Emile BESSON.Avril 1961
LA LÉGENDE DE L'APÔTRE THOMAS
Dans le précédent numéro de ce bulletin nous avons signalé la récente édition d'un évangile dont nous ne connaissions jusqu'à présent que le titre: L'évangile selon Thomas. Nous voudrions étudier maintenant la légende qui s'est formée autour de l'apôtre Thomas, à qui a été attribuée la paternité de cet évangile.
L'évangile selon Thomas commence par ces mots: « Voici les paroles cachées que jésus le Vivant a dites et qu'a transcrites Didyme Jude Thomas ».
Notons immédiatement que les mots Thomas, nom araméen, et Didyme, qui en est la traduction grecque signifient: jumeau
Dans le cours de cet évangile, Thomas n'est nommé qu'une fois, et dans un passage où le rôle qui lui est attribué est celui que les évangiles synoptiques font jouer à Pierre dans l'épisode de la confession de Césarée de Philippes (Matthieu 16. 13 et Marc 8, 27 et suiv.).
Dans les évangiles canoniques Thomas apparaît seulement dans l'évangile selon saint jean: ch. 11, v. 16 alors que Jésus venait de parler de son retour en Judée, Thomas dit aux autres disciples: « Allons-y, nous aussi, afin de mourir avec lui » ;
ch. 14, v. 5: « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas, comment en saurions-nous le chemin? » ;
le ch. 20, v. 24 à 29 rapporte l'épisode du doute de Thomas qui veut, pour croire à la résurrection de jésus, toucher le corps de son -Maître.
Les anciens historiens de l'Eglise rapportent que Thomas prêcha l'Evangile chez les Parthes et chez les Perses et qu'il fut enterré à Édesse.
Tout ceci parait être conforme à la réalité historique.
Mais bientôt la légende s'empare de l'apôtre.
Dans un manuscrit appartenant à la même collection récemment découverte que l'évangile selon Thomas et qui s'intitule Livre de Thomas Jude Thomas Didyme est présenté comme le frère jumeau du Christ.
Selon l'Apocalypse de Thomas, mise an jour il y a un demi-siècle, l'apôtre aurait reçu une lettre du Christ relative à la fin des temps.
Un autre apocryphe, les Actes de Thomas, relate que l'apôtre prêcha l'Evangile dans l'Inde. Les récits merveilleux abondent et aussi les doctrines ascétiques chères aux communautés gnostiques. Miracles, conversions, persécutions, puis martyre de Thomas.
Un marchand aurait rapporté de l'Inde à Edesse les reliques de l'apôtre. Edesse (qui s'appelle aujourd'hui Orfa), grande cité de Mésopotamie, centre de philosophie, d'art et de négoce où se discutaient les idées, où se transmettaient les nouvelles. A Edesse avait régné le roi lépreux Abgar à qui le Christ aurait écrit une épitre; à Edesse avait été recueilli te linge qu'une femme aurait présenté au Sauveur marchant au supplice et sur lequel le divin visage se serait imprimé . A Edesse aurait vécu pendant dix sept ans dans l'ascèse l'«Homme de Dieu » Alexis avant de retourner à Rome pour y devenir l'anonyme « pauvre sous l'escalier ». D'Edesse est parti le culte de saint Thomas. Saint Ephrem est le chantre passionné de l'apôtre de jésus.
Au commencent du XII° siècle apparaît la figure légendaire du Prêtre jean, descendant des Rois Mages et cet événement ajoute de nouveaux enrichissements à la légende de Thomas. La sépulture de l'apôtre ne se situe plus à Edesse, mais en Inde. Marco Polo, passant en 1293 dans la province indienne de Malabar, y vit une église où reposait le corps de saint Thomas.
Plus tard le tombeau de Thomas doit être cherché au milieu d'un lac, près de la grande cité de Hulna qui passera ensuite pour la capitale du mystique Prêtre-Roi. Une fois par an, lors de la fête du saint, les eaux baissent et s'écartent pour laisser la foule des pèlerins gagner à pied sec le sanctuaire isolé dans l'île. Le bras de Thomas se tend hors du tombeau et sa main, restée vivante, donne la communion aux fidèles.
Toute cette hagiographie se répandit par tout le inonde; elle envahit le moyen âge. On la trouve à Marseille, à Arles, aux Baux et jusque chez les Cathares.
Jean Doresse., dans le remarquable ouvrage que nous avons cité, montre que la tradition a « grandi l'apôtre en une figure sans doute plus fantastique que celles qui furent jamais prêtées à aucun autre (les douze disciples ». Et il explique que ce prodigieux développement de la légende a son origine dans le mythe de Thomas « jumeau » du Christ, favorisé par le, Sauveur de Ses enseignements les plus secrets comme il l'avait été du contact de Son corps ressuscité.