Le plus grand Commandement
(Avril 1936)
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée; c'est là le premier et le plus grand commandement. Et le second est semblable au premier : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
(Matthieu XXII, 37-38)
Aux jours où Jésus donna ce résumé de la Loi, les légistes mettaient au premier rang la sanctification du Sabbat. Toute la religion d'Israël gisait sur ce commandement Chef et Centre de tous les autres; il l'étouffait sous une multitude de formalités étroites et supprimait toute liberté humaine sous prétexte de culte divin.
C'est dans cet état d'esprit que s'avançait vers le Maître le Pharisien qui voulait avoir son avis et lui demandait : Quel est le plus grand commandement de la Loi ? - Ce n'était nullement l'amour de la vérité qui inspirait cette inquisition ; c'est ici un piège que l'on tend pour y faire tomber l'ennemi, non une question que l'on pose pour connaître l'opinion du Maître. Mais Jésus va briser le piège et révéler toute la vérité : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée ; c'est là le grand, le premier commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes.
Quoi donc ! ni le Sabbat, ni le Sacrifice, ni la Purification ? La religion tout entière ramenée à l'Amour ! Lois et prophéties aboutissant à un mouvement du coeur ! Tout l'édifice majestueux du Temple, tout l'échafaudage des traditions et des observances se fondant pour ainsi dire en un acte spirituel !
Plusieurs de ceux qui étaient venus pour éprouver Jésus comprirent la splendeur de la doctrine éternelle. Aimer est tout, parce que là où l'amour n'est point, il y a un geste vide et des paroles creuses ; aimer est tout, parce que l'amour ne se borne pas à un simple mouvement de l'être intérieur, mais conquiert le reste de l'être à son empire, vivifie les choses et ainsi donne à tout ce qu'entreprend l'homme son sens véritable et la sève vitale qui relie le monde à l'âme et l'âme à Dieu.
Jésus a établi entre les deux commandements de la Loi antique une fusion immortelle, et cela Le distingue de tout fondateur de morale ou de religion. Lui seul pouvait former cette union qui, désormais, rend inséparables l'homme et Dieu, parce que Lui seul portait en Sa double nature l'humanité et la divinité. Et, scellant le commandement de l'amour du prochain au commandement de l'amour de Dieu. Il l'a animé par un courant de vie qui n'arrêtera plus les relations des hommes entre eux, basées désormais sur les relations des hommes avec Dieu.
Toutefois il faut remarquer que Jésus dit: Le second est semblable au premier. Il ne pouvait dire : égal ; car l'égalité ne peut exister entre deux êtres d'ordre différent, mais seulement la similitude.
Tous les deux, ils tendent à un terme unique : Dieu aimé, soit directement, soit à travers l'humanité. Tous les deux, ils sollicitent le même acte d'amour : la charité. Ainsi, le coeur qui sait pleinement aimer, sans séparer Dieu des hommes, reçoit d'en haut les fruits de l'amour, et livre en bas toutes les richesses dont il déborde. En se donnant il s'enrichit et, à mesure qu'il s'enrichit, il donne davantage. C'est par ce double mouvement d'amour que descendent toutes les grâces du Ciel et que sont soulagées toutes les misères de la terre.
Commandements semblables en ce sens encore que tous les deux sont de stricte et radicale obligation. La Loi évangélique a des enseignements que toutes les âmes ne sont pas appelées à vivre, tel celui donné au jeune homme riche dont parle saint Matthieu. Le Christ sait bien que l'élite ne peut être que le très petit nombre et l'héroïsme, l'exception. Mais il est des vertus de la recherche desquelles Il n'exempte personne. Ce sont les degrés obligatoires conduisant à ce premier plan, qui élève l'homme spirituel au-dessus de l'homme animal ; il faut nécessairement les gravir.
Le plus grand de tous les commandements, c'est l'Amour et telle est son ampleur qu'il contient toute la Loi et les Prophètes.
Les Ecritures aboutissent à l'Amour. Tout ce que dispensent les rites et les symboles se condense en cette magnifique réalité. Tout ce qu'ordonnent les préceptes édictés au cours des siècles culmine en cette obligation suprême : l'Amour.
Commandement qui contient tous les autres par sa nature même. Certains sont spéciaux ; lui est général. Aux premiers de régir tel sexe, telle condition, tel état ou tel âge ; à ce dernier de diriger toutes les âmes humaines dans la voie des relations avec Dieu et le prochain.
Quelques-uns parmi les autres commandements sont obscurs et ont besoin d'être interprétés ; celui-ci est clair et le coeur le plus simple le comprend, et parfois plus pleinement que les esprits les plus cultivés.
Ceux-là enfin sont temporels ; celui-ci est éternel. Avec la vie de combat s'évanouiront les obligations de croire, d'espérer, de supporter. Plus n'est besoin de foi devant la vision, d'espérance devant la possession, de patience devant la béatitude. Mais l'amour est immortel en soi.
Admirable doctrine! La Parole de Jésus remue, au moment même où elle tombe, le fond des coeurs sincères qui la reçoivent. Ce qu'Il a dit, au milieu d'un groupe de Juifs, Ses apôtres le répéteront à travers les nations et à travers les siècles. Et le ciel et la terre auront passé, mais cette Parole ne passera pas.