint Epiphane, gravons ce signe salutaire sur le sommet de nos portes, sur nos fronts, sur notre bouche, sur notre poitrine ; revêtons-nous souvent de cette armure impénétrable contre le démon. Ne restons jamais sans avoir sur nous ce signe sacré. Dieu, pour nous montrer combien il tenait à ce que le bois sacré sur lequel il est mort, fût vénéré dans tout l'univers comme une source de bénédiction, a permis que, pendant plusieurs siècles, le bois de la sainte croix ne diminuât pas, malgré que l'on en prît sans cesse. Dans la suite, lorsque cette sainte relique eut été exposée dans tout le monde chrétien, elle diminua ; maintenant il est à croire qu'il n'y a pas de pays où l'on ne possède un morceau de ce bois sur laquelle Jésus-christ a opéré notre salut. Telle est l'origine de cette fête qui s'appelle l'Invention de la sainte Croix, parce que c'est le jour qu'elle a été trouvée par sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin. La fête que l'on célèbre le 14 septembre, rappelle que cette sainte croix étant restée quatorze ans chez les Barbares, qui l'avaient enlevée de Jérusalem, l'empereur Héraclius, victorieux des Perses, formula dans le traité de paix qu'on lui rendrait ce bois sacré. On le rapporta en triomphe à Jérusalem, et voilà pourquoi l'on fait, le 14 septembre, la fête de l'Exaltation de la sainte Croix.
Les saints, M.F., ont tous aimé la croix, ils y ont trouvé leur force et leur consolation. Voyez sainte Liduwine à qui trente-huit ans de souffrances ne semblent qu'un éclair, tant son cœur se dilate dans cette source d'amour [12] ... – Mais, me direz-vous, faut-il donc avoir toujours quelque chose à souffrir ? tantôt la maladie ou la pauvreté ; tantôt la médisance ou la calomnie ; une perte de bien ou une infirmité ? – On vous calomnie, mon ami, on vous accable d'injures: on vous fait tort, tant mieux. C'est bonne marque ; ne vous tourmentez pas: vous êtes dans le chemin qui mène au ciel. Savez-vous quand il faudrait pleurer ? Je ne sais pas si vous le comprendrez ; mais ce serait précisément si, au contraire vous n'aviez rien à souffrir, que tout le monde vous estimât et vous respectât ; vous devriez porter envie à ceux qui ont le bonheur de passer leur vie dans la souffrance, les mépris et la pauvreté. Oubliez-vous donc que, dans votre baptême, vous avez accepté une croix, que vous ne devez quitter qu'à la mort, et que c'est la clef dont vous vous servirez pour ouvrir la porte du ciel ? Oubliez-vous donc ces paroles du Sauveur : « Mon fils, si vous voulez venir après moi, prenez votre croix et suivez-moi, » non un jour, non une semaine, ni une année, mais toute votre vie [13] ? Les saints avaient peur de passer quelques instants sans souffrir, parce qu'ils regardaient ce temps là comme perdu. D'après sainte Thérèse, l'homme n'est en ce monde que pour souffrir, et dès qu'il cesse de souffrir, il doit cesser de vivre. Saint Jean de la Croix demande à Dieu avec larmes, pour toute récompense de ses travaux, de lui faire la grâce de souffrir toujours davantage.
De tout cela, M.F., que devons-nous conclure ? Le voici. Prenons la résolution de porter un grand respect à toutes les croix qui sont bénites, et qui nous représentent en abrégé tout ce que notre Dieu a souffert pour nous. Rappelons-nous que de la croix découlent toutes les grâces qui nous sont accordées, et que, par conséquent, une croix bénite est une source de bénédictions ; que nous devons faire souvent sur nous le signe de la croix, et toujours avec un grand respect ; et enfin, que jamais nos maisons ne restent dépourvues de ce symbole salutaire. Inspirez à vos enfants, M.F., le plus grand respect pour la croix et, sur vous-mêmes, ayez toujours une croix bénite, elle vous gardera du démon, du feu du ciel et de tout danger. Ah ! M.F., que cette croix donne de forces à ceux qui ont la, foi !... Qu'à la vue de cet instrument de salut les souffrances sont peu de choses !... O belle et précieuse Croix ! que d'heureux vous faites, même en ce monde, et que de saints pour l'autre !... Ainsi soit-il.
[1] Vie des Pères du désert, t, Ier, p.32, 39
[2] RIBADENEIRA, au 14 décembre.
[3] Ibid., au 29 avril.
[4] Le Saint suppose évidemment une pensée d'orgueil, qui constituerait un péché motel ; mais il faut avouer que ce péché d'orgueil est assez rare.
[5] A l'époque où le Saint écrivait ces lignes, l’argent était plus rare, il avait plus de valeur, et par conséquent le vol de cinquante sous à trois francs, commis surtout vis-à-vis d'un habitant de la campagne, constituait une matière grave ; aujourd'hui que l'argent est plus abondant et de moindre valeur, cette décision du Saint paraîtrait sévère. Les théologiens demandent communément une matière plus considérable, pour qu'il y ait péché mortel.
[6] Au moment des récoltes.
[7] En effet, rien n'est plus frappant que ce signe, il nous représente :
1° le mystère de la sainte Trinité
2° par le mouvement que fait la main du front à l'estomac, il nous rappelle la descente de Jésus-christ du sein de son Père dans celui de la sainte Vierge
3° le crucifiement de Jésus-christ par la croix que nous formons
4° le jugement dernier par le mouvement que fait la main de gauche à droite.
(Note du Saint.)
[8] Vie des Pères du désert, t, Ier, p 32.
[9] RIBADENERIA, au 26 septembre
[10] L’ère vulgaire se compte depuis la naissance, et non depuis la mort de Jésus-christ.
[11] La plupart des Historiens, Eusèbe, Théodoret, Rufin, Socrate, Sozomène, Théophane rapportaient que saint Macaire, évêque de Jérusalem, fit apporter les trois croix chez une dame de qualité qui était à l'agonie. Sa guérison subite indiqua quelle était la croix du Sauveur.
Suivant saint Paulin et Sulpice Sévère, ce ne fut point seulement la guérison d'une mourante, mais la résurrection d'un mort qui servit de temoignage la vraie croix.
[12] Ribadénéira, au 14 avril.
[13] Si quis vult post me venire, abneget semetipsum, et tollat suam crucem QUOTIDIE, et sequatur me. Luc. ix, 23.