Emile BESSON.juillet 1965.


LES PETITES CHOSES

Celui qui est fidèle dans les petites choses l’est aussi dans les grandes. (Luc XVI, 10).

Lorsque nous ouvrons les yeux sur l'univers, il nous apparaît sous deux aspects également admirables : l'infini dans la grandeur et l'infini dans la petitesse.

L'infini dans la grandeur : les espaces interstellaires, les océans, les montagnes formidables; l'infini dans la petitesse : le microscopique, les merveilles d'organisation, de coloris, les splendeurs concentrées dans des êtres que l'oeil est impuissant à percevoir et dont une goutte d'eau renferme des milliers.

Mais, si nous regardons de plus près, nous nous rendons compte que les monuments énormes de la nature sont composés de milliards et de milliards de fragments minuscules, que les siècles sans terme sont formés de myriades d'instants infinitésimaux.

Dans la vie des individus comme dans la vie des collectivités il y a de même de grandes choses, de grands événements, lesquels sont faits de tout petits composants. Dans une existence les grands devoirs, les grandes épreuves, les grandes joies sont en nombre restreint; par contre les petits devoirs, les petits travaux, les petits chagrins, les petites satisfactions sont constamment devant nous.

Les grands devoirs s'imposent à nous de façon indiscutable; nous ne pouvons pas ne pas les voir; ils requièrent toutes nos énergies et, si nous ne les accomplissons pas, nous nous 'sentons coupables, notre conscience nous accuse. Les petits devoirs nous apparaissent facilement comme négligeables; « c'est peu de chose », disons-nous, et nous passons. Or l'on est plus aisément à la hauteur d'une grande éventualité qu'à la hauteur d'une conjoncture minime. Ceci nous aide à comprendre la déclaration du Maître : Celui qui est fidèle dans les petites choses l'est aussi dans les grandes.

Notre existence se compose d'une profusion de petites choses, de petites obligations, de petits sacrifices. Et c'est sur ces petites servitudes que doit surtout se concentrer notre attention.

Les saints nous émeuvent, nous subjuguent ; ils nous enthousiasment. Mais leur vie est faite d'une multitude de renoncements obscurs, d'obligations sans gloire. Nous avons raison de les admirer, nous aurons raison de chercher à les imiter.

Les petites choses. - Saint Paul écrivait aux chrétiens de Corinthe : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu ». Pascal disait de même: « Faire les petites choses comme grandes à cause de la majesté de Jésus-Christ qui les fait en nous et qui vit notre vie, et les grandes comme petites et aisées, à cause de sa toute puissance ». Il y a une façon divine de tenir sa maison, il v a une façon divine de s'habiller, d'élever ses enfants, il y a une façon divine de parler, de dire les choses les plus habituelles, comme il y a une façon divine de supporter l'épreuve, de se sacrifier pour le prochain.

Faire grandement les petites choses, c'est subordonner les petits devoirs à un grand idéal. - Le prédicateur anglais Spurgeon, au siècle dernier, avait une femme de ménage qui lui dit un jour : « Savez vous à quel signe j'ai reconnu que mon coeur était vraiment tourné vers Dieu ? ». Et, devant son silence, l'humble femme ajouta : « C'est quand j'ai commencé à balayer sous les paillassons ». jusque là elle travaillait pour son employeur, elle faisait ce que celui ci voyait; désormais elle travailla pour Dieu qui est partout et qui voit tout.

Qui dira l'importance des petites choses ? Il a suffi de la question d'une servante pour perdre l'apôtre Pierre. C'est assez d'un caillou pour provoquer une chute. Il suffit de peu de chose pour faire beaucoup de peine; il suffit de peu de chose pour donner beaucoup de joie. Il suffit dune parole pour rendre le courage, pour donner la vie; il suffit d'un peu de sympathie pour adoucir la souffrance.

La veuve dont parle l'Evangile, qui a mis le quart d'un sou dans le tronc des offrandes, a donné plus que les riches qui y ont déposé des fortunes; la plainte muette du péager repentant lui a valu le pardon de Dieu que l'étalage des vertus du pharisien content de soi ne pouvait obtenir.

Tout ce que Dieu nous a donné se fortifie par l'exercice. Ce n'est pas dans le seul domaine matériel qu'est vraie la parole : A celui qui a il sera encore donné. Une faculté physique, morale, intellectuelle se développe par le travail, s'affaiblit par l'inaction. En méconnaissant les petits devoirs, le sentiment du devoir s'étiole, la conscience s'anémie, s'émousse. C'est ainsi que la vie spirituelle grandit en qu'elle s'affaiblit. Les grandes catastrophes dans l'ordre moral ont souvent commencé par de minuscules manquements. Et d'autre part le Christ a parlé de la vertu d'un simple verre d'eau donné par amour pour Lui.

Si nous élevons nos regards, nous voyous que Dieu nous montre la voie. Par les guerres, les cataclysmes, les épidémies Il dépeuple des régions de Son empire pour transporter leurs habitants dans d'autres régions. Formidables sont les manifestations de Sa puissance; et en même temps Il Se penche sur Ses faibles créatures, Sa sollicitude s'étend sur la plus petite épreuve, sur nos minuscules chagrins. Il compte chacune de nos larmes, Il sourit au moindre effort de notre bonne volonté.

Quand le Christ est venu sur la terre, Il S'est entouré des plus petits, des humbles. Entre tous les êtres Il les a instruits, consolés, aidés et c'est par ces petits, ces obscurs qu'Il a conquis le monde.

Toute grandeur, toute beauté a sa contrepartie.

Nous venons d'apercevoir la grandeur des petites choses. A l'antipode il y a l'esprit mesquin, tatillon qui s'absorbe dans des petits détails comme si seuls ils avaient de l'importance ; il y a la maladie du scrupule, bien dénommée maladie, - l'attitude des êtres timorés, tremblants, perpétuellement inquiets, qui n'osent prendre un parti ni faire un pas et qui lie connaissent qu'une obéissance servile et sans joie. Il y a aussi l'esprit pharisien qui s'attache de préférence aux petits devoirs jusqu'à les préférer aux grands. Le Christ a reproché aux scribes de Son temps d'envisager exclusivement les devoirs insignifiants, comme payer la dîme des petites herbes ou compter le nombre de pas que l'on était autorisé à faire un jour de sabbat, ce qui les rassurait à leurs propres yeux lorsqu'ils négligeaient, lorsqu'ils oubliaient leurs devoirs primordiaux.

Sédir a souvent rappelé à ses amis qu'il y a une hiérarchie des devoirs et que, s'il ne s'agit pas de faire parmi eux un choix arbitraire, il faut les avoir devant l'esprit, chacun à sa place, tous subordonnés à l'idéal qui est à la fois la trame et le but de la vie.

Heureux ceux qui, au terme de leur carrière, entendront la parole d'approbation et d'encouragement par laquelle le Christ termine une de Ses paraboles : C'est bien, bon et fidèle serviteur, dans une petite chose tu t'es montré fidèle; je te confierai beaucoup; entre dans la joie de ton maître !