D'où viendra la lumière ? (Juillet 1933)
Le monde se débat dans une terrible impasse non seulement politique, sociale, et économique, mais avant tout spirituelle.
Les intelligences sont désorientées ; on entend prôner les théories les plus subversives. D'aucuns préconisent l'exaltation de la volonté personnelle comme moyen de salut, tandis que d'autres prêchent l'athéisme et vont jusqu'à vouloir l'inculquer à l'esprit des enfants.
On ne croit plus aux miracles ( le surnaturel qui parait naturel ), mais on est fasciné par le merveilleux ( le naturel qui paraît surnaturel ). On ne sait plus que la foi vraie peut soulever les montagnes, guérir des incurables et sauver du désespoir.
Partout, derrière une façade encore brillante, c'est le vide et l'amère lassitude ; les idoles que les foules servaient sont brisées ou muettes. Comme au temps d'Hérode, une angoisse inexpliquée pénètre nos coeurs déçus par les dieux de la gloire humaine et de l'argent, par les philosophies et même par les prétendus mystères dévoilés.
Et la terre attend son Maître ! D'où viendra le salut ? Le Rédempteur est venu, disait Louis Blanc ; mais la Rédemption, quand viendra-t-elle ?
Or, le Maître de la terre, c'est Celui-là même qui l'a créée, c'est le Christ, et c'est parce que le monde ne s'est pas encore décidé à mettre en pratique Ses divins préceptes qu'il'est en proie au désordre. On a voulu goûter à tous les fruits ; et seul, Jésus est le Chemin, l'Homme parfait, le Réconciliateur, le Vivant et la loi qu'Il donne, loi d'amour et de pardon réciproque, peut seule nous sauver. Il faut choisir entre Lui et Mammon.
Depuis Rome, le monde a peu changé, bien qu'il soit revêtu de nouveaux masques. Certes, au cours des siècles, l'action du ferment christique s'est fait sentir, mais comme il reste de pâte à faire lever ! et comme la loi d'amour est encore, pour beaucoup d'entre les hommes, un commandement toujours nouveau !
Pourtant, il y a dix-neuf siècles, un obscur prophète d'un pays méprisé, douze hommes craintifs et ignorants, soixante-dix pauvres disciples apportèrent l'Evangile avec, dans les yeux, une lumière et une paix radieuse, et, dans les mains, une bénédiction que la majorité des hommes n'ont pas voulu recevoir.
Ah ! comme il fait bon relire cette histoire miraculeuse des Actes des Apôtres ! Comme cela nous repose du bruit des vaines activités et des luttes de toute sorte où se complaît notre génération ! Nous rêvons alors d'un temps où les hommes seraient frères ! Ainsi Luc nous rapporte que la foule de ceux qui avaient cru était un seul coeur et n'était qu'une âme... et qu'ils persévéraient dans la communion fraternelle . (Actes IV-32 et II-42)
C'est que, par l'observance de la loi d'amour, l'homme entre dans le monde extraordinaire de la foi.
La foi, écrit Sédir, ce n'est pas affirmer: je ne comprends pas telles paroles, mais je crois qu'elles sont vraies ; cela, c'est l'ombre de la foi.
La foi, c'est d'être assailli et meurtri, et de sourire et de tendre la main aux agresseurs ; c'est de perdre sa fortune et sa réputation, et de sourire aux railleries et aux critiques ; c'est de perdre l'être qu'on chérit, et de sourire à la paix qui monte ; c'est de se voir méconnu et méprisé par celui-là même pour qui on a subi toutes les fatigues, et de sourire à l'espérance de l'aurore inconnue ou cet être nous reviendra.
Une telle paix, une joie aussi pure franchit les bornes du monde et nous acclimate au Royaume d'amour, au Ciel que Jésus est venu nous ouvrir. Voyez, comme ils s'aiment , disait-on des premiers chrétiens.
On s'explique alors que les saints, les apôtres soient transformés jusqu'à l'imitation ponctuelle de leur Maître, que, sous leurs pas, fleurisse le miracle et que leurs belles vertus cachées s'épanouissent en fruits suaves de charité, d'humilité, d'héroïsme paisible et joyeux. Chaque disciple authentique, en se faisant peu à peu semblable au divin Modèle, devient une partie intégrante du Verbe ; et, quand plusieurs sont ensemble, ils forment une pierre vivante de la Jérusalem céleste.
Relisons, à ce propos, le très beau livre de Sédir Les Sept jardins mystiques . Nous y trouverons, ainsi que dans les oeuvres des Saints, la description de la nouvelle naissance de l'esprit, des étapes par lesquelles il passe, des épreuves qu'il subit pour s'affiner.
Notre esprit fut incarné en Adam. Il a vécu l'existence des grande patriarches, reçu la promesse en Abraham ; il a traversé le déluge avec Noé. Moïse lui a donné son premier code. Il s'est mûri par de multiples tribulations ; il a pleuré avec Jérémie ; il a chanté avec David et Salomon.
Voici que maintenant il peut recevoir le Verbe et suivre la loi parfaite. Dans la vie douloureuse puis glorieuse du Christ, il trouvera l'accomplissement de son destin. Et quand, à la fin des siècles, il vivra l'Apocalypse de Jean, c'est le Ciel originel qui le recevra dans la béatitude définitive.
Mettons-nous donc en route avec Jésus. Insérons à chaque minute l'amour, force mystérieuse et toujours neuve, dans le faisceau compact de nos égoïsmes. Ecoutons le seul appel qui vaille d'être entendu ; vivons la seule vie digne d'être vécue ; buvons la seule eau qui désaltère.
Sans doute sommes-nous arrivés, à notre époque troublée, au fond de l'impasse.
Après avoir chanté la force brutale, puis la justice équilibrante et la solidarité, nous devons entrer dans un monde nouveau (qui pénètre l'ancien mais n'en résulte pas) : celui de la Liberté vraie où, tous, nous suivrons la loi nouvelle, où les héros et les sages deviendront les saints, où les dieux justiciers auront fait place au Bon Berger, ou les symboles et les mythes se seront métamorphosés en de vivantes réalités. Par le don de nous-mêmes et le portement de la croix, ouvrons la brèche lumineuse sur le paradis retrouvé.
Et, plus tard, dans le Royaume éternel, ce désarroi qui nous inquiète aujourd'hui, mais qui nous aura poussés vers l'Ami, nous le bénirons comme un premier pas d'enfant prodigue sur le chemin de la Maison bienheureuse où le Père nous attendait.