Emile BESSON. Avril, Juillet, Octobre 1960.


SUIVRE LE CHRIST

LES TROIS OBSTACLES


I. - La Présomption

Saint Luc (chapitre IX) réunit trois épisodes de la vie de Jésus. - Un homme aborde le Christ et Lui, dit : « Je te suivrai partout où tu iras ». Et le Seigneur répond : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ». - A un autre Il dit : « Suis-moi ». L'homme lui répond : « Permets-moi d'aller d'abord ensevelir mon père ». Et Jésus lui dit : « Laisse les morts ensevelir leurs morts et toi, va annoncer le Règne de Dieu ». - Un troisième lui dit : « Je te suivrai, Seigneur; mais permets-moi d'abord de prendre congé de ma famille ». A celui-là Jésus répond : « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas propre an Royaume de Dieu ».

Le Christ était en chemin, montant vers Jérusalem. Un homme - un scribe, d'après saint Matthieu - Lui dit : « Je te suivrai partout où tu iras ».

Cet homme L'accompagnait déjà depuis un certain temps. Frappé par les miracles dont il avait été témoin et par la beauté de l'enseignement qu'il avait entendu, il voulut s'attacher définitivement au Christ : « Je te suivrai partout où tu iras, dit-il ». Or Jésus s'en allait à Jérusalem pour y mourir.

Il ne suffit pas, pour suivre Jésus, d'un moment d'enthousiasme; il faut au préalable Lui avoir tout donné, il faut avoir fait à l'avance le sacrifice de sa propre vie. Le Maître l'avait dit précédemment : « Si quelqu'un veut marcher sur mes traces, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix chaque jour et qu'il me suive ». Aussi répond-Il à Son interlocuteur : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ».

Cela signifie : Si tu veux me suivre, tu dois t'attendre à être, comme moi, un sans-logis. Au point de vue matériel, vivre dans le dénuement; au point de vue spirituel, être sur la terre « un étranger et un voyageur », accepter de vivre dans le monde incompris, raillé, peut-être discrédité, peut-être condamné, peut-être crucifié.

Où donc, en effet, dans la Galilée d'il y a deux mille ans, à part dans la demeure de quelques rares amis, le Fils de l'homme pouvait-il reposer Sa tête ? Et le monde d'aujourd'hui n'est-il pas semblable à la Palestine d'autrefois ? Jésus est, comme on l'a dit, « le Juif errant d'une civilisation qui se réclame de Lui ».

Et ce qui est vrai pour le Seigneur est vrai également pour les disciples. « Le serviteur n'est pas plus grand que son Maître ; s'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi; s'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre ».

Comment le scribe a-t-il réagi à la parole du Seigneur ? L’Evangile ne le dit pas. Mais il proclame heureux ceux qui, ayant tout laissé, suivent le Christ.

II. - La Temporisation

Suis-moi. (Luc IX, 59).

Quand le Christ commença Son ministère dans la sereine Galilée, 11 recruta des disciples. A plusieurs Il S'adressa, leur disant : « Suis-moi ». Et eux, quittant tout, Le suivirent.

Dans la suite du récit abordé dans notre précédente chronique, le Christ interpelle un homme et lui dit : « Suis-moi ». Mais, à l'inverse des premiers disciples, l'interlocuteur trouve un motif pour différer sa décision. « Permets-moi d'aller d'abord ensevelir mon père ».

Il est peu probable que le père de cet homme venait justement de mourir et qu'on se préparait à l'ensevelir. La parole signifie plutôt : Je Te suivrai plus tard, lorsque j'aurai fermé les yeux de mon père. - Quoi qu'il en soit, le Christ détourne cet homme, non pas des devoirs de la piété filiale, mais de l'asservissement à ce qui passe. La mort est l'aboutissement obligé de tout ce qui existe, la pensée de la mort s'impose à tous les êtres ; or, par-delà cette fatalité, Jésus lance Son interlocuteur en plein dans la vie. « Laisse les morts ensevelir leurs morts, et toi, va annoncer le Règne de Dieu ».

En effet, suivre le Christ, c'était, il y a vingt siècles, L'accompagner dans Ses pérégrinations, mais c'était aussi et surtout parler et agir en Son Nom, c'était partager Son sort, c'était être un ouvrier du Royaume de Dieu. Aujourd'hui de même, suivre le Christ, c'est se donner à l'idéal de l'Evangile, c'est incarner cet idéal dans la vie de tous les jours, c'est annoncer le Règne de Dieu.

Mais la parole du Christ va bien plus loin qu'une circonstance particulière ; elle est notre devise, à tous.

Nous devons tout à nos morts et ils ont droit à notre vénération et à notre gratitude. Mais nous ne les leur témoignerons pas en nous contentant de répéter leurs formules - la formule est l'expression constamment changeante d'une réalité permanente -, mais en continuant leurs travaux, leurs efforts. Nos ancêtres ont amassé pour nous des trésors de vie et ces trésors, nous devons les conserver précieusement et les faire valoir pour ceux qui viendront après nous. Qu'importe si pour cela il nous faut les exprimer dans un autre langage, dans le langage de notre temps ? Le Christ n'a pas fait figure de novateur ; Il a observé les coutumes et les pratiques de Son peuple ; Il a fait appel au témoignage des prophètes ; Il a repris le trésor millénaire d'Israël, mais Il l'a refondu au contact de la Révélation qu'Il venait apporter. En Lui le passé et le présent s'unissent dans une sublime unité.

Il nous appartient d'exprimer les vérités anciennes avec des formules nouvelles ; mais qu'exprimerions-nous s'il n'y avait des vérités permanentes à exprimer ?

Notamment, il y a dans l'Ecriture des révélations merveilleuses qui attendent d'être dévoilées, des diamants qui attendent, afin de briller, qu'on les taille. Il n'est pas vrai que tout ait été dit et que nous ne puissions être que les porte-voix des morts Chaque siècle recommence le chemin de l'esprit.

Le Christ est l'éternel Présent. Il porte en Lui tout l'avenir, jusqu'à la fin des temps. Nous aussi, nous portons en nous le passé pour le transformer en avenir. Ne gardons pas les yeux tournés vers hier ; pensons à demain. En accomplissant notre tâche d'aujourd'hui nous sommes les ouvriers du futur.

Emile BESSON.juillet 1960

III. - Le coeur partagé



Un homme dit à Jésus : « Je te suivrai, Seigneur ; mais permets-moi d'abord de prendre congé de ma famille ». Jésus lui répondit : « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n'est pas propre au Royaume de Dieu » (Luc IX, 61-62).


Le troisième interlocuteur de Jésus s'offre de lui même à Le suivre, comme le premier; mais il temporise, comme le second. Le Christ le met en demeure de se décider. Celui qui n'est pas courbé sur sa charrue et qui ne regarde pas fixement le sillon qu'il est occupé à tracer fera un mauvais travail ; si, en labourant, il regarde en arrière, le sillon déviera de la ligne droite. Il en va exactement ainsi de celui qui se consacre à l’oeuvre de Dieu tout en se préoccupant des intérêts et des plaisirs de la vie présente.

Il faut ou bien tracer le sillon ou bien regarder en arrière. Tenter de faire en même temps les deux choses est impossible, comme de suivre à la fois deux chemins. Le même absolu régit notre attitude vis-à-vis du Christ; Il l'a dit Lui-même : « Celui qui n'est pas avec moi est contre moi ; celui qui n'amasse pas avec moi disperse».

Le Christ n'a que faire de collaborateurs à restrictions il Lui faut des coeurs qui ne soient pas partagés Il veut une obéissance totale, un dévouement sans limites. Il entend que Ses disciples s'engagent avec Lui dans Sa voie sans regarder derrière eux.

Et que trouve le disciple sur cette voie qu'il a délibérément choisie, tournant le dos à l'univers entier ?

On ne peut être à la fois les élus du Ciel et les heureux de la terre. « A mesure que le disciple imite son Maître, la solitude s'agrandit autour de lui ; les créatures s'écartent, et les génies et les dieux ; puis tous l'attaquent, parce que sa simple présence leur est un reproche. C'est alors que la constance devient difficile»'.

Mais, à mesure que les réalités humaines s'estompent à ses yeux, le disciple se sent plus près de son Maître; il chemine à Son cÔté et il entend la voix bien-aimée lui dire : Mon enfant, prends courage, tu es propre an Royaume de Dieu.

Ainsi donc, conscients de ce que le Christ a fait pour nous, persuadés qu'Il veut bien Se servir de nous pour Son Oeuvre universel, nous nous donnons à Lui sans réserve et nous Le suivons sans plus jamais regarder en arrière.

Emile BESSON.octobre 1960

1. SÉDIR : Le Royaume de Dieu, p. 164.