Emile BESSON. OCTOBRE 1965


LA RESPONSABILITÉ

Vous les reconnaîtrez à leurs fruits, (Matthieu VII, 16)

A une personne qui lui demandait : « La richesse est elle une bonne ou une mauvaise chose ? » Sédir répondit : « La richesse n'est ni une bonne chose ni une mauvaise chose, elle est une responsabilité ».

L'important, ce n'est pas de posséder plus ou moins d'argent, c'est de bien employer l'argent que l'on a. Et ceci est vrai pour tout ce qui peut nous appartenir. « La fortune, le bonheur, le pouvoir, l'intelligence même sont des poisons pour le cœur  spirituel, des poisons non par eux mêmes, mais par la possessivité qu'ils engendrent en ceux qui reçurent ces redoutables trésors » (Sédir : Les guérisons du Christ.)

Le don reçu a et conserve sa valeur absolue; l'emploi que l'on fait de ce don le colore à sa lumière, lui confère dans le relatif sa vertu. Il faudrait que l'usage que nous faisons d'un don soit en parfaite. harmonie avec ce don. Là réside notre responsabilité.

La responsabilité est le fondement de notre vie. Etre responsable, c'est en effet être capable de répondre, d'être garant de nos actes.

La vie est un combat perpétuel sur quantité de fronts; aussi l'existence de l'individu comme l'existence de la collectivité est elle une alternance de modestes victoires et de lourdes défaites. Mais rien n'est jamais perdu. « Quand tout lui manque et l'afflige au point qu'il craint de perdre cœur, il reste à l'homme ses idées. C'est à leur adhésion intime, à ce qu'elles offrent d'immuable que les forces de sa vie doivent de se rassembler et de ne point faiblir, car son essence est là » (Henri Massis, Les Idées restent.)

De ce bloc intérieur s'exprime la responsabilité de l'homme face au monde extérieur, sa responsabilité, expression et ultime ressource de son être.

Immense est notre responsabilité. Elle s'étend à tout. Toute responsabilité a sa source dans notre responsabilité vis-à-vis de Dieu.

Dieu nous a fait un don suréminent et ce don, c'est Lui même. Il a créé l'homme à Son image, puis Il l'a placé dans le Relatif en lui donnant ce mot d'ordre : « Va et travaille, le progrès est à l'infini ».

L'histoire de l'homme est l'histoire de ses tentatives pour revenir à Dieu. Revenir à Dieu par sa vie, par sa soumission de plus en plus parfaite à la volonté de Dieu. Et Dieu est venu à l'aide de l'homme dans la personne de Son Fils unique. Et le Christ a offert Sa vie pour le monde et Il a donné à l'homme ce commandement suprême : Aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimés.

Si ce programme est difficile à réaliser, s'il exige des siècles et des siècles d'efforts, il est facile à comprendre; il ne peut y avoir à son sujet ni incertitude ni hésitation ni erreur d'interprétation. Mais l'homme s'est mis à raisonner sur Dieu, à raisonner sur le Christ à éplucher Ses paroles, à discuter sur Ses déclarations. Et plus il a épilogué, plus il a augmenté sa propre incompréhension; les questions se sont compliquées, l'élan vers le Christ s'est ralenti, la simple confiance s'est émoussée, la vie s'est paralysée.

L'homme a construit sur Dieu, sur le Christ des théories souvent grandioses; sur Dieu, sur le Christ il a établi un corps de vérités à croire; il a chanté, de façon souvent sublime, les louanges du Père et du Fils.

Toutes ces doctrines, toutes ces adorations ont assurément leur utilité; on ne connaîtra jamais assez bien le Christ, ce qu'Il a apporté au monde. Mais ces ferveurs trouvent souvent leur fin en elles mêmes; il arrive que l'homme s'estime satisfait lorsqu'il parvient à les exprimer parfaitement à son gré. L'homme a exalté la personne du Christ, mais il ne s'est guère préoccupé d'obéir à Ses commandements. Or le Christ demande à l'homme de tendre vers la perfection dans l'amour et dans le service du prochain, représentant de Dieu auprès de lui. « Voici toute la Loi : « Tu aimeras Dieu de tout ton Cœur  et ton prochain comme toi-même » « On ne nous demandera pas ce que nous aurons cru, on nous demandera ce que nous aurons fait ».

Le Seigneur ne dirait-Il pas de nos jours ce qu'Il disait au prophète Isaie : « Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur  est loin de moi » (XXIX, 13) ?

D'autre part, garder pour soi le don de Dieu, s'enfermer dans sa foi, se réjouir d'être dans la vérité, contempler cette vérité comme un avare contemple son trésor, thésauriser la certitude spirituelle qui brûle de rayonner et de se répandre, c'est une manifestation particulièrement nocive de l'esprit de possessivité, c'est réellement faire de Dieu un usage antichrétien.

La religion du Christ n'est ni un raisonnement ni un ensemble de doctrines ou de pratiques; elle n'est pas non plus une valeur que l'on dépose dans un coffre fort; elle est le lien qui unit le Christ et la créature et ce lien se manifeste par l'amour de plus en plus pur et par le service de plus en plus parfait du prochain. « je vous ai donné un exemple pour qu'à votre tour vous fassiez comme je vous ai fait ».