1er  AOUT

SUR LE MARTYRE DES MACHABÉES [1]

 

Parati sumus mori, magis quam patrias Dei leges prævaricari.
Nous sommes prêts à mourir plutôt que de violer la loi de Dieu et de notre pays.
(
II L. des Machabées, vii, 2 )

 

 

Telle fut, M.F., la réponse que fit l'illustre famille des Machabées à Antiochus, ce fameux persécuteur de la religion. Ces jeunes Hébreux répondirent avec courage : « Nous devons à Dieu un amour à toute épreuve, et aucun tourment ne pourra nous faire violer la fidélité que nous lui devons ; nous voici, vous pouvez nous faire souffrir, nos corps sont en votre pouvoir ; mais notre foi, notre amour, vous n'en êtes pas le maître, vous n'avez point d'empire sur nous en cela ; ne vous attendez donc pas à ce que nous fassions quelque chose qui puisse déplaire au Seigneur, nous sommes heureux de mourir. » Ils ne balancent pas, ils sont résolus, avec la grâce de Dieu, de perdre non seulement leurs biens, leur honneur, mais encore leur vie. Voyez-vous le courage de ces anciens martyrs, qui avaient beaucoup moins de grâces que nous ? Non, M.F., ces saints martyrs n'avaient pas vu, comme nous, Jésus-Christ portant sa croix sur le Calvaire ; ils n'avaient pas encore vu ces foules de martyrs, qui, à l'exemple de Jésus-Christ, ont donné leur vie avec tant de courage ; mais c'étaient eux qui traçaient le chemin. Ils n'avaient pas, comme nous, le bonheur d'entendre la voix de Jésus-Christ, qui, du haut de la croix, semble nous dire : » Venez, mes enfants ; venez, montez sur votre Calvaire, comme je suis monté sur le mien. » Voilà bien un langage capable de nous donner des forces. Mais non, ils n'avaient pas le même bonheur ! Oh : si nos pères reparaissaient au milieu de nous, pourraient-ils nous reconnaître pour leurs enfants et leurs héritiers dans la foi ? Hélas ! combien parmi nous qui, non par la crainte de la mort ni même de la perte de leurs biens, mais par un petit respect humain, une petite crainte d'être raillé, abandonnent leur Dieu et rougissent d'être de bons chrétiens ? Combien d'autres déshonorent cette religion sainte par une vie toute païenne et toute mondaine ? Pour vous engager, M.F., à ne rien craindre quand il s'agit de plaire à Dieu et de sauver votre âme, je vais vous mettre devant les yeux le courage des saints martyrs de l'Ancien Testament et de quelques-uns du Nouveau. Mais ne nous contentons pas d'admirer leur intrépidité et leur zèle pour la gloire de Dieu et le salut de leur âme. Confrontons leur vie avec la nôtre, leur courage avec notre lâcheté, leurs tourments avec notre horreur de la pénitence ; voyons si nous pouvons comme eux espérer le ciel en faisant ce que nous faisons. Hélas, que de chrétiens damnés !... Faisons, pour les imiter, tout ce qui sera en notre pouvoir.

 

I – Si nous ouvrons les Livres saints, nous voyons que de tout temps, les bons ont été persécutés par les méchants. C'est ce à quoi il faut nous attendre, si nous voulons espérer le ciel. Voyez Abel et Caïn, Joseph et ses frères, David et Saül, Jacob et Ésaü, etc., etc. Nous n'avons point d'autre partage sur la terre, ceux qui ont passé avant nous le démontrent assez. De tout temps, ceux qui ont voulu être à Dieu ont fait le sacrifice de leurs biens, de leur réputation et de leur vie même ; si nous voulons espérer leur récompense, nous devons faire comme eux, sinon nous n'aurons jamais le bonheur d'aller participer à leur joie. Voici un exemple pour mieux vous en convaincre. Nous lisons dans l'Ancien Testament [2] que les Juifs, revenus de la captivité de Babylone, furent en paix jusqu'au moment où l'impie Antiochus monta sur le trône. Ce méchant roi excita la plus cruelle persécution qu'ils eussent encore jamais vue jusqu'alors ; Dieu le permit, il est vrai, pour éprouver ses serviteurs ; et d'ailleurs, le prophète Daniel la leur avait annoncée [3] . Le dessein de ce roi impie était d'abolir entièrement, s'il le pouvait, le culte du vrai Dieu. II ordonna sous peine de mort, de profaner le jour du sabbat et des fêtes, de dépouiller les lieux saints, de bâtir des autels et des temples au démon, et de sacrifier des animaux défendus par la loi. II fit placer une idole infâme dans le temple, les livres de la loi furent détruits et jetés au feu. Si l'on trouvait quelques Juifs qui voulussent servir le Seigneur, ils étaient aussitôt pris et punis de mort. La ville sainte fut abandonnée de ses propres sujets et devint la demeure des païens. Le saint temple devint désert, toutes les fêtes furent changées en deuil ; cependant, malgré toutes ces terreurs que l'on commençait à répandre pour forcer les Juifs à renoncer au vrai Dieu, plusieurs prirent la résolution de ne rien faire contre la loi, et de mourir plutôt que de la violer.

Un de ceux qui se montrèrent les plus intrépides fut un bon vieillard nommé Éléazar, âgé de quatre-vingt-dix ans, connu pour sa vie pure et innocente [4] . Ses persécuteurs le prirent et lui commandèrent de manger de la viande qui avait été offerte aux idoles, sinon, on le ferait mourir selon la loi du mauvais roi. Voyant qu'il refusait, on voulut le contraindre ; les uns lui ouvraient la bouche, les autres lui mettaient la viande dedans, comme si ces insensés ne savaient pas que la volonté seule fait le péché, et qu'une action où le cœur n'a point de part n'est pas un péché. Éléazar fut invincible, il préféra la mort plutôt que d'obéir à l'empereur en mangeant de la viande défendue par la loi. « Je préfère, dit-il, une mort innocente à une vie criminelle. » Pendant qu'il allait avec joie à la mort, il eut à subir une épreuve de la part de ses amis, et, pour cela même, bien plus redoutable que celle que lui faisait endurer le roi impie. Étant venu le trouver, ils lui dirent en pleurant : « Mon ami, nous venons ici pour vous sauver, comme nous nous sommes sauvés nous-mêmes. Nous ferons apporter de la viande qui n'a pas été offerte aux idoles, c'est-à-dire au démon, et, par complaisance, vous la toucherez seulement, et nous dirons aux officiers du roi que vous avez obéi. Voilà un moyen bien sûr pour éviter la mort et vous rendre à votre nation. » Mais le saint martyr s'écria : « Non, non, jamais je ne ferai cela ; qu'on me mène de suite au supplice, plutôt que de commettre une lâcheté semblable, qui outragerait mon Dieu ; que l'on me jette tout vivant dans le tombeau, je le préfère mille fois. Eh quoi ! mon Dieu, l'on me croit capable, à mon âge, de dissimuler, de faire croire que ma religion n'est qu'une superstition ! Moi, laisser un si mauvais exemple à la jeunesse qui se propose de me prendre pour modèle ?... moi, leur laisser croire que j'ai été séduit par l'amour de la vie et par la crainte des supplices ? Non, non ! ... jamais, dans le peu de jours qui me reste à vivre, je ne me laisserai aller à une semblable lâcheté. Quand bien même je pourrais aujourd'hui, en prostituant mon âme et ma conscience, échapper aux supplices des hommes, pourrai-je échapper à la justice de Dieu ? Non, mourons avec constance, mes amis, et montrons-nous dignes de notre âge, puisque Dieu daigne nous choisir pour nous donner en spectacle à la jeunesse. La mort la plus cruelle est aussi douce qu'elle est glorieuse, quand c'est à Dieu qu'on fait le sacrifice de sa vie. Pourquoi craindrais-je de perdre une vie que bientôt je serai obligé de quitter sans mérite, tandis qu'en la donnant dès aujourd'hui à Dieu, j'en reçois une si belle récompense pour l'éternité !... Venez, bourreaux, ajoutait-il avec un courage extraordinaire, venez, et vous verrez les sacrifices que peuvent faire ceux qui sont aidés de la force d'En-Haut ; vous aller m'ôter un reste de vie pour m'en procurer une éternelle. Ah ! il me semble voir les anges qui viennent à moi, pour emmener mon âme dans le ciel ; non, non, mes amis, je ne crains ni les tourments ni la mort, tout cela est un bien pour moi. Mourons pour notre Dieu, et nous lui montrerons que nous l'aimons véritablement. Mourons, mes enfants, et nous quitterons la guerre et les souffrances pour aller dans un lieu de paix, de joie et de délices. Oui, mon Dieu, je vous fais volontiers le sacrifice de ma vie ! » Oh ! M.F., que ces sentiments sont beaux ! qu'ils sont dignes de la grandeur d'une belle âme et d'une religion aussi sainte qu'est la nôtre. Toutes ces belles paroles qu'il prononça en présence de ses bourreaux auraient bien dû les toucher et changer leur cœur ; mais non, ils n'en deviennent que plus furieux. L'on se rue sur ce pauvre vieillard, on le jette par terre, on le dépouille, on le lie ; les bourreaux armés de verges, le frappent jusqu'à en perdre la respiration ; mais au milieu de tant de douleurs, il ramasse le peu de force qui lui reste, et s'adresse au Seigneur : « Vous le savez, O mon Dieu, c'est pour vous que je souffre dans la crainte de vous offenser ; mon Dieu, soutenez-moi, faites que je meure pour l'amour de vous ! » On ne cessa de le frapper jusqu'à ce qu'il eût rendu sa belle âme à Dieu.

Quel exemple pour nous, M.F., mais quelle honte pour tant de chrétiens lâches, qui, tant de fois, par un maudit respect humain, transgressent les lois de l'Église en mangeant de la viande les jours défendus ! Dites-moi, si vous aviez été mis à de pareilles épreuves, auriez-vous fait comme ce bon vieillard de quatre-vingt-dix ans, qui préféra la mort plutôt que de faire semblant de manger de la viande défendue par la loi des Juifs ? Quelle condamnation pour tant d'apostats qui foulent aux pieds cette loi sainte ! Allez dans une foire, dans un cabaret, un vendredi ou un autre jour où il est défendu de manger de la viande ; voyez ces tables qui en sont couvertes, examinez ceux qui en mangent. Hélas ! ce sont des pères, des mères de famille, des maîtres et maîtresses, qui, peut-être, auront leurs enfant et leurs domestiques avec eux ; ce sont de ces mauvais chrétiens, sacrilèges même, qui auront rempli leur devoir pascal, et qui déjà tant de fois ont promis de ne plus transgresser cette loi ! Quelle idée se fait-on aujourd'hui de Dieu, de sa religion et de ses lois ? Hélas ! M.F., notre sainte religion n'est plus, aux yeux du plus grand nombre de chrétiens, qu'une chimère, qu'un fantôme ; l'on ne conserve plus maintenant qu'un certain extérieur, quand rien ne nous gêne, quand rien ne nous coûte ; mais à la moindre chose, nous méprisons tout, et nous semblons n'être plus que des apostats. Oh ! que de chrétiens perdus !... Qu'ils sont malheureux de commettre le péché avec tant de réflexion, connaissant si bien qu'ils font mourir Jésus-Christ, qu'ils lui arrachent leur pauvre âme pour la traîner en enfer !... Que pourront-ils répondre lorsque Jésus-Christ les jugera ? Diront-ils que c'est leur fragilité ou la misère qui les a portés à faire cela ? Quelle honte pour ces malheureux apostats dont les uns ont péché par impiété en raillant les lois de l'Église, les autres par un maudit respect humain ! Ils ont préféré perdre leur âme, outrager Dieu, plutôt que de supporter la honte d'une parole sortie de la bouche d'un impie, d'un libertin !...

Venons-en, M.F., à d'autres exemples, et nous verrons que si la vieillesse est naturellement plus ferme dans la foi, l'âge le plus tendre nous fournit aussi des exemples qui ne sont pas moins grands. Après les combats de ce bon vieillard, l'on vit entrer sur les rangs une mère avec ses sept enfants dans la fleur de l'âge. Ils avaient tant de candeur et de modestie qu'ils faisaient l'admiration de tout le monde. Le cruel Antiochus se les fit tous amener devant lui, il leur commanda sur le champ de manger de la viande qui avait été offerte au démon, et cela, sans répliquer, selon les ordres qu'il avait donnés. Tous, d'une voix unanime, refusèrent de le faire. Sur ce refus, il les fit dépouiller devant lui, et ordonna qu'on les frappât à coups de fouets et de nerfs de bœuf, jusqu'à ce que leur corps fût tout déchiré. L'aîné des sept frères, sans s'étonner de ce traitement, prend la parole et dit au tyran : « Que demandez-vous de nous ? Apprenez que nous savons souffrir et mourir, mais non trahir la loi du Seigneur. » Cette réponse mit l'impie Antiochus dans une si grande fureur, qu'il commanda de faire rougir sur le champ des chaudières d'airain, et, pendant que tous les bourreaux s'empressaient de lui obéir, outré de colère contre ce jeune homme qui venait de le braver au nom de tous, il lui fait couper la langue, arracher la peau de la tête, couper les extrémités des pieds et des mains, et cela en présence de sa mère et de tous ses frères. Il lui fait appliquer des lames de fer rouge dans toutes les parties de son corps. Comme après ce cruel tourment il vivait encore, il ordonne de le jeter dans la chaudière d'airain que le feu avait rendue aussi ardente qu'un barre de fer sortant du feu, et le regarde impitoyablement brûler. Pendant ce temps-là, sa mère et ses frères s'encourageaient les uns les autres à souffrir. » Allons, mes enfants, leur crie cette mère, courage ! Par notre mort, nous pouvons glorifier Dieu et nous rendre heureux pendant l'éternité ; puisque nous sommes tous condamnés à mourir par suite du péché de nos premiers parents, mourons ; notre mort est de quelques instants, et nous aurons une récompense, un bonheur éternel. » Le premier étant mort, l'on se saisit du second. On commença par lui arracher les cheveux avec la peau de la tête, en lui demandant s'il voulait manger de la viande qu'on lui allait présenter. Il leur répondit qu'il saurait bien souffrir et mourir à l'exemple de son frère, mais que jamais il n'aurait la lâcheté de violer la loi du Seigneur. On lui fit souffrir les mêmes tourments, on lui coupa les pieds et les mains. N'ayant plus qu'un soupir, il dit au roi : « Méchant prince, vous nous faites perdre la vie présente ; mais nous sommes assurés que le Seigneur, pour lequel nous la perdons, nous la rendra éternelle. » Après celui-ci, l'on passe au troisième, qui se présente de lui-même, et sans attendre qu'on l'interroge s'offre aux mêmes supplices. On lui demande ses mains qu'il présente avec joie : « C'est du ciel, dit-il, que j'ai reçu ces membres, je vous les livre volontiers pour les faire souffrir, puisque, par ces souffrances, je puis glorifier Dieu et m'assurer le ciel. »

Ah ! M.F., si nous avions une foi aussi vive que celle de ces saints martyrs, quel mépris ne ferions-nous pas de nos corps et de nos plaisirs sensuels ?... Aurions-nous le courage de leur sacrifier si facilement notre âme et notre éternité ?... Ah ! si nous pensions bien à notre résurrection, qui sera glorieuse à proportion que nos corps auront été méprisés et persécutés !... Avec quelle gloire vont paraître ces foules de martyrs qui ont laissé mettre leurs corps en lambeaux !... Le roi et tous ses courtisans ne connaissant pas assez les forces que nous donne la religion, ne pouvaient revenir de leur surprise. Ils n'en devinrent que plus enragés. Antiochus vint au quatrième, il ne se donnait plus la peine de menacer, parce qu'il savait bien que c'était un temps perdu, il en venait aussitôt aux tourments. Il lui fit donc arracher la peau. On lui coupe les pieds et les mains, on le jette dans une chaudière brûlante : « Je ne crains pas vos ordres, lui dit encore celui-ci, car une résurrection glorieuse nous attend, et le Dieu que nous servons est toute notre espérance ; pour vous, vous ressusciterez un jour, mais ce ne sera pas pour la vie, une mort éternelle vous attend. » L'on se saisit du cinquième, et le roi tout en fureur dit : « Voyons s'ils seront également insensibles. » L'enfant n'attend pas d'être pris par les bourreaux, il court au-devant d'eux, et du milieu des flammes où son pauvre corps était déjà tout en pièces, il lève avec tranquillité les yeux vers le tyran : « Vous faites de nous maintenant ce que vous voulez, mais viendra un moment où vous éprouverez à votre tour la rigueur de la justice divine. » Le roi ne pouvant plus se posséder : « Achevons, dit-il à ses bourreaux, d'exterminer cette famille insolente. » Le sixième arrive, la douceur peinte sur le front ; il s'avance avec joie et se livre sans frayeur entre les mains des bourreaux. Ces furieux se mettent à le déchirer, lui arrachent et lui coupent les pieds et les mains : « Que crains-tu, impitoyable roi ? dit le généreux martyr, il n'en reste plus qu'un qui est mon frère, et ma mère ; un enfant et une femme ; mes frères m'attendent dans le ciel, vous me faites mourir, j'en suis bien content. » Cependant, ce qui est le plus digne d'admiration, c'est l'attitude de cette pauvre mère, qui voit périr tous ses enfants devant ses yeux, et cela en un seul jour, sans verser une larme. Elle sut si bien retenir sa douleur, qu'au contraire, elle faisait tout ce qu'elle pouvait pour les encourager. O mères qui m'écoutez, si vos enfants ne sont pas religieux, ou plutôt, s'ils sont sans religion, ne vous en prenez qu'à vous-mêmes !... Si vous aviez le bonheur d'imiter cette mère généreuse, si, comme elle, vous pensiez que vous n'avez des enfants que pour les donner au ciel !... « Ah ! mes enfants, leur criait-elle, pendant qu'on déchirait leur corps et qu'on les coupait en morceaux, mes enfants, courage, mourez pour le Seigneur, et le ciel est à vous ! perdez une vie misérable, et vous en aurez une heureuse et éternelle. » Hélas ! combien de pauvres mères, trop faibles, voient courir leurs enfants au mal, ou plutôt aux enfers, sans verser une larme, peut-être même, sans dire un Pater et un Ave ! Laissons, M.F., ces tristes enseignements.

Cependant, de sept enfants, il n'en restait plus à cette pauvre mère qu'un seul, le plus jeune. Antiochus, couvert de honte de n'avoir pu vaincre ces enfants, voulut faire un dernier effort pour gagner au moins celui-ci. Il lui fit de belles promesses, disant qu'il le mettrait au nombre de ses favoris, pourvu qu'il abandonnât sa religion. Mais cet enfant était inébranlable. Le roi, feignant la compassion appela la courageuse mère : « Sauvez au moins, je vous prie, ce dernier enfant. Il fera votre bonheur et, votre consolation par les faveurs dont je le comblerai. » Pères et mères, venez vous instruire ; écoutez le langage d'une mère qui sait que ses enfants lui sont donnés pour les conduire au ciel et non pour les damner. Elle lui dit en présence du roi : « Mon fils, ayez pitié de celle qui vous a porté neuf mois dans son sein, qui vous a nourri trois ans de son lait et qui vous a élevé jusqu'à l'âge où vous êtes ; regardez, mon fils, ce beau ciel, vous n'êtes sur la terre que pour y aller ; voyez vos frères qui sont déjà sur des trônes de gloire, ils vous attendent ; à leur exemple, donnez volontiers votre vie pour votre Dieu. » Ces paroles inspirèrent à l'enfant un si grand amour de Dieu, qu'il se tourne vers le bourreau en lui disant « Qu'attendez-vous ? Croyez-vous que je vais obéir à vos ordres impies ? Non, non, je veux montrer que je suis digne de marcher sur les traces de mes frères, que votre cruauté a placés sur des trônes de gloire. Ils m'attendent : les voyez-vous qui me tendent les mains ; oui, j'abandonne comme eux mon corps et ma vie pour la défense de la loi de mon Dieu. » Alors le roi fut si en fureur de voir qu'une femme et des enfants se moquaient de lui, qu'il le fait encore souffrir davantage. Il lui fait couper les pieds et les mains... et finit par le jeter dans une chaudière rougie au feu, où ce bourreau, dans sa joie diabolique, prenait plaisir à le voir tourmenter. La mère reste seule, au milieu des membres épars de ses fils ; de quelque côté qu'elle tourne ses regards, elle voit les pieds, les mains, la peau et la langue de ses enfants, que l'on avait jetés çà et là, autour d'elle, pour la torturer davantage. Antichius n'ayant plus d'espérance de gagner la mère, lui fit souffrir des tourments si cruels, qu'elle mourut dans les supplices, bénissant Dieu de ce qu'il lui avait donné, le bonheur de voir tous ses enfants mourir avant elle pour aller au ciel. Ainsi mourut cette bienheureuse mère, qui ne quitta la terre que pour le paradis. Heureuse mère d'avoir sept enfants qui sont maintenant placés sur sept trônes de gloire. O heureux enfants, d'avoir eu une telle mère ! qui ne vous a mis au monde que pour vous conduire à la possession de Dieu !

Pour Antiochus, ce malheureux tyran, la main vengeresse du Tout-Puissant le punit visiblement ; il fut frappé d'une plaie invisible et incurable, juste punition d'un bourreau qui avait inventé tant de supplices pour faire souffrir les serviteurs de Dieu. Il tomba de son chariot, se meurtrit tout le corps. Ses entrailles fourmillaient de vers, ses chairs tombaient par lambeaux ; il répandait une puanteur si insupportable, que personne ne pouvait ni l'approcher ni le servir. Se sentant frappé de la main invisible de Dieu, il fit de grandes promesses et prit les plus belles résolutions ; mais le Saint-Esprit nous dit que la crainte seule des tourments lui faisait faire tout cela. Dieu n'écouta pas sa prière, et ce malheureux prince mourut mangé par les vers. Voilà la fin ordinaire de ces impies, qui semblent ne vivre que pour outrager Dieu, et porter les autres au mal. Le bon Dieu se lassant de leurs impiétés, les frappe, et les jette en enfer pour en débarrasser la terre.

Si la différence, M.F., a été si grande entre Antiochus et cette mère avec ses enfants, elle l'est encore bien plus maintenant : le roi est dans les enfers, tandis que la mère et les enfants sont dans le ciel. Oh ! qu'il y a peu de chrétiens aujourd'hui qui soient prêts, je ne dis pas à donner leur vie pour le bon Dieu, comme ont fait ces enfants, mais même à supporter la moindre chose pour ne pas violer les lois de notre sainte religion. Combien y en a-t-il qui ne font ni confession ni communion pascale ? qui ne font point d'attention aux jeûnes commandés par l'Église, et qui passent ce saint temps comme un autre, sans mortifications, sans peut-être se priver de manger entre les repas ? Hélas ! combien d'autres fréquentent les cabarets, ou, sans faire tout cela, passent ces jours consacrés à la pénitence, sans faire une prière ou une bonne oeuvre de plus ? Combien en est-il qui ne font point difficulté de manquer l'office de la paroisse, et qui, peut-être, manqueront trois dimanches de suite, sachant très bien de quoi l'Église les menace ? Combien de pères et de maîtres forcent leurs enfants et leurs domestiques à travailler le saint jour du dimanche, combien de pauvres enfants restent peut-être des mois entiers sans assister aux offices ! Hélas ! que de maîtres damnés !

D'autres ne se contentent pas de violer les lois de l'Église, de les mépriser, de les railler, ils ne font point de cas de la parole de Dieu qu'ils ne regardent que comme la parole d'un homme. Combien, pendant les saints offices sont sans dévotion, et laissent aller leur esprit partout où il veut ! Ils savent à peine ce qu'ils viennent faire à l'église, et seraient bien embarrassés de répondre si on leur demandait pourquoi ils viennent à la sainte Messe ? Combien se mettent à peine à genoux !... L'on ne l'ait point difficulté de manquer les vêpres, les instructions, le chapelet, le chemin de la croix et la prière du soir. Il en est qui ne font presque jamais de visites au Saint-Sacrement entre les offices, et passent le saint jour du dimanche moins bien que les autres jours. Oh ! comment osent-ils espérer le ciel ? Comment peuvent-ils croire que le bon Dieu leur fera miséricorde dans ce moment terrible où les plus grands saints ont tremblé ; eux dont la vie n'a été que bonnes couvres, et qui, pour quelques légères fautes, ont fait tant de pénitences [5]

Combien y en a-t-il encore parmi ces pauvres chrétiens, qui passent des journées entières sans penser au bon Dieu et sans faire un petit retour sur eux-mêmes c'est-à-dire sur leur pauvre vie ; afin de concevoir de l'horreur de leurs péchés, et pour s'exciter à faire quelques bonnes actions dans le but d'attirer la miséricorde de Dieu sur eux ? Voilà. M.F., la conduite du plus grand nombre des chrétiens de nos jours: l'on ne pense nullement à son salut, on est tout occupé des affaires temporelles, l'on regarde la mort comme ne devant venir jamais. Cependant ce moment arrive pour tout le monde ; et si nous n'avons rien fait pour nous assurer le ciel, alors tous nos péchés se présentent en foule à notre mémoire, toutes les grâces que nous avons méprisées, toutes les bonnes oeuvres et prières que nous aurions pu faire et que nous n'avons pas faites ; nous voyons, dans ce triste moment, toutes les âmes que nous avons perdues par nos mauvais exemples, et que nous aurions pu conduire à Dieu, si nous leur en avions donné de bons. Oh ! que de malheurs attendent une personne qui a vécu sans religion, sans pénitences et sans examiner à quoi les commandements de Dieu et de l'Église l'obligeaient !.. Ce n'est pas ainsi qu'il faut faire, ce n'est pas ainsi que les saints ont fait ; ils avaient tellement à cœur de plaire à Dieu et de sauver leurs âmes, que non seulement ils évitaient les moindres péchés, mais encore ils passaient toute leur vie dans les bonnes couvres, les larmes et la pénitence. Un grand nombre de martyrs ont donné leur vie pour s'assurer le ciel, nous en avons de beaux exemples dans l'histoire des saints du Nouveau Testament. Je vous citerai celui de saint Côme et de saint Damien [6] .

 

II. – C'étaient deux frères jumeaux. Leur mère qui avait la crainte du Seigneur, prit tous les soins possibles pour leur inspirer l'amour de Dieu ; elle leur parlait souvent du bonheur de ceux qui donnent leur vie pour Jésus-Christ. Ces frères, qui n'avaient que de bons exemples devant les yeux, ne pouvaient pas moins faire que d'imiter les vertus de leur mère. O quelle grâce, quel bonheur pour les enfants que d'avoir des parents sages ! Oh ! que de pauvres enfants damnés, et qui seraient au ciel s'ils avaient eu des parents bien religieux ! Mon Dieu ! est-il bien possible que le défaut de religion des parents, précipite tant d'âmes en enfer ? Malheureux parents, qui semblent n'avoir des enfants que pour les traîner en enfer !... Comment des enfants qui n'ont que de mauvais exemples devant les yeux, peuvent-ils pratiquer la vertu ? Les enfants seront-ils meilleurs que leurs parents, qui ne font ni Pâques ni confession, qui ne font point de prière, qui se lèvent et se couchent comme des bêtes de somme ; des parents qui n'ont que de mauvaises raisons [7] à la bouche ; qui vont jusqu'à railler, critiquer la religion et ceux qui la pratiquent, qui tournent en ridicule la confession et ceux qui se confessent ? Les enfants, dis-je, seront-ils meilleurs que leurs parents, qui les laissent vivre à leur aise, qui leur permettent les jeux, les danses, les cabarets ; qui eux-mêmes peut-être, y passent des nuits presque entières avec toutes sortes de libertins ? Si un pasteur à la vue de si mauvais exemples veut leur faire connaître leur faute et celles de leurs enfants, ils se mettront en colère, ils le blâmeront, il en diront du mal, ils feront mille contradictions à leurs enfants. Oh ! que de pauvres enfants vont maudire le moment de leur naissance, et leurs parents, qui, loin de les aider à se sauver, se sont prêtés à les perdre, par leur peu de soin à leur faire connaître leurs devoirs de religion et la grandeur du péché !... Hélas ! M.F., vous ne reconnaîtrez que trop cela un jour !...

Mais revenons à nos saints qui ont eu le bonheur d'avoir des parents si vertueux ! Ayant achevé leurs études, ils se rendirent très habiles dans la connaissance de la médecine. Leur science était accompagnée du don de la grâce, de sorte que, en allant voir seulement leurs malades, ils leur rendaient la santé : les aveugles voyaient, les boiteux marchaient, les sourds entendaient, et les démons fuyaient à leur seule présence. L'éclat de tant de merveilles les faisait admirer de tout le monde. Mais cette haute réputation fut la cause de leur martyre. Les empereurs Dioclétien et Maximien ayant renouvelé la persécution contre les fidèles, ils envoyèrent le président Lysias dans la ville d'Égée pour les rechercher et les punir selon la loi. Lysias arrivant dans cette ville, on lui dénonça les deux médecins comme allant de provinces en provinces, et faisant des prodiges étonnants au nom de celui qu'ils appelaient Jésus-Christ. On ajouta qu'ainsi plusieurs abandonnaient le culte des idoles, pour embrasser une religion toute nouvelle. Lysias, sur ce rapport, les envoya prendre. Quand ils furent devant lui, il leur dit en colère : « Vous êtes donc ces séducteurs qui allez par les villes et les provinces, soulevant le peuple contre les dieux de l'empire, sous prétexte de leur faire adorer un homme crucifié ? Dès ce moment, si vous ne renoncez à ce Dieu et si vous n'obéissez pas aux édits des empereurs, il n'y a point de supplices que je n'emploie pour vous faire souffrir. Dites-moi vos noms et votre pays. » – « Nous sommes de l'Arabie, nous nous appelons l'un Côme, l'autre Damien, nous avons encore trois frères, qui, comme nous, adorent le vrai Dieu. » Il leur ordonna, d'offrir de l'encens au démon. Sur leur refus, il les fait appliquer à la torture et leur fait endurer des cruautés épouvantables. Cependant les saints martyrs étaient tellement fortifiés de la grâce de Dieu, qu'ils ne sentaient pas même leurs tourments ; ils lui dirent : « Vous nous faites souffrir bien faiblement ; si vous avez d'autres supplices, employez-les, car nous ne sentons pas ceux-là. » Le préfet, mourant de rage, et pour s'en débarrasser au plus tôt, les fait jeter dans la mer. Mais un ange rompit leurs liens, les retira des eaux et les ramena sur le rivage. Le préfet attribuant cela au démon, leur dit de lui apprendre leurs sortilèges, afin de s'en servir comme eux. « Nous ne savons pas, dirent les martyrs, ce que c'est que la magie. C'est au nom de Jésus-Christ que nous faisons tout cela ; si vous voulez vous faire chrétien, vous reconnaîtrez la vérité de ce que nous vous disons. » – « Au nom du dieu Apollon, reprit Lysias, je veux faire le même prodige. » Ce blasphème ne fut pas plus tôt sorti de sa bouche, que deux démons se saisirent de lui, le frappèrent sans miséricorde, et l'auraient tué si les saints ne les avaient pas chassés. « Vous voyez bien, lui dirent-ils, que vos dieux ne sont que des démons qui ne cherchent qu'à vous nuire ; reconnaîtrez-vous maintenant notre Dieu pour le seul véritable ? Détestez donc vos idoles. » Malgré cette grâce, le préfet resta insensible ; bien plus, il fit conduire ses libérateurs en prison. Le lendemain il les fit ramener, voyant qu'il ne pouvait les vaincre, il fit allumer un grand feu et les fit jeter dedans. Mais ils se promenaient dans le feu sans la moindre douleur ; au contraire, ils étaient comme dans un jardin de délices, chantant des cantiques d'actions de grâces ; et le feu qui les respectait, alla brûler les idolâtres, dont un grand nombre perdirent la vie. Ces merveilles auraient dû convertir le préfet, elles ne firent que l'endurcir de plus en plus. Il les fit appliquer sur le chevalet, où les bourreaux les tourmentèrent jusqu'à en perdre la respiration ; ensuite on les attacha chacun à une croix, afin de les massacrer à coups de pierres ; mais elles retournaient avec impétuosité sur ceux qui les jetaient. Lysias, irrité de ce qu'il ne pouvait venir à bout de les faire mourir, prit lui-même des pierres pour les leur jeter à la tête ; mais elles revinrent sur lui avec tant de force qu'elles lui cassèrent les dents. Il fit ensuite prendre des flèches aux soldats, afin de les lancer contre les saints ; mais celles-ci encore, loin de leur nuire, se retournèrent et tuèrent un grand nombre d'hommes et de femmes qui étaient venus voir ce spectacle. Le préfet, désespérant de pouvoir les faire mourir dans les tortures, les fit décapiter.

Voilà ce que peut la grâce dans un bon chrétien et dans des enfants que les parents ont élevés avec soin, en leur inspirant un grand amour pour Dieu, un vrai mépris des biens de ce monde et même de la vie. Heureux enfants et heureux parents ! Voilà, M.F., comment les parents sages sauvent leurs enfants ! Vous avez vu, d'ailleurs, comment les parents sans religion traînent avec eux en enfer leurs pauvres enfants, par leurs mauvais exemples et le peu de soin qu'ils prennent de les bien élever dans l'amour du Dieu. Finissons, M.F., en disant que nous ne sommes pas, il est vrai, exposés à d'aussi grandes épreuves que ces saints ; mais que, si nous voulions faire un bon usage des peines que nous éprouvons, nous pourrions aussi mériter la couronne du martyre. Combien de maladies, de contradictions, d'humiliations, de mépris ! Que de fois il nous faut renoncer à notre propre volonté, combien d'efforts nous avons à faire pour pardonner et pour aimer ceux qui nous font du mal ! Eh bien ! M.F., voilà le martyre que le bon Dieu veut que nous endurions pour mériter le même bonheur dont jouissent maintenant les saints. Demandons souvent, M.F., à ces bons saints de nous obtenir cette force, ce courage dans nos épreuves de chaque jour : nous travaillerons ainsi pour plaire à Dieu et pour le ciel. C'est le bonheur que je vous souhaite.

 

    



[1] La fête des SS. Machabées est solennisée dans le diocèse de Belley et plusieurs autres diocèses circonvoisins ; ces saints martyrs étaient titulaires d'une ancienne église de Lyon.

[2] I Mach. i.

[3] Dan. Xi.

[4] II Mach. Vi.

[5] Le Saint, dans ce passage, comme en plusieurs autres de ses sermons, ne veut pas dire que l'omission de ces différentes pratiques de piété empêche absolument le salut ; mais à coup sûr elle le rend plus difficile et plus incertain.

[6] Voir Ribadénéira, au 27 septembre.

[7] Mauvais propos.