Emile BESSON.avril 1959


NOS CONTRADICTIONS

I. LA FOI DE L'INCRÉDULE

Je crois, viens au secours de mon incrédulité. (Marc IX, 24).

Une histoire navrante qui s'est déroulée il y a vingt siècles, mais qui est pleine pour nous d'enseignements actuels.

Le fils unique de cet homme est possédé par un démon qui le martyrise, lui arrachant des cris puis le rendant muet, le précipitant dans le feu, dans l'eau. Le malheureux père, désespéré par cette épreuve qui dure depuis les premières années de son enfant, entend un jour parler de Jésus et des guérisons merveilleuses qu'Il accomplit.

On se représente aisément le trouble, les hésitations de cet homme. Incrédule, il l'est a priori. Il a tout essayé pour que son enfant soit guéri, pour le moins soulagé; il n'a jamais obtenu le moindre résultat. Peut-il espérer quelque chose du nouveau prophète dont on lui dit le nom ?

Après une longue délibération intérieure, il décide de tenter la chance et il mène son fils à Jésus, Mais Jésus n'est pas présent ; Il est avec trois de Ses disciples sur la montagne de la Transfiguration.

Une foule de gens est assemblée là. Elle considère avec curiosité les disciples de Jésus aux prises avec des scribes qui essaient de les embarrasser avec leurs arguties. Le père met un terme au colloque en montrant aux disciples son enfant malade. En vérité, il semble qu'en cet instant pathétique l'incrédulité soit triomphante. Elle éclate sur les visages des scribes à qui l'occasion est donnée de voir à l'oeuvre les disciples du Nazaréen ; elle se lit douloureusement dans les regards du père de l'enfant oui se demande si son espérance ne va pas être déçue une fois de plus ; elle est manifeste dans l'attitude des disciples qui essaient en vain de faire quelque chose pour le petit malade ; et, dominant la scène, on entend les sarcasmes des spectateurs.

Le père est là, anéanti, ne croyant plus rien, n'attendant plus rien ; la sympathie ironique de la foule lui fait comprendre, s'il était besoin, l'erreur qu'il a faite en venant exposer son malheur à l'indifférence des uns, à l'impuissance des autres. Lorsque Jésus paraît, il se dirige vers Lui. Il ne demande plus rien, il raconte seulement sa désillusion : « Maître, dit-il, je t'ai amené mon fils ; j'ai prie tes disciples de chasser l'Esprit muet qui le possède ; ils n'en ont pas eu la force ».

La foi est la condition du miracle. Jésus parle à ce malheureux père, essaie de le mettre en confiance. Et celui ci, sentant la compassion et la bonté qui se penchent sur lui, s'écrie : « Si tu peux y faire quelque chose, aie pitié de nous et viens nous en aide. » Et jésus répond : « Tu me dis : Si tu peux 1 Tout est possible à celui qui croit ». Alors le père prononce cette surprenante parole : « je crois; viens au secours de mon incrédulité ! ».

Parole extraordinaire en vérité ; car si cet homme croit, comment peut il parler d'incrédulité ; et, s'il est vraiment incrédule, comment peut il déclarer qu'il croit ?

Ces contradictions, nous les connaissons tous. En chacun de nous la foi est toujours imparfaite, donc mélangée d'incrédulité. Et les scrupules, s'exerçant sur cette dualité, ont beau jeu de nous plonger dans une incertitude de plus en plus profonde ; l'incertitude, le pire des états d'âme.

Le père de l'enfant malade est dans l'incertitude. Et un événement providentiel l'oblige à en sortir. Le Christ vient de dire : « Tout est possible à celui qui croit». Cet homme alors, dans le coeur de qui la foi et l'incrédulité se combattent, donne la victoire à la lumière sur les ténèbres et déclare : je crois !

Désormais il a pris position, il s'est compromis vis-à-vis de lui-même ; il ne peut plus revenir en arrière il est le bienheureux esclave de son affirmation :je crois !

L'affirmation nous libère de l'incertitude, elle rétablit en nous l'unité que l'incertitude avait détruite, elle ouvre devant nous le chemin de la foi, la foi qui rend possible l'intervention victorieuse de l'Esprit.

Mais l'objection se présente aussitôt. Affirmer une foi que l'on n'a pas, ce n'est pas vrai, ce n'est pas sincère !

Le père du petit malade avait en lui un germe de foi, puisqu'il est allé présenter au Christ son enfant, dans l'espérance qu'il serait guéri. Tout être a en lui le germe de la foi et l'on peut constater, quelles que soient ses théories, ses opinions, qu'il suffit d'un danger, d'une épreuve pour qu'apparaisse à la conscience cette foi qui pouvait sembler n'exister qu'à peine. Et même alors, réduite qu'elle soit à d'infimes limites, elle contient de magnifiques promesses, comme l'humble graine renferme l'arbre vigoureux... - « je crois ! » dit le père. Et il ajoute . « Viens au secours de mon incrédulité », c'est-à-dire de ce qui reste en moi d'incrédulité qui veut s'opposer à ma foi.

Le germe de foi que nous portons en nous ne demande qu'à grandir. L'aliment de la foi, ce sont la prière et l'amour du prochain.


Emile BESSON. Octobre 1959

NOS CONTRADICTIONS

II. - LE CHEMIN VERS L'AMOUR

Pris dans leur lettre, les commandements que le Christ donne à Ses disciples sont simples, à la portée de toutes les intelligences et de tous les coeurs. « Voici le premier commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée; et voici le second commandement, qui est semblable au premier : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Aimer Dieu, aimer le prochain, c'est en effet très simple. Un pareil programme emporte immédiatement l'adhésion. Tout être normal est d'avis qu'il vaut mieux aimer que haïr, être bon que méchant. Mais quand de la théorie il s'agit de passer à la pratique, quand on veut observer dans les actes de la vie quotidienne le commandement de l'amour, on se heurte à d'extraordinaires difficultés, parce qu'aimer le prochain est quelque chose qui répugne à la nature, égoïste par elle-même. De sorte que la parole de saint Paul s'applique à toutes les créatures humaines : « Vouloir le bien est à ma portée; le faire, non ».

Un homme que j'ai bien connu disait un jour à M. Philippe qu'il ne parvenait pas à aimer son prochain.
 « Eh bien! agis à son égard comme si tu l'aimais », lui fut il répondu.

Comme si. Mais, dira-t-on, seul compte ce qui est sincère, seul vaut ce qui est spontané. Une affection de commande n'est pas une affection.

En effet, seul compte ce qui est spontané. Mais la vie morale est une lutte; la conquête de la plus humble qualité exige de très grands efforts, une constante victoire sur soi-même. Pour un ivrogne, ce qui est spontané, c'est boire. Doit-il donc, pour être sincère avec lui-même, s'abandonner à son penchant? Ne faut-il pas l'amener petit à petit, tentative après échec, à remporter la victoire sur sa passion? Et cette victoire ne sera complète que lorsque la sobriété lui sera devenue aussi naturelle, aussi spontanée que l'était autrefois l'ivrognerie.

Si l'amour du prochain nous était naturel, il ne ferait pas l'objet d'un commandement, il ne serait pas le résultat d'une contrainte. Et pourtant, nous sentons bien qu'aimer le prochain est le but que nous devons atteindre, que nous sommes créés pour cela. Au siècle dernier a paru un petit livre intitulé « jésus notre modèle ou que ferait jésus? » Devant chaque décision à prendre, devant chaque tâche à accomplir, devant chaque démarche à faire le héros de cet ouvrage se pose la question : Que ferait jésus dans la circonstance où je me trouve? - En somme, il s'agit pour nous de nous comporter, d'obéir, de nous dévouer comme nous pensons que jésus Se serait comporté, aurait obéi, Se serait dévoué s'Il avait été à notre place. Ainsi il nous devient possible de nous exercer à l'amour du prochain jusqu'à ce que cet amour nous devienne naturel, jusqu'à ce qu'il nous soit spontané.

Nous n'aimons pas notre prochain, mais nous voulons l'aimer. Nous y parviendrons en entretenant en nous le sentiment de la souffrance humaine, le sentiment de la solidarité humaine, la conviction que ,la charité vaut mieux que l'indifférence; en évoquant le souvenir des êtres qui ont vécu dans l'amour, qui se sont dévoués et qui ont laissé le monde moins triste qu'ils ne l'avaient trouvé; nous nous souviendrons aussi de la paix, de la joie qui ont empli notre coeur chaque fois que nous avons aimé, chaque fois que nous avons servi le prochain avec désintéressement.

« Quand l'homme fait un pas vers Dieu, Dieu en fait quatre-vingt-dix-neuf vers lui ». Rien ne développe en nous la vie mystique, rien ne nous rapproche du Christ comme de nous intéresser aux autres, de leur rendre service, de nous dévouer pour eux. De proche en proche ainsi, la vie du Christ pénètre en nous et finit par nous rendre capables d'aimer le prochain comme le Christ nous a aimés.

Combien de gens sont des disciples du Christ sans le savoir, sans peut-être croire en Lui ! Pour être disciple du Christ, il n'est pas besoin de signer une confession de foi ou de pratiquer certaines cérémonies. Le Christ l'a dit: « Voici le signe auquel on vous reconnaîtra pour mes disciples : si vous vous aimez les uns les autres ».

Emile BESSON.OCTOBRE 1959.A.S.