L'Assomption
- (Juillet 1930) -
L'avant-dernier trimestre de l'année est caractérisé par la commémoration que la Tradition chrétienne fait de la Visitation, de la Nativité et de l'Assomption de la Vierge Marie.
Or depuis des siècles, protestants et catholiques discutent sur les textes sacrés, pour nier ou affirmer l'éminente dignité de la Sainte Mère de Dieu, les premiers invoquant, entre autres, le fait qu'aucun écrivain orthodoxe de la primitive Eglise n'assigne à Marie une place privilégiée dans le culte chrétien, tandis que les seconds s'appuient, surtout, sur l'évangile de saint Luc et sur la Tradition pour exalter la Vierge.
Le mystique écarte ces recherches d'exégèse qui le laisseraient hésitant entre des thèses contradictoires étayées, les unes et les autres, sur une savante argumentation; il n'est pas un cérébral, mais un animique qui sait, par expérience, que les vérités spirituelles sont vivantes. Aussi trouve-t-il, dans sa vie même, les réponses aux problèmes les plus ardus auxquels se heurtent les philosophes et les théologiens.
Pour la question du libre arbitre, par exemple, sur laquelle on a écrit, sans l'éclairer définitivement, des centaines de volumes, le mystique a une solution péremptoire : il vérifie, tous les jours, la liberté, puisqu'il la, sent grandir en lui, au fur et à mesure de ses travaux. Une chose qui se développe existe nécessairement, au moins en germe, car le zéro ne pourrait rien produire. Or le mystique se décide et agit constamment à l'encontre des tendances naturelles les plus incoercibles; il peut faillir certes, mais quand bien même il succombe plus souvent qu'il ne triomphe, il n'en expérimente pas moins sans cesse le libre arbitre et n'a pas à scruter les vénérables in-folio qui en traitent.
Avec des raisonnements on arrive à soutenir les thèses les plus contradictoires. C'est ainsi que, pour une partie de la chrétienté, l'esprit de critique a sapé, peu à peu, il y a trois siècles, la croyance en la sainte Vierge et en son rôle d'intercédante. C'était un acheminement vers la négation de la divinité du Christ Lui-même, ce qui, d'ailleurs, n'a pas manqué de se produire, puisque beaucoup de réformés aujourd'hui, malheureusement, ne voient plus en Jésus qu'un homme plus avancé que les autres.
Nous avons dit que le vrai mystique se tient à l'écart des discussions d'exégèse; il travaille non sur des textes, mais sur lui-même, afin de s'amender, de tâcher de réduire à néant l'orgueil invétéré de la nature; il s'efforce de vaincre la paresse native en se forçant à un travail et à une prière ininterrompus et de triompher de l'égoïsme en s'obligeant aux oeuvres de l'amour fraternel. Peu à peu son coeur se purifie et la ténèbre, du Moi est progressivement remplacée en lui par la lumière de l'Esprit qui lui apporte, non plus de simples convictions mentales, toujours aléatoires et fragiles, mais les certitudes définitives, la vision même des Réalités éternelles, dont il se nourrit.
Les polémiques incessantes entre les hommes sur les vérités religieuses et philosophiques viennent, en effet, de l'orgueil de la raison. Bien que caduque et bornée, elle prétend saisir ces vérités qui la dépassent infiniment. Or ce n'est pas la faible créature qui peut, par ses propres moyens, escalader les portes du Ciel et entrer, comme de force, dans le domaine de l'Irrévélé; ce n est pas le fini, l'inférieur qui peut étreindre l'Illimité. Plus l'intelligence s'entête à vouloir abaisser l'Absolu jusqu'à elle, plus, au contraire, elle épaissît le mur qui la sépare de Lui.
Est-ce au marmot, sur les bancs de l'école, à enseigner quelque chose au maître de la classe ? Ne doit-il pas, plutôt, demander au maître de lui ouvrir l'intelligence sur les matières à étudier ?
L'homme peut, certes, découvrir les secrets et les lois de la Nature, parce que c'est le champ d'exploration qui lui a été accordé par le Père; mais sa raison et son imagination deviennent impuissantes lorsqu'il s'agit de pénétrer les mystères du divin Royaume; il faut que ce soit le Seigneur de ce Royaume qui veuille bien les révéler. Or le Christ nous dit qu'Il les cache, au contraire, aux sages et aux intelligents de ce monde -- qui ne sont sages qu'à leurs propres yeux et qui n'ont pas atteint à la simplicité évangélique -- parce qu'ils pourraient abuser de la puissance que confère la connaissance des arcanes divins. Dieu les dévoile seulement aux humbles de coeur, à ceux qui, ayant essuyé la déception de tout, ont reconnu le néant d'eux-mêmes et de tout ce qui n'est pas Dieu et sont devenus semblables à des enfants.
A celui-là qui est devenu tellement doux qu'il ne peut plus opposer aux injures que le sourire de l'indulgence, et tellement humble qu'on peut le piétiner sans provoquer même une plainte, l'Absolu Se révèle intérieurement. L'Esprit lui communique une parole éternelle et l'âme de ce disciple, ayant retrouvé sa Pureté première, s'identifie avec la Vierge en laquelle s'incarne partout le Fils unique.
Car il n'y a pas qu'une incarnation historique de Jésus dans le sein de Marie. Il y a encore l'incarnation éternelle du Verbe dans le sein de la Vierge cosmique, de la Sophia ou Sagesse divine et il y a, enfin, pour chacune de nos âmes, vierge individualisée, quand elle a terminé son travail ici bas et qu'elle est mûre pour la régénération mystique, une descente du Verbe en elle, nommée la seconde naissance. Jésus a dit à Nicodème: Personne ne peut voir le royaume de Dieu, s'il ne naît de nouveau .
Mais cette naissance nouvelle ne peut avoir lieu que dans une substance purifiée des souillures de l'égoïsme et de l'orgueil et redevenue vierge et pure, toute faite d'obéissance comme Marie immaculée de laquelle est né Jésus.
La Vierge céleste est, en effet, le lieu premier de la manifestation du Verbe, la substance même du Royaume éternel , comme dit Sédir. Elle est la première et la plus humble des créatures; aussi Marie, son expression terrestre, a-t-elle été appelée par l'Ange pleine de grâce . La Sagesse incréée a élu domicile en elle, à cause de son humilité même.
L'orgueil et la révolte étant le principe de toute corruption, de toute déchéance, l'obéissance totale à Dieu assure, au contraire, le rétablissement de l'être dans sa dignité primitive d'enfant de Dieu avec, en plus, l'omniscience et la toute-puissance. C'est cette parfaite humilité, reflet de la Sagesse éternelle, de la Vierge céleste, qui appelle la descente du Verbe dans l'âme, dans l'esprit et dans tout l'être du disciple.
La croyance en l'Immaculée Conception de la Vierge est donc inséparable de la foi en la divinité de Jésus. Dieu ne Pouvait descendre, dans Sa perfection absolue, que dans un vase de pureté comme était Marie. Et la croyance en l'Assomption de cette dernière, c'est-à-dire son entrée en corps et en esprit dans le Royaume, est une conséquence de son Immaculée Conception, comme nous allons le voir.
La résurrection de la chair est, en effet, un dogme accepté depuis toujours par l'Eglise universelle; enseigné par l'Evangile lui-même, par saint Paul et les autres apôtres; il est, de plus, contenu dans le Credo que tous les chrétiens récitent : Je crois à la communion d'es saints, à la résurrection de la chair et à la vie éternelle.
Or, qu'est-ce que cette résurrection, sinon la transformation, par le sacrifice accepté librement, des cellules matérielles ténébreuses en cellules de lumière et d'obéissance à Dieu. Semé corruptible, déclare saint Paul, le corps ressuscite incorruptible; semé méprisable, il ressuscite glorieux; semé infirme, il ressuscite plein de force; enfin semé corps animal, il ressuscite corps spirituel. (Ire aux Corinthiens, XV, 42 à 44).
Cette transformation de nos forces ég6istes et leur entrée dans la lumière, qui se fait surtout par l'oeuvre charitable, demande beaucoup de temps, car nous sommes constitués de milliards de cellules et ce n'est qu'à la fin de ce grand oeuvre millénaire que le corps tout entier devient spirituel et lumineux. Que l'on accepte la théorie des vies successives de l'esprit, durant lesquelles s'opère cette lente transmutation, ou que l'on s'en tienne au purgatoire catholique, il n'en reste pas moins certain que ce travail préalable est indispensable, avant l'entrée dans le Royaume, car rien d'impur ne pénètre au Ciel.
Considérant, maintenant, la très sainte Vierge Marie, nous trouvons que cette transformation était déjà achevée en elle, puisque, pour héberger le Christ-Dieu dans son sein, elle devait être immaculée, lavée de toutes souillures . Une chair infirme, encore soumise aux impulsions ténébreuses de l'égoïsme, n'aurait pas pu supporter la présence consumante, le contact fulgurant de l'organisme du divin Maître. Or si les esprits des cellules du corps virginal de Marie étaient déjà lumineux, on comprend qu'à la mort de son enveloppe physique, ce qu'on appelle la résurrection de la chair fut un fait accompli pour elle. Elle jouissait déjà du corps glorieux dont parle saint Paul.
C'est ce fait que l'Eglise commémore sous le nom d' Assomption de la Vierge et qui n'est, comme on le voit, qu'une conséquence naturelle de la pureté parfaite de Marie.
Cette assomption aura lieu, également, pour chacun de nous, lorsque, par l'imitation du Christ et de Sa mère, nous aurons achevé de nous affranchir des ténèbres de l'orgueil. Ce travail durera des siècles interminables pour les tièdes qui ne veulent pas se donner de la peine, qui trouvent que l'effort à faire les dépasse, qui n'osent pas réellement vouloir. Il ne tient qu'à nous, cependant, de l'écourter, pour nous-mêmes et pour nos frères, car nous n'entrerons pas au Ciel les uns sans les autres; nous sommes une même famille dans l'invisible.
Au lieu donc de rester des tièdes, appelons en nous la ferveur; ouvrons nos coeurs à l'amour incandescent de Celui qui a dit: Je suis venu apporter un feu sur la terre et que puis-je désirer, sinon qu'il soit allumé ? Brûlons au contact de ce feu céleste. Nous qui avons eu le bonheur immérité de connaître que Jésus est le Fils unique du Père, ayons honte de laisser inexploité ce trésor confié à nos mains indignes et de priver de son rayonnement ceux de nos frères qui n'ont pas encore reçu ce don et qui s'attendent à le recevoir par nous.
L' Assomption , la résurrection de la chair, le salut ne sont pas des vérités d'au delà des nuages, des rêves de visionnaires. Ce sont des réalités actuelles, vérifiables à l'expérience. Si l'entrée définitive au Ciel, comme nous l'avons dit, n'est possible qu'au dernier jugement et pour toute l'humanité ensemble, par contre, avant cette lointaine époque, dont le Père seul fixera la date, divers jugements partiels auront lieu, au cours desquels nous pouvons être ou élus ou rejetés pour une nouvelle période de probation.
Dès cette vie, si nous suivons de toutes nos forces la Loi de Dieu, nous pouvons déjà bénéficier des promesses du Christ et recevoir quelques-uns des dons excellents du Saint-Esprit.
Ceux qui essaient, réellement et pratiquement, d'aimer le prochain comme eux-mêmes, et qui font de l'humilité, de la charité et de la prière le triple aliment perpétuel de leur vie intérieure et extérieure, savent qu'un mode d'union existe, par lequel le Seigneur omniprésent Se révèle progressivement à Ses enfants. Non seulement Il leur communique des facultés merveilleuses, comme le don de guérison des malades et de discernement des esprits, mais Il transforme jusqu'à leur corps physique, opérant ainsi, peu à peu, leur assomption à leur tour, c'est-à-dire, comme nous l'avons dit pour la Vierge, l'entrée de leurs corps invisibles et de leur esprit dans le monde lumineux.
Pour ces rares disciples, cette résurrection de la chair n'est plus un objet de foi sujet à controverse; elle est une réalité vivante, puisqu'ils en voient la réalisation sur eux-mêmes.
On essaierait en vain de décrire l'ivresse du colloque de ces coeurs ardents avec le divin Ami: elle est inexprimable par des mots et inimaginable pour celui qui n'a pas éprouvé ces indicibles communions. Les rapports de l'âme avec son Seigneur se passent à l'intérieur d'un temple où ne pénètrent pas les regards de la curiosité profane. Au lieu donc de vouloir découvrir ces mystères, il est plus sage d'essayer de nous en rendre dignes par a pratique des vertus évangéliques et de demander qu'ils s'accomplissent en nous, par l'intercession de Celle qui en est le prototype, la très sainte Vierge Marie.
Nous croyons en son Immaculée Conception et, par le fait même, à son. Assomption c'est-à-dire à l'entrée de son corps spirituel dans le monde de la Gloire et nous entendons cela non seulement pour la personne historique de Marie, mais aussi pour toutes les âmes arrivées à la parfaite pureté et qui s'identifient ainsi avec la Vierge céleste en laquelle s'incarne perpétuellement le Fils unique.