Si, comme chrétiens, M.F., nous sommes tous obligés de nous aider à nous sauver, parce que, étant tous les enfants d'un même père, nous sommes tous destinés à aller régner un jour dans le ciel ; si saint Paul nous dit que les maîtres « qui n'ont pas soin de leurs domestiques ont renoncé à leur foi et qu'ils sont pires que les païens[1] », je vous laisse à penser, M.F., quels doivent être les soins et les précautions que les pères et mères doivent prendre pour sauver les âmes de leurs pauvres enfants qui sont une partie d'eux-mêmes, que le bon Dieu ne leur a confiés que comme un trésor dont il doit un jour leur demander un compte si redoutable. Mais, sans chercher de détour, les pères et mères doivent savoir que leur plus grande occupation doit être de travailler à sauver les âmes de leurs enfants et qu'ils n'ont point d'ouvrage qui doive passer avant celui-là ; bien plus, que leur salut est attaché à celui de leurs enfants, comme nous allons le voir. Pères et mères, pour remplir vos devoirs, vous devez donc instruire vos enfants, leur donner bon exemple et les corriger. Si vous faites cela, vous irez au ciel en y conduisant vos enfants ; vos enfants feront votre gloire dans le ciel, comme ils feront votre désespoir dans les enfers si vous êtes si malheureux que de les laisser perdre. Il n'est pas nécessaire, M.F., de vous montrer l'obligation où vous êtes d'avoir soin de vos enfants, c'est-à-dire de les nourrir, de les entretenir, puisque les païens et les idolâtres qui ne connaissent pas le vrai Dieu et ne se conduisent que par un amour naturel, s'en acquittent parfaitement. Non, ce n'est pas là la chose que vous négligez le plus : j'aurais plutôt envie de vous dire de ne pas tant leur prodiguer d'affaires, et que vous feriez beaucoup mieux de faire quelque bonne œuvre de plus pour leur attirer les bénédictions du ciel.
I. – Je dis donc d'abord que les pères doivent instruire leurs enfants, c'est-à-dire leur apprendre à prier le bon Dieu, à le connaître ; leur enseigner ce qu'ils doivent faire pour gagner le ciel et éviter l'enfer. Si vous ne sentez pas bien la grandeur de ce devoir, écoutez ce que le bon Dieu va vous dire lui-même. Nous lisons dans l'Écriture sainte qu'après que le Seigneur eût donné ses commandements à son peuple il ajouta ces belles paroles : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos affections, et le prochain comme vous-mêmes. Pères et mères, vous apprendrez tout cela à vos enfants et vous les en instruirez le matin en vous levant, le soir en vous couchant, lorsque vous marcherez, lorsque vous serez assis, c'est-à-dire tous les jours de votre vie[2] ». Pères et mères, Dieu pouvait-il vous montrer d'une manière plus claire la grandeur de vos devoirs envers vos enfants ? Pouvez-vous trouver quelque prétexte qui puisse vous en exempter, ou même tant soit peu vous les faire négliger ? Le Saint-Esprit nous dit encore : « Si vous avez des enfants, il faut les instruire dès leur jeunesse », aussitôt qu'ils peuvent remuer les bras[3]. Oui, M.F., dès qu'un enfant commence à dire quelques mots, ses parents doivent lui apprendre à prononcer les saints noms de Jésus et de Marie. Nous lisons de saint Thomas de Villeneuve que les premières paroles qui sortirent de sa bouche furent « Jésus, Marie », parce qu'il avait des parents bien chrétiens qui lui disaient souvent ces paroles. Les pères et mères doivent apprendre à leurs enfants à faire le signe de la croix aussitôt qu'ils peuvent. Dès qu'ils commencent à remuer leurs petits bras, leur donner de l'eau bénite, les faire prier le bon Dieu à genoux le matin et le soir, leur inspirer un grand respect pour la présence du bon Dieu, et pour cela se mettre soi-même à genoux à côté d'eux, les faire tourner contre quelque image. Si vous allez les faire prier le bon Dieu en travaillant, ils regarderont et penseront à ce que vous faites et non à ce qu'ils font. Vous devez leur apprendre à donner leur cœur au bon Dieu le matin en s'éveillant, à offrir leur journée, toutes leurs actions, à dire leur Benedicite et leur action de grâce, leur Angelus.
Vous ne devez pas vous contenter de leur apprendre le Notre Père, il leur faut apprendre le Salut Marie, le Crois en Dieu, le Confesse à Dieu, les commandements de Dieu, et de plus les trois actes de foi, d'espérance et de charité, puisque le bon Dieu nous dit dans l'Écriture sainte : « Pères et mères, apprenez mes commandements à vos enfants. » Hélas ! M.F., il y a des enfants qui ont neuf et dix ans, qui ne savent pas encore leur prière entière. Dites-moi, pères et mères, quel jugement peut-on porter de vous, sinon que vous avez moins de soin de vos pauvres enfants, c'est-à-dire de leurs pauvres âmes qui ont tant coûté à Jésus-Christ que vous n'avez soin de vos bêtes que vous tenez dans vos écuries. Si vous aimez vos enfants, vous ne devez donc pas vous fier à eux quand ils vous disent qu'ils ont fait leur prière ; il faut que vous les entendiez vous-mêmes. Saint Thomas nous dit que, dès qu'un enfant a l'âge de raison, il doit savoir l'abrégé de la religion, qui sont les principaux mystères ; qu'ils se rendent grandement coupables aux yeux de Dieu les pères et mères qui négligent de les apprendre à leurs enfants. Voilà ce que saint Thomas veut que les pères et mères apprennent à leurs enfants dès l'âge de raison : le mystère de la Très Sainte Trinité, qui est un seul Dieu en trois personnes ; que le Fils s'est incarné dans le sein de la bienheureuse Vierge par l'opération du Saint-Esprit, le 25 mars ; qu'il est né le jour de Noël, qu'il est mort pour nous sur une croix le Vendredi saint ; qu'il est ressuscité le jour de Pâques, qu'il est monté au ciel le jour de l'Ascension ; qu'il a envoyé son Esprit-Saint à ses apôtres, le jour de la Pentecôte. Et dès que les enfants sont un peu plus grands, il faut leur apprendre le jour que Jésus-Christ a institué le sacrement adorable de l'Eucharistie, avec tous les autres sacrements et les dispositions qu'il faut avoir pour les recevoir. S'ils ne peuvent pas encore bien comprendre leurs trois actes, il faut leur faire dire ces abrégés : « Mon Dieu, je crois en vous ; mon Dieu, j'espère en vous ; mon Dieu, je vous aime de tout mon cœur. » Il faut, nous dit saint Thomas, souvent leur parler du bonheur du paradis qui est préparé aux enfants bien sages ; et pour leur donner une grande horreur du péché il faut leur faire comprendre, autant que l'on peut, combien le bon Dieu punit en enfer, par des châtiments terribles, un seul péché mortel, et leur faire comprendre ce que c'est qu'un péché mortel. C'est de cette manière que se comportait sainte Blanche envers son fils saint Louis ; elle lui fit concevoir une telle horreur du péché, que l'on croit qu'il n'ait jamais commis un péché mortel et qu'il a eu le bonheur de porter l'innocence de son baptême dans le ciel. Ce saint roi disait qu'il se souvenait toujours de ces paroles de sa mère, qu'elle aimerait mieux le voir mourir que commettre un péché, qu'il ne devait rien tant craindre que le péché. Etant roi, il demanda un jour à un de ses officiers[4] ce qu'il aimerait le mieux d'être toute sa vie couvert d'une lèpre ou de commettre un péché ; ce pauvre homme lui répondit qu'il aimerait mieux commettre un péché que d'être couvert d'une lèpre. Le roi lui dit : « Mon ami, vous n'avez jamais compris ce que c'est que le péché, et la laideur de la lèpre n'est rien en comparaison du péché. » O heureux enfants, à qui les parents inspirent une pareille horreur du péché ! Le saint homme Tobie disait à son fils : « Mon fils, prenez bien garde de ne jamais commettre un péché. » Quand il se vit près de mourir, il fit venir son enfant auprès de son lit, et lui dit. : « Mon fils, je vous laisse votre mère, ayez soin d'elle ; mais surtout je vous recommande d'éviter les mauvaises compagnies ; gardez-vous bien de toute iniquité, ne faites tort à personne, donnez l'aumône autant que vous le pourrez : je vous recommande d'avoir une grande crainte de Dieu. Il vaudrait mieux, mon fils, mourir que d'offenser le bon Dieu[5]. »
Oui, M.F., nous voyons que le bon Dieu fait tant d'état d'un père qui instruit bien ses enfants, que quand il voulut perdre Sodome et Gomorrhe par le feu du ciel, il dit : « Je ne veux pas cacher cela à mon serviteur Abraham, parce que je sais qu'il apprend à ses enfants à garder ma loi[6] ».
Oh ! combien le bon Dieu aime les pères et mères qui instruisent leurs enfants de leurs devoirs de religion, et combien il se plait à répandre sur eux ses bénédictions ! Ecoutez ce que nous dit sainte Thérèse que ses père et mère faisaient toute leur occupation de bien lui apprendre à servir le bon Dieu, aussi est-elle devenue une sainte. Voyez encore les père et mère de saint Bernard : ils avaient si bien instruit leurs enfants qu'ils firent[7] tous des saints.
Nous lisons dans l'histoire qu'une mère avait un petit enfant qui n'avait que cinq ans. Comme c'était dans un temps de persécution, cette mère disait souvent à son fils : « Ah ! mon fils, si vous avez le bonheur de bien aimer le bon Dieu et de bien éviter le péché, vous aurez le bonheur d'aller au ciel ; mais, si vous avez le malheur de commettre le péché, vous irez en enfer. Elle le menait, quoique bien petit, à toutes les instructions qu'elle pouvait. Etant prise par les barbares comme chrétienne avec son enfant, on demanda à la mère ce qu'elle était : elle répondit qu'elle était chrétienne. Comme l'on avait séparé d'elle son enfant, l'on dit[8] à l'enfant ce qu'il était : il répondit qu'il était et qu'il voulait mourir chrétien. On le menace, on le fait jeûner, on le fouette : il ne disait autre chose sinon qu'il était chrétien et qu'il voulait mourir chrétien. Comme l'on ne pouvait rien gagner, on le mena sur l'échafaud avec sa mère, dans l'espérance que la tendresse de la mère et de l'enfant les porterait à renoncer à Jésus-Christ ; mais, dès que la mère aperçut son enfant, elle lui cria : « Courage, mon cher enfant, courage : il nous faut mourir chrétiens ». Mais aussi cette tendre mère avait tant fait de prières pour demander à Dieu la persévérance de son enfant ! Ce pauvre enfant avait déjà beaucoup souffert, sans avoir ni bu ni mangé. Il mourait de soif. Il dit donc à sa mère : « Hélas ! ma mère, que j'ai donc soif ! Courage, mon enfant, vous irez boire en paradis. » Ce pauvre petit innocent ne dit rien plus ; il leva ses petits yeux vers le ciel et tendit le cou au bourreau qui lui coupa la tête. Quand la mère vit que son enfant avait perdu la vie pour le bon Dieu, elle s'écria : « Faites-moi tout ce que vous voudrez, puisque mon enfant est en paradis ». On lui coupa aussi la tête. O heureux enfant d'avoir une telle mère ! O heureuse mère, d'avoir un semblable enfant !
Oui, M.F., il est très certain, après un tel exemple, et vous conviendrez avec moi que la sainteté des enfants dépend des instructions que les parents leur ont données dans leur enfance. Hélas ! mon Dieu, nous ne voyons plus à présent les pères et mère conduire leurs enfants de cette manière. Aussi, que sont la plupart des enfants de nos jours ? de pauvres enfants qui ont déjà mille fois transgressé les commandements de Dieu sans les connaître, qui ont l'esprit et le cœur remplis des affaires du monde, sans savoir pourquoi le bon Dieu les a créés et pour quelle fin ils sont sur la terre ; ce qu'ils doivent craindre ou espérer après l'autre vie. Savez-vous la pensée que j'ai quand vous m'apportez un enfant pour le baptiser ? Après l'avoir mis au nombre des enfants de Dieu, je me dis en moi-même : « Ah ! pauvre enfant, si le bon Dieu te faisait la grâce que la même plume qui atteste que tu es enfant de Dieu pouvait montrer que tu n'es plus de ce monde, quel bonheur pour toi ! Si tu vis encore quelque temps, le monde et le démon vont faire tout ce qu'ils pourront pour te perdre. Mais ce qu'il y aura encore de plus malheureux, c'est que tes parents qui devraient t'éloigner du mal seront peut-être les premiers à te précipiter dans le péché par leurs conseils pernicieux et leurs mauvais exemples.
Hélas ! mon Dieu, que peut-on bien penser des enfants, voyant la conduite des parents qui sont peu dévots ? Ces pauvres enfants voient des parents si indifférents pour leur religion, qui ne font rien pour assurer le salut de leurs pauvres âmes ; qui souvent ne font leur prière ni le matin ni le soir, ou, s'ils font quelque chose, c'est d'une manière si misérable ; qui montrent bien qu'ils ne font pas attention aux pauvres enfants qui sont témoins que leurs parents ne font point de pâques et ne se confessent presque jamais ; qui manqueront combien de dimanches de suite tous les saints offices ; qui travailleront le dimanche ; qui mangeront de la viande les jours défendus ; qui n'ont que de mauvaises raisons à la bouche ; qui ne parlent que des choses du monde, des richesses, et presque jamais du bon Dieu ; des parents qui ne respirent que la vengeance ! Hélas ! que peuvent devenir les enfants dans une telle école ?
II. – Nous disons, M.F., que le second devoir des parents est de donner bon exemple à leurs enfants. Mon Dieu, où sont-ils les bons exemples que les parents donnent à leurs enfants ? ou plutôt, où sont les mauvais exemples qu'ils ne leur donnent pas ? Si nous avons dit, M.F., que l'ignorance où les parents laissent leurs pauvres enfants est si déplorable aux yeux de la foi, nécessairement ils seront damnés par les mauvais exemples qu'ils leur donnent[9].
Hélas ! pauvres enfants ! si vous êtes obligés de suivre les exemples de vos parents, que vous êtes malheureux ! II faudra nécessairement vous damner. Oui, pères et mères, si vos enfants veulent se sauver, il faudra qu'ils fassent tout le contraire de ce que vous faites. – Mais, me direz-vous, nous ne leur donnons pas mauvais exemple. – Vous ne leur donnez pas mauvais exemple ? Ouvrez donc un instant les yeux sur ce que vous faites et sur ce que devriez faire pour conduire saintement vos enfants. Dites-moi, mon père, vous ne faites point de pâques, vous ne vous confessez presque jamais : vous savez très bien que c'est un péché mortel, et que, si vous veniez à mourir dans cet état, vous seriez-damné. Eh bien ! dites-moi, si vous voulez que vos enfants suivent vos exemples, il faudra donc qu'ils ne fassent point de pâques, c'est-à-dire que si vos enfants sont obligés de marcher sur vos traces, il leur faudra absolument se résoudre à se damner. Qu'en pensez-vous, mon père ? est-ce oui, ou non ? Vous ne donnez pas mauvais exemple à vos enfants, me dites-vous, mais vous travaillez le saint jour du dimanche, vous faites gras les jours défendus, même devant vos enfants ; vous savez bien que c'est un péché mortel. Si vous voulez que vos enfants vous imitent, quelle route voulez-vous leur faire prendre, à vos pauvres enfants ? Combien de fois vos enfants vous ont vu jeter sur votre lit, si j'osais dire, comme un cheval sur son fumier, sans faire aucun signe de chrétien ? Alors, si vos enfants vous imitent, il faudra qu'ils ne donnent plus aucune marque de religion. Combien de fois que vos enfants vous entendent dire des paroles sales ou indécentes, qui portent le poison dans leur pauvre âme !
N'allons pas plus loin, M.F., pleurons le malheur des parents et des enfants qui se traînent chaque jour les uns les autres en enfer. – Mais, me direz-vous peut-être, quand je les entends dire de mauvaises raisons, je sais bien leur imposer silence et les châtier. – Oui, sans doute, mais vous avez bien bonne grâce de défendre à vos enfants ce que vous faites vous-mêmes. Ne peuvent-ils pas vous dire ou, s'ils n'osent pas le dire, le penser : « Médecin, guérissez-vous vous-même. » Mon père, commencez à vous corriger, ensuite vous nous direz de nous corriger. Hélas ! pauvre mère aveugle !… . Soyez bien sûrs, M.F., que vos coups et votre bâton ne servent pas de grand'chose. En voici un exemple : Il est rapporté dans l'histoire qu'il y avait une mère qui tâchait d'élever son enfant autant bien qu'elle pouvait. Mais comme le père n'avait point de religion, il gâtait tout ce que la mère faisait. Un jour que l'enfant se trouvait un peu de mauvaise humeur en faisant sa prière, son père se trouvant de passer[10], il se lève et court sauter à son cou, en lui disant : « N'est-ce pas, mon père, quand je serai grand comme toi, je ne ferai point de prière ?» Vous voyez donc bien que tout ce que vous pouvez dire à vos enfants c'est perdu, à cause des mauvais exemples que vous leur donnez.
Ecoutez-moi un instant, et vous allez voir combien votre conduite est ridicule. Vous dites à votre enfant qu'il ne faut pas jurer, qu'il offense le bon Dieu en jurant : vous avez bien raison ; mais vous comprenez-vous vous-même en le grondant de ce qu'il jure ? Vous jurez vous-même. – Si vous entendez vos enfants dire des paroles grossières, vous les reprenez, et vous faites très bien : mais en les reprenant, vous en dites qui sont encore plus grossières. Un père dit à son enfant : « Mon fils, il faut être bon, affable à tout le monde et être patient. » Certainement que vous parlez comme un bon père ; mais que doit penser votre fils en vous entendant parler de la sorte, tandis qu'il n'y a qu'un moment qu'il vous a vu vous emporter contre sa mère, peut-être maltraiter un domestique et quereller un voisin ? N'est-ce pas, mon ami, que vous avez bonne grâce de parler ainsi à votre enfant ? Dites-moi, mon père, aurez-vous la force de dire à votre fils : « Mon enfant, il ne faut pas fréquenter le cabaret, ni s'enivrer : c'est un gros péché, c'est manger son argent mal à propos ; » tandis qu'il n'y a peut-être pas encore huit jours qu'il vous a vu venir du cabaret, plein de vin, avec bien moins de raison qu'une de vos bêtes qui est à l'écurie, dans une fureur semblable à celle d'un lion qui court dévorer tout ce qui se présente devant lui ? « Mon fils, dira peut-être ce bon père, il ne faut vouloir mal à personne : laissons la vengeance à Dieu seul. » Cela est très bien, mais tout à l'heure vous disiez qu'un tel vous avait trompé et qu'à la première occasion il s'en repentira. Dites-moi, que pensez-vous de tout cela ? Est-ce ce que vous faites, oui ou non ? Vous voyez bien que vous détruisez par vos mauvais exemples tout le bien que vos entretiens pourraient faire.
L'on dit aussi que les paroles peuvent persuader, mais que les exemples entraînent. Si vous voulez que vos enfants fassent bien, c'est-à-dire qu'ils soient bien sages, commencez à être sages vous-mêmes ; faites en sorte que tout ce que vous ferez, vos enfants puissent l'imiter. C'est vraiment une chose épouvantable de vouloir reprendre dans les autres ce que l'on fait soi-même. Voyez une mère qui dira à sa fille : « Ma fille, il ne faut mépriser personne, aime tout le monde. » Mais vous n'y pensez pas, mère : tout à l'heure elle vous a entendu dire du mal de votre voisine. – « Vois-tu, ma fille, lui dira-t-elle, il ne faut pas courir après les plaisirs ; cela n'annonce rien de bon. » Vous avez bien raison ; si elle suivait ce que vous lui dites et non ce que vous avez fait, elle serait heureuse. Mais vous avez oublié que tout à l'heure vous lui faisiez le récit de toutes les folies de votre jeunesse, auxquelles vous ne devriez penser que pour en pleurer le reste de vos jours. A vous entendre parler, il semble que vous regrettez de ne plus pouvoir vous y livrer, et vous voulez que vos enfants en soient honteux !
Après une conduite comme la vôtre, pères et mères, plaignez-vous de ce que vos enfants ne valent rien, qu'ils sont jureurs, opiniâtres, vindicatifs, ivrognes, libertins. – Si je ne craignais pas de vous faire de la peine, je vous dirais simplement qu'ils suivent le chemin que vous leur avez tracé ; ils font ce qu'ils vous ont vu faire ; ils ont oublié vos leçons et vos belles remontrances, mais ils se guident d'après votre conduite : et, pour couper encore plus court, ils vous ressemblent. Quoique vous pensiez peut-être que cela n'est pas, ce n'est pas moins la vérité. Convenons tous ensemble que, si les enfants n'ont point de religion, cela ne doit être attribué qu'aux parents ; et au jour du jugement le bon Dieu vous en fera convenir sans pouvoir trouver aucune excuse.
Mais si vous n'avez pas tout à fait perdu la foi et la raison, vous voyez que presque tous les parents qui ont été bons chrétiens ont eu des enfants saints. En voulez-vous encore un exemple ? Ecoutez-moi un instant. II est rapporté dans l'histoire qu'il y avait, dans le Japon, un père et une mère qui, ayant embrassé la religion chrétienne, étaient cruellement persécutés par les barbares. Ils attendaient chaque jour de souffrir le martyre. Ils avaient un petit enfant de neuf ou dix ans. Un jour, étant auprès du feu, le mari disait à sa femme : « Nous espérons bien que le bon Dieu nous fera la grâce de mourir martyrs ; mais que va devenir notre pauvre enfant ? Peut-être qu'il va renoncer sa religion ; il nous faut redoubler nos prières afin que le bon Dieu lui donne la grâce et la force pour souffrir pour Jésus-Christ. » Pendant ce temps, l'enfant qui ne faisait semblant de rien, prit un morceau de fer et le mit au feu. Quand il l'eut bien fait rougir, il se tourna contre ses parents, se l'appliqua sur la main avec un courage incroyable. Le père tout étonné court lui ôter le fer, qui dans un instant, lui aurait brûlé toute la main : il lui demande ce qu'il prétendait faire : « Mon père, lui répond l'enfant, pour vous faire voir que j'espère d'avoir la force de souffrir aussi bien que vous, avec la grâce du bon Dieu. » Ce bon père embrasse son enfant en voyant de si bonnes dispositions dans son pauvre petit. Heureuse récompense, M.F., des soins d'une bonne éducation qu'ils avaient donnée à leur enfant. Oui, M.F., dès qu'un enfant est baptisé, quelques mauvais penchants qu'il ait, nous sommes sûrs que si les parents veulent lui donner les soins que le bon Dieu veut, ils en feront un saint. Je vous répéterai toujours que, si vos enfants n'ont point de religion, cela ne vient que de votre faute seule, et que la damnation de vos pauvres enfants ne doit être attribuée qu'à votre négligence ou à votre ignorance, et pas à une autre cause.
Voici un exemple qui va vous montrer que si la négligence ou l'ignorance perd tant d'enfants, vous verrez aussi que les soins, la prière et les saintes instructions les sauvent. Il est rapporté dans l'histoire que saint Jean[11], étant dans une ville, jeta les yeux sur un jeune homme dont le beau physique l'avait frappé ; puis il se tourna contre l'évêque du lieu, lui disant : « Je vous recommande bien fort ce jeune homme, je vous le donne en présence de Jésus-Christ et de son Église comme un dépôt. L'évêque lui promit d'en avoir soin. Au bout de quelque temps saint Jean s'en retourna à Éphèse. Cet évêque prit le jeune homme que saint Jean lui avait confié, le nourrit, le garda chez lui, et, après l'avoir bien instruit, il le baptisa. Mais de peu à peu, il le négligea, et, lui ayant donné trop de liberté, il fréquenta des jeunes gens qui le perdirent. Il alla si loin qu'il se mit avec une troupe de voleurs... A la fin, désespérant de son salut, il ne pensa plus qu'à se livrer à tout ce que son cœur put désirer. Ayant donc avec lui une troupe de jeunes étourdis comme lui, il forma une troupe de voleurs. Comme il était hardi, il se rendit leur chef et devint le plus violent et le plus cruel de tous. Quelque temps après, saint Jean passa dans la même ville ; il va trouver l'évêque en lui disant de lui rendre le dépôt qu'il lui avait confié. L'évêque ne pensant plus à ce jeune homme crut qu'on lui demandait quelque dépôt qu'on lui avait confié. Le voyant embarrassé, il lui dit : « Ce jeune homme que je vous ai laissé lorsque je partis, qu'en avez-vous fait ? qu'est-il devenu ? » Alors l'évêque, baissant les yeux, lui dit avec un profond soupir et avec larmes qu'il était mort. « Et comment, lui dit saint Jean, de quelle mort ? » « Il est mort à Dieu, répondit l'évêque, car il est devenu un méchant, un perdu ; et, pour tout vous dire, il est un voleur qui, maintenant, au lieu d'être dans l'église comme autrefois, roule dans les montagnes, où il demeure avec une troupe qui, comme lui, égorge les gens pour les voler. » Saint Jean, entendant ces paroles, déchire ses habits ; puis, jetant un profond soupir et se frappant la tête, il dit à l'évêque : « Oui, certainement, j'ai laissé en votre personne un fidèle gardien de l'âme de votre frère ! Qu'on m'amène un cheval et qu'on me donne un guide. » Aussitôt il sortit de l'église, monte ce cheval et court vers l'endroit qu'on lui avait indiqué. A son arrivée, les sentinelles des voleurs coururent pour se saisir de lui. Il ne s'enfuit point. « Montrez-moi, leur dit-il, à votre capitaine. » On le mena vers ce jeune homme qui l'attendait d'abord les armes à la main. Mais aussitôt qu'il reconnut saint Jean qui venait à lui, la honte l'obligea de s'enfuir. Mais le saint lui cria : « Mon fils, pourquoi fuyez-vous votre père, un homme vieux et sans armes ? Ayez pitié de moi, ne craignez point ; il y a encore espérance pour votre salut ; je répondrai pour vous à Jésus-Christ. S'il est nécessaire, je souffrirais volontiers la mort pour vous comme je la souffrirai pour vous tous ensemble ; je donnerais mon âme pour la vôtre. Mon fils, arrêtez, et croyez que c'est Jésus-Christ qui m'envoie vers vous. » Le jeune homme, entendant parler de la sorte saint Jean, s'arrêta d'abord, tenant les yeux fixés en terre ; ensuite, il rompit ses armes, et, saisi de frayeur, il pleura amèrement. Comme il vit que le saint vieillard approchait, il alla l'embrasser ; ses larmes lui servaient bien de baptême. Seulement, il cachait sa main droite qui avait été souillée de tant de crimes. Alors saint Jean lui promit par serment qu'il se chargeait de ses péchés auprès de Jésus-Christ ; puis, se mettant à genoux devant lui, il lui baisa la main droite comme ayant été lavée par ses larmes. I1 le ramena à l'église et ne se sépara plus de lui avant qu'il ne l'eût remis et bien affermi dans la voie du salut. Il fut, par la suite, un grand saint qui a gagné bien des âmes par ses prières, ses instructions et ses bons exemples.
Dites-moi, pères et mères, vos enfants que vous voyez si tranquillement se damner, en disant que vous n'en pouvez pas davantage, ont-ils été si loin que ce jeune homme que saint Jean va chercher ? Avez-vous tout quitté pour leur courir après, comme fit saint Jean ? Avez-vous exposé votre vie pour sauver leurs âmes ? Avez-vous versé des larmes amères, comme fit ce saint, afin d'obtenir leur pardon ? Vous êtes-vous engagés à répondre pour eux au tribunal de Jésus-Christ ? Vous ne pouvez pas, dites-vous, faire servir le bon Dieu à vos enfants ; mais, dites-moi, mon père et ma mère, où sont donc vos efforts ? où sont vos larmes ? où sont vos pénitences et vos aumônes ? Vous ne pouvez pas les rendre sages, mais vous n'en savez rien ; vous n'avez pas essayé. Allez, malheureux, le bon Dieu vous attend, et il vous fera bien voir que si vous aviez voulu vous les auriez sauvés et que leur perte ne vient que de vous.
Je crois, M.F., que je me suis bien trompé en vous faisant cette instruction qui tend à vous faire comprendre la grandeur de vos devoirs envers vos enfants, et combien vous êtes obligés de travailler à leur salut : il fallait plutôt, commencer à vous faire comprendre la nécessité où vous êtes de travailler à votre propre sanctification : et, une fois bien convaincus de la nécessité où vous êtes de vous sauver, l'on n'aurait pas grand'peine à vous faire connaître le soin que vous devez prendre de l'âme de vos enfants Comment, en effet, vous pouvoir convaincre de faire pour vos enfants ce que vous ne faites pas pour vous mêmes ? Si vos enfants vous voyaient travailler avec empressement à leur salut, ils se diraient avec raison : « Mon père et ma mère font comme les charlatans qui veulent faire croire des choses qu'ils ne croient pas. » Nous voyons tous les jours que les parents qui laissent si tranquillement perdre leurs enfants, se perdent eux aussi tranquillement. O mon Dieu, quel malheur pour ces pauvres enfants de naître de parents sans religion ! Leur réprobation est presque certaine sans un miracle qui arrive bien rarement. Si je ne craignais pas de vous faire de la peine, je vous montrerais dans des enfants toute l'iniquité de leurs parents et dans d'autres toutes leurs vertus, sans rien me tromper. Cependant je ne veux pas le faire : je préfère prier le bon Dieu qu'il change vos cœurs, afin que vous travailliez à changer ceux de vos enfants. Qu'il serait beau, nous dit un Père de l'Eglise, si l'on voyait de temps en temps un père ou une mère avec un crucifix à la main montrer à ses petits enfants ce que Jésus-Christ a souffert pour les sauver, combien le péché est détestable ! Que ces enfants seraient bientôt changés ! Mais, hélas ! dans le temps où nous vivons, les parents auraient bien honte de le faire. Cependant rien ne touche si vivement un cœur que ce langage. Et, en effet, nous lisons dans l'histoire qu'il y avait un père qui était veuf et n'avait qu'une petite fille. Un jour, cherchant quelque chose dans l'armoire de sa mère défunte, la petite trouva par hasard un crucifix : elle le porta à son père en lui disant : « Mon père, qu'est-ce que c'est que cela ? » – «Mon enfant, lui dit son père, c'est un crucifix. » – « Mais, lui dit sa fille, que veut dire un crucifix ? » – « Je vous l'ai bien appris : vous l'avez donc déjà oublié ? Eh bien ! je vais vous l'apprendre : c'est une représentation de Jésus-Christ crucifié. » – « Mais, dit l'enfant, que veut dire la représentation de Jésus-Christ crucifié ? » – « Eh bien ! écoutez-moi ; vous savez que le Fils de Dieu est descendu du Ciel, qu'il s'est fait homme pour nous sauver, que sans lui nous serions tous perdus, qu'il a passé toute sa vie dans la pénitence à pleurer nos péchés ; il a appris aux hommes ce qu'il fallait faire pour gagner le ciel, qui est un bonheur qu'il nous a mérité par toutes ses souffrances. Les juifs l'ont traité cruellement, l'ont fait mourir sur une croix ; ils l'ont couronné d'épines, ils l'ont flagellé, ils l'ont élevé sur une croix, et il est mort dans ce supplice, où il a répandu tout son sang avant de mourir. Il a demandé pardon pour nous. Eh bien ! mon enfant, lui dit le père, voilà ce que ce crucifix vous rappelle. » Le père, voyant que son enfant écoutait avec beaucoup d'attention, lui dit : « Vous savez, mon enfant, ce qui a traité Jésus-Christ de la sorte ? » – « Non, lui répondit l'enfant. » – « Hélas ! mon enfant, ce sont nos péchés et ceux de tout le monde qui sont la cause de toutes ses souffrances et de sa mort. Souvenez-vous, mon enfant, que toutes les fois que vous avez péché vous avez fait souffrir Jésus-Christ, vous avez aidé à le faire mourir. » Voyant que les larmes coulaient des yeux de son enfant, il ajouta : « Ah ! mon enfant, voudrez-vous encore continuer d'affliger Jésus-Christ ? Ne voudrez-vous jamais l'aimer ? » Cette pauvre enfant, ne pouvant plus se contenir, tant son tendre cœur était attendri au récit des souffrances de Jésus-Christ, prend le crucifix d'entre les mains de son père en pleurant à chaudes larmes : « Ah ! mon père, en grâce, donne-moi ce crucifix. » Elle court s'enfermer dans sa chambre, se jette aux pieds de son crucifix, l'embrasse et l'arrose de ses larmes. « Ah ! mon Dieu, s'écrie cette pauvre enfant, c'est donc moi qui vous ai tant fait souffrir ! Mon Dieu, pardonnez-moi, s'il vous plaît. Ah ! si j'avais su que je vous eusse tant fait de mal, jamais je n'aurais fait ce que j'ai fait. Mon Dieu, pardonnez-moi mon ignorance. » Mais ce ne fut point pour un moment : la grâce du bon Dieu opéra un tel changement dans ce petit cœur qu'elle devint un modèle de vertu pour toute la paroisse. Dès qu'elle avait quelque peine, vite elle se jetait aux pieds de son crucifix, en lui disant : « Mon Dieu, comment oserais-je me plaindre, en voyant ce que vous avez souffert pour moi ? » Un jour qu'elle fut bien maltraitée par un brutal qui l'avait prise pour une autre, quand elle fut sortie d'entre ses mains elle alla se prosterner devant son crucifix, en lui disant : « Mon Dieu, lorsque vous étiez sur la croix vous avez bien pardonné à ceux qui vous ont fait mourir ; eh bien ! mon Dieu, je pardonne de bon cœur à cet homme qui vient de me maltraiter. Pour lui montrer que je ne lui veux point de mal, je voudrais avoir l'occasion de lui rendre quelque service : en effet, au bout de quelque temps cet homme tomba, la petite dit à son père, qui ne savait pas qu'il l'avait battue, s'il voulait lui donner quelque chose pour porter à cet homme ; il lui accorda ce qu'elle lui demanda. « Tenez, lui dit-elle, voilà ce que je vous apporte : je n'ai pas dit à mon père ce que vous m'aviez fait, crainte de... » Cet homme, voyant la charité de cette petite, se mit à pleurer ; il la remercia bien et lui demanda pardon. Un jour qu'elle vit une de ses voisines qui se désolait de ce que son mari mangeait tout ce qu'il avait dans les cabarets, elle lui dit : « Ma chère voisine, vous n'avez donc point de crucifix dans votre maison ? » – « Mais si, j'en ai un. » – «Mais si vous en avez un, il ne sert donc de rien ? Allez, ma chère amie, à ses pieds, et là vous apprendrez à souffrir pour un Dieu qui a tant souffert pour nous sans se plaindre, quoiqu'il fût innocent. » Ces paroles firent tant d'impression sur le cœur de cette femme qu'elle devint un modèle de patience ; on ne l'entendit plus se plaindre et, bien plus, elle eut le bonheur de convertir son mari. Mais pour la jeune fille, elle eut le bonheur de mourir de la mort des saints.
Eh bien ! qui lui procura cette grâce ? n'est-ce pas les instructions que son père lui donna, surtout en lui faisant le récit des souffrances de Jésus-Christ ? Hélas ! M.F., combien parmi ceux qui ont des enfants de dix-sept ou vingt ans, à qui ils n'ont jamais dit un mot des souffrances de Jésus-Christ ! Hélas ! peut-être d'autres qui n'ont point de crucifix dans leur maison, ou s'ils en ont, ils sont ensevelis dans la poussière ou dans les araignées ; ils ont bien soin de nettoyer leurs souliers tous les samedis, mais ils ne font point de cas de laisser l'image de leur Sauveur parmi les équevilles[12]. Mon Dieu, est-ce là des chrétiens ? et est-ce là des pères, des mères que le bon Dieu n'a mis sur la terre que pour conduire des enfants au ciel ? Qui pourra jamais assez pleurer la grandeur de leur aveuglement ? Hélas ! que de pauvres enfants damnés pour l'éternité ! N'est-ce pas, M.F., que si vos enfants n'ont point de religion, c'est parce que vous ne voulez pas vous donner la peine de les instruire ni de leur donner bons exemples ?
III. – Je dis donc que le troisième devoir des parents, c'est de corriger chrétiennement leurs enfants. Nous voyons très peu de parents qui corrigent leurs enfants selon Dieu. Dites-moi, M.F., comment voulez-vous que vos enfants soient bien sages en voyant ce que vous faites pour eux, c'est-à-dire en ayant si peu à cœur leur salut ? Hélas ! si j'osais, je vous dirais qu'il y a des parents qui ont moins à cœur de sauver l'âme de leurs enfants qu'ils n'ont à cœur la conservation de leurs bêtes. O mon Dieu, quelle cruauté ! Si vous en doutez, écoutez-moi. N'est-ce pas que vous aimez mieux envoyer vos bêtes dans les champs le dimanche pendant les saints offices que de les laisser à l'écurie pour faire venir vos enfants à l'église, pour les faire instruire de leurs devoirs, ce qu'ils doivent faire pour gagner le ciel et sauver leur pauvre âme ? N'est-ce pas que vous faites cela presque tous les dimanches ? – Mais, me direz-vous, si vous osez, nous ne pouvons pas laisser nos bêtes à l'écurie. – Mais vous ne raisonnez pas bien, mon ami, il faut dire que vous aimez mieux que les âmes de vos enfants périssent et se damnent que si vos bêtes n'avaient pas autant de quoi manger. Ne cherchez point de détour, M.F. ; avouez franchement que cela est, et vous direz la vérité. Écoutez ce que le Seigneur vous dit : « Les animaux découvrent à leurs petits leurs mamelles, et mon peuple refuse le lait de la parole à leurs enfants. » Oui, M.F., si vos enfants rendent malheureuse votre vieillesse, vous l'avez bien cherché vous-mêmes par votre négligence à les instruire, à former leur cœur pour le bon Dieu ; mais aussi vous commencez dès ce monde à payer votre négligence. Mon Dieu, que de parents malheureux dans leurs vieux jours !
Nous avons dit qu'il y a très peu de parents qui corrigent chrétiennement leurs enfants : les uns leur souffrent tout, sous prétexte qu'ils sont encore jeunes, qu'ils ne connaissent pas le mal qu'ils font. Vous vous trompez grandement. Les enfants, nous dit saint Basile, conservent ordinairement toute leur vie le pli qu'ils ont pris pendant leur jeunesse. Si vos enfants vous font du chagrin quand ils sont grands, la seule cause est que vous ne les avez pas corrigés comme vous le deviez, quand ils étaient petits. Voulez-vous que vos enfants vous rendent heureux dans votre vieillesse ? ne leur passez rien sans leur faire connaître le mal qu'ils font ; je veux dire, que si les paroles ne suffisent pas, il faut les châtier. Voyez, si vous ne le faites pas, vous et vos enfants serez punis même dès ce monde. Il est rapporté dans l'histoire qu'un père qui avait un petit enfant prenait plaisir à l'entendre jurer. Il avait toujours le mot de démon à la bouche. Un jour qu'il était malade, étant sur les genoux de son père, il se pencha contre l'épaule de son père, en disant : « Ah ! mon père, le diable m'emporte », et mourut dans ce moment. Hélas ! si le père avait eu le bonheur de ne pas le laisser jurer, sous prétexte qu'il était jeune, ce malheur ne lui serait pas arrivé. Hélas ! M.F., quel jugement peut-on porter contre des pères et mères quand on entend jurer, les enfants, sinon que l'on pense : Voilà un enfant qui appartient à des parents qui n'ont point de religion. Il y en a d'autres qui font tout le contraire, qui pour un rien leur tombent dessus et les écrasent, parce que un enfant aura cassé quelque chose des fois de la valeur d'un sou, et souvent qu'il ne sait pas sa faute... ; le père ou la mère, à coups de pied ou de bâton, peut-être les estropieront pour leur vie. Ils ne les corrigent pas, mais ils les maltraitent et les brutalisent. Les jurements et les malédictions sont toujours de la partie. Pauvres enfants, que vous êtes malheureux d'être nés de tels parents, qui, nécessairement vous damneront par les mauvais exemples et leurs malédictions qu'ils ne cessent de vous vomir dessus. – Mais, me direz-vous, ces pères et mères ne connaissent pas plus ce qu'ils doivent à leurs enfants que les païens mêmes, qui n'ont jamais entendu parler du vrai Dieu. – Il faut bien les battre ou bien l'on n'en est pas écouté. L'on est obligé de leur tomber dessus à coups de pied, à coups de poing, si l'on veut se faire obéir, tant ils font de travers.
Je passe sous silence ce que vous mériteriez pour manquer ainsi à vos devoirs. Je vous dirai seulement : « Il fallait, avant de vous marier, apprendre que vous étiez chrétiens, et savoir si le mariage était un sacrement, et si après ce monde il y en avait un autre, ou si vous pensez qu'après la mort tout était fini. N'est-ce pas, mon ami, comme si, pour remplir un devoir, il fallait manquer à tout ce que la religion et même la raison, l'humanité nous imposent ? Savez-vous, mon ami, ce qu'il résulte de toutes vos brutalités ? C'est que vos enfants ne vous craignent pas, mais seulement vos coups ; et quand ils ne craindront plus vos coups, ils se moqueront de vous, et vous mépriseront. Hélas ! c'est bien ce que nous voyons tous les jours. – Mais, me direz-vous, que faut-il donc faire pour les corriger saintement ? – Ce qu'il faut faire, mon ami ? ce que vous ne faites pas. Ecoutez-le : c'est de ne jamais châtier vos enfants le moment que vous êtes en colère, et toujours attendre que vous soyez calme, parce que, loin de les rendre meilleurs, vous ne faites que les rendre encore plus mauvais. Vous commencerez à leur faire sentir le mal qu'ils ont fait, c'est-à-dire l'outrage que leur péché fait à Dieu, et les châtiments que le bon Dieu leur fera subir dans l'autre vie s'ils ne se corrigent[13]. Vous-mêmes, vous devez demander à Dieu de bénir votre correction, et ne jamais les maudire. O mon Dieu, des parents peuvent-ils bien ouvrir la bouche pour maudire leurs pauvres enfants, qui sont tous à Jésus-Christ et pour lesquels il est mort ! Oui, M.F., des enfants que les parents ne corrigent pas chrétiennement, font ordinairement des fins bien malheureuses, déshonorantes. Je ne veux pas m'étendre là-dessus, parce que nous ne finirions pas. Je vous dirai, M.F., pour vous encourager un peu : si vous avez quelque envie de vous sauver vous-mêmes et l'âme de vos enfants, quand vous avez fait ce que vous avez pu pour bien les instruire, leur donner bon exemple, les corriger ; quand, après tout cela, vous ne pouvez pas les ranger du côté du bon Dieu, c'est d'avoir recours à la prière, c'est de vous humilier devant le bon Dieu, pensant que c'est vous-mêmes qui êtes la cause de l'état malheureux où sont vos enfants ; qu'un méchant arbre comme vous ne pouvait pas porter du bon fruit. Le saint homme Job, qui avait sept garçons trois filles, nous dit qu'il se levait de grand matin pour prier le bon Dieu pour ses enfants, et qu'il offrait tous les jours des sacrifices pour obtenir du bon Dieu qu'ils fussent bien sages[14]. Voyez sainte Monique... Faites de même, M.F., priez tous les jours pour vos enfants, faites tant d'aumônes que vous pourrez pour eux ; faites dire quelques messes, faites quelques communions pour eux ; mettez-les tous les matins sous la protection de la Sainte Vierge. Quelle consolation, si vous voyez vos enfants avec vous dans le ciel ! Mais aussi quel malheur, si vous aviez le malheur de vous voir en enfer !
Denis le Chartreux rapporte qu'un saint Père du désert lui avait dit qu'il vit un jour en enfer un père et un enfant enchaînés ensemble avec une chaîne de fer toute rouge de feu, ils se maudissaient ; et se mordaient l'un l'autre, se déchirant comme des enragés. Le père disait à son fils : « Maudit enfant, que n'as-tu été étouffé dans le ventre de ta mère ! Que n'as-tu été étranglé dans ton berceau ! tu es la cause de ma damnation. » Il appelle les démons à son secours pour tourmenter plus cruellement son fils. Le fils, de son côté, maudissait son père, en lui disant : « Si vous m'aviez bien instruit, donné bon exemple et corrigé, je ne serais pas ici : c'est vous qui êtes la cause de ma perte. » A son tour, il appelle les démons à son secours pour lui aider à tourmenter son père. O terrible vie, qui dure éternellement ! O mon Dieu, que de parents et d'enfants qui m'écoutent qui seront du nombre ! – Mais peut-être pensez-vous : Nous faisons ce que nous pouvons. – Tant que vous ne serez pas meilleurs chrétiens vous-mêmes pour donner bon exemple à vos enfants, et tant que vos enfants ne seront pas plus sages, je vous... Si vous faisiez ce que vous pouvez, comme ce père dont il est rapporté dans l'histoire. Il avait un fils que les mauvaises compagnies avaient tellement perverti, qu'il avait conçu le dessein de le tuer, pour avoir son bien ; le père...
II est temps de finir, M.F., en vous disant que vous n'avez rien fait de ce que vous deviez faire pour conduire vos enfants au ciel... C'est de commencer par vous-mêmes à mieux remplir vos devoirs de religion, afin que vous puissiez dire à vos enfants de les remplir ; c'est qu'ils ne puissent jamais être scandalisés de votre conduite ; et au contraire, que dans tout ce que vous faites vous puissiez leur dire : « Faites comme moi ; » c'est de ne jamais passer un jour sans prier plusieurs fois pour eux, et de faire toutes les bonnes œuvres, les pénitences et les aumônes que vous pourrez encore faire avec tout cela. Autrement je conclus que vous êtes en grand danger de vous perdre et de perdre vos enfants avec vous. Priez le bon Dieu qu'il vous fasse connaître vos devoirs que vous n'avez jamais connus, afin de pouvoir réparer en partie le mal que vous avez fait par le passé, et de mieux faire pour l'avenir. C'est le bonheur
[1] I TIM. V, 8.
[2] DEUT. VI. 5-7.
[3] Filii tibi sunt ? erudi illos, et curva illos a pueritia illorum. ECCLI. VII, 25.
[4] A Joinville.
[5] TOB. IV .
[6] GEN. XVIII, 17.
[7] Devinrent.
[8] L’on demanda.
[9] Oui, M.F., si vous n’étiez ici que des gens mariés, je vous dirai ce qui vous ferai rougir, en vous parlant de la manière dont vous vous comportez en ce qui regarde le mariage . Il en est qui ne sont pas plus réservé que des bêtes. Combien de ménages !… (Note du Saint)
[10] Venant à passer.
[11] Saint Jean l’Evangéliste. RIBADENERIA, au 27 décembre.
[12] Les balayures.
[13] Pensez-y bien… Vous y êtes obligés, sans quoi vous offensez le Bon Dieu. (Note du Saint)
[14] JOB. I, 5