L'esprit de sacrifice des disciples

L'aliment de la vie spirituelle, son ressort secret et sa récompense aussi, c'est l'amour. C'est par amour de Son Père et pour le salut des créatures que le Verbe S'est incarné et qu'Il a librement subi les souffrances les plus cruelles. Les disciples de Jésus imitent Son exemple et vont au devant des douleurs et des fatigues d'un coeur allègre ; ils savent que les serviteurs ne sont pas plus grands que leur Maître et qu'ils doivent, comme Lui, porter la croix sans se plaindre et avec reconnaissance, car la crucifixion, c'est-à-dire le renoncement total à soi, est le moyen du salut et la porte de la Vie.

Par elle-même l'union mystique ne donnerait aux disciples que des joies sans comparaison possible avec les pauvres bonheurs d'ici-bas. Or, s'ils n'avaient que du bonheur, comment pourraient-ils prouver leur amour à leur éternel Ami ? Que Lui offriraient-ils en échange de Ses libéralités sans fin, s' il ne leur était pas permis de se dévouer, de se sacrifier pour Lui, c'est-à-dire, en fait, pour les autres hommes, leurs frères, car le Seigneur a dit : Ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits, c'est à moi que vous l'avez fait.

Le vrai mystique accueille avec joie les difficultés, les humiliations et les épreuves, non pas pour elles-mêmes ou parce qu'il s'en fait un idéal, mais parce qu'elles lui permettent de gagner des coeurs à la Lumière, d'amener des âmes à son Bien-Aimé. On comprend par là le cri de la grande Carmélite d'Avila : ou souffrir ou mourir !

Ici on voudrait s'arrêter, comme à la porte d'un temple sacré dont on craindrait de profaner l'auguste mystère. Une sorte de terreur sainte vous saisit et vous empêche de pénétrer plus avant dans ce lieu réservé où s'échange une indicible tendresse entre le Maître et Son enfant au coeur embrasé !

Peut-on s'abstenir de faire remarquer le parallèle qui se présente naturellement à l'esprit, entre les sentiments intimes de l'un et de l'Autre ; la perfection pour le disciple n'est-elle pas de ressembler à son divin Modèle, de devenir un avec Lui, selon le voeu même exprimé par Jésus dans Sa prière sacerdotale : Père, qu'ils soient un en nous, comme Toi et moi nous sommes un.

Pour nous persuader d'immoler l'orgueil et l'égoïsme du moi , de suivre la voie étroite qui conduit à la Vie, le Christ ne S'est pas contenté, en effet, de nous envoyer des messagers ou des prophètes. Il a pris un corps semblable au nôtre, un corps d'esclave, Lui le Roi des rois et Il a donné l'exemple de toutes les obéissances, jusqu'à la mort. Il a ainsi rédimé la matière et annihilé l'effet de perdition occasionné par les péchés des créatures.

Chacune des souffrances subies par Lui, nous déclare Sédir, soit dans Son corps physique, en éprouvant la faim, la soif et les supplices, soit dans Sa sensibilité au contact des promiscuités malsaines et des grossièretés, soit dans Son intelligence aux prises avec l'erreur et les préjugés, chacune de ces tortures a introduit une semence de lumière dans les divers compartiments du Créé, comme dans chacune des formes de la douleur, semence qui sera le point de départ de leur régénération future.

Or les disciples qui participent de la vie spirituelle du Maître et de Sa substance mystique, en reproduisant des holocaustes semblables au Sien, prolongent et complètent Son oeuvre de rédemption. Saint Paul n'a-t-il pas écrit : Ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ, je l'achève dans ma chair. Tel est un des mystères de l'esprit d'immolation des Saints.

En d'autres termes, aucun bien ne se fait que par un sacrifice du supérieur envers l'inférieur. L'unique donateur est Dieu ; tout vient de Lui ; Il a été magnifiquement défini : l'Acte pur ; c'est-à-dire dénué de la moindre buée d'égoïsme ou de recherche de soi, l'Acte libre non nécessité par un mobile antérieur ni par un motif d'intérêt personnel. Un tel acte libre ne peut être qu'un sacrifice, et ne peut émaner que de Dieu, le principe de toute vraie liberté. La création est donc un sacrifice, l'expression d'un amour. Or, Dieu agit constamment et Son action est le Verbe, la somme de Ses divins vouloirs.

Le Verbe crée d'abord les univers, en leur donnant la vie naturelle et, en même temps, Il sème en eux les germes de la Liberté qui est Lui-même ; c'est le don royal qu'Il fait à Ses créatures et qui sera, plus tard, la source de leur félicité durable, lorsque ce germe de liberté aura atteint son plein épanouissement, en chacune d'elles. En attendant, l'abus qu'elles font de ce libre arbitre les soumet à la souffrance et à la mort. Le Christ intervient donc, une deuxième fois, pour les sauver par Son incarnation et Son supplice sur la croix.

Par cette seconde intervention Il reprend le libre arbitre des créatures, sali par le péché, perverti par les transgressions de la Loi d'amour, pollué au contact de toutes les souillures de l'égoïsme et de la cupidité et, par les épreuves expiatrices et spiritualisantes, Il le réhabilite et l'assume jusqu'aux cieux de la Liberté absolue.

C'est ainsi que s'opère la régénération des êtres, qui est une seconde création, non plus sur le plan naturel conditionné par l'espace et le temps, comme la première fois, mais dans, le Royaume surnaturel et divin. Le disciple avancé est celui qui a été loin sur la voie de cette régénération ; s'il n'a pas encore reçu le baptême de l'Esprit qui le consacrera définitivement enfant de Dieu, il s'apprête à le recevoir.

Si la vie du Christ est un holocauste perpétuel en faveur de la Création, par soumission à Son Père et s'Il a, ainsi, la joie parfaite de l'union avec ce Père bien-aimé, les disciples, en collaborant à l'oeuvre du Fils unique, s'incorporent Son Esprit d'amour et participent de Sa joie, dans la mesure de leur humilité et de leur obéissance. Je vous dis ces choses, afin que vous ayez ma joie en vous et que votre joie soit parfaite. (Jean XV, 11).

Un de leurs traits caractéristiques, en effet, c'est cette béatitude intérieure qui rayonne sur leur visage, malgré des fatigues surhumaines et un labeur incessant, c'est cette paix qui émane de tout leur être et qui se répand comme un baume de douceur sur tous ceux qui les approchent. L'allégresse surabonde dans leur coeur et c'est pourquoi leurs larmes coulent si facilement : larmes de la reconnaissance, larmes de la compassion, larmes de l'amour !

Leur communion constante avec le Verbe est leur grand trésor, leur bien inaliénable, qui leur a été accordé parce qu'ils ont uniquement cherché le Royaume de Dieu et Sa justice. Et, selon la Parole, le reste aussi leur a été donné par surcroît . Ce reste , ce sont les pouvoirs thaumaturgiques de toute sorte, les visions prophétiques, la clairvoyance, le discernement des esprits, le don des langues...

Parvenu au degré suprême de l'Union, l'homme libre peut tout et sait tout, car, pour opérer les plus grands miracles ou pour connaître n'importe quel secret, il n'a qu'à tourner son coeur vers le Verbe omniprésent et le Verbe lui donne tout pouvoir et tout savoir.

A cause de leur insondable humilité, les disciples authentiques, vus du dehors, apparaissent comme des hommes ordinaires, menant l'existence de tout le monde et ne manifestant leurs dons que le plus rarement, devant quelques privilégiés. C'est au dedans que leur vie est extraordinaire : ils la cachent pour ne pas nous éblouir.

C'est pourquoi les vrais Amis de Dieu demeurent des inconnus, des méconnus aussi, objet des calomnies, des incompréhensions, des haines et des jalousies. La vue des plus hauts sommets donne le vertige au commun des hommes.

Ces sommets existent cependant. Dieu étant tout-puissant, infiniment bon et généreux, comment admettre qu'Il aurait limité les degrés de la sainteté, du savoir et du pouvoir à ceux que nous connaissons ou dont nous pouvons avoir l'idée ? Il y a donc certainement, dans le vaste Univers, des êtres d'une sagesse et d'un amour qui dépassent des millions de fois ceux qui font l'objet de notre plus grande admiration. C'est notre ignorance, ce sont nos préjugés qui mettent artificiellement des bornes à la puissance et à la magnificence divines.

Est-ce qu'un artiste capable d'exprimer des types d'une réelle splendeur se contenterait de la beauté moyenne ? Dieu n'est-Il pas omnipotent et omniscient ? Etant infiniment sage aussi, Il proportionne néanmoins les manifestations que nous pouvons apercevoir de Lui à la faiblesse de nos yeux et au développement encore embryonnaire de nos organes spirituels.

Ne nous étonnons plus, dès lors, de trouver dans les ouvrages de Sédir, des affirmations comme celle-ci : Je sais que des mondes évoluent où la vie bouillonne, des milliers de fois plus splendide, plus complexe que la nôtre; des êtres existent, des millions de fois plus beaux, plus intelligents, plus puissants, plus purs que nos plus grands génies. (15)

Certes ces sommets sont trop éloignés de nous, pour le moment. Ce n'est pas une raison de nous décourager. Le même Sédir nous garantit que, dans aucun de ces mondes gigantesques, il n'y a de livre plus parfait que l'Evangile.

Appliquons-nous donc, de toutes nos forces, à en réaliser les préceptes. Si, par nous-mêmes, nous ne serions capables d'aucun bien, par contre c'est le Ciel qui nous réhabilite et, Se contentant de nos pauvres petits efforts, c'est Lui qui supplée à nos infirmités et comble nos lacunes.

Le chemin paraît-il ardu et long? On trouve cependant tout naturel d'employer vingt ou trente années d'un labeur persévérant pour édifier une fortune périssable et l'on estimerait que c'est trop d'utiliser le même espace de temps pour travailler à l'oeuvre la plus belle et la plus féconde pour soi-même et pour autrui, à l'oeuvre qui doit durer toujours ?

Toute chose suit sa voie et tout désir constant finit par se réaliser. Celui qui cherche Dieu, de tout son coeur et qui persiste dans cette recherche, en y mettant l'humilité et la ferveur voulues, finit par Le rencontrer ou, plutôt, arrive à avoir les yeux de l'esprit dessillés, de manière à s'apercevoir de la divine Omniprésence, car le Seigneur seul est et nous n'existons que par Lui.

Voilà pourquoi les saints voient Dieu partout et en toutes choses ; ils nous sont donc une garantie de la céleste et immanquable Rencontre ; c'est le fait d'avoir enfin trouvé leur Bien-Aimé qui a rempli leur coeur de joie et leur esprit de lumière et de sérénité !



15. Dans l'ouvrage Quelques Amis de Dieu, à la bibliothèque des Amitiés Spirituelles , édition de 1923, page 12.